04/01/2019
Michel Collot, Le parti-pris des lieux
Face revêche, le mur lépreux. La suie, la crasse s’y sont accumulés pendant un siècle, incrustées dans le moindre interstice. Sur la paroi le regard glisse, le corps dévisse.
Sous la couche uniforme, enduite d’ennui, transparaissent pourtant quelques zones plus pâles, ou plus sombres, et même des traces de couleur. On croit parfois surprendre deux silhouettes qui s’esquissent. Elles animent un instant la tristesse ambiante, puis disparaissent dans le halo d’un autre noir. Ballet de spectres qui s’esquivent, intermittent.
Mais à l’aurore tout devient clair pour qui sait lire le palimpseste. Les taches roses se recomposent, lettres géantes, majuscules où l’on déchiffre : SAINT-RAPHAÊL, puis en dessous, en lettres minuscules : quinquina.
L’opacité s’est déchirée, l’espace soudain s’est rouvert : je plonge dans la foule, tout requinqué d’avoir trouvé, sous les pavés, la plage.
Michel Collot, Le parti-pris des lieux, La Lettre volée, 2018, p. 58.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel collot, le parti-pris des lieux, palimpseste, aurore, réclame | Facebook |
05/01/2018
Jacques Dupin, L'embrasure
Assumer la détresse de cette nuit pour qu’elle chemine vers son terme et son retournement. Littéralement précipiter le monde dans l’abîme où déjà il se trouve. En chacun se poursuit le combat d’un faux jour qui se succède avec la vraie nuit qui se fortifie. De fausse aurore en fausse aurore, et de leur successif démantèlement par la reconnaissance de leur illusoire clarté, s’approfondit la nuit, et s’ouvre la tranchée de notre chemin dans la nuit. Ce nul embrasement du ciel, reconnaissons sa nécessité comme celle de feux de balise pour évaluer le chemin parcouru et mesurer les chances de la traversée. En effet tous les mots nous abusent. . Mais il arrive que la chaine discontinue de ce qu’ils projettent et ce qu’ils retiennent, laisse surgir le corps ruisselant et le visage éclairé d’une réalité tout autre que celle qu’on avait poursuivie et piégée dans la nuit.
Jacques Dupin, L’embrasure, Gallimard, 1969, p. 95.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Dupin Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques dupin, l'embrasure, nuit, aurore, chemin, traversée, clarté | Facebook |
17/10/2015
Werner Lambersy, Dernières nouvelles d'Ulysse
Sur un aveugle mur blanc
Ici commence le chant
Et le mystère
Du chant
Ensemencé de paroles
Comme les bords
D’un fossé
Par les vents de partout
L’âme dans le lointain
Des plages où il
Pleure sur
La couture de l’horizon
L’aurore roulant
À l’approche du soleil
Son tabac blond
Ici s’écrit
Un poème de pur néant
C’était avant
Que l’avant puisse
Avoir un après
C’est-à-dire nulle part
L’immobile durée
Le temps imbécile
Sans désir
[...]
Werner Lambersy, Dernières nouvelles d’Ulysse,
Rougier V, 2015, p. 29.
| Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : werner lambersy, dernières nouvelles d’ulyss, aveugle, mur blanc, temps, aurore, chaos | Facebook |
25/09/2014
Gilbert Lely, La Femme infidèle,
Écrit à Sainte-Radegonde
Le petit jour d’hiver, tremblant sous ses étoles,
Des tours de Saint-Gratien grisaillait les coupoles.
Amour ! tu m’éveillas dans notre lit bien clos.
Le fleuve Loire en bas roulait ses larges eaux.
Étendu sur le flanc contre Irène-Sylvie,
J’entrai, d’un lent désir, en sa grâce endormie.
Les vitres blêmissaient ; le fils de l’hôtelier,
Une chandelle au poing, descendait l’escalier ;
Et le grand coq lançait, en hérissant sa crête,
Un cri rauque et de pourpre à l’aurore muette.
Gilbert Lely, La Femme infidèle, dans Œuvres poétiques,
éditions de la Différence, 1977, p. 111.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gilbert lely, la femme infidèle, sommeil, désir, aurore | Facebook |