22/01/2022
Ludovic Degroote, La Digue
On a tous des soucis et tous une tête à mettre autour, on dit qu’on se sent mieux au chaud de l’impasse, le vent est coupé, l’ombre portée, on y fait des images — dans ce mouvement constant par lequel la vie nous traverse, les impasses bougent, reculent, paisiblement, jusqu’à ce qu’elles soient au bout d’elles-mêmes.
Ludovic Degroote, La Digue, éditions Unes, 2017, p. 31.
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21/01/2022
Ludovic Degroote, La Digue
Une chose, un autre, une autre encore, à nouveau, les choses posées les unes à côté des autres, les liens entre elles on croit que c’est nous, les intervalles vides entre elles, comme une pluie de nous-même sans cesse en dedans, on passe, entre les choses, à côté de soi.
Ludovic Degroote, La Digue, éditions Unes, 2017, p. 13.
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20/01/2022
Ludovic Degroote, Pensées des morts
les morts meurent encore, c’est comme une habitude, faut toujours continuer d’être un peu vivant pour terminer de mourir.
pas très pratique à vérifier, on prend la main et on la laisse tomber, on travaille sur la mâchoire, on examine l’œil en surface, on n’a pas chaque fois un miroir sous le coude.
pas très pratique, gestes empêtrés et approximatifs, poisseux, avec ce mort qui colle aux doigts, déjà devenu aussi encombrant que son corps, comme si plus comment le prendre soudain, et quoi en foutre
décidément
on n’est pas des endroits bien pour mourir
Ludovic Degroote, Pensées des morts, Tarabuste, 2002, p. 42.
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19/01/2022
Ludovic Degroote, Si décousu
Filer le présent
les murs deviennent vieux
et la hauteur des villes
passe à travers
ceux qui passent
comme sans centre
et sans murs ils passent à travers
cette brutalité du monde
qui s’enferme mal
mémoire en friche
qui les pousse à disparaître
dans la suite du temps
hors de son tour
et de ses coins
mémoire qui s’en va
filer le présent
Ludovic Degroote, Si décousu, éditions unes,
2019, p. 43.
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18/01/2022
Ludovic Degroote, Si décousu
La couture du blanc
prendre tout l’espace pour respirer
enduire le monde
toucher ta peau se touche
des deux côtés la couture du blanc
parole à demi muette
elle attend son muscle
hors de tout bord hors de tout centre
dans la hachure du temps chacun
se continue et passe oà son squelette
ici c’est ta peau
cousue au monde
moments de peau moments de monde
mobile à l’articulation des blancs
ils sont au bord de ce qui les montre
en attendant de prendre corps
toi tu circulerais dedans
l’œil déroché de son clou
Ludovic Degroote, Si décousu éditions unes,
201 9, p. 73.
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16/01/2022
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon
(...) devant, la route semble se perdre parmi les pierres ; l’herbe rase et le ciel de la lande au bout, arbres vaincus, pierres ruinées, ciel vert, virage qui ouvre la lande, ciel vert, la route jusqu’à la lisière, cattle grid : lande, terre verte fleurie de cailloux que la broussaille ne colore pas : pierres déboulées, roulées, écroulées de nulle part, venues là sans aucun vent d’aucune espèce ; terre verte, nue, rase, essentielle, que la route a fragilement déchirée (route libre et sans évasion possible, digue morte, effondrée) rien à voir que la lande, charnue, humaine, déchirée, la lande et puis la lande (...)
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon, le phare du cousseix, 2014, p. 11-12.
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15/01/2022
Ludovic Degroote, Le début des pieds
ce qui nous manque c’est de n’avoir pas connu autre chose que la vie
nous serions autrement bien disposés
nous nous tenons debout comme des taupes
les taupes détruisent quantité d’insectes larves et lombrics chenilles ou vers blancs limaces petits rongeurs, ce sont des animaux utiles
nous sommes peut-être plus utiles en dépit de dispositions moins spécifiques
nous nous rangeons comme nous pouvons
quelquefois nous prenons moins de place
nous avons des vertus
et du travail sur le ventre
Ludovic Degroote, Le début des pieds, Atelier La Feugraie, 2010, p. 37-38.
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01/11/2020
Ludovic Degroote, Si décousu
Sans nous
dans cette réduction où chacun se tient
contre le bruit de sa disparition
nous allons seuls
avec notre solitude
je ne sais ce qu’on sauve
sinon la respiration
qui respire malgré nous
on se manque
je ne sais pas non plus ce qui avance
j’étais né avant moi
dans une mémoire qui ne m’attendait pas
je me suis construit par effacement
c’est ainsi que nous vieillissons
en passant d’une absence à l’autre
aucun de nos âges ne meurt
sans nous
Ludovic Degroote, Si décousu, éditions Unes,
2019, p. 71-72.
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19/03/2020
Ludovic Degroote, Si décousu : recension
Une partie des poèmes, comme le précise une note avant la table des matières, a été publiée en revues, sous forme de plaquettes ou de livres d’artistes, entre 1989 et 2015, et une quinzaine de poèmes inédits ont été écrits entre 1994 et 2006 : tout laisse penser que ces décalages dans le temps donnent leur sens au titre, que le livre est une réunion d’éléments hétérogènes. La lecture s’oppose à cette première impression, d’un bout à l’autre les mêmes motifs sont présents — notamment, insistant, le thème de la difficulté de lire un ordre dans les éléments du monde et d’y avoir une place :
dès que je m’en vais je suis dans la pente / je regarde la mer et je suis dans la pente ; je n’ai plus besoin de montagne / ni de marécage / tout cela paraît si décousu alors que la vie ne sort pas de sa ligne : on ne se défait pas de ce qu’on est / par delà les piles des ponts / nous somme finis (p. 118-119)
Quant à l’unité formelle des poèmes, elle est aisément visible. On note des textes anciens jusqu’aux plus récents une permanence dans l’emploi de la paronomase, souvent en accord avec le propos de l’ensemble du livre, « vie tenue ténue », « sans vides sans rides », « impuissances impatiens », "tenue - venue", "gravir - gravats", "poupée - coupée". L’unité est en relation avec le désordre du monde et du Sujet ; le plus souvent, les vers sont séparés par des blancs, sans aucune ponctuation ni majuscule (y compris pour les noms propres), ce qui ralentit la lecture, et cette absence de lien mime la distance entre les choses, entre les choses et le Sujet. Un texte en prose restitue cette distance en introduisant régulièrement des barres dans le texte — voir la citation ci-dessus —, parti-pris de morcellement exposé jusque dans le titre du texte :
TEMPS // MORT // BLOC
DÉFAIT
DE // SON // TEMPS
Une autre prose, heureusement titrée "Compost", accumule des noms de fleurs, d’arbustes, d’arbres, longue énumération en une seule phrase et aucun des éléments nommés ne se détache des autres : tous ne sont que des « mots défaits dans leur lente transformation vide ». L’accumulation n’aboutit donc pas à un enrichissement (comme le compost agricole à un engrais), mais plutôt à montrer une opération inutile, un manque, et ce manque est partout présent. Ainsi, la mer en tant que telle apaise, mais ce qui la désigne et le nom des choses qui lui sont attachées, n’ont pas de réalité, « mer digue barque / dans ces mots le vent / des images vaines ».
Plus largement le monde, ce dans quoi chacun vit, est toujours qualifié négativement, milieu par nature du manque ; il semble impossible d’y trouver le moindre appui, quelle que soit la tentative pour aller vers l’Autre, ce que suggère le remplacement de "tendue" par "pendue" : « on s’accroche / à tout ce qui dépasse // un signe de vie // un regard // une main pendue ». Tout se passe comme si tout échange, toute présence étaient refusés. Le monde se caractériserait d’abord par l’existence devant soi d’un mur — « un mur partout » ; on pense à Antoine Emaz qui écrivait, dans "Poème du mur", « un mur indéfiniment » et, aussitôt, « un jour / on ira / plus loin » ; Ludovic Degroote prend-il le même parti ? « on est là / parce qu’on reste là ». Peut-on (se) changer ? comment vivre « la brutalité », « l’horreur du monde » ? Pour le dire autrement « qu’est-ce qu’on peut bien faire de soi » est peut-être la question en arrière-plan du livre.
Rien ne peut modifier ce fait que « nous allons seuls / dans notre solitude », mais c’est cependant quand on se met à l’écart, dans la « nuit claire » — image du temps à côté du temps du monde —, que l’on réussit à « ne pas avoir à jouer ce qu’on est ». Encore faut-il pouvoir penser ce que l’on est, quand le Sujet lui-même apparaît "si décousu". La construction de soi exige du temps pour « réduire la distance / qui vous mène à vous-même » et ce temps est aussi celui qui « nous défait ». Le passé demeure accessible mais les souvenirs sont tellement coupés du présent qu’ils semblent renvoyer à quelqu’un d’autre que celui qui les évoque ; quelle relation entre celui qui se souvient des « gaies tombes fleuries », des « riants caveaux » de son « enfance moisie », et celui qui écrit « je suis coupé de moi », « on vit séparé » ? Tout l’enjeu est bien de coudre, reformer un tissu, une continuité dans ce qui, la vie, n’est que discontinuité, fragments successifs. Restent ce qui ne peut se dénouer, des ombres qui demeureront quoi qu’on fasse, ce qui s’exprime de manière sibylline : [nés, nous sommes] « précédés de notre disparition » ? — disparition, un des mots récurrents.
La fragilité liée au fait de vivre ne signifie pas abandon au chaos, si l’on sait qu’il y a « manque » on sait aussi qu’il s’inscrit dans une double histoire, celle de la personne et celle de la poésie, tout comme l’ossuaire visité à Rome dont un passage de la description, « tête cou- / pée qui coupe / la tête zone du cou », renvoie aux disparus et est une allusion transparente à "Zone" d’Apollinaire.
Ludovic Degroote, Si décousu, éditions Unes, 2019, 136 p., 21 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 21 février 2020.
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19/02/2020
Ludovic Degroote, Si décousu
15-7-93
on n’écrit pas
pour sa peine
mais pour la lente
défiguration du temps
ce qu’il y a d’intact
dans le visage
n’a pas laissé de traces
on dure
d’un souvenir
à l’autre
perdre juste
la mémoire
qui nous entoure
sur du gris
le gris passe mal
on se fonde
sur ce qui manque
une peine
à peine
recommencée
Ludovic Degroote, Si décousu,
éditions Unes, 2019, p. 67-68.
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24/11/2019
Ludovic Degroote, Si décousu
Dans la vie
il n’y a aucune désolation qui ne tienne quelque chose de vous debout
car ce qui reste est la matière durable de ce que nous avons été
et quand bien même cela tournerait vert-de-gris
sous quoi le vert-de-gris
nous, semblables et indistincts
et constamment issus de tout ce qui ne nous détruit pas encore
prenons les allures fantômes que laissent
nos pieds embourbés
dans la vie
Ludovic Degroote, Si décousu, éditions Unes, 2019, p. 74-75.
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17/05/2016
Ludovic Degroote, Pensée des morts
Photo Michel Durigneux
notes, fragments, poèmes, bouts de tout, mais en serrant les dents comme un crâne, bien serrer les dents pour lâcher le moins, le moins le mieux, on a beau penser à sa santé, trop de forme vous tue
sales petits morts qui ont laissé des mots partout.
comment tirer une forme non tronquée d’un tel état de décomposition, d’où que forme libre si forme libre possible en cas de non tronqueriez ou non décomposition de soi-même
ils en sont venus aux vers
Ludovic Degroote, Pensée des morts, Tarabuste, 2002, p. 45.
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11/11/2015
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon
Llanover-Blaenavon
Aucun hasard ne conduit de Llanover à Blaenavon, même si la route n’est large que d’une voiture : j’ai de quoi m’y tenir. Les taillis laissent voir, par-dessus eux, la colline qu’il faudra franchir, alors que rien ne le donne à prévoir, sinon ce que j’en sais, parce que nulle route n’est visible d’ici, mais des fermes, des maisons, que je suppose être des fermes pour exister, dans cette espèce de réclusion ou de confinement, c’est difficile à dire lorsqu’on
n’est pas habitué à cette vie-là, c’est-à-dire quand on est habitué à une autre vie, si c’était possible de dire qu’il y a des vies différentes, ou qui devient possible à ce moment que j’en prends conscience, le désir profond de m’enterrer là comme si cela pouvait servir d’éternité dont la vision, pourtant menée même par les landes les plus décharnées et les plus abouties, ne peut être soupçonnée, tant il n’est rien qui ne puisse dire rien. [...]
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon, le phare du cousseix, décembre 2014, p. 3-4.
Cet appel s’adresse aux membres de RESF mais aussi aux sympathisant-es ainsi qu’aux citoyen-nes soucieux de justice et de démocratie.
Nous attendons aussi des réactions des élu-es et responsables politiques.
Merci de diffuser.
Réservons en priorité absolue la date du
vendredi 18 décembre, à 13h30, au tribunal de Grasse.
Dans le département des Alpes-Maritimes, il est interdit de manifester sa solidarité avec les réfugiés ??!!
En juillet dernier, l’une de nous, Claire Marsol, a accompagné à la gare d’Antibes, 2 jeunes réfugiés (parmi tous ceux que nous essayons d’aider à la frontière italienne).
Elle a été arrêtée, mise en GAV, perquisition de son domicile, menottée, « conseils » biaisés de la police.
Elle passe au tribunal de Grasse le 18 dec à 13h30.
C'est quand même beaucoup pour une simple retraitée de l’Éducation Nationale qui, comme nous toutes et tous, a agi dans le cadre des activités de nos associations :
manifester sa solidarité envers des réfugiés victimes des guerres, de persécutions et de dictateurs sanguinaires.
La manœuvre d'intimidation est évidente.
Que cherche ce gouvernement ? Tenter, en vain, de museler la solidarité exprimée par de nombreuses associations, citoyens et citoyennes, envers les réfugiés ?
Avec un collectif d’organisations de défense des droits humains,
nous sommes en train d’organiser une grande mobilisation locale mais aussi nationale
en plusieurs temps et lieux.
Tenez-vous prêt-es à réagir rapidement aux appels qui vont vous parvenir.
Et faites le maximum pour diffuser autour de vous et vous libérer pour être à Grasse le 18 décembre.
Toutes et tous avec Claire !
Il n'y a pas que Claire !
Nous aussi, nous avons aidé des réfugié-es : nous les avons renseignés ou nourris ou accompagnés ou soignés ou hébergés…
Evidemment, comme elle, sans contrepartie aucune !!! sinon le respect mutuel et le bonheur de voir le sourire retrouvé des enfants.
Tout cela au nom, selon les cas,
- De la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
- De la Convention Internationale des Droits de l'Enfant,
- Du respect de traditions familiales d'hospitalité,
- De la mise en pratique des valeurs de l'Evangile,
- De la conscience de l'égale dignité des êtres humains peuplant cette minuscule planète sans frontières visibles des confins de la galaxie...
Devons-nous nous dénoncer nous-mêmes au Procureur de la République ?
Sinon, il pourrait nous inculper de non assistance à personne en danger !!!
http://www.educationsansfrontieres.org/
Pour vous joindre à nous : Resf06@gmail.com
https://www.facebook.com/groups/239092159470486/
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23/09/2014
Ludovic Degroote, Le début des pieds
il faudra bien en finir.
nous ne pouvons pas regarder la télé tout l'été.
je ne sais où en est nirina.
j'écris nirina peut-être c'est irina.
je ne comprends pas bien toujours ce qu'il disent à la télé.
est le monde ou la diction ou tout ce qui dégringole la pluie le
temps et puis cette jeunesse qui articule mal qui parle pour elle alors que nous aussi on aimerait bien savoir si ça arrive le coup qui fera basculer le monde et le cœur partagé de tant de téléspectateurs.
le monde est compliqué.
nathan et nirina aussi pour eux c'est compliqué.
Ludovic Degroote, Le début des pieds, Atelier La Feugraie, 2010, p. 50-51.
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11/12/2012
Ludovic Degroote, Monologue
[...]
tout l'amour que ma mort a consolidé entre nos parents n'a pas empêché de les perdre chacun dans une douleur qu'ils ne pouvaient exprimer à l'autre qu'à travers du silence, par pudeur, ou par crainte de l'envahir, d'aviver sa peine, ou de je ne sais quoi qui aurait nécessairement accru cette douleur
ma disparition a créé beaucoup de souffrance et ça me fait mal, j'aurais bien évidemment préféré vivre, faire vivre les autres, mais j'ai pris toute la place, ma mort les a plongés dans ce lieu commun où chacun se sépare, prenant appui contre son propre vide, je n'ai jamais rien réclamé
nous avançons dans le monde comme des êtres disparus
et nous replions dès qu'on s'imagine que notre monde intérieur ne nous expose pas, car nous sommes devenus dans une histoire qui nous dépasse et que je te laisse continuer avec la sincérité trompeuse qui semble nous donner de la profondeur et nous articuler si loin en nous que nous croyons établir un espace où chacun de nous deux ne serait plus seul
alors que dans ces vies incluses que leur silence contient il est difficile de s'entendre
[...]
Ludovic Degroote, Monologue, Champ Vallon, 2012, p. 24-25.
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