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11/09/2013

Eugène Savitzkaya, Bufo bufo bufo

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Au feu, à l'étang, le visage couleur de la nuit,

odeur de la journée, le visage d'innocente,

de pourpre fleur, de garçon livide, de porc

blanc, de poisson roi, de sale enfant,

qui criait, au feu, à l'étang, au sumac,

à la saveur des baies et des tiges,

la morte répandue, la rose éparpillée, la salie,

tout au feu, à l'étang, les draps, les nuages autour

de la cheminée, même le héros, le premier parleur

au baiser, le premier loup qui dort, au feu,

à l'étang, au parfum.

 

 

Eugène Savitzkaya, Bufo bufo bufo, éditions de Minuit, p. 38.

10/09/2013

Émile Verhaeren, Poèmes [Les Soirs - les Débâcles - Les Flambeaux noirs]

 

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                               Les villes

 

Odeurs de suifs, crasses de peaux, marcs de bitumes !

Tel qu'un grand souvenir lourd de rêves, debout

Dans la fumée énorme et jaune, dans les brumes

Et dans le soir, la ville inextricable bout

Et coule, ainsi que des reptiles noirs, ses rues

Noires, autour des ponts, des docks et des hangars,

Comme des gestes fous et des masques hagards

— Batailles d'ombres et d'or — bougent dans les ténèbres.

Un colossal bruit d'eau roule, les nuits, les jours,

Roulent les lents retours et les départs funèbres

De la mer vers la mer et des voiles toujours

Vers les voiles, tandis que d'immenses usines

Indomptables, avec marteaux cassant du fer,

Avec cycles d'acier virant leur gélasines,

Tordent au bord des quais — tels des membres de chair

Écartelés sur des crochets et sur des roues —

Leurs lanières de peine et leurs volants d'ennui,

Au loin, de longs tunnels fumeux, au loin, des boues

Et des gueules d'égout engloutissant la nuit ;

Quand strident tout à coup de cri, stride et s'éraille :

Les trains, voici les trains broyant les ponts,

Les trains qui sont battant le rail et la ferraille,

Qui vont et vont mangés par les sous-sols profonds

Et revomis, là-bas, vers les gares lointaines,

Les trains, là-bas, les trains tumultueux — partis.

 

 

Émile Verhaeren, Poèmes [Les Soirs - les Débâcles, Les Flambeaux noirs], Mercure de France, 1920, p. 171-172.

09/09/2013

William Cliff, Écrasez-le

William Cliff, Écrasez-le, chômer

                 Chômer

 

Depuis un mois j'étais chômeur :

j'ai dû m'inscrire rue du Boulet

me présenter rue de l'Escalier

enfin pointer rue Sainte-Catherine.

Pendant un mois j'ai fait la file

sans saluer nombre pédés

qui comme moi ne foutent rien

et vont pointer :

ça suffit à leurs besoins personnels

leur chope au Carroussel

le manger à Sarma

le shampooing du samedi

et le rimmel éventuel.

 

Certains vieux clous voulaient me tripoter

tout en faisant la file

puis ils disaient merci à l'employée

en reprenant leur carte cachetée.

 

J'avais l'impression d'être galeux

cherchais de la mystique en amour

(et c'est très mauvais signe).

À quoi je passais mon temps tout le jour ?

Aérer mon grabat et besogner dans ma cuisine.

 

Mais aujourd'hui on me rappelle à ma fonction sociale

et de nouveau je suis un vrai un pur

je peux dire merde à mes amours sentimentales

et comme un mat dresser mon membre vers l'azur.

 

 

William Cliff, Écrasez-le, Gallimard, 1976, p. 89-90.

08/09/2013

Jean-Pierre Verheggen, Pubères, Putains - Porches, Porchers - Stabat mater

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            Porches, Porchers

 

 

I.

Nous détestions les fermes.

Les fermiers.

Replets.

Satisfaits.

Les métayers et leurs ouvriers.

Saisonniers.

Dupés.

Exploités.

Leurs aoûterons.

Leurs tâcherons.

Leurs souillons.

Leur promiscuité.

Acceptée.

Entérinée.

Avalisée.

 

II.

Nous détestions leurs messiers.

Leurs palefreniers ou valets.

Laquais.

Laids.

Envoyés valdinguer.

Étriller ou faucher.

Aider les faucheurs armés.

Arnachés ou épongés.

Irrelevés.

 

III.

Nous détestions les travailleurs des champs tout entiers.

Puants.

Infamants.

Paysans.

Les peaussiers.

Plaigneurs.

Quémandeurs.

Les taupiers.

Les faneurs.

Suants. Gagneurs.

Les échardonneurs.

Les échenilleurs.

Les soigneurs attitrés.

Bousés. Bouseux.

Beaucoup trop courageux.

 

[...]

 

Jean-Pierre Verheggen, Pubères, Putains - Porches,

 

Porchers - Stabat mater, Labor, 1991, p. 13 à 15.

07/09/2013

Norge, Le stupéfait

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                             JE

 

                                                      à Pierre Chabert

 

Je, c'est qui, c'est moi, c'est eux...

Un épi seul sur sa tige,

C'est vous et c'est eux qui fondent

Dans mille horizons douteux.

Je, c'est amour ou c'est Dieu

Et tout ce qu'il y a d'ange

                 Dans JE !

Sable et ciel, mais quel vertige

Si tous le JE tout en feu

                       Si JE,

JE moi seul ou JE nous deux

                        Si JE

Si JE n'est personne au monde !

 

                          *

 

                 JE PULLULE

 

Je grouille, je fuse, j'abonde,

J'éclos, je germe, je racine,

Je ponds, j'envahis, je reponds.

Je me double et puis me décuple

Je suis ici, je suis partout,

Dedans, dehors et au milieu

Dans le sac et dans le liquide

Comme je suis au fond du fer,

Du bois, de l'air et de la chair.

 

J'ai beau m'annuler, inutile :

Je reviens toujours par-delà,

Je serpente et je papillonne,

J'enfante, fourmille et crustace,

Je me fourre dans toute race,

Pullule, fermente et m'empêtre.

Le néant n e veut pas de moi

Et je lutte à mort avec la

Difficulté de ne pas être.

 

 

Norge, Le stupéfait, Gallimard, 1988, p. 35 et 40.

06/09/2013

Nougé, Fragments

Nougé, Fragments, la messagère, beauté, laideur, vivre

                     La Messagère

(paroles de femme sur petit fond d'orchestre)

 

               Je suis belle

               on me l'a dit

               je suis laide

               on me l'a dit

        mais ce n'est pas pour vous

               que je le suis

            Messieurs Mesdames

 

        N'essayez pas sous cette robe

qui pourrait être de n'importe quelle

                             couleur

de prévoir les points sensibles d'un

          corps qui n'est pas pour vous

          ni sous le fard de mes lèvres

             le moyen d'une bouche qui

                      restera pour toujours

                          et pour moi-même

                                un secret

            ni le sens des reflets de mes yeux

                qui seront pour vous

                          pour toujours

                          des yeux vides

 

 

Nougé, Fragments, éditions Labor, p. 139.

 

 

05/09/2013

Michel Deguy, Donnant donnant

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L'amour est plus fort que la mort disiez-vous

Mais la vie est plus forte que l'amour et

L'indifférence plus forte que la vie — La vie

Mienne ou tienne et nôtre en quelque manière

Est ensemble la seule séquence de métamorphoses

(Le néoténique se mue en héros à sexe

Plus tard en ventru chauve pourrissant comme un dieu)

Et bains-douches au Léthé tous les mois

Et un vieillard muet en nous depuis longtemps

Survit sans douleur au charnier des enfants

 

                                                        40° Ouest 60° Nord

 

 

Michel Deguy, Donnant donnant, "Le Chemin", Gallimard, 1981, p. 28.

04/09/2013

Antoine Emaz, De l'air

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Rentrée (28.08.04)

 

la pluie grise moite orage devant

et puis plus rien comme si

ça s'effondrait dedans laissait

comme du sol nu raviné battu

 

peu à glaner dans cette fatigue

 

état sans poids attente

et la tête cherche une prise

pour la main

 

du sable rapporté sous les doigts

la mer maintenant son bruit

loin de ressac et d'écume

 

dans un entre-deux d'être

un vague

 

pluie sans sel

glycine dans l'eau trempée

fin de l'orage

 

tout s'égoutte

 

Antoine Emaz, De l'air, Le dé bleu,

 

2000, p. 48.

© photo Tristan Hordé

03/09/2013

Samuel Beckett, Le monde et le pantalon

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                     Le client : Dieu a fait le monde en six jours, et                                 vous, vous n'êtes pas foutu de me faire un pantalon                          en six mois.

                      Le tailleur : Mais monsieur, regardez le monde, et                                     regardez mon pantalon.

 

 

     Pour commencer, parlons d'autre chose, parlons de doutes anciens, tombés dans l'oubli, ou résorbés dans des choix qui n'en ont cure, dans ce qu'il est convenu d'appeler des chefs-d'œuvre, des navets et des œuvres de mérite.

     Doutez d'amateur, bien entendu, d'amateur bien sage, tel que les peintres le rêvent, qui arrive les bras ballants et les bras ballants s'en va, la tête lourde de ce qu'il a cru entrevoir. Quelle rigolade les soucis de l'exécutant, à côté des affres de l'amateur, que notre iconographie de quatre sous a gavé de dates, des périodes, d'écoles, d'influences, et qui sait distinguer, tellement il est sage, entre une gouache et une aquarelle, et qui de temps en temps croit deviner ce qu'il aime, tout en gardant l'esprit ouvert. Car il s'imagine e pauvre, que rien de ce qui ets peinture ne doit lui rester étranger.

     Ne parlons pas de la critique proprement dite. La meilleure, celle d'un Fromentin, d'un Grohmann, d'u MacGreevy, d'un Sauerlandt, c'est de l'Amiel. Des hystérotomies à la truelle. Et comment en serait-il autrement ? Peuvent-ils seulement citer ? [...]

     Avec les mots on ne fait que se raconter. Eux-mêmes les lexicographes se déboutonnent. Rt jusque dans le confessionnal on se trahit.

     Ne pourrait-on attenter à la pudeur ailleurs que sur ces surfaces peintes presque toujours avec amour et souvent avec soin, et qui elles-mêmes sont des aveux ? Il semble que non. Les copulations contre nature sont très cotées, parmi les amateurs du beau et du rare. Il n'y a qu'à s'incliner devant le savoir-vivre.

     Achevé, tout neuf, le tableau est lç, un non-sens. Car ce n'est encore qu'un tableau, il ne vit encore que de la vie des lignes et des couleurs, ne s'est offert qu'à son auteur. Rendez-vous compte de sa situation. Il attend, qu'on le sorte de là. Il attend les yeux, les yeux qui, pendant des siècles, car c'est un tableau d'avenir, vont le charger, le noircir, de la seule vie qui compte, celle des bipèdes sans plumes. Il finira par en crever. Peu importe. On le rafistolera. On le rabibochera. On lui cachera le sexe et on lui soutiendra la gorge. On lui foutra un gigot à la place de la fesse, comme on l'a fait pour la Vénus de Giorgione à Dresde. Il connaîtra les caves et les plafonds. On li tombera dessus avec des parapluies et des crachats, comme on l'a fait pour le Lurçat à Dublin. Si c'est une fresque de cinq mètres de haut sur vingt-cinq de large, on l'enfermera dans une serre à tomates, ayant préalablement eu le soin d'en aviser les couleurs avec de l'acide azotique, comme on l'a fait pour le Triomphe de César de Mantegna à Hampton Court. Chaque fois que les Allemands n'auront pas le temps de le déménager, il se transformera en champignon dans un garage abandonné. Si c'est un Judith Leyster, on le donnera à Hals. Si c'est un Giorgione et qu'il soit trop tôt pour le donner encore au Titien, on le donnera à Dosso Dossi (Hanovre). Monsieur Berenson s'expliquera dessus. Il aura vécu, et répandu de la joie.

 

 

Samuel Beckett, Le monde et le pantalon, éditions de Minuit, 1989, p.7-8 et 9-11.

02/09/2013

Samuel Beckett, Le dépeupleur

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Séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine. C'est l'intérieur d'un cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l'harmonie. Lumière. Sa faiblesse. Son jaune. Son omniprésence comme si les quatre-vingt mille centimètres carrés de surface totale émettaient chacun sa lueur. Le halètement qui l'agite. Il s'arrête de loin en loin tel un souffle sur sa fin. Tous se figent alors. Leur séjour va peut-être finir. Au bout de quelques secondes tout reprend. Conséquences de cette lumière pour l'œil qui cherche. Conséquences pour l'œil qui ne cherchant plus fixe le sol ou se lève vers le lointain plafond où il ne peut y avoir personne. Température. Une respiration plus lente la fait osciller entre chaud et froid. Elle passe de l'un à l'autre extrême en quatre secondes environ. Elle a des moments de calme plus ou moins chaud ou froid. Ils coïncident avec ceux où la lumière se calme. Tous se figent alors. Tout va peut-être finir. Au bout de quelques secondes tout reprend. Conséquences pour les peaux de ce climat. Elles se parcheminent. Les corps se frôlent avec un bruit de feuilles sèches. Les muqueuses elles-mêmes s'en ressentent. Un baiser rend un son indescriptible. Ceux qui se mêlent encore de copuler n'y arrivent pas. Mais ils ne veulent pas l'admettre. Sol et mur sont en caoutchouc dur ou similaire. Heurtés avec violence du pied ou du poing ou de la tête ils sonnent à peine. C'est dire le silence des pas.

 

 

Samuel Beckett, Le dépeupleur, éditions de Minuit, 1970, p. 7-8.

01/09/2013

Samuel Beckett, mirlitonnades (1976-1978)

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      mirlitonnades (1976-1978)

 

silence tel que ce qui fut

avant jamais ne sera plus

par le murmure déchiré

d'une parole sans passé

d'avoir trop dit n'en pouvant plus

jurant de ne se taire plus

 

                  *

 

écoute-les

ajouter

les mots

aux mots

sans mot

les pas

aux pas

un à

un

 

                   *

 

imagine si ceci

un jour ceci

un beau jour

imagine

si un jour

un beau jour ceci

cessait

imagine

 

                    *

 

ce qu'ont les yeux

mal vu de bien

les doigts laissé

de bien filer

serre-les bien

les doigts les yeux

le bien revient

en mieux

 

 

Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades,

 

éditions de Minuit, 1978, p. 34, 34, 35, 39.

31/08/2013

Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien

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     Où irais-je, si je pouvais aller, que serais-je, si je pouvais être, que dirais-je, si j'avais une voix, qui parle ainsi, se disant moi ? Répondez simplement, que quelqu'un réponde simplement. C'est le même inconnu que toujours, le seul pour qui j'existe, au creux de mon inexistence, de la sienne, de la nôtre, voilà une simple réponse. Ce n'est pas en pensant qu'il me trouvera, mais que peut-il faire, vivant et perplexe, oui, vivant, quoi qu'il dise. M'oublier, m'ignorer, oui, ce serait le plus sage, il s'y connaît. Pourquoi cette soudaine amabilité après tant d'abandon, c'est facile à comprendre, c'est ce qu'il se dit, mais il ne comprend pas. Je ne suis pas dans sa tête, nulle part dans son vieux corps, d'où tant de confusion. Cela devrait lui suffire, m'avoir retrouvé absent, mais non, il me veut là, avec une forme et un monde, comme lui, malgré lui, moi qui suis tout, comme lui qui n'est rien. Et quand il me sent sans existence, c'est de la sienne qu'il me veut privé, et inversement, fou, fou, il est fou. En vérité il me cherche pour me tuer, pour que je sois mort comme lui, mort comme les vivants. Tout cela il le sait, mais cela ne sert à rien, de le savoir, moi je ne le sais pas, moi je ne sais rien.

 

Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien, avec 6 illustrations d'Avigdor Arikha, éditions de Minuit, 1958, p. 153.

30/08/2013

Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope et autres poèmes

Samuel Beckett, Bande et sarabande, printemps, chevaux, oiseaux

          Précepte

 

Passe les années d'études à gaspiller

Le courage qu'il faut pour les années d'errance

Dans un monde qui se détourne poliment

Des incongruités de l'érudition

 

 

          Là-bas

 

là-bas

surprenant

pour un être

si petit

jolis narcisses

armée de mars

alors en marche

 

puis là

puis là

 

puis de là

narcisses

encore

mars alors

en marche encore

surprenant encore

pour un être

si petit

 

Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope et autres poèmes, traduit de l'anglais et présenté par Édith Fournier, éditions de Minuit,

2012, p. 27 et 37.

 

Gnome

 

Spend the years of learning quandering

Courage of the years of wandering

Through a world politely turning

From the loutishness of learning

 

                                                          1934

 

 

          Thither

 

thither

a far cry

for one

so little

fair daffodils

arch then

 

then there

then there

 

then thence

daffodils

again

march then

again

a far cry

again

for one

so little

 

                     1976

 

Samuel Beckett, Collected Poems, 1930-1978,

 

John Calder, London, 1986, p. 7 et 33.

29/08/2013

Samuel Beckett, Comment c'est

Samuel Beckett, Comment c'est, humanités, latin, géographie

ma journée ma journée ma vie comme ça toujours les vieux mots qui reviennent plus grand'chose seulement que je me réacclimate puis dure jusqu'au sommeil ne pas s'endormir ou alors ce n'est pas la peine

 

fou ou pis transformé à la Haeckel né à Potsdam où vécut également Klopstock entre autres et œuvres quoique enterré à Altona l'ombre qu'il jette

 

le soir face au grand soleil ou adossé je ne sais plus on ne dit pas la grande ombre qu'il jette vers l'est natal les humanités que j'avais mon Dieu avec ça un peu de géographie

 

plus grand'chose mais dans la queue le venin j'ai perdu mon latin il faut être vigilant donc un bon moment sonné sur le ventre puis soudain me mets je ne peux pas le croire à écouter

 

à écouter comme si parti la veille au soir de la Nouvelle-Zemble la géographie que j'avais je venais de revenir à moi dans une sous-préfecture sub-tropicale voilà comme j'étais comme j'étais devenu ou avais toujours été c'est l'un ou l'autre

 

question si toujours bonne vieille question toujours comme ça depuis que le monde monde pour moi des murmures de ma mère chié dans l'incroyable tohu-bohu

 

comme ça à ne pouvoir faire un pas surtout la nuit sans m'immobiliser sur un pied yeux clos souffle coupé à l'affût des poursuiveurs et secours

 

 

Samuel Beckett, Comment c'est, éditions de Minuit, 1961, p. 51-52.

28/08/2013

Samuel Beckett, L'innommable

Samuel Beckett, L'innommable, bébé, enfant

     Les vieux n'étaient pas tous d'accord à mon sujet, mais ils étaient d'accord que j'avais été un beau bébé, tout à fait au début, pendant quinze jours trois semaines. Pourtant ç'avait été un beau bébé, ainsi invariablement se terminaient leurs relations. Souvent c'était l'un des enfants qui, profitant d'une pause dans le récit pendant laquelle mes parents s'abîmaient dans leurs souvenirs, lançait en guise de clôture la phrase consacrée, Pourtant ç'avait été un beau bébé. Des rires clairs et innocents, jetés par ceux que le sommeil n'avait pas encore terrassés, saluaient la mise en place prématurée de cet envoi. Et les narrateurs eux-mêmes, arrachés brusquement à leurs tristes pensées, ne pouvaient s'empêcher de sourire. Puis tous, à l'exception de ma mère que la station debout fatiguait, de se lever en entonnant, Doux Jésus, paisible et suave, par exemple, ou bien, Jésus, mon seul, mon tout, entends-moi quand j't'appelle, par exemple. Lui aussi avait dû être un beau bébé. Alors ma femme communiquait les dernières nouvelles, pour qu'on les emportât au lit. Le voilà à nouveau à reculons, ou, Il s'est mis à se gratter, ou, Il a fait le crabe pendant dix bonnes minutes, ou, Venez vite, il est à genoux, ça valait le coup d'œil évidemment.

 

 

Samuel Beckett, L'innommable, éditons de Minuit, 1953, p. 64-65.