03/10/2024
Jacques Réda, Les ruines de Paris
Malgré son bébé cette jeune femme a l’œil en coin-du-bois. Je lui demande où trouver une gare ou le 196, et en retour je lui déconseille le sentier d’où je descends. Elle y perdrait certainement la poussette. Sur ses indications bien précises je trouve l’endroit, marqué comme à Paris d’un potelet à tête jaune et rouge, mais l’autobus ne passe jamais. J’écris en haut d’un mur d’où l’on voit s’emballer vers la forêt toute une plaine, qui fut des champs, et qui devient à présent une sorte de savane suburbaine en ondulations pâles au beau soleil. Des émeus, des girafes peut-être, n’étonneraient qu’à moitié.
Jacques Réda, Les ruines de Paris, Gallimard, 1978, p. 118.
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16/10/2023
Paul Verlaine, Jadis et naguère
Paysage
Vers Saint-Denis c’est bête et sale la campagne,
C’est pourtant là qu’un jour j’emmenai ma compagne,
Nous étions de mauvaise humeur et querellions.
Un plat soleil d’été tartinait ses rayons
Sur la plaine séchée ainsi qu’une rôtie.
C’était pas trop après le Siège : une partie
Des « maisons de campagne » était à terre encor.
D’autres se relevaient comme on bisse un décor,
Et des obus tout neufs encastrés au pilastre
Portaient écrit : SOUVENIR DES DÉSASTRES.
Paul Verlaine, Jadis et naguère, dans Poésies complètes,
Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 299-300.
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04/09/2023
Olivier Domerg, La Verte traVersée
Haut-plateau herbu, sitôt quittées les
Zones qui le gangrènent — cancer des
ZI et des ZAC, dépeçant le "PARC" ;
Ce mol foisonnement de la prairie
D’habitude de part en part fleurie,
Et vaguement compartimentée par
Des restes de haies / murets / barbeLAIDS —
Et bientôt relief des monts en pâture,
Cette « douce et odorante vêture »
Occultant l’ancien volcan(TAL ?),
dessous,
Par-ci ou par-là des vaches paissent,
Prés cloisonnés de murets (pierre sèche)
À demi-écroulés et de clôtures.
Gazouillis d’oiseaux malgré la rature
Sonore des camions et des voitures,
Sur la route bientôt paysagère,
Même lorsqu’elle suit une rivière
Qui court, coupant l’épais tapis herbu,
Au fond d’une vallée lovée en « U » :
Trait vif et tortueux que l’eau éclaire !
Olivier Domerg, La Verte traVersée,
L’atelier contemporain, 2022, p. 7.
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11/03/2023
Yves di Manno; Lavis
une vue
cheminant vers
quel paysage effacé
enfermant la vison
dans les plis
du papier
*
une mue ?
s’acheminant
vers un corps sans
passé ni lendemain
une peinture sans paysage
un poème
hors du langage
Yves di Manno, Lavis,
Flammarion, 2023, p. 106-107.
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29/06/2022
Pierre Chappuis, En bref, paysage
Surgissent. Ont surgi. Hêtraie une fois encore (de quel attrait donc ?), vaste, aérée.
Ont jailli, jaillissent à la verticale d’un seul et même mouvement, en foule, jeunes, élancés, sveltes et droits, fusées immobiles rivalisant de hauteur pour, au sommet, mêler leurs branches.
À tire-d’aile, cinq, six canards tracent d’un seul élan, poème, une ligne droite. Invariable, l’intervalle entre chacun d’eux. Leur vol : sûr et néanmoins comme déhanché.
Pierre Chappuis, En bref, paysage, Corti, 2021, p. 37.
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27/06/2022
Robert Desnos, Contrée
Le paysage
J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses
Chargeant de leurs parfums la forêt où repose
Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.
J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose
Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,
Illumine en fuyant l’adieu du carrefour.
C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,
Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit,
L’écume dans la mer, dans le ciel ce nuage,
À vieillir tout devient rigide et lumineux,
Des boulevards sans noms et des cordes sans nœuds,
Je me sens me roidir avec le paysage.
Robert Desnos, Contrée, dans Domaine public, le point
du jour, Gallimard, 1953, p. 391.
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29/11/2021
Robert Desnos, Domaine public
Comme une main à l’instant de la mort
Comme une main à l’instant de la mort et du naufrage se dresse comme les rayons du soleil couchant, ainsi de toutes parts jaillissent tes regards.
Il n’est plus temps, il n’est plus temps peut-être de me voir,
Mais la feuille qui tombe et la roue qui tourne te diront que rien n’est perpétuel sur terre,
Sauf l’amour,
Et je veux m’en persuader.
Des bateaux de sauvetage peints de rougeâtres couleurs,
Des orages qui s’enfuient,
Une valse surannée qu’emportent le temps et le vent durant les longs espaces du ciel.
Paysages.
Moi je n’en veux pas d’autres que l’étreinte à laquelle j’aspire,
Et meure le chant du coq.
Comme une main à l’instant de la mort se crispe, mon cœur se serre.
Je n’ai jamais pleuré depuis que je te connais.
J’aime trop mon amour pour pleurer.
Tu pleureras sur mon tombeau,
Ou moi sur le tien.
Il ne sera pas trop tard.
Je mentirai. Je dirai que tu fus ma maîtresse
Et puis vraiment c’est tellement inutile,
Toi et moi nous mourrons bientôt.
Robert Desnos, Domaine public, Le point du jour/ Gallimard,
1953, p. 103-104.
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25/11/2021
Pierre Chappuis, En bref, paysage
Les arbres et leurs ombres : imbriqués mais droits
— des sapins —, rangs serrés, à gagner, regagner du
terrain sur la neige.
À la nuit reprendra ses positions avancées.
Ciel bas, assombri, lourd à nos épaules — si tant est
que... —
Me tient captif, de si loin, cette prairie enneigée
resserrée sur elle-même, si haut juchée à flanc de
coteau.
Pierre Chappuis, En bref, paysage, Corti, 2021, p. 43.
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24/06/2021
Cole Swensen, Poèmes à pied
(Thoreau)
(...)
Ainsi les arbres vivent pour toujours
un ami de quiconque
est aussi un ami à tes côtés
un arbre révèle
au long de ses marches quotidiennes
de plus âpres voyages
comme la présence
a toujours été
plus intrusive que le sens
et ainsi
un paysage en sa persévérance
est un déploiement sans mesure, permettant
un assaut de lumière renouvelée
par un après-midi qui mène à un autre
et que celui-ci quelque part achève
Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction de l’américain
Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Corti, 2021, p. 33.
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28/04/2021
Francis Ponge, Petite suite vivaraise
Plateau de la Suchère
6 juillet
Tout de suite avant la fenaison, des champs immenses d’une tisane merveilleuse (herbes et fleurs fanées, rousses sur tiges encore droites), limités par des chemins creux comme des filons de pierres et de fleurs vives. D’autres champs de blé encore verts mais légers et tout étoilés à mi-hauteur de bleuets. Et, plus loin, des genêts jusqu’aux sapinières de moyenne hauteur, précédant elles-mêmes ces vieux bois de grands pins éclaircis à leur base, à travers quoi l’on aperçoit la merveilleuse silhouette des hautes Cévennes nues et bleues, aussi nobles et sévères que les Apennins de Mantegna. Et quel temps ! Quel air ! Pour ces premiers plans de Van Gogh et ces fonds de Mantegna.
Franci Ponge, Petite suite vivaraise, Fata Morgana, 1983, p. 8-9.
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09/03/2021
Georg Trakl, Poèmes
Paysage
Soir de septembre ; les sombres appels des
bergers tristement résonnent
À travers le village au crépuscule ; du feu jaillit dans la forge.
Puissamment se cabre un cheval noir ; les boucles de jacinthe de la [servante
Happent l'ardeur de ses pourpres naseaux.
Doucement se fige à la lisière du bois le cri de la biche
Et les fleurs jaunes de l'automne
Se penchent muettes sur la face bleue de l'étang.
Dans une flamme rouge un arbre a brûlé ;
figures sombres de chauve-souris s'élevant en battant des ailes.
Landschaft
Septemberabend ; traurig tönen die dunklen Rufe der Hirten
Durch das dämmernde Dorf ; Feuer sprüht in der Schmiede.
Gewaltig bäumt sich ein schwarzes Pferd ; die hyazinthenen Locken [der Magd
Haschen nach der Inbrunst seiner purpurnen Nüstern.
Leise estarrt am Saum des Waldes der Schrei der Hirschkuh
Und die gelben Blumen des Herbstes
Neigen sich sprachlos über das blaue Antlitz des Teichs.
In roter Flamme verbrannte ein Baum , aufflattern mit dunklen [Gesichtern die Fledermäuse.
Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, Obsidiane, 1986, p. 25 et 24.
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10/07/2020
Arno Schmidt, Scènes de la vie d'un faune
Dehors, un ciel de porcelaine : de blanches ventripotences, des serpillières bleues. En bas, autour de moi, un courant d’air agitait les maigres buissons, comme si, dans les parages, toutes les portes étaient restées ouvertes (ma chemise claquait sur ma poitrine et mes cheveux gris dansaient la carmagnole). Et, pourtant, j’étais toujours en Terre Administrative : les poteaux télégraphiques faisaient escorte à toutes les routes, prenaient gauchement les virages à leurs côtés, tous revêtus de la même livrée brun sombre et rectiligne. Ils n’auront de cesse que chaque mètre carré ne soit tendu de lignes télégraphiques au-dessus de nos têtes et de conduites souterraines sous nos pieds !
Arno Schmidt, Scènes de la vie d’un faune, Christian Bourgois, 1991, p. 89.
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06/06/2020
Jacques Réda, Retour au calme
Juin
Entre les haies qui se rejoignent en ogives
Et brillent ce matin comme un mur de vitraux
De vent, de ciel et d’or mêlés de neige vive,
Le chemin cesse d’avancer, pris d’engourdissement,
On le dirait hanté d’une invisible foule
Prête à chanter et dont les pas suspendus foulent
À peine une herbe droite et qui déjà l’entend.
À travers la chaleur qui s’élève en nuages
Et des épaisseurs de parfums acides ou sucrés,
On voit trembler au bout le plateau sans rivage,
Net et luisant comme un fragment d’éternité.
Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 76.
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23/05/2020
Robert Desnos, Domaine public
Le paysage
J’avais rêvé d’aimer. J’aime encore mais l’amour
Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses
Chargeant de leurs parfums la forêt où repose
Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.
J’avais rêvé d’aimer. J’aime encore mais l’amour
Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose
Ses bûchers aux châteaux, déroute, superpose,
Illumine en fuyant l’adieu du carrefour,
C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,
Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit,
L’écume sur la mer, dans le ciel ce nuage.
A vieillir tout devient rigide et lumineux,
Des boulevards sans noms et des cordes sans nœuds.
Je me sens me roidir avec le paysage.
Robert Desnos, Domaine public, Gallimard, 1953, p. 391.
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11/05/2019
Bernard Vargaftig, Distance nue
`
Cailloux murs pivoines
Et l’ombre
Des sorbiers
N’est plus qu’un mouvement
L’aveu me fait face
Accourir
Était
Une page muette
Paysage comme
Sans rien
Déchirer
L’air touchait où je tremble
Où les chiens se jettent
Où dans l’aube
Les places
Ont le nom d’un instant
Bernard Vargaftig, Distance nue,
André Dimanche, 1994, np.
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