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30/06/2023

James Sacré, Une fin d'après-midi continuée

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Nom prénom comme (n’importe qui, personne)

 

Des visages sont aussi près de mon peu d’existence

Que les feuillages sans forme de la nuit ;

Leur sourire où je disparais m’emporte

En un mouvement de noir et d’étoiles.

Dans ces poèmes qui sont pour quelqu’un avec un nom précis je voudrais

Que ce soit les mêmes feuillages nocturnes

Dans le volume respirant de ce nom, le parfum de quelques autres

Je veux m’en aller dans la nuit.

 

James Sacré, Une fin d’après-midi continuée, trois livres « marocains », postface Serge Martin, Tarabuste, 2023, p. 69.

06/06/2023

Paul Celan, Renverse du souffle

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Sous la peau de mes mains cousu :

ton nom consolé

avec des mains.

 

Quand je pétris la motte

d’air, notre nourriture, 

la lueur de lettres passée par le

pore

ouvert-délirant la

surit.

 

Paul Celan, Renverse du souffle,

traduction Jean-Pierre Lefebvre,

Seuil, 2003, p. 49.

30/05/2023

Cédric Demangeot, Obstaculaire

 

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À la barre donc

du blanc d’une orée

vient un homme :

il n’a pas ses pas.

 

Sans ses pas il va

penser — épuiser

quel temps de parole

et contre quel quai.

 

Quoi chavirer

lance-t-il au juge

si j’ai des jambes

 

qu’elles pendent.

Et si j’ai des villes

qu’elles brûlent :

 

on n’a pas mon nom.

 

Cédric Demangeot, Obstaculaire,

L’Atelier contemporain, 2022, p. 83.

 

 

05/03/2023

Franco Fortini, Feuille de route

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                Sagesse

 Il n’y a qu’une femme que j’ai aimée  

Comme dans les rêves on s’aime soi-même

Et de bien et de mal je l’ai comblée

Comme font les hommes avec eux-mêmes.

 

C’était elle que j’avais choisie

Pour être appelé par mon nom :

Et elle le disait lorsque je l’ai perdue.

Mais peut-être n’était-ce pas mon nom.

 

 Et je vais par d’autres saisons et pensées

Cherchant autre chose par-delà son visage ;

Mais plus je me fatigue par de nouveaux sentiers

Plus nettement je connais son visage.

 

Peut-être est-ce vrai, et les plus sages l’ont écrit :

Au-delà de l’amour il y a encore l’amour.

La fleur se perd et puis se voit le fruit :

Nous nous perdons et c’est l’amour qu’on voit.

 

Franco Fortini, Feuille de route, édition bilingue,

traduction de l’italien Giulia Camin et Benoît Casas,

préface Martin Rueff, NOUS, 2002, p. 53.

30/07/2022

Jean Tortel, Les Villes ouvertes

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Mon nom fut-il inscrit

Sur le mur dépouillé

De ses pariétaires ?

 

Est-ce bien le mien ? J’ai vécu

Jusqu’ici. Un autrefois

Apparaît et disparaît.

Je ne me souviens pas.

 

Je descends tous les jours.

Je passe par là.

Je trempe mes mains dans l’eau.

 

La rue est sûrement la même

Et sans soleil et rien qui puisse le nier.

 

Son nom et mes initiales

N’ont pas changé. Suis-je si vieux

Qu’un signe écrit me concernant

Près des fontaines

 

Soit incompréhensible et cependant

 

La pierre est nue.

 

Jean Tortel, Les villes ouvertes, Gallimard, 1965, p. 73.

31/01/2022

John Donne, Poésie

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Adieu : sur mon nom gravé sur un verre

 

I

         Mon nom gravé sur cette vitre

Communique ma fermeté au verre même

         Rendu par ce charme aussi dur

        Que l’instrument qui l’a gravé.

Ton œil lui donnera plus de prix qu’aux diamants

         Extraits de l’une et l’autre roche.

 

II

         Pour le verre, tout confesser

Et être autant que moi transparent, c’est beaucoup ;

         Plus encore, te montrer à toi-même,

         Offrant à l’œil l’image claire ;

Mais la magie d’amour abolit toute règle :

Là tu me vois et je suis toi.

 

III

         De même que nul point, nul trait

(De ce nom pourtant les simples accessoires),

         Averses ou tempêtes n’effacent,

         Tous les temps me verront de même :

Mais tu peux mieux encore intègre demeurer,

         Ayant près de toi ce modèle.

[...]

John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,

Imprimerie nationale, 1994, p. 161.

30/12/2020

Georges Perros, Poèmes bleus

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    Entre nous

Alors quoi de neuf cher ami ?

Ça va ça va ça va merci.

Et le prochain livre il s’annonce

Bien ? Non ? — Maizoui, maizoui, maizoui.

 

J’ai relu par temps clair, le tome

Premier de l’œuvre de cet homme,

Ah son nom dites-moi son nom

Ma mémoire est comme un poisson

 

Elle saute vole et replonge

Allez-y voir. Mais quand j’y songe

Vous écrivez. C’était fort bien

Votre article, oh pas moins que rien.

 

Vous donnez là votre mesure

On s’entend mieux quand on rassure

L’amour-propre de son prochain

À bientôt cher ami machin

 

Mais les noms vraiment je m’y perds

Bast rien ne sert à rien. J’espère

Que nous reverrons bientôt

Botzaris 22-cigalo...

 

La solitude est éphémère

Comme le coq de ce clocher

Elle s’en va s’en vient. Ma mère

Aurait dû me laisser plié

 

Dans son ventre. J’aurais poussé

Jusqu’à ne plus me reconnaître

Elle non plus. C’en est assez

Pour aujourd’hui. À d’main peut-être.

 

Gorges Perros, Poèmes bleus, Le Chemin /

Gallimard, 1962, p. 100-101.

07/03/2020

Blaise Cendrars, Du monde entier au cœur du monde

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Hôtel Notre-Dame

 

Je suis revenu au Quartier

Comme au temps de ma jeunesse

Je crois que c’est peine perdue

Car rien en moi ne revit plus

De mes rêves de mes désespoirs

De ce que j’ai fait à dix-huit-ans

 

On démolit des pâtés de maisons

On a changé le nom des rues

Saint-Séverin est mis à nu

La place Maubert est plus grande

Je trouve cela beaucoup plus beau

Neuf et plus antique à la fois

 

C’est vrai qu’en m’étant fait sauter

La barbe et les cheveux tout courts

Je porte un visage d’aujourd’hui

Et le crâne de mon grand-père

(..)

 

Je ne suis pas le fils de mon père

Et je n’aime que mon bisaïeul

Je me suis fait un nom nouveau

Visible comme une affiche bleue

Et rouge montée sur un échafaudage

Derrière quoi on édifie

Des nouveautés des lendemains

 

Blaise Cendrars, Du monde entier au cœur du monde,

dans Œuvres romanesques, I, précédées des Poésies

complètes, Pléiade/Gallimard, 2017, p. 396-397.

24/09/2019

Julien Bosc, De la poussière sur vos cils

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En hommage à Julien Bosc, décédé le 24 septembre 2018

 

(...)

— Puis-je vous faire le récit d’un rêve ?

— D’un rêve ?

— Disons cela comme ça

— Oui

 

— J’étais assis, au bas de ce mur, mais un autre lui faisait pendant de telle sorte que j’étais dans un couloir... Je ne sais où le rêve avait commencé, je n’ai que la mémoire parcellaire de ce qui m’en reste, aussi ne puis-je pas vous dire qui ou quoi m’avait projeté dans ce couloir, si même on m’y avait projeté... J’y étais, seul, ni bien ni mal — il s’agissait d’autre chose... —, je ne pensais à rien de particulier mais confusément à tout lorsque soudain des chiens, je crois deux, oui deux chiens m’ont sauté à la figure, je veux dire au visage... Faible comme je l’étais après le trajet qu’on m’avait fait souffrir, je ne pus me défendre, vous vous en doutez. Et, en aurais-je eu la force, qu’aurais-je pu faire contre ces chiens dressés pour la haine ?... Je vous épargne les détails — à vous de même qu’à moi... je ne veux plus m’en souvenir... je dois m’en souvenir... je ne sais pas — mais j’eus le visage dévoré. Mon corps, non ! mes mains, non ! ma tête, non ! Ils n’avaient dévoré que mon visage. Mon visage et mon nom. Et je n’étais pas mort, pas même blessé.

 

Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, éditons la tête à l’envers, 2015, p. 22-23. © Photo Tristan Hordé

12/05/2019

René de Obaldia, Innocentines

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Dimanche

 

Charlotte

Fait de la compote.

 

Bertrand

Suce des harengs.

 

Cunégonde

Se teint en blonde.

 

Épaminondas

Cire ses godasses

 

Thérèse

Souffle sur la braise.

 

Léon

Peint des potirons.

 

Brigitte

S’agite, s’agite.

 

Adhémar

Dit qu’il en a marre.

 

La pendule

Fabrique des virgules.

 

Et moi dans tout cha ?

Et moi dans tout cha ?

 

Moi, ze ne bouze pas

Sur ma langue z’ai un chat.

 

René de Obaldia, Innocentines,

Grasset, 1989, p. 81-82.

21/09/2016

Paul Celan, Renverse du souffle

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L’Écrit se creuse, le

Parlé, vert marin,

brûle dans les baies,

 

dans les noms,

liquéfiés

les marsouins fusent,

 

dans le nulle part éternisé, ici,

dans la mémoire des cloches

trop bruyantes à — mais où donc ?,

 

qui,

dans ce

rectangle d’ombres,

s’ébroue, qui

sous lui

scintille un peu, scintille, scintille ?

 

Paul Celan, Renverse du souffle, traduit

de l’allemand et annoté par Jean-Pierre

Lefebvre, Seuil, 2003, p. 83.

16/07/2015

James Joyce, Poèmes (Chamber Music, Pomes Penyeach)

 

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                Seul

 

Les mailles d’or gris de la lune

Toute la nuit tissent un voile,

Les fanaux dans le lac dormant

Traînent des vrilles de cytise.

 

Les roseaux malicieux murmurent

Aux ténèbres un nom — son nom —

Et toute mon âme est délice,

Mon âme défaille de honte.

 

James Joyce, Poèmes (Chamber Music, Pomes

Penyeach), traduits et préfacés par Jacques

Borel, Gallimard, 1967, p. 109.

17/04/2015

Raymond Queneau, Fendre les flots

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      Quel est ton nom ?

 

Quel est ton nom ?

— Mon nom est naufrage

mon nom découpe l’horizon

seul, seul un mât surnage

survivrai-je à cet orphéon ?

L’ouragan étend ses trompettes

la mer multiplie ses trempettes

survivrai-je à ce rigodon ?

tout se tait puis tout se calme

la constance me tend sa palme

merci ! encore un effort

pour trouver quelque dictame

dans la perspective d’un port

 

 

       Un chemin d’eau

 

Mon avenir est-il sur l’eau

souventes fois me le demande

Où est-il le temps des limandes

où nageant comme un serpentin

je traçais à travers les ondes

mon petit tout petit chemin

mais le crauleur s’est assagi

en restant sur la terre ferme

marcher sur l’eau est difficile

prendre le bateau bien banal

l’Océan dans mon esprit

engendre ici ces poésies

Je marche le long du canal

en regardant les chalands lents

poursuivre leur chemin fatal

vers le port de débarquement

 

Raymond Queneau,  Fendre les flots,

Gallimard, 1969, p. 57 et 170.

11/09/2014

Bernard Noël, La Moitié du geste

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la nuit se perd en elle-même

comme un regard bouclé

sous la paupière

 

le temps fait un panache

sur la bouche qui souffle

que penser encore

 

mourir n’est pas la mort

quelque chose tâtonne dans le corps

je ne veille pas dis-tu

 

dans les veines du bois

une image perchée

un souvenir fuyant

 

tu cherches la lenteur

le trajet d’un astre

qui se lève d’en bas

         *

en chaque mot

un nom perdu

l’autre s’éloigne

 

ô buée

pour être là

il faut faire du temps

 

ce qui en moi dit non

me chasse du présent

voici la vide lumière

 

ne cède pas à l’ange

le destin n’est ni clair ni sombre

il est le lieu mobile

 

où le dedans et le dehors

se croisent

en forme de je

 

                       Bernard Noël, La Moitié du geste [1982],

                        dans Les Plumes d’ErosŒuvres I, P. O. L, 

                        2010, p. 191-192.

05/08/2014

Aurélie Foglia, Gens de peine

 

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   On pourrait prendre le titre pour guide de lecture et l'on isolerait sans difficulté mots et fragments qui renvoient à l'extrême pauvreté, à la difficulté de vivre, à l'humiliation, à l'absence d'avenir : « les Bafoués », « Gens derniers », « Gens de rien », « ils crient misère ». Ces "gens de peine" seraient analogues à ceux dont La Bruyère écrivaient qu'« ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. » (1) Si le sous-titre de cette première partie de Gens de peine, "Vies de" évoque les "Vies de saints", nulle individuation pourtant ; être "gens de rien" est le sort commun, et la catégorie inclut d'autres que les miséreux, longue liste qui, plus avant dans le livre commence dans la littérature avec Apollinaire, Corbière (gens de voyage, de mer) : « on les traite poètes de parasites » et comprend tous les sans nom, « noms nocturnes », « comédiens inconnus ». Le lecteur suivra jusqu'au bout ce motif de l'indifférenciation, les "gens" deviennent foule et coupent les têtes (« pâles comme reines »), acceptent la domination et se gardent de penser, « dans l'enchantement des chaînes ». Bref, « Gens norment » et personne n'y échappe : « Je suis compris dans la masse / d'un tous », et les gens, avec le temps, composent des « Milliards de myriades de morts ».

   À ce motif s'en mêle un autre, autour de la question du nom, ce qui apparaît dans les trois autres sous-titres : "Les Dénommés", "Tailleurs de noms" et "Chez les hommonymes". Quels que soient les noms portés, tous disparaissent sans retour et « personne ne les appelle ». Des personnalités plus ou moins médiatiques portant des noms qui renvoient à autre chose qu'à la personne elle-même : Olivier Sibille (journaliste — la sibylle était prophétesse), Myriam Roman (professeure), Renaud Muselier (homme politique — la muselière bâillon) ; il n'y a aucune adéquation entre celle qui enseigne la littérature et son nom, et sont relevés des noms (tous "existent") qui mettent en évidence l'arbitraire de la dénomination des personnes (Négrier, Péan, Percepied, Bohème, Javelot, etc.) et, au moins apparemment, des lieux (Mondeville, Mouguerre, le marché des Enfants Rouges), les uns et les autres liés à l'histoire ; on peut compléter par Foglia, mot italien pour désigner la feuille. S'ajoutent des noms tirés de la littérature, Madame Malgloire (dans Les Misérables), Jean Trou Verbier (dans Le Drame de la vie de Novarina) ou la Cacanie (dans Musil), et au Jean Valjean de la fiction répond le Jean Grosjean écrivain.

   L'homonymie de "Gens" et "Jean" entraîne des transformations variées, la fête du solstice d'été devenant la Saint-Gens, substitution visible dans un calligramme titré "Les Métamorphoses" où s'inscrivent sur la page les lettres dispersées de "Gens" et "Jean", "a" et "s" étant les seules lettres à la périphérie. Une saynète met en scène des Jean, numérotés de 0 à 7, puis apparaissent un 16, un 40, un 47593 : tous équivalents, Jean ou Gens « mènent des vies, / démènent des vies / surmènent des vies / se dévident ». Mais si le "je" ne se distingue pas de l'ensemble, "Gens" peut remplacer "je" — ou "il(s)", ou "tu" : « Gens comme Temps / est au singulier pluriel », et cette indifférenciation affirmée est visible dans les marques d'accord des verbes : à côté de « Gens ne s'appellent pas », « Gens jonglai » , et les personnes grammaticales peuvent se succéder : « Gens ne parle pas / en leur propre nom ». Cette sortie des règles en suscite d'autres, et "on" vaudra pour "nous" (« on vivotons »), "ils" pour "vous" ((« ils portez »), "nous" pour "ils" ((« Sous peu nous êtrons — et clamsent »), ici avec un mot-valise ("être" + "étron"), -ons pour la terminaison du futur.

   Ces entorses à la grammaire s'accordent au désordre lié à ce que sont les "gens de peine" et au trouble introduit sur ce que sont les noms. À l'homonymie "Gens" / "Jean", répondent tout au long du texte de légères transformations dans les mots, par le changement d'une consonne : « comme les arbres perdent [...] comme les arbres pendent », ou d'une voyelle : « nous ne tombons pas  [...] nous tombeaux », « Gens soucieux / Gens sociaux », etc., l'ajout ou la suppression d'une lettre dans une syllabe (« Gens copulent corpulents ») ou d'une syllabe dans un mot (« ânonnent-anonyment », « secrétaires-sectaires »), etc. On relèvera aussi les nombreuses allitérations (« Gens muets mutilés de mots ») et les vers dans lesquels un mot termine un groupe tout en commençant un autre (« Gens lambdas / se fondent dans la fourmilière / les enfourne »).

   On voit par les quelques exemples retenus qu'avec les motifs de Gens de peine, jamais abandonnés, se construit un ensemble à la tonalité sombre. Les gens de peine et les autres parlent certes d'amour, mais si souvent « devant écran » pensent haine, guerre, mort ; ce n'est pas hasard si est évoquée la nécropole de Souains et les « corps couverts de boue ». Mais l'exergue emprunté à Vigny, vers de L'esprit pur , « Tous sont morts en laissant leur nom sans auréole », prévenait le lecteur.

 

Aurélie Foglia, Gens de peine, NOUS, 2014, 112 p., 12 €.

Article paru dans Sitaudis le 1er août 2014.