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13/01/2023

Jules Renard, Histoires naturelles

 

Dindes 

Sur la route voici encore le pensionnant des dindes.

Chaque jour, quelque temps qu’il fasse, elles se promènent.

Elles ne craignant ni la pluie, personne ne se retrouve mieux qu’une dinde, ni le soleil, une dinde ne sort jamais sans son ombrelle.

 

Le chat

On lui dit : « Prends les souris et laisse les oiseaux ! »

C’est bien subtil, et le chat le plus fin quelquefois se trompe.

 

L’escargot

Casanier dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l’escargot bout comme un nez plein. 

Il se promène dès les beaux jours, mais il ne sait marcher que sur la langue.

 

L’écureuil

Leste allumeur de l’automne, il passe et repasse sous les feuilles la petite torche de sa queue. 

Jules Renard, Histoires naturelles, GF/Flammarion, 1967, p. 35, 55, 113, 121.

16/10/2020

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit

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25.06.13

 

Nous sommes l’escargot qui traverse la route : incapable d’imaginer la roue qui va l’écraser. Seulement aptes à vivre avec nos sens dans le monde qu’ils nous fabriquent, après son transfert dans les langues qui l’établissent.

 

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit, Flammarion, 2020, p. 38.

21/11/2017

Daniel Biga, Octobre, Journal suivi d'un entretien avec l'auteur

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Mardi 29 — Dans une laitue cueillie à Saint-Martin il y a deux ou trois semaines nous avions trouvé un minuscule escargot encore transparent. Couple stérile nous décidâmes de l’élever dans notre foyer… Dans un grand bocal nous essayâmes de lui aménager une domaine confortable et personnalisé : au fond des cailloux et une motte de sa terre natale où nous appliquâmes quelques herbes Voilà pour le logis… Pour la nourriture une ou deux feuilles de salade toujours renouvelées Cependant par esprit de contradiction d’aventure ou pour toute autre raison notre enfant limaçon était souvent en balade hors du bocal Plusieurs fois nous le trouvâmes sur la table dans l’évier ou dans le compotier blotti au creux d’une pomme C’était dangereux : en prenant un fruit il était si facile de l’écraser sans même s’en apercevoir ! Une fois même après avoir vidé les ordures je le retrouvai collé à la paroi du seau Il revenait de loin ! Afin de le préserver de son esprit aventureux (voir La Fontaine) Birgit ferma le bocal d’un couvercle de plastique percé de trous d’aération… cependant j’avais scrupule de le laisser enfermé et j’enlevai souvent ce couvercle Ainsi lentement nous l’avons vu grossir et en me quittant ma femme me le confia mais ce matin il n’est plus ici Finalement après l’avoir longtemps cherché j’en déduis que j’ai dû l’écraser hier soir sous ma semelle : à 20 cm à peine de la poubelle libératrice j’ai en effet repéré sur le carrelage sale entre autres marques une petite tache mouillée gluante au toucher

 

Daniel Biga, Octobre, Journal suivi d’un entretien avec l’auteur, Unes, 2017, p. 64.

12/03/2015

Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil à rien

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La nuit partout dans la maison.

 

La nuit partout dans la maison.

Bave tient à la vitre,

avec des pics

et des crevasses.

 

Escargot,

escargot écrasé,

bouillonnant,

maison sur son dos,

plus de maison !

 

Il tenait aux feuilles, il y buvait,

la maison brillait, ne brille plus !

Ah bon, ne brille plus.

 

Voilà pour lui, voilà pour l’espion

qui oublie de rouler sa paillasse, et s’endort

sans pointu de coude dans l’oreille , voilà ce qui est juste.

 

Aujourd’hui

va dépasser la courbe des montagnes,

prendre les fils, s’y prendre,

et la mer, elle aussi, saura.

Parce qu’entre toutes les choses,

il y a des voix incessantes qui circulent,

indestructibles et lentes elles circulent

sans klaxonner

sans faire de bruit connu

sans geste ou air connu

sans air comme pour nous.

Il y a des voix indestructibles qui circulent.

 

Ah bon, il y a des voix.

[...]

Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil à rien, Amandier,

2015, p. 33-35.

01/04/2014

Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt

Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt, Freud, Dali, vélo, escargot, catalan, spirale

LE VÉLO

penché contre un mur

une ficelle après la selle

une bouillotte en caoutchouc rouge au bout remplie

                                                                                 d'eau

            au dos

            la coquille

            d'un gros escargot

            et le tout dans Elsworthy road

            juste avant la rencontre avec Dali venu en

            quête de saint patron des peintres

 

— il est fou

les Surréalistes maboules

à 95% c'est comme l'alcool —

 

            il croque au bureau

            silence analytique écho

                 à sa parade de vrai catalan fanatique

            crânant

            son article

            regard sur la paranoïa

            il en montre du doigt le titre

 

L'homme Moïse fini hier serait à l'inverse

« roman historique »

 

ses yeux

dévorants

ciblent le haut crâne

or Dali dit qu'il vit Freud à la une en photo

                                                       l'étape à Paris

                                                       sur la terrasse il dégustait

                                                       douze petits gris

 

soudain

l'idée vint

d'un secret morphique

un crâne allure d'escargot

                          cerveau spiralé

                          stream en front voûte de rivière

                          au bord du maelström

                          tête freudienne en tourbillon

                                 avec roue

                                 de petit vélo

 

Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt, Flammarion, 2014, p. 211-212.

 

 

 

 

 

26/06/2013

Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage

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                J'en reste sardine

 

C'est la magie des mots d'amour

D'une turbine regret d'un jour,

J'en reste sardine.

 

Mon estomac est en lambeaux et mon frère

Dagobert m'a dit : restaure-toi d'amour, de mors,

d'une sardine. Et ma petite turbine

quelle piètre petite combine,

je l'offre au vent pour un mégot.

 

Je n'ai à paître qu'un escargot

Mon estomac grimace dans ma bedasse

et ma denture s'escrime en vain à mordre dans la faim.

 

Qu'elle est coriace, et au monde un refrain

qui fait serin s'évanouir derrière

les fagots dans une nuit illusoire.

 

Comme la sardine sous un ciel de lit

pour se protéger de l'orage, un sondeur

de temps, tout magicien qu'il est ne sait qu'en dire

et se tait longtemps.

 

Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage, L'Imaginaire /

 

Gallimard, 1995 [1951], p. 13-14.

30/04/2011

Jean Paulhan, Braque le patron

 

                                                Plus ressemblant que nature

    Je ne crois guère aux fantômes, ni aux spectres. Mais je vois bien que j’ai tort. Parce qu’au fond nous y croyons tous, et qu’il serait plus loyal de l’avouer. Jamais un homme normal s’est tout à fait reconnu dans ses portraits. Le jour où l’on nous fait voir notre profil dans un jeu de miroirs, entendre notre voix dans un disque, lire nos vieilles lettres d’amour, est un mauvais jour pour nous : et sur le moment nous avons plutôt envie de hurler. Tant il est évident que nous sommes n’importe quoi, mais pas ça. Les photos exactes, les portraits fidèles, peuvent être puissants subtils, beaux ou laids. Ils ont un trait qui passe de loin ceux-là : c’est qu’ils ne sont pas ressemblants. Montaigne était à peu près le contraire du rat sadique que nous montrent les images. Léonard de Vinci n’avait pas vraiment l'air d’un chrysanthème, ni Gœthe d’un melon. Il faut avertir dès maintenant nos petits-fils que nous n’avons rien de commun avec les tristes images qu’ils garderont de nous.
    Mais il est plus difficile de savoir ce que nous sommes, et l’idée physique que nous en formons. Peut-être nous voyons-nous secrètement en écorchés ? Non, c’est moins sanglant. En squelettes ? Non, c’est moins décisif. C’est à la fois insaisissable et diablement net. C’est assez précisément ce qu’on appelle un spectre, et somme toute cela nous est familier, puisque nous l’avons en tête à tout moment. C’est d’ordre aussi pratique qu’un escargot ou un citron.images-2.jpg
    Un citron. Voilà où je voulais en venir. Car il nous semble, bien entendu, que l’escargot ou le citron doit être content de son apparence, si l’homme ne l’est pas ; que c’est tout ce qu’il mérite, qu’il n’avait qu’à ne pas être escargot. Mais il se peut qu’il n’en soit rien. Il est même vraisemblable (sitôt que l’on y songe) que l’escargot, lui aussi, ne cesse de protester (silencieusement) contre la coquille, les yeux à échasses et même la peau nacrée que nous lui voyons. Et peut-être se trouvera-t-il un jour des peintres assez subtils — ou, qui sait, suffisamment avertis — pour prendre le parti de cet escargot intérieur ; pour traiter les cornes et la coquille comme elles souhaitent d’être traitées.
images-5.jpg    Je ne cherche qu’à être fidèle, tant pis si j’ai l’air sot. Qu’il y ait un secret chez Braque ¬ comme il y en a un chez Van Gogh ou Vermeer — c’est ce dont ne laisse pas douter une œuvre à tout instant pleine et suffisante : fluide (sans qu’il soit besoin d’air) ; rayonnante (sans la moindre source de lumière) ; à la fois attentive et quiète : réfléchie jusqu’à donner le sentiment d’un mirage posé sur sa réalité. Pourtant, sitôt que je veux nommer ce secret ou le sentiment du moins qu’il me laisse, voici tout ce que je trouve : c’est que Braque propose aux citrons, aux poissons grillés et aux nappes, inlassablement, ce qu’ils attendaient d’être. Ce après quoi ils soupiraient : leur spectre familier. Il y a je ne sais quoi de triste dans un devoir ; d’amer dans une attente : c’est que l’on craint d’être déçu. Mais chaque tableau de Braque donne le sentiment d’une attente joyeuse, et d’un devoir comblé.images.jpeg
    Bien entendu, il faudrait là-dessus des preuves. — Et je les donnerai. Au demeurant, je ne dis rien que de banal. (Il suffirait bien d’user d’un autre mot — de parler d’idéal, par exemple.) Tant mieux. Ce que je voulais dire aussi, c’est que la peinture de Braque est banale. Fantastique sans doute, mais commune. Fantastique, comme il est fantastique, si l’on y réfléchit, d’avoir un nez et deux yeux, et le nez précisément entre les deux yeux.

Jean Paulhan, Braque le patron, Gallimard, 1952, p. 17-22.