11/04/2023
Gustave Roud, Le Repos du cavalier
Je regarde le fleuve de brouillard s’élargir, noyer sa rive, cette pente de terre nue où côte à côte nous avons marché tout un après-midi d’automne, herseur le poing à la bride du gros rouan débonnaire, herseur qui riais dans le soleil et la bête à chaque halte au bord du champ refermait sa paupière cousue de gros crin pâle… Je regarde. Le brouillard déferle contre le verger, contre la ferme, la grange, contre toi-même. La batteuse étouffe son adieu ; le brouillard dévore ta main tendue. Tu es cendre, tu es vapeur, tu n’es plus rien. Tu n’es plus rien, mais là-bas tu vas reprendre poids et vie parmi toutes ces autres vies, et moi je glisse et repars au fil de la brume, sans voix, sans pensée, comme un bâton flottant dont nul bûcheron sur la rive ne pourrait tirer quelque flamme comme un vague flocon d’écume bientôt défait, dissous au ressac indéfini de l’attente et de l’absence.
Gustave Roud, Le Repos du cavalier, dans Œuvres poétiques, éditions Zoé, 2022, p. 1147.
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12/06/2019
Cédric Le Penven, Verger
ce matin d’octobre, je cherche entre mes arbres la suite d’une phrase commencée pendant la nuit
elle m’arrache à la terre que je foule, transforme le paysage en simple décor, les arbres en silhouettes grisâtres. Il s’agissait d’une histoire d’enfant meurtri qui parvenait à prononcer distinctement son nom, au cœur même d’une salve de coups, et l’arrêtait net
je pose la paume contre le tronc froid et humide du cerisier. J’exerce une faible pression pour que les gouttes de rosée restent suspendues au bouton dont elles ne connaîtront jamais les fleurs
si le temps reste trop à la brume, la pellicule d’eau qui couvre les écorces favorise les maladies. La monilia est un miel détestable qui commence à perler dans la moindre ride de l’écorce, et contamine le rameau, puis la branche, puis la charpentière, et l’arbre entier suffoque
la maladie ne doit pas être prise à la racine, mais à la pointe de la branche, dont il faut se départir, en espérant que le coup de sécateur n’accélère pas sa propagation
Cédric Le Penven, Verger, éditions Unes, 2019, p. 25.
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07/04/2018
Julien Bosc, Le Verso des miroirs
je vis aux lisières de la terre et de la mer
le long d’une rivière défaite
un vertige
une bascule
une volée d’étourneaux dans la brume
des portes se referment
le vent bégaie
une étincelle allume la bougie
les laves forgent un rivage
deux premiers mots murmurent
Julien Bosc, Le Verso des miroirs, Atelier de
Villemonge, 2018, p. 3. © Photo Chantal Tanet
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20/01/2018
Haïku, anthologie du poème court japonais
Pas de pont —
le jour se couche
dans les eaux du printemps
Yosa Buson
Au printemps qui s’en va
les oiseaux crient —
les yeux des poissons en larmes
Matsuo Bashô
Jour de brume —
les nymphes du ciel
auraient-elles du vague ) l’âme ?
Kobayashi Issa
À la surface de l’eau
des sillons de soie —
pluie de printemps
Ryôkan
Dans les jeunes herbes
le saule
oublie ses racines
Yosa Buson
Haïku, anthologie du poème court japonais,
traduction Corinne Atlan et Zéno Bianu,
Poésie / Gallimard, 2002, p. 29, 32, 34, 36, 53.
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10/05/2017
Paysages (Périgord)
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10/02/2017
Sylvia Plath, Arbres d'hiver
Arbres d’hiver
Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d’herbier —
Mémoire accroissant cercle à cercle
Une série d’alliances.
Purs de clabaudages et d’avortements,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple !
Frôlant les souffles déliés
Mais plongeant profond dans l’histoire —
Et longés d’ailes, ouverts à l’au-delà.
En cela pareils à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
Qui sont ces vierges de pitié ?
Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.
Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée,
traduction Françoise Morvan et Valérie Rouzeau,
Poésie / Gallimard, 1999, p. 175.
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30/06/2015
Brume du matin
Brume au-dessus de la vallée
Brume sur la forêt
Brume en Aveyron
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15/09/2014
Friedrich Dürrenmatt, Grec cherche Grecque
Il plut pendant des heures, des nuits, des jours, des semaines. Les rues, les avenues, les boulevards luisaient, trempés ; des ruisseaux, des rivières, de véritables petits fleuves où nageaient les autos, coulaient le long des trottoirs ; emmitouflés dans leurs manteaux, les gens marchaient sous leurs parapluies, dans des chaussures mouillées et des chaussettes de plus en plus humides ; les géants, amours et aphrodites qui soutenaient les balcons des palais et des hôtels ou se collaient aux façades, ruisselaient, dégoulinaient, rayés de rigoles et de fiente d'oiseau diluée, et les pigeons cherchaient un abri sous le fronton du Parlement entre les jambes et les poitrines des bas-reliefs patriotiques. Ce fut un pénible janvier. Puis vint la brume, elle aussi pendant des jours, des semaines, et une épidémie de grippe, pas trop grave chez les gens de la bonne société où elle emporta néanmoins quelques vieilles tantes à héritage et quelques respectables hommes d'État, mais meurtrière surtout pour les clochards qui couchaient sous les ponts et sur les berges du fleuve. Dans l'intervalle, la pluie se remit à tomber. Interminablement.
Friedrich Dürrenmatt, Grec cherche Grecque, traduit de l'allemand par Denis Van Moppès, bibliothèque Albin Michel, 1968, p. 7-8.
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05/03/2014
Jean Grosjean (1912-2006), Une voix, un regard, textes retrouvés
L'homme quittera
II. Fuite
Les jours passent comme des nuages
et leur ombre sur la terre.
Le mobilier ne change guère,
vergers de prunes bleues ou jaunes,
noyers bruns à forte odeur,
tendres mousses sur la roche,
envols d'oiseaux qu'interrompt
le froid. Mais les parents
que nous venions voir se sont
enfuis à notre approche.
XI. Brume
Brume sur les champs.
L'amour de toi.
Tu ne te dédis pas,
tu ne t'éloignes que peu.
Je n'entends qu'à peine
les morts derrière toi.
Je vois dans la brume
luire tes cheveux.
Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés
1947-2004, édition de Jacques Réda, préface
de J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 2013, p. 85-86, 90.
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01/11/2012
Gottfried Benn, Poèmes, traduction Pierre Garnier
Brume
Toi, son qui s'évanouit
et déjà passe,
plaisir à peine né
et déjà fondu dans la bouche,
c'est ainsi qu'heure tu t'écoules,
tu n'as pas d'être
depuis toujours déjà tu t'enveloppes
dans les brumes
Et nous répétons toujours
que cela ne peut finir
et nous oublions que l'éclat de la neige
est toujours neige d'antan
dans le constellé de baisers de larmes
de nuits et de sanglots
coule ce qui s'emprunte aux flots
les brumes tissent leur voile.
Ah, nous appelons et souffrons
les dieux les plus anciens :
toujours au-dessus de nous
« toi : tout et toujours »
mais aux béliers et aux branches
aux autels et aux pierres
où le sacrifice se consume
haut vers les dieux qui se taisent
les brumes tissent leur voile.
Gottfried Benn, Poèmes, traduit de l'allemand
et préfacé par Pierre Garnier, Gallimard, 1972,
p. 147.
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