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23/12/2016

Jules Supervielle, Oublieuse mémoire

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             Oublieuse mémoire

 

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire,

Que draines-tu au fond de tes sourdes contrées ?

Est-ce donc là ce peu que tu donnes à boire

Ces gouttes d’eau, le vin que je te confiai ?

 

Que vas-tu faire encor de ce beau jour d’été

Toi qui me changes tout quand tu ne l’as pas gâté ?

Soit, ne me les rends tels que je te les donne

Cet air si précieux, ni ces chères personnes.

 

Que modèlent mes jours ta lumière et tes mains,

Refais par-dessus moi les voies du lendemain,

Et mène-moi le cœur dans les champs de vertige

Où l’herbe n’est plus l’herbe et doute sur sa tige.

 

Mais de quoi me plaignais-je, ô légère mémoire,

Qui avait soif, Quelqu’un ne voulait-il pas boire ?

 

Jules Supervielle, Oublieuse mémoire, dans Œuvres poétiques

complètes, édition Michel Collot, Pléiade/Gallimard,

1996, p. 485.

09/05/2016

Georges Perros, Papiers collés

 

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  Vivre sans arrêt avec une personne, du matin au soir, au bout de huit jours on la déteste. Mais vivre avec soi-même ! Alors on part en voyage, on dédaigne de prendre une valise qui nous rappellerait… Et on arrive dans une chambre d’hôtel où la première chose entrevue est un miroir. (Inutile de le casser.)

 

   J’aime quand j’ai bu un peu. J’épouse la terre plus aisément. Je tourne un peu. Je suis à jeun quant à elle. Cet état de demi-ébriété me ravit. Comme un coma de juste mesure. Celui-là même que j’ai vainement cherché avec les êtres, que je n’espère plus trouver qu’avec moi-même, un jour de musique privilégiée, musique d’accompagnement qui m’adoptera pour thème.

 

Georges Perros, Papier collés, Gallimard, 1960, p. 37, 57.

19/03/2015

Bruno Fern, Le petit test

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1

 

que l’on puisse être = se sen

tir plus noir que meure c’est raccord

(on a tellement tendance à sous-estimer le monde

roule pour lui-même sûr qu’il traverse

des hauts et des bas pas toujours assortis

à l’intérieur hors de portée

incomparable la voix idem

preuve qu’il y a matière)

 

2

 

Juste en buvant la tasse en la croquant

des morceaux du petit lait à consommer

rapidement après ouverture saignant

en pyjama c’est ballot dans le pavillon

8 pièces avec vue imprenable

sur quel espace inex

ploré de la cuisine bien qu’

aménagée au mm

 

Bruno Fern, Le petit test, éditions Sitaudis, 2015, p. 7.

17/09/2014

Jacques Réda, La Course

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Fallait-il qu'on s'embête à crever le dimanche

Pour aller à l'Escale à sept heures du soir

Boire un, deux martinis au gin et sans pouvoir

Jamais s'en payer un troisième. Je me penche

 

De nouveau sur ce tabouret du bar étanche

Où le pluie et le vent, l'air de plus en plus noir

Venaient pourtant rôder jusque vers le comptoir

Anticipant déjà leur facile revanche.

 

On rentrait en effet par la route, au plus droit,

Sous les arbres saisis de fureur ou d'effroi

Entre les pavillons aux louches lueurs d'huile

 

Et les potagers fous écorchés par l'hiver.

Sans rien dire, en songeant que vivre est une tuile

Qu'il eût fallu casser d'un coup de revolver.

 

Jacques Réda, La Course, Gallimard, 1999, p. 85.