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20/07/2024

Constantin Cavafy, Poèmes

                constantin cavafy, poèmes, blessure, poésie, douleur

Mélancolie de Jason, fils de Cléandre : Poète en Commagène ; 505 ap. J.C.

 

Vieillissement de mon corps et de ma figure —

c’est une blessure d’un effroyable couteau.

Je n’ai plus d’endurance.

A toi je recours, Art de la Poésie,

qui, tant soit peu, te connais en remèdes :

tentatives d’assoupissement de la douleur,

par l’Imagination et par le Verbe.

 

Blessure d’un effroyable couteau —

Art de la Poésie, apporte tes remèdes,

pour endormir — pour quelque temps — la douleur.

 

Constantin Cavafy, Poèmes, traduction Georges Papoutsakis, Les Belles Lettres, 1958, p. 153.

02/07/2024

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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Le colza dont le jaune agace les dents et qu’on rangerait du côté du citron plutôt que de celui de l’huile.

 

 Innombrables sont les choses qui ne ressemblent pas à ce qu’elles sont (une feuille, par exemple, que rien ne révèle poumon, un avion qu’on dirait trop lourd pour imiter l’oiseau, un ordinateur que rien n’indique cerveau) et nombreuses celles qui ont un aspect trompeur (l’ours à l’air bonasse, le serpent corde sur le sol, le poisson dont les ouïes ne sont pas des oreilles, la lune disque haut suspendu, l’arbre fantôme, le mort homme endormi)

 

Ne pas brouiller les cartes mais tailler dans le vif, ne pas biaiser mais prendre l’équivoque par les cornes ou la trancher comme un nœud gordien, voilà ce qui est peut-être l’ABC de la poésie.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 121.

19/05/2024

Pontus de Tyard, Mon esprit ha heureusement porté...

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Mon esprit ha heureusement porté

   Au plus beau ciel sa force outrecuidée, (=présomptueuse)

   Pour s’abbruver en la plus belle Idée,

   D’où le pourtrait j’ai pris de ta beauté.

Heureusement mon cœur s’est enretté (= pris au piège)

   Dens ta beauté d’un libre œil regardée :

   Et ma foy s’est heureusement gardée,

   Et t’a ma bouche heureusement chanté :

Mais si encore heureusement j’espere,

   Qu’en fin ton cours (ô ma divine Sphere)

   Veut asseurer la creinte qui me touche,

J’auray parfait en toy l’heur (=bonheur) de ma vie,

   Et toy en moy l’heur d’estre bien servie

   D’esprit, de cœur, d’œil, de foy et de bouche.

 

Pontus de Tyard, dans La Pléiade, Poésie, poétique, édition Mireille Huchon, Gallimard/Pléiade, 2024, p. 665-666.

05/05/2024

Joseph Joubert, Carnets, II

 

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                            7 mai 1754- 4 mai 1824

                        

Le pouvoir est une beauté qui fait aimer aux femmes la vieillesse même.

Il n’y a plus aujourd’hui d’inimitiés irréconciliables parce qu’il n’y a plus de sentiments désintéressés.

 — ces insupportables parleurs qui vous entretiennent toujours de ce qu’ils savent et ne vous entretiennent jamais de ce qu’ils pensent.

La poésie feint et par conséquent elle peint. Tout y est jeu d’une part, illusion de l’autre.

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 317, 321, 325, 327.

29/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf

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La tradition veut que l’amour ne puisse exister préalablement à sa déclaration. Seuls les mots l’autorisent, seuls ils le déclenchent et seuls ils le consacrent Dans cette perspective, nous étendons les pouvoirs de la langue à tout ce qui la précède, nous divulguons ces pouvoirs  depuis les corps et  les images. Poésie est le nom de ces plongées dans la nuit continuée des commencements. Partie prenante de cette perspective est le paysage. L’amour, et plus encore ce pourquoi il naît, peuvent loger dans un « jeu de langage » gagné par les stridences et la rouerie des échanges.

 

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 51.

24/12/2023

Roger Gilbert-Lecomte, Poésie

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              Haïkaïs

 

Tous ces verts marronniers pansus

Se moquent entre eux du noyer

Qui n’a pas encore de feuilles

 

Sur l’Avril de vert feuillu

         Bruine et ciel sale

                     — Triste…

 

Dans le ciel de cendre

Comme un dernier tison

La petite étoile

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres

complètes, II, Poésie, Gallimard,

1977, p. 132.

14/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

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Dernière offre

 

la poésie

que l’on surprend au fond de la boutique

derrière la réserve

par-dessus l’extincteur et sous les vies vécues

les destins politiques les drames romancés

 

horizons cornés

ciels à la va-vite

— comme si vous y étiez : venez voir

on ne paie qu’en sortant

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 82.

19/06/2023

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi

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Pour ne savoir point trop ce qu’est la poésie (nos rapports avec elle ne sont qu’indirects), d’une de ces figues sèches, par contre (tout le monde voit cela), qu’on nous sert, depuis notre enfance, ordinairement aplaties et tassées parmi d’autres hors de quelque boîte, comme je remodèle chacune entre le pouce et l’index machinalement avant de la croquer, l’idée que je m’en fais paraît bientôt bonne à vous être d’urgence quittée.

 

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, dans Œuvres poétiques, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 863.

18/06/2023

Francis Ponge,, Comment une figue de paroles et pourquoi

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La poésie est l’art d’écrire en vers, peut-on lire dans Larousse. Il es évident que cette définition est maintenant (aujourd’hui) dépassée, qu’elle n’est plus juste.

Pour moi la poésie est l’at d’assembler et d’abord de traiter les mots (les paroles) de façon à mordre dans les choses (dans le fond obscur des choses) et de s’en nourrir.

Las poésie est l’art de traiter les paroles de façon à permettre à l’esprit de mordre dans les choses  et de s’en nourrir.

(Il s’agit donc plus que d’une connaissance : d’une assimilation.)

 

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, dans Œuvres complètes, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 788.

12/04/2023

Benoît Casas, Combine

 

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16

La poésie

est expérience

qui subtilise

est apparence

qui varie

la poésie

est l’une des

expansions

de la vie.

 

19

Ce

travail

mettre

des mots

ensemble.

 

25

La poésie

crée

un rapport

de un

à un `

entre

le lecteur

et l’auteur.

 

42

Les poèmes

à chaque prise

à chaque

frappe

dispensent

le temps

et le monde

en surfaces.

 

Benoît Casas, Combine, NOUS, 2023, np.

01/02/2022

John Donne, Poésie

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            Maléfices par un portrait

 

         Fixant ton œil, je m’apitoie

         Sur mon portrait, qu’y vois brûler ;

         Le vois en un pleur qui se noie,

         Plus bas venant à regarder.

              Ayant l’art maléfique

         De me tuer par ma réplique,

Que de fois pourrai-tu combler tes vœux iniques ?

 

         J’ai bu ta douce-amère larme :

         Si tu pleures encor, je pars ;

         Le portrait n’est plus, ni l’alarme

         Qui me puisse navrer ton art.

              S’il me reste une image

         De moi, elle sera, je gage,

Se trouvant dans ton cœur, sauve de tout dommage.

 

John Donne, Poésie, bilingue, traduction Jean Fuzier,

Poésie/Gallimard, 1991, p. 157.

31/01/2022

John Donne, Poésie

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Adieu : sur mon nom gravé sur un verre

 

I

         Mon nom gravé sur cette vitre

Communique ma fermeté au verre même

         Rendu par ce charme aussi dur

        Que l’instrument qui l’a gravé.

Ton œil lui donnera plus de prix qu’aux diamants

         Extraits de l’une et l’autre roche.

 

II

         Pour le verre, tout confesser

Et être autant que moi transparent, c’est beaucoup ;

         Plus encore, te montrer à toi-même,

         Offrant à l’œil l’image claire ;

Mais la magie d’amour abolit toute règle :

Là tu me vois et je suis toi.

 

III

         De même que nul point, nul trait

(De ce nom pourtant les simples accessoires),

         Averses ou tempêtes n’effacent,

         Tous les temps me verront de même :

Mais tu peux mieux encore intègre demeurer,

         Ayant près de toi ce modèle.

[...]

John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,

Imprimerie nationale, 1994, p. 161.

03/12/2021

Paul Valéry, Cahiers, II, Poésie

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Des vers du poème, les uns furent trouvés, les autres faits.

Les critiques disent des sottises qui parlent sur ce poème comme d’un tout, et qui ne considèrent pas la position de l’auteur : combiner, appareiller les vers de ces deux espèces.

Le travail du poète est de faire disparaître cette inégalité originelle ; d’ailleurs, tout travail intellectuel consiste à mettre d’accord pour un but, ce qu’on trouve, et des conditions données d’autre part.

 

Paul Valéry, Cahiers, II, Poésie, Pléiade/Gallimard, 1974, p. 1066.

20/09/2021

Cioran, Syllogismes de l'amertume

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Tant de pages, tant de livres qui furent aux sources d’émotion et que nous relisons pour y étudier la qualité des adverbes ou la propriété des adjectifs.

Combien j’aime les esprits de second ordre (Joubert, entre tous) qui, par délicatesse, vécurent à l’ombre du génie des autres et, craignant d’en avoir, se refusèrent au leur !

L’histoire des idées est l’histoire de la rancune des solitaires.

Rater sa vie, c’est accéder à la poésie — sans le support du talent.

Ne cultivent l’aphorisme que ceux qui ont connu la peur au milieu des mots, cette peur de crouler avec tous les mots.

 

Cioran, Syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 169, 170, 170, 172, 173.

10/07/2021

Christian Prigent, Chino au jardin

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[Chino] monte et descend le long de son jardin comme un élastique énervé avec des pétarades de pancartes à la mitraillette :

 

                           Toute l’écriture

est de la cochonnerie

 

            ou

 

                      La poésie : merde pour ce mot

 

                                       ou

 

                                    Poésie ?

                                  La Haine !

 

 

                                       ou

 

                                    La poésie ?

                                  Inadmissible !

                                                              *d’ailleurs n’existe pas !

 

On n’y co :=prend rien si on n’est pas du coin. Passe ton chemin, touriste au doigt vissé à la tempe ! Si tu lèves le nez vers le bleu du ciel, tu verras circuler dans les courants oscillants quelques parapentistes impatients. Ils attendent een tournicotant qu’on débarrasse le plancher pour atterrir les pieds dans le plat. À moi Antonin ! Francis ! Georges ! Denis ! appelle d’en bas époumoné d’extase de midinet Chino. Qu’on égaille un peu les familles classées par affinités qui patouillent la vase poétiquement dans des crottes de vers ! Et sans transition, il va au-devant d’une petite troupe gaie qui se tord les pieds dans le cailloutis. Car entre les bruyères qui crient les voici ! et les tamaris qui pleurent que tant pis ! s’amènent échevelée de coiffures christiques la clique aux flancs creux en pétard contre tout et rien dont le capital exploiteur du monde, les cloches de Sorbonne qui tout amochissent et la poésie perte de la pensée.

 

Christian Prigent,  Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 214-216.