23/08/2012
Nelly Sachs, Brasier d’énigmes et autres poèmes
Et tu as traversé la mort
comme en la neige l’oiseau
toujours noir scellant l’issue…
Le temps a dégluti
les adieux que tu lui offris
jusqu’à l’extrême abandon
au bout de tes doigts
Nuit d’yeux
S’immatérialiser
Ellipse, l’air a baigné
la rue des douleurs…
Und du gingst über den Tod
wie der Vogel im Schnee
immer schwarz siegelnd das Ende –
Die Zeit schluckte
was du ihr gabst an Abschied
bis auf das äusserste Verlassen
die Fingerspitzen entlang
Augennacht
Körperlos werden
Die Luft umspülte – eine Ellipse –
die Strasse der Schmerzen –
Nelly Sachs, Brasier d’énigmes et autres poèmes, traduit de l’allemand
par Lionel Richard, Denoël, 1967, p. 258-259.
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21/08/2012
Florence Pazzottu, L’Inadéquat (la langue crée le dé)
à ma mère
alors poème
– enfant en moi de sept mois n’était pas un
non-parlant mais ce
tout-oreille
qu’effondra en lui-même
aussi bien commença
l’extrême silence d’une
(bien que revenue) disparue-mère
l’indispensable qui (don de langue)
fait sol
et
sens – a
lors poème
(persiste
ce mouvement tiers cette absence
– réel l’impossible retour n’efface
pas le manque fracturant et fondant
aujourd’hui)
ce tout multiple – poème – possiblement
disjoncte
Florence Pazzottu, L’Inadéquat (la langue crée le dé), Flammarion, 2005, p. 87.
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19/08/2012
Samuel Beckett, Poèmes suivi de mirlitonnades
Elles viennent
autres et pareilles
avec chacun c’est autre et c’est pareil
avec chacune l’absence d’amour est autre
avec chacune l’absence d’amour est pareille
*
La mouche
entre la scène et moi
la vitre
vide sauf elle
ventre à terre
sanglée dans ses boyaux noirs
antennes affolées ailes liées
pattes crochues bouche suçant à vide
sabrant l’azur s’écrasant contre l’invisible
sous mon pouce impuissant elle fait chavirer
la mer et le ciel serein
*
musique de l’indifférence
cœur temps air feu sable
du silence éboulement d’amours
couvre leurs voix et que
je ne m’entende plus
me taire
Dieppe
encore le dernier reflux
le galet mort
le demi-tour puis les pas
vers les vieilles lumières
[Ces poèmes, ont d’abord été publiés en français dans Les Temps modernes, n° 14, novembre 1946, respectivement p. 288, 290, 290 et 291 (ce dernier sans titre)].
*
que ferais-je sans ce monde sans visage sans questions
où être ne dure qu’un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l’oubli d’avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s’engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l’amour
sans ce ciel qui s’élève
sur la poussière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd’hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi
Samuel Beckett, Poèmes suivi de mirlitonnades, éditions de
Minuit, 1978, p. 7, 11,12, 15, 23.
[L’ensemble des poèmes a été traduit de l’anglais par l’auteur.]
À propos de Beckett :
Maurice Blanchot, Où maintenant ? qui maintenant ?, dans Le Livre à venir, Gallimard, 1959.
Ludovic Janvier, Pour Samuel Beckett, éditions de Minuit.
Ludovic Janvier, Samuel Beckett par lui-même, Seuil, 1969.
Cahiers de l’Herne : Samuel Beckett, 1976.
Revue d’esthétique : Samuel Beckett, Privat, 1986.
Charles Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett, Fata Morgana, 1986.
Critique : Samuel Beckett, septembre 1990.
Deirdre Bair, Sameul Beckett [biographie], traduction de l’anglais par Léo Dilé, Fayard, 1990.
André Bernold, L’amitié de Beckett, Hermann, 1992.
Pascale Casanova, Beckett l’abstracteur, Seuil, 1997.
John Knowlson, Samuel Beckett [biographie], traduction de l’anglais par Oristelle Bonis, Solin/Actes Sud, 1999.
Anne Atik, Comment c’était [souvenirs], L’Olivier, 2003.
Nathalie Léger, Les vies silencieuses de Samuel Beckett, Allia, 2006.
Collectif, Objet Beckett, Centre Pompidou [catalogue d'exposition], 2007.
Un site (en anglais) : http://beckett.english.ucsb.edu
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18/08/2012
John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment
Simples, les arbres posés sur le paysage
Comme des gerbes de foin qu’on aurait laissé traîner là.
Le crottin des chevaux disparus, les pierres qui l’imitent,
Tout nous parle des cieux, qui ont créé cette scène
Par leur seule position.
Or en s’associant trop strictement aux trajets des choses
On perd cette sublime espérance faite de la lumière qui asperge les arbres.
Car chaque progrès est négation, de mouvement et surtout de nombre.
Ce nombre ayant perdu sa finesse indescriptible
Tout doit être perçu comme quantités infinies de choses.
Tout est paysage : perspective de rochers
Battues par d’innombrables vagues ;
Champs de blé à ne plus pouvoir en compter ; forêts
Aux sentiers perdus ; tours de pierre
Et enfin et surtout les grands centres urbains, avec
Leurs buildings et leurs populations, au centre desquels
Nous vivons notre vie, faite d’une grande quantité d’instants isolés
Pour être perdue au sein d’une multitude de choses.
John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment, traduit de l’américain par Michel Aucouturier, Seuil, 1975, p. 18.
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17/08/2012
Jean-Jacques Viton, comme ça
ce qui est troublant dans l’orage
ce sont ses poses avant reprises
éclairs grêle vents crépitements
un tournoiement de signes embrouillés
sur un lointain de paysages convulsifs
dans la crème acide des foules
peut-on dans cet état excentrique se rappeler
les trois derniers mots que l’on a prononcés
trouver précisément en quelle saison on est
le jour de la semaine ... et sa date
quel département quelle province
et puisqu'on y est quel pays
pour réussir à se dénouer de l’orage
répéter quelques mots sans rapport
polyphonie rebours géométrie aztèque
ils trouveront des récepteurs secrets
s’infiltreront comme des filets d’irrigation
dans la peau du paisible
Jean-Jacques Viton, comme ça, P. O. L., 2003, p. 48.
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15/08/2012
Joyce Mansour, Carré blanc
Herbes
Lèvres acides et luxurieuses
Lèvres aux fadeurs de cire
Lobes boudeurs moiteurs sulfureuses
Rongeurs rimeurs plaies coussins rires
Je rince mon épiderme dans ces puits capitonnés
Je prête mes échancrures aux morsures et aux mimes
La mort se découvre quand tombent les mâchoires
La minuterie de l’amour est en dérangement
Seul un baiser peut m’empêcher de vivre
Seul ton pénis peut empêcher mon départ
Loin des fentes closes et des fermetures à glissière
Loin des frémissements de l’ovaire
La mort parle un tout autre langage
Joyce Mansour, Carré blanc, éditions Le Soleil noir,
1961, p. 121 et 94.
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14/08/2012
Olivier Apert, Infinisterre suivi de Crash
Drame
quelque chose s’est cassé
- quoi & depuis quand
quelque chose gît se réfugie
comme ces mères qu’on imagine à l’hospice, visitées par leurs enfants, et se grattant furieusement le sexe
quelque chose meurt & ne veut pas mourir
la volonté la foi l’amour le moi comme dispensés au ciel d’un crash-Mirage
quelque chose guette & rit sur la tristesse
ici sur les galets, carlingue écrouie, la mémoire ; là, les débris, souvenirs métalliques qui hantent comme autant de perfusions – cockpit faisant saigner la voûte nocturne
quelque chose mime
- dans les bars, l’alcool caresse la frivolité d’un verre comme ces créatures magnifiques vivant la peau d’un autre
quelque chose attendrait
- un geste au détour comme dans un lit une peinture le pli de la violence éphémère
si quelque chose s’est cassé
- ce serait quoi & depuis quand
Pavane pour une infante disparue, 3
SI loin de toi (je) pense à toi
près de toi ) je ( t’oublie
oui puisqu’IL – le monde – existe
avec & sans eux
SI loin de toi ) je ( pense à (toi)
c’est parce que près de toi
je L’oublie dans ) toi (
SI tu m’oublies en IL
c’est parce que loin de moi
tu existes loin de ) toi (
COMMENT,
COMMENT POURRAIS-JE NE PAS TE VOIR quand
la langue du chat – rose ô si rose boudoir –
avidement lèche le lait coulant des étoiles
avant qu’il aille du balcon se jeter comme la mouette
tridactyle que je recueille (stoïque la mouette) blessée
mais encore voulant marcher vers sa mort (bancale
notre mort) juste pour me donner leçon digne et
drôle avec la gueule (rose ô si rose le gosier) ne
miaulant pas à sec son cri : ne m’oublie pas :
COMMENT NE POURRAIS-JE PAS TE VOIR ?
Olivier Apert, Infinisterre suivi de Crash, éditions Apogée (Rennes),
2006, p. 45, 75, 108.
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13/08/2012
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné, Poèmes et fragments
... Quand donc, quand donc, quand donc y en aura-t-il assez de la plainte et de la parole ? N’y eut-il pas des maîtres
experts dans l’art de lier les mots humains ? Pourquoi donc les nouvelles tentatives ?
Est-ce donc, est-ce donc, est-ce donc que du livre
les hommes ne sont pas là comme d’une cloche qui ne cesse de sonner ?
Et lorsqu’entre deux livres le ciel silencieux t’apparaît : jubile ! – ou aussi bien un coin de simple terre dans le soir...
Plus que les orages, plus que les mers, ils ont
lancé des cris, les humains... Quelles surcharges de silence
doivent habiter le cosmos pour que le chant du grillon
nous soit demeuré audible, à nous, hommes vociférants, et pour que les étoiles
nous semblent silencieuses, dans cet éther que nous invectivons !
Mais c’est à nous qu’ils ont parlé, les très lointains, les anciens, les très anciens pères !
Et nous : écoutons-les enfin ! Nous, les premiers à les écouter.
... Wann wird, wann wird, wann vird es genügen
das Klagen und Sagen ? Waren nicht Meister im Fügen
menschlicher Worte gekommen ? Warum die neuen Versuche ?
Sind nicht, sind nicht, sind nicht vom Buche
die Menschen geschlagen wie von fortwährender Glocke ?
Wenn dir, zwischen zwei Büchern, schweigender Himmel erscheint : frohlocke...,
oder ein Ausschnitt einfacher Erde im Abend.
Meht als die Stürme, mehr als die Meere haben
die Menschen geschrieen... Welche Übergewichte von Stille
müssen im Weltraum wohnen, da uns die Grille
hörbar blieb, uns schreienden Menschen.
Da uns die Sterne schweigende scheinen, im angeschrieenen Äther !
Redeten uns die fernsten, die alten und ältesten Väter !
Und wir : Hörende endlich ! Die ersten hörenden Menschen.
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné, Poèmes et fragments, édition bilingue, traduit de l’allemand par Jean-Yves Masson, Verdier, 1990, p. 26-27, et Verdier / poche, 2007.
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12/08/2012
Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée
Mort-nés
Ces poèmes ne vivent pas : c’est un triste diagnostic.
Ils ont pourtant bien poussé leurs doigts et leurs orteils,
Leur petit front bombé par la concentration.
S’il ne leur a pas été donné d’aller et venir comme des humains
Ce ne fut pas du tout faute d’amour maternel.
Ô je ne peux comprendre ce qui leur est arrivé !
Rien ne leur manque, ils sont correctement constitués.
Ils se tiennent si sagement dans le liquide formique !
Ils sourient, sourient, sourient, sourient de moi.
Et pourtant les poumons ne veulent pas se remplir ni le cœur s’animer.
Ils ne sont pas des porcs, ils ne sont pas même des poissons,
Bien qu’ils aient un air de porc et de poisson —
Ce serait mieux s’ils étaient vivants, et ils l’étaient.
Mais ils sont morts, et leur mère presque morte d’affolement,
Et ils écarquillent bêtement les yeux , et ne parlent pas d’elle.
Stillborn
These poems do not live : it’s a sad diagnosis.
They grew their toes and fingers well enough,
Their little foreheads bulged with cincentration.
If they missed out on walking about like people
It wasn’t for any lack of mother-love.
O I cannot understand what happened to them !
They are proper in shape and number and every part.
They sit so nicely in the pickling fluid !
They smile and smile and smile and smile at me.
And still the lungs won’t fill and the heat won’t start.
They are not pigs, they are not even fish,
Though they have a piggy and a fishy air —
It would be better if they were alive, and that’s what they were.
But they are dead, and their mother near dead with distraction.
And their stupidly stare, and do not speak of her.
Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée, édition
bilingue, présentation de Sylvie Doizelet, Traductions de
Françoise Morvan et Valérie Rouzeau, Poésie/Gallimard,
1999, p. 88 ( texte anglais)-89.
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11/08/2012
Philippe Jaccottet, Observations et autres notes anciennes
Il m’a semblé parfois (mais quelles chimères n’invente-t-on pas, presque honnêtement, pour justifier ses limites !) que ma plus vraie vie, ma seule vraie vie, n’était faite que des moments pour lesquels j’avais cru trouver une expression un peu juste ; comme si devenir poésie, si peu que ce fût, leur conférait plus de réalité, ou, plus précisément encore, les révélait, les fixait, les accomplissait. Sans doute survivaient-ils déjà d’une certaine manière dans le souvenir ; mais la parole leur ajoutait quelque chose qu’elle était seule à pouvoir leur donner, une valeur, et une espèce de privilège. (Sans doute ces moments ne me semblaient-ils pas arrachés au temps pour la simple raison qu’ils pourraient me survivre, si les poèmes étaient beaux. Car enfin les œuvres qui nous paraissent les plus assurées de durer ne sont encore que de très fragiles feuilles de papier, qui brûleront ou moisiront un jour. Mais comment expliquer ce que l’on ne ressent que confusément, encore que profondément ? Disons qu’il ne s’agirait pas de prolonger son nom au-delà de la mort, ni même de le faire durer des moments fugitifs ; mais plutôt de donner à ces moments fugitifs une sorte de forme spirituelle — et forme est encore mal dire ; ainsi le parfum de la violette de mars, qui fanera pourtant, semble creuser un couloir ténébreux et velouté dans le mur du temps et s’ouvrir brusquement sur ce qui n’a plus ni nom, ni parfum, ni saison).
Philippe Jaccottet, Observations et autres notes anciennes, 1947-1962, Gallimard, 1998, p. 37-38.
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10/08/2012
Robert Desnos, Fortunes
Baignade
Où allez-vous avec vos tas de carottes ?
Où allez-vous, nom de Dieu ?
Avec vos têtes de veaux
et vos cœurs à l'oseille ?
Où allez-vous ? Om allez-vous ?
Nous allons pisser dans les trèfles
Et cracher dans les sainfoins.
Où allez-vous avec vos têtes de veaux ?
Où allez-vous avec embarras ?
Le soleil est un peu liquide
Un peu liquide cette nuit.
Où allez-vous, têtes à l'oseille ?
Nous allons pisser dans les trèfles
Et cracher dans les sainfoins.
Où allez-vous ? Où allez-vous
À travers la boue et la nuit ?
Nous allons cracher dans les trèfles
Et pisser dans les sainfoins,
Avec nos airs d'andouilles
Avec nos becs-de-lièvre
Nous allons pisser dans les trèfles.
Arrêtez-vous. Je vous rejoins.
Je vous rattrape ventre à terre
Andouilles vous-mêmes et mes copains
Je vais pisser dans les trèfles
Et cracher dans les sainfoins.
Et pourquoi ne venez-vous pas ?
Je ne vais pas bien, je vais mieux.
Cœurs d'andouilles et couilles de lions !
Je vais pisser, pisser avec vous
Dans les trèfles
Et cracher dans les sainfoins.
Baisers d'après minuit vous sentez la rouille
Vous sentez le fer, vous sentez l'homme
Vous sentez ! Vous sentez la femme.
Vous sentez encore mainte autre chose :
Le porte-plume mâché à quatre ans
Quand on apprend à écrire,
Les cahiers neufs, les livres d'étrennes
Tout dorés et peints d'un rouge
Qui poisse et saigne au bout des doigts.
Baisers d'après minuit
Baignade dans les ruisseaux froids
Comme un fil de rasoir.
Robert Desnos, Fortunes, Poésie / Gallimard, 1980
[1945], p. 97-98.
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09/08/2012
Jean-Pascal Dubost, et leçons et coutures
Clément Marot Faire des poèmes de tête de mule et de lard et de bique et de pioche et de bois donc mauvaise et à claquer et soupe au lait, puisant dans l'enfance son lot de paroles cassantes qui turlupinent la teste de belins devenue qui, de riens, fait tout un Graal de soi, et résiste à l'émasculation mentale maternelle et politique et puticitaire en digressanr carrément comme un cochon même les vendredis pour faire chier les curés de l'âme et se faire, en solitaire, plaisir, et à la moindre occasion, car à chaque fois sa marotte (la vie n'est tolérable qu'avec), et poète se faire, sans en faire tout un poème, mais en faire tout un plat [le Graal], pour accumuler joyeusement ses défauts, et voilà, j'ai fait partout—
Jean-Pascal Dubost, et leçons et coutures, éditions Isabelle Sauvage, 2012, p. 21.
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08/08/2012
Paul-Jean Toulet, Les Contrerimes
Contrerimes
XL
L'immortelle, et l'œillet de met
Qui pousse dans le sable,
La pervenche trop périssable
Ou ce fenouil amer
Qui craquait sous la dent des chèvres
Ne vous en souvient-il,
Ni de la brise au sel subtil
Qui nous brûlait les lèvres ?
LXX
La vie est plus vaine une image
Que l'ombre sur le mur,
Pourtant l'hiéroglyphe obscur
Qu'y trace ton passage
M'enchante, et ton rire pareil
Au vif éclat des armes ;
Et jusqu'à ces menteuses larmes
Qui miraient le soleil.
Mourir non plus n'est ombre vaine.
La nuit, quand tu as peur,
N'écoute pas battre ton cœur
C'est une étrange peine.
Paul-Jean Toulet, Les Contrerimes, édition de Michel Décaudin,
Poésie / Gallimard, 1979, p. 59, 90.
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07/08/2012
Ludovic Degroote, Les marronniers
à l'automne les marronniers
font un grand vide
ils désertent la terre
à laquelle ils reviennent
eux aussi avaient un ventre
avec une histoire sous les feuilles
et de la mémoire vieillie
qui tombe en s'en allant
peut-être même vivent-ils
tant qu'ils tombent
comme nous tombons
tant que nous vivons
dans ce grand moment
des disparitions inabouties
nous nous taisons à demi
sans nous perdre tout à fait
à l'automne les marronniers
ou je ne sais quoi
dans le retrait de la vie
le silence incomplet de ma mélancolie
Ludovic Degroote, Les marronniers, Poètes
au potager, Contre-allées, 2012, 5 €.
Commande : Contre-allées, 16 rue Mizault, 03100 Montluçon
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06/08/2012
Pierre-Albert Jourdan, Ajouts aux Fragments
Ceci est ma forêt. J'entretiendrai cette exubérance de piliers, mais que pourraient-ils soutenir, ô maçons ! Et que l'on ait pris soin de balayer le sol quand le feu vient d'en haut, qu'il plonge sur ma forêt!
Ceci est ma forêt. Est-ce ma maison ? Cela ne se règle pas par un jeu d'écriture. Et si c'est ma maison, elle est ouverte. Non pas cette porte en face de moi, ces silhouettes. Ouverte à tout autre chose. À ce tout autre qui est là, que les piliers ne peuvent contenir. Ouverte, simplement ouverte comme une déchirure de lumière. Une déchirure, oui. Les piliers ne sont là, qui paraissent soudain s'épanouir, vivre, que pour m'épauler. « Suis-moi... » Je retrouve en moi ce début de phase. Je m'arrête à ce début. Si encore je pouvais m'accomplir en tant qu'homme, me hausser un tout petit peu. Leçon de piliers sans doute. Si encore j'étais capable de me repêcher, n'est-ce pas ?
Pierre-Albert Jourdan, Ajouts pour une édition revue et augmentée de Fragments, éditions Poliphile, novembre 2011, p. 19.
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