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12/03/2023

Yves di Manno, Lavis

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(l’estampe)     (exergue)

 

longtemps j’ai cherché dans

le poème l’ombre

d’une mémoire plus vaste`

que la mienne

 

aujourd’hui sans oser

écrire j’attends — l’encre l’estampe ?

lz forme vers laquelle

me conduit la strophe

 

inscrire la — poésie peinte ?

au revers d’une

vie nouvelle — toile mentale

 

inaugurale ? — augurant d’un

temps sans dessein — abolissant

essence & sens — signes destins ?

 

Yves di Manno, Lavis, Flammarion,

2023, p.9.

29/06/2021

Jean Genet, L'étrange mot d'...

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   Où aller ? Vers quelle forme ? Le lieu théâtral, contenant l’espace scénique et la salle.

   Le lieu. À un Italien qui voulait construire un théâtre dont les éléments seraient mobiles et l’architecture changeante, selon la pièce qu’on y jouerait, je répondis avant même qu’il eût achevé sa phrase que l’architecture du théâtre est à découvrir, mais elle doit être fixe, immobilisée, afin qu’on la reconnaisse responsable ; elle sera jugée sur sa forme. Il est trop facile de se confier au mouvant. Qu’on aille, si l’on cveut, au périssable, mais après l’acte irréversible sur lequel nous serons jugé, ou, si l’on veut encore, l’acte fixe qui se juge.

 

Jean Genet, L’étrange mot d’..., dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p. 11.

13/09/2017

Borges, Éloge de l'ombre

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               Labyrinthe

 

De porte, nulle part, jamais. Tu es dedans

Et l’alcazar embrasse l’univers

Et il n’a point d’avers et de revers,

Point de mur extérieur ni de centre secret.

N’espère pas que la rigueur de ton chemin

Qui obstinément bifurque sur un autre

Qui obstinément bifurque sur un autre

Puisse jamais finir. De fer est ton destin

Comme ton juge. N’attends point la charge

De cet homme-taureau dont l’étrange

Forme plurielle épouvante ces rêts

Tissés d’interminable pierre.

Il n’existe pas. N’attends rien. Pas même

Au cœur du crépuscule noir, la bête.

 

Borges, Éloge de l’ombre, traduction J.-P. Bernès

et N. Ibarra, dans Œuvres complètes, II, Pléiade /

Gallimard, 1999, p. 161.

16/08/2016

Pierre Reverdy, Sable mouvant

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   Il faut donc se décider à dire que la poésie n’est intelligible à l’esprit et sensible au cœur que sous la forme d’une certaine combinaison de mots, en quoi elle se concrète, se précise, se fixe et assure une réalité particulière qui la rend incomparable à toute autre. Je dis une certaine combinaison de mots à dessein, parce que, en effet, si dans la forme arbre on est toujours sûr de trouver la matière bois, dans la forme sonnet, par exemple, on est beaucoup moins sûr de trouver, à tout, coup, son compte de substance poétique. Un sonnet peut être absolument parfait de forme sans que la moindre parcelle de poésie y soit incluse. À l’assemblage de mots que je laisse pour l’instant libre, la qualité, la richesse de la matière donneront la forme qui, si peu orthodoxe qu’elle apparaisse, sera — et je n’oublie pas les objections qu’on ne manquera pas de me faire — toujours préférable à celle pré-établie, dans laquelle on aurait coulé une substance pauvre et sans vertu.

 

Pierre Reverdy, Soleil mouvant, édition E.-A. Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 114.

17/05/2016

Ludovic Degroote, Pensée des morts

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Photo Michel Durigneux

 

notes, fragments, poèmes, bouts de tout, mais en serrant les dents comme un crâne, bien serrer les dents pour lâcher le moins, le moins le mieux, on a beau penser à sa santé, trop de forme vous tue

 

sales petits morts qui ont laissé des mots partout.

 

comment tirer une forme non tronquée d’un tel état de décomposition, d’où que forme libre si forme libre possible en cas de non tronqueriez ou non décomposition de soi-même

 

ils en sont venus aux vers

 

Ludovic Degroote, Pensée des morts, Tarabuste, 2002, p. 45.

05/05/2016

Paul Valéry, Littérature

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                                     Littérature

 

   Si l’on se représentait toutes les recherches que suppose la création ou l’adoption d’une forme, on ne l’opposerait jamais bêtement au fond.

 

   Quand l’ouvrage a paru, son interprétation par l’auteur n’a pas plus de valeur que toute autre par qui que ce soit.

 

   Ce qui plaît beaucoup a les caractères statistiques. Des qualités moyennes.

 

   Dire qu’on a inventé la « nature » et même « la vie » ! On les a inventées plusieurs fois et de plusieurs façons…

   Tout revient comme les jupes et les chapeaux.

 

   Le nouveau n’a d’attraits irrésistibles que pour les esprits qui demandent au simple changement leur excitation maxima.

 

Paul Valéry, Œuvres, II, édition établie par Jean Hytier, Pléiade / Gallimard, 1960, p. 554, 557, 559, 560, 561.

27/01/2016

Raymond Queneau, Fendre les flots

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         Bois flottés

 

Pour, auprès des eaux

stagnantes mais un peu soulevées

tendues par les marées,

ne pas briser les

branches au-dessus des canaux

assimilés il faut découvrir

lucidement quelque gravure

xylographie éventuelle

 

ordonner les traits du hasard

dominer les coupures

abraser après l’érosion

chercher enfin la forme éprouvée

 

objet abandonné à lui-même

statuette sans autre raison d’être que d’être

 

Raymond Queneau, Fendre les flots,

Gallimard, 1969, p. 54.

23/05/2015

Pierre Chappuis, La rumeur de toutes choses

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Nicolas de Staël

 

   Tellement de force dans le geste, dans la simplicité, le dépouillement des formes, tellement de violence, d’intensité dans les couleurs qu’on est comme précipité dans l’immobilité d’une tourmente, tout à la fois transporté et cloué sur place. Plénitude et gouffre.

 

Désarroi de la lecture

 

   Lire : triturer, malaxer, tordre et détordre au plus près d’une vérité qui échappe.

   Des notes de lecture éparses sur la table, réduites au strict minimum, parfois plus développées, des phrases ou bribes de phrases recopiées, des réflexions adjacentes, d’inattendus croisements de chemins, une errance sans but, inquiète et captivante : le livre lu et relu se défait, soumis à une véritable mise en pièces — en vue de quelle remise en état pour l’instant douteuse, impossible, quelle reconstitution toujours à remettre en cause ?

 

Pierre Chappuis, La rumeur de toutes choses, Corti, 2007, p. 80, 84-85.

24/04/2015

Philippe Beck, Élégies Hé

 

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Le talent anxieux d’une forme

crée l’ambiance de l’oubli.

Attention.

Pudeur sur l’horloge haute

peint la pierre de son image.

Silhouette se pose

devant le télescope du peintre du monde.

Le nez de cuivre et d’or

s’imprime par la fraîcheur.

Cendrillon infinie a goûté la pomme.

Ses jambes de danseuse de bronze

vont de l’avant.

Je me souviens du départ dans le printemps :

les briques anglaises

libèrent le ciel

qui respire inconsciemment.

Le fauve respire la fraïcheur

de cimes, et l’ombre de midi.

Il retrouve la tanière verte

dans des cafés

entourés de briques liées

par l’espace ailé.

Béquille demande espace.

Convalescence infinie commence.

Pour les déductions d’un pays.

Convalescent a des raisons

à midi.

 

Philippe Beck, Élégies Hé, Théâtre Typographique,

2005, p. 93.

04/02/2015

Pierre Alferi, Sentimentale journée

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UN NU

 

                         La chose

                             La toucher

                             Bousculer

                             La forme

 

Pour s'assurer qu'existe

La chose là

Chose — capitale —

Vue tous les jours

Toujours dans un délire

Conscience du temps réduite

À la pointe de flèche

Espace réduit

À l'angle

Cul d'un sac très froncé

La toucher

Prudemment peur

D'aviver sa

Nudité douloureuse de la

Froisser de la

Défroisser mais tellement

Excitable mollusque

Aveugle quand

Se rétracte s'étale

Qu'on veut aussi bousculer

La forme

Extraordinairement profuse

Petite

D'une crête

Qui s'efface passe

Dans une autre et lui passe

L'énergie de pliure

Par ondes

Rouges holà oh

Mon Dieu embrasser

Le visage sans yeux l'œil

Sans visage ?

 

Pierre Alferi, Sentimentale journée, P. O. L.,

1997, p. 45-46.

21/09/2014

Bernard Noël, La Place de l'autre

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                             Où le regard s'aère

 

   Du plus haut, c'est une plantation de i — des i noirs empanachés d'un vert tremblant. Le visiteur s'assied en voyant son regard aligné par tant de barres ; il cherche le sens de l'air pour y accorder ses yeux et ose ainsi chaque chose à sa place : la pente, la forêt et lui-même venu par un chemin sans point de vue. Alors, quelque chose blanchit la lisière : ce n'est pas une éclaircie, mais une sorte de promesse virtuelle, qui invite à dévaler la pente pour voir... Voir tout à coup, entre la vieille courbe de la terre et le bleu profond, ce qui, justement, a conduit jusqu'ici et qui, bien qu'attendu, saisit aussitôt le regard, le modèle, l'emplit et lui communique sa forme au point qu'elle se fixe dans la tête et devient un lieu...

   Plus tard, l'œil reprend son rôle de lecteur : il parcourt des surfaces, des angles, avec le sentiment de reconnaître dans cet agencement moderne une figure très ancienne, car la vision se double d'un fantôme de mémoire, qui renforce la présence du présent par la poussée, en elle, d'une sève d'images. Il y a des plans de béton, des plans d'ombre, des plans de lumière ; il y a des arêtes où le ciel est posé, des étages de terrasses, des escaliers en l'air, et tout cela s'exhausse à tout moment à l'intérieur de la vue parce que le croisement du plein et du vide, du vertical et de l'horizontal aère la masse et y entretient le perpétuel élan d'une mise debout.

 

Bernard Noël, La Place de l'autre, Œuvre III, P.O.L, 2014, p. 103-104.

27/08/2014

Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin

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                           Fraisier

 

On ne joue pas avec la fraise. C'est un mot d'incandescence une cavité plaine.

 

On se dit de la fraise sans s'y afficher. À peine la finale rappelle-t-elle qu'on y est. Qu'on s'y fraie en sujet. Avec bonheur au vu du zézaiement qui pousse à l'écholalie.

 

On se rêve en la fraise akène grave glissé à l'infini des braises.

 

                                *

 

S'adonner de nouveau à la fraise aller

au mot point d'avidité avoir

raison de ses bordures

 

S'en tenir aux fièvres de sa forme

— on frise encore le fruit —sans

déranger la fleur

— on apaise ses craintes abrège sa perte

 

S'ouvrir à ses fragrances

aux graines de ses fuites

quand les stolons répandent

un jardin des errances

 

Composer avec elle prendre ses aises

demeurer enfin en sujet

dans l'éclat de son temps

 

Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin, Tarabuste, 2014, p. 17-18.

20/07/2014

Guennadi Aïgui, Dernier ravin

 

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                                    Dernier ravin

                                       (Paul Celan)

                                                                                                                                                                                  à Martine Broda

 

Je monte ;

ainsi, en marche,

un temple

se construit.

Vent de fraternité, — et nous, en ce nuage :

moi (et un mot inconnu,

comme hors de mon esprit) et l’armoise (cette amertume inquiète

qui près de moi m’enfonce

ce mot)

armoise.

Argile,

sœur.

Et, de tous les sens, le seul étant, inutile-essentiel,

là (dans ces mottes tuées),

comme un nom inutile. Ce

mot-là me tachant, lorsque je monte

dans la très simple (comme un feu) illumination,

pour se marquer — marque dernière au lieu

de la cime ; elle —

vide (tout est déjà donné)

visage : comme un lieu sans-douleur

dans un surplomb — un au-dessus l’armoise

(…

Et

la forme

resta

inaperçue

…)

et le nuage :

plus aveugle qu’acier (une-arme-non-visage)

le fond — inerte ; la lumière

comme jaillie d’une pierre béante.

Toujours plus

haut.

 

Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui, textes réunis et traduits par André Markowicz, Le Nouveau Commerce, 1993, p. 99-100.

29/03/2014

Albert Camus, Carnets II, janvier 1942-mars 1951

Albert Camus, Carnets II, solitude, pauvreté, écrire, forme, aimer, enfer

                                  1947

 

   Misère de ce siècle. Il n'y a pas si longtemps, c'étaient les mauvaises actions qui demandaient à être justifiées, aujourd'hui ce sont les bonnes.

 

   La solitude parfaite. Dans l'urinoir d'une grande gare à 1 heure du matin.

 

   Comment faire comprendre qu'un enfant pauvre peut avoir honte sans avoir d'envie.

 

   Forme et révolte. Donner une forme à ce qui n'en a pas, c'est le but de toute œuvre. Il n'y a donc pas seulement création, mais correction. D'où importance de la forme. D'où nécessité d'un style pour chaque sujet non tout à fait différent parce que la langue de l'auteur est à lui. Mais justement elle fera éclater non pas l'unité de tel ou tel livre mais celle d e l'œuvre tout entière.

 

   La paix serait d'aimer en silence. Mais il y a la conscience et la personne : il faut parler. Aimer devient l'enfer.

  

Albert Camus, Carnets II, janvier 1942-mars 1951, éditions établie et annotée par Raymond Gay-Crosier, Folio- Gallimard, 2013, p. 214, 216, 222, 241, 243.

25/05/2011

Antoine Emaz, Cambouis



antoine eaz,cambouis,poème,forme
Un poème, c’est de la langue sur une émotion qui rend muet. Il va contre ce mutisme. Il est donc bien un exercice de lucidité, d’élucidation. Par les mots, je retrouve un peu prise sur ce qui oppresse. Par les mots, je me décale, je prends un  peu de distance, je ne suis plus complètement dedans. On 
écrit sans doute moins pour ne  plus avoir mal que pour   comprendre de quoi on souffre exactement.

 

De l’urgence d’une poésie qui ne triche pas, c’est-à-dire qui ne réduise pas. Voilà le défi. Inventer des formes capables de résister au poids de la réalité. Mais ces formes, très vite, si on les casse pas, s’autonomisent, ne s’intéressent plus qu’à elles-mêmes. Accepter le côté dynamique de la réalité autant que son côté répétitif : oser ressasser, oser du neuf, le risque est égal.

 

« Un pur travail de langue », « une défaite de la pensée », « le développement d’une exclamation », une vision du monde, une tour d’ivoire, un cœur frappé, un jeu de contraintes… La poésie peut être tout cela, tour à tour, avec plus ou moins de ceci ou de cela selon chaque poète. La poésie est ce qui résiste à l’enfermement, ou plus précisément ce qui toujours passe à travers les barres, les grilles. Elle est l’air qui passe dans cette carcasse de mots morts, et chante encore, ou chantonne, ou sifflote, ou bruit. Rien de plus que l’air qui passe dans les tuyaux de mots, pour une musique qui touche.

Partant de là, on peut légitimement considérer comme aussi poétiques des démarches qui visent à faire chanter, ou déchanter, ou enchanter… La question est moins celle de l’objectif, du but visé, que celle des moyens pour créer un rapport neuf au réel et à la langue, et celle de l’implication de toute la personne dans ses choix d’écriture. Quand je dis « choix », je m’entends, on ne peut demander à un poète que d’écrire aussi loin qu’il le peut dans l’espace qu’il s’est taillé dans la langue commune. Ce faisant, il est tout à fait possible qu’il dépasse notre capacité d’écoute, ou même d’entente ; cela n’invalide en rien sa tentative. « Il faut aller jusqu’au bout, même pour ne pas vaincre » (Reverdy).

 

Antoine Emaz, Cambouis, Déplacement / Seuil, 2009 , p. 8, 15, 20-21.

© Photo Tristan Hordé, 20 mai 2011.