31/07/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, quoi que ce soit
est, quelque part, en quelque façon,
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à ton corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles,
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard,
1991, p. 38.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, la pluralité des mondes de lewis, plénitude, monde | Facebook |
18/07/2024
Marguerite Yourcenar, Présentation critique de Constantin Cavafy
Autant que possible
Si tu ne peux façonner ta vie comme tu le voudrais, tâche du moins de ne la point avilir par de trop nombreux contacts avec le monde, par trop de gesticulations et de paroles.
Ne la galvaude pas en traînant de droite et de gauche, en l'exposant à la sottise journalière des relations humaines et de la foule, de peur qu’elle ne se transforme ainsi en une étrangère importune.
Marguerite Yourcenar, Présentation critique de Constantin Cavafy, suivie d’une traduction intégrale de ses poèmes, Gallimard, 1958, p. 113.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : constantin cavalry, poèmes, monde, foule | Facebook |
12/07/2021
Roger Gilbert-Lecomte, Rimbaud
Celui qui a vidé sa conscience de tous les images de notre faux monde qui n’est pas un vase clos peut attirer en lui, happées par la succion du vide, d’autres images venues hors de l’espace où l’on respire et du temps où le cœur bat, souvenirs immémoriaux ou prophéties fulgurantes, qu’il atteindra par une chasse d’angoisse froide. En un instant l’univers de son corps est mort pour lui : je n’ai jamais pu crfoire quand je fermais les yeux que tout restait en place. Je ferme les yeux. C’est la fin du monde. Il ouvre les yeux. Et quand tout fut détruit, tout était encore en place, mais l’éclairage avait changé. Quel silence, bon dieu, quel silence.
Roger Gilbert-Lecomte, Rimbaud, Lurlure, 2021, p.30.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roger gilbert-lecomte, rimbaud, image, souvenir, monde | Facebook |
28/05/2021
Gabrielle Althen, La fête invisible
Un souffle a déplacé la limite du foyer Rimbaud
La tentation n’est guère ordinaire pour beaucoup de savoir que le monde est une chance. Je reconnais à notre décharge commune que les couleurs alentour rentaient plutôt leurs griffes. Elles s’étaient assoupies et, sans être mièvres pour autant, tiraient sur une sorte de gris malléable. J’avais déjà couché l’attelage du vent et décidai de suivre mon désir. Il faut savoir aussi que les grandes pentes décisives commencent à nos pieds. De fait, par-dessus ce précipice, une grande boule de joie ébouriffante se présentait. C’était une offre. C’était l’offre. « Montez vite, je vous prie, montez vite », ai-je eu le temps de crier à ceux qui préféraient l’ennui, mais ils aimaient mieux demeurer des badauds. La joie laissait s’échapper l’absolu de ses flammèches et le ciel pendre ses mains languides. Bientôt fut passé ce char de lumière et de vent. On ne vit plus qu’un fût de bois, crayon ou pilier de cathédrale, dressé tout seul, juste à côté. Il semblait toutefois fiable comme un ange et je compris qu’il avait servi de tuteur à mon désir. L’océan de la création soulevait ses montagnes, elles aussi malléables, et la vie, à tous, faisait signe d’entrer.
Gabrielle Althen, La fête invisible, Gallimard, 2021, p. 86.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gabrielle althen, la fête invisible, monde, offre, création | Facebook |
19/10/2020
Saint-John Perse, Vents
I
C’était de très grands vents sous toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qi n’avaient gardé ni mesure, et nous laissaient hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes,
C’était de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses...
[...]
Saint-John Perse, Vents, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard,1971, p.179.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : saint-john perse, vents, monde, chose | Facebook |
02/10/2020
Jacques Roubaud, Octogone
Les objets
Les objets appartiennent à plusieurs espaces
À la géométrie différente
À la métrique différente
Plusieurs espaces qui se chevauchent
S’interpénètrent
Se recouvrent, se contredisent, se combattent
D’où cet air provisoire qu’a le monde
Comme s’excusant
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 283.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, octogone, métrique, géométrie, monde | Facebook |
29/09/2020
Philippe Jaccottet, Airs
Monde
Poids des pierres, des pensées.
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle
Fleurs couleur bleue
bouches endormies
sommeil des profondeurs
Vous pervenches en foule
parlant d’absence au passant
Sérénité
L’ombre qui est dans la lumière
pareille à une fumée bleue
Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
2014, p. 438.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Jaccottet Philippe | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe jaccottet, airs, monde, ombre, lumière, sérénité | Facebook |
17/06/2020
Maurice Maeterinck, L'intelligence des fleurs
Nous avons mis longtemps un assez sot orgueil à nous croire des êtres miraculeux, uniques et merveilleusement fortuits, probablement tombés d’un autre monde, sans attaches certaines avec le reste de la vie, et, en tout cas, doués d’une faculté insolite, incomparable, monstrueuse. Il est bien préférable de n’être point si prodigieux, car nous avons appris que les prodiges ne tardent pas à disparaître dans l’évolution normale de la nature. Il est bien plus consolant d’observer que nous suivons la même route que l’âme de ce grand monde, que nous avons mêmes idées, mêmes espérances, mêmes épreuves et presque — n’était notre rêve spécifique de justice et de pitié, — mêmes sentiments. Il est bien plus tranquillisant de s’assurer que nous employons pour améliorer notre sort, pour utiliser les forces , les occasions, les lois de la matière, des moyens exactement pareils à ceux dont elle use pour éclairer et ordonner ses régions insoumises et inconscientes ; qu’il n’y en a pas d’autre, que nous sommes dans la vérité, que nous sommes bien à notre place et chez nous dans cet univers pétri de substances inconnues, mais dont la pensée est non pas impénétrable, mais analogue ou conforme à la nôtre.
Maurice Maeterlinck, L‘intelligence des fleurs, illustrations de Cécile A. Holdban, La part commune, 2020, p. 108.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maurice maeterlinck, l‘intelligence des fleurs, monde, nature, pensée | Facebook |
03/03/2020
Antoine Emaz, Lichen, lichen
En hommage à Antoine Emaz, disparu le 3 mars 2019
Lyrisme : le terme me gêne aux entournures à cause de son lien au chant. Char : « aucun oiseau ne chante dans un buisson de questions ». On m’accordera sans peine que l’époque est buissonneuse.
On ne va pas faire comme si... Ce monde est sale. Et il n’en est pas d’autre. Au bout de la critique, ce n’est pas du chant qui vient ; dans l’effondrement de la louange et de l’espoir naît une parole tentée malgré, fragile, mais sûre de sa mémoire. Une parole qui ne tient que parce que c’est elle ou rien. Et rien, ce serait pire, non ?
Prenons la poésie comme une question ouverte ; autant qu’elle le reste, c’est plus simple. Quand on en vient aux principes, on n’est jamais très loin des gourdins, massues, matraques...
Qu’il y ait une fenêtre n’enlève pas les murs.
Antoine Emaz, Lichen, lichen, Rehauts, 2003, p. 13, 21, 26, 34.
©Photo T. H., mars 2007.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Emaz Antoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoine emaz, lichen, monde, poésie, chant | Facebook |
08/08/2019
Emmanuel Moses, Il était une demi-fois
Pour avoir l’air intelligent
Il suffit de fumer la pipe
De prendre une expression sérieuse
De lire un gros livre en marchant dans la rue
Mais si vous voulez être intelligent
Suivez du regard le mouvement des nuages dans le ciel bleu
Regardez les feuilles d’or sur le trottoir
Écoutez le chant des oiseaux, rossignol, chouette ou corbeau
Bref, ouvrez grand vos yeux et vos oreilles
Au monde splendide qui vous entoure
Emmanuel Moses, Il était une demi-fois, illustrations
Maurice Miette, Lanskine, 2019, p. 28.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emmanuel moses, il était une demi-fois, fable, intelligent, monde | Facebook |
01/11/2017
Christian Prigent, Journal
27/08 [2017) (écrire / ne pas écrire)
Les longues périodes (des mois parfois) sans « écrire » (écrire vraiment : creusement des mémoires, parcours des archives, lectures tout entières programmées par leur utilité pour le travail en cours, effort acharné au style, poursuite de l’expression sensorielle « juste », élaboration des tensions, phrase/phrasé, soucis techniques de composition, séances régulières et longues, perspective de « livre » — publication)…
Ces phases m’ont toujours enfoncé dans des états péniblement dépressifs. Sans doute parce que peu à peu, alors, s’en va toute chance de prise symbolique, toute initiative souveraine, toute possibilité de résistance à la pression paradoxalement dé-réalisante du dehors (le « monde » saturé de représentations, la « réalité » toujours-déjà fixée en mots et images, le lieu commun où s’évanouit et s’aliène la singularité sensible de l’expérience.
Du monde, alors, je ne comprends plus rien, il flotte devant moi et en moi comme un nuage fuyant, ce n’est qu’un paysage flou. C’est comme si tout sens et toute vie m’abandonnent. Ne reste qu’une pénible sensation de débilité et de déréliction, sans doute à chaque fois arrivée (misérablement avivée pour autant que mêlée de honte, de sentiment du ridicule), par la terreur, inscrite au plus profond de moi, de la perte d’amour, d’abandon, de ce que j’ai appelé un jour la « seulaumonditude » : je ne suis pas « au monde », le monde n’est plus ni en ni à « moi », etc.
Christian Prigent, Journal (extraits), Sitaudis, 2017.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Prigent Christian | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christian prigent, journal (extraits), monde, solitude, angoisse | Facebook |
10/03/2017
Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres de Jean-Claude Pirotte
Sous la poussière il retrouve
L’ardoise d’enfance fêlée
Avec les griffures intactes
Proclamant sa détresse d’être
Celui qui toujours demeure
Au seuil du monde déchiffrable
Dans l’attente d’une aveuglante
Révélation ou d’un anéantissement
Rien n’a changé
Tout continue de se refuser
Là derrière
Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres
de Jean-Claude Pirotte, Cadex, 2002, p. 62.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre silvain, les chiens du vent, ardoise, monde, révélation, encres de jean-claude pirotte | Facebook |
18/11/2015
Yasmina Reza, Dans la luge d'Arthur Schopenhauer
Serge Othon Weil à Ariel Chipman
On vit dans un système compassionnel où il faut du drame partout. Tu peux me dire pourquoi on n’a pas organisé une fête nationale pour la fermeture du dernier puits de mine ? On a du charbon sous nos pieds et on n’a plus besoin d’envoyer des pauvres gars à six cents mètres sous terre pour essayer de l’extraire en chopant la silicose et en loupant le coup de grisou. Au lieu de quoi on a eu droit à un discours larmoyant sur le registre c’est une partie de l’histoire ouvrière qui disparaît. Mais merde, tant mieux ! Tu voudrais toi avoir tes enfants au fond de la mine, c’est extraordinaire de vivre dans un pays qui a du charbon sous ses pieds et qui peut se passer d’aller le chercher, qui n’a plus besoin d’envoyer des gens se glisser comme des rats dans des galeries pour donner des coups de marteau-piqueur dans un truc dégueulasse. Le monde s’améliore, qu’on le veuille ou non.
Yasmina Reza, Dans la luge d’Arthur Schopenhauer, Folio Gallimard, 2015 (Albin Michel, 2003), p. 41.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yasmina reza, dans la luge d’arthur schopenhauer, mine, ouvrier, monde, progrès | Facebook |
19/09/2015
Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes
Une sorte de perte
Utilisés en commun : des saisons, des livres et une musique.
Les plats, les tasses à thé, la corbeille à pain, des draps et un lit.
Un trousseau de mots, de gestes, apportés, employés, usés.
Respecté un règlement domestique. Aussitôt dit. Aussitôt fait. Et toujours tendu la main.
De l’hiver, d’un septuor viennois et de l’été je me suis éprise.
De cartes, d’un nid de montagne, d’une plage et d’un lit.
Voué un culte aux dates, déclaré les promesses irrévocables,
porté aux nues un Quelque chose et pieusement vénéré un Rien,
(_ le journal plié, la cendre froide, un message sur un bout de papier)
intrépide en religion car ce lit était l’église.
La vue sur la mer produisait ma peinture inépuisable.
Du haut du balcon il fallait saluer les peuples, mes voisins.
Près du feu de cheminée, en sécurité, mes cheveux avaient leur couleur extrême.
Un coup de sonnette à la porte était l’alarme pour ma joie.
Ce n’est pas toi que j’ai perdu,
c’est le monde.
Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes (poèmes 1942-1967), édition, introduction et traduction François Rétif, Poésie / Gallimard, 2015, p. 437 et 439.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ingeborg bachmann, toute personne qui tombe a des ailes, perte, vie quotidienne, absence, joie, monde | Facebook |
23/06/2015
François Muir, Le jeûne de la vallée
Liens
Tel tracé aux pétales,
Aux courses filantes
La demeure sous les mains,
Épanouie, quelle rose
Innocente au venin ?
Sous la bise, le sable
Se tourne aveugle
Le chandelier, l’équarrisseur
Ce dehors du monde
Au levant réfracté
N’est-il d’autre semis ?
En joue, martèle l’enclume
De notre semence, à quelle encablure
résonne ce pas, ruines de l’orbe ?
Cailloux
Mutins,
Boyaux sous l’humus des forêts,
Rampent et colloquent
Espiègles,
L’étendard dressé,
S’échappent en comptines
Sur les digues apparaissent,
Ogres inaltérés
Bas serpes et dagues,
Au salut du semeur
En sa retraite, l’homme de cirque,
Tintant cailloux,
D’or les blasons
Que nul ne possède
François Muir, Le jeûne de la vallée, La Lettre volée,
2015, p. 16 et 25.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : françois muir, le jeûne de la vallée, liens, cailloux, monde | Facebook |