10/11/2020
Gottfried Benn, Poèmes
Un mot
Un mot, une phrase — ; des lettres montent
vie reconnue et sens qui fulgurent,
le soleil s’arrête, les sphères se taisent,
tout se concentre vers ce mot.
Un mot — un éclat, un vol, un feu,
un jet de flammes, un passage d’étoiles —
puis à nouveau le sombre le terrible
dans l’espace vide autour du moi et du monde.
Gottfried Benn, Poèmes, traduction Pierre Garnier,
Gallimard, 1972, p. 249.
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13/10/2019
Étienne Paulin, Là
Un carillon
les murs qui n’en sont pas
infligent leurs ombres
ne sont que trop des mots
écrire est une fréquence
cette sonnerie de musique foraine
qu’entendent les malades avant leur crise
mercerie triste
sans fantôme
j’entends son timbre
voilà j’arrive
Étienne Paulin, Là, Gallimard,
2019, p. 26.
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14/02/2019
Paul Claudel, Positions et propositions
On ne pense pas d’une manière continue, pas davantage qu’on ne sent d’une manière continue. (…) Notre appareil à penser en état de chargement ne débite pas une ligne ininterrompue, il fournit par éclairs, secousses, une masse disjointe d’idées, images, souvenirs, notions, concepts, puis se détend avant que l’esprit se réalise à l’état de conscience dans un nouvel acte.Sur cette manière première l’écrivain éclairé par sa raison et son goût et guidé par un but plus ou moins distinctement perçu travaille, mais il est impossible de donner une image exacte des allures de la pensée si l’on ne tient pas compte du blanc et de l’intermittence.
Tel est le vers essentiel et primordial, l’élément premier du langage antérieur aux mots eux-mêmes : une idée isolée par un blanc. Avant le mot une certaine intensité, qualité et proportion de tension spirituelle.
(…)
Dans la prose les éléments primordiaux de la pensée sont en quelque sorte laminés et soudés, raccordés pour l’œil, et leurs ruptures natives sont artificiellement remplacées par des divisions logiques. Les blancs du stade créateur ne sont plus rappelés que par les signes de la ponctuation qui marquent les étapes dans le train uniforme du discours. Dans la poésie, au contraire, le lingot a été accepté tel quel et soumis seulement à une élaboration additionnelle (…).
*
Pas plus que l’inspiration, la poésie n’est un phénomène réservé à un petit nombre de privilégiés. Pas plus que les couleurs ne sont réservées aux peintres. Partout où il y a langage, partout où il y a des mots, il y a une poésie à l’état latent.Ce n’est pas assez de dire et j’ai envie d’ajouter : partout où il y a silence, un certain silence, partout où il y a attention, une certaine attention, et surtout partout où il y a rapport, ce rapport secret, étranger à la logique et prodigieusement fécond, entre les choses, les personnes et les idées qu’on appelle l’analogie1et dont la rhétorique a fait la métaphore, il y a poésie. La texture même du langage, et par conséquent de la pensée, est faite de métaphores… La poésie est partout. Elle est partout, excepté dans les mauvais poètes.
(1) Saint Bonaventure a donné la formule de l’analogie : A est à B comme C est à D.
Paul Claudel, "Réflexions et propositions sur le vers français" et "La Poésie est un art", dans Positions et propositions, Œuvres en prose, Pléiade, 1965, p. 3-4 et 54-55.
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27/01/2019
René Daumal, Le Contre-ciel
Il suffit d’un mot
Nomme si tu peux ton ombre, ta peur
et assure-lui le tour de sa tête,
le tour de ton monde et si tu peux
prononce-le, le mot des catastrophes,
si tu oses rompre ce silence
tissé de rires muets, — et si tu oses
sans complices casser la boule,
déchirer la trame,
tout seul, tout seul, et plante là tes yeux
et viens aveugle vers la nuit,
viens vers ta mort qui ne te voit pas,
seul si tu oses rompre la nuit
parée de prunelles mortes,
sans complice si tu oses
seul venir nu vers la mère des morts
dans le cœur de son cœur ta prunelle repose
écoute-la t’appeler : mon enfant,
écoute-la t’appeler par ton nom.
René Daumal, Le Contre-ciel, Poésie / Gallimard, 1070, p. 61.
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13/03/2018
Joseph Joubert, Carnets, I
On aime qu’une fois, disent les chansons : c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul âge qui soit véritablement propre à l’amour.
Entendez-vous ceux qui se taisent ?
Par le souvenir, on remonte le temps, par l’oubli on en suit le cours.
Nous sommes, dans le monde, ce que sont les mots dans un livre. Chaque génération en est comme une ligne, une phrase.
C’est ici le désert. Dans ce silence, tout me parle : et dans votre bruit tout se tait.
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 110, 130, 135, 139, 155.
Le retour
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08/02/2018
Michel Bourçon, À l'arbre que l'on devient
Nulle empreinte dans cette nuit éblouissante, un val où se perdre dans le noir ponctué de réverbères, ce véhicule de chair dans lequel rien ne bat, l’oubli du sang en ses veines, solstice hivernal du cœur.
Par la fenêtre, parmi le balancement des arbres chahutés par le vent, il y a le livre qui attend d’être écrit, on distingue parmi les branches, la silhouette d’un poème, à pas menus, à pas comptés, se découvre et capitule en souriant au vainqueur.
Dans le jour de neige, seuls les flocons savent ce qu’ils font, pas une aile au ciel pour déchirer le blanc, les mots tourbillonnent en tête et se poseront ailleurs, pas sur la page où un feutre noir repose comme pain sur la planche.
Michel Bourçon, À l’arbre que l’on devient, le phare du cousseix, 2017, p. 3.
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06/01/2018
Rachel Blau DuPlessis, Brouillons (choix de poèmes)
Brouillon 52 : Midrash, 14.
Les mots, est-ce cela qui manque ?
Est-ce la concentration ?
une page foisonne en sous-entendus et en apartés :
pluie, rouille, morne mort, morne vie.
Non. Il ne s’agit pas de ça,
mais le fait que les crocs d’argent des mots
ne peuvent rien contre de plus profonds silence, plus chargés de colère
rien contre la dislocation du désir de mémoire
rien contre d’infixables décombres.
Dès lors, le problème est « zu schreiben », d’écrire ?
D’écrire, voilà tout.
Trop, beaucoup trop de mots.
Apparaux d’auteur
amour propre
forme-matière première
et même, pitié-de-soi.
Vouloir un poème après Auschwitz
c’est —
compréhensible, inaccessible, intenable.
Quel poète pourrait bien vouloir ?
Rachel Blau DuPlessis, Brouillons, traduction et présentation par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 123-124.
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30/11/2017
Esther Tellermann, Carnets à bruire
Dans l’épaisseur
qui rejoint
le trait enfoui
longtemps tu fis
surgir un lieu
grand ouvert
espaces entre
les syllabes défont
les brûlures de
la chaux coulées
tout à coup en amont
de l’érosion.
Esther Tellermann, Carnets à bruire,
La lettre volée, 2014, p. 7.
Les livres amis
Laurent Fourcaut
JOYEUSES PARQUES
Collection DOUTE B.A.T.
212 pages
21.5 cm x 14 cm
ISBN : 978-2-84587-376-6
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13/10/2017
Samuel Beckett, Comment c'est
seul dans la boue oui le noir oui sûr oui haletant oui quelqu’un m’entend non personne ne m’entend non murmurant quelquefois oui quand ça cesse de haleter oui pas à d’autres moments non dans la boue oui à la boue oui moi oui ma voix à moi oui pas à un autre non à moi tout seul oui sûr oui quand ça cesse de haleter oui de loin en loin quelques mots oui quelque bribes oui que personne n’entend oui mais de moins en moins pas de réponse de moins en moins oui
Samuel Beckett, Comment c’est, éditions de Minuit, 1961, p. 176-177.
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26/05/2017
Louis-René des Forêts, Ostinato
Souffrance, détresse, fureur dont il se délivre par le rire, et c’est ainsi qu’on le tient pour un garçon joyeux.
Un mot de trop met tout en péril.
Deux décennies pèsent moins que le trait fulgurant venu en une seconde frapper, déraciner, trancher au plus vif, mettre en pièces.
Louis-René des Forêts, Ostinato, Mercure de France, 1997, p. 27, 93, 147.
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24/05/2017
Jean Paulhan-Georges Perros, Correspondance 1953-1967
Cher Georges
Mardi [8 mars 1960]
(…)
Voici ce qui m’a toujours intrigué, irrité : un Monsieur quelconque fait un discours : de préférence un discours populaire (un peu chaleureux) dans une assemblée populaire (un peu agitée — mais, après tout, la scène peut aussi bien se passer dans un salon). Eh bien, une bonne part des assistants vont penser : « Tout ça c’est des lieux communs, des clichés, des-mots-des-mots » (comme disait l’autre). Mais une autre bonne part : « Quels beaux sentiments, quelles pensées justes, sincères, fondées ! » Or le discours est le même pour tous. Cependant un lieu commun est le contraire d’une forte pensée, un mot est le contraire d’une idée.
Imaginez cent, mille exemples analogues. Les analyses les plus subtiles n’y pourront rien : il faut bien qu’il y ait un lieu de notre esprit où le mot ne soit pas autre chose que la pensée, et les contraires soient indifférents.
À cela rien d’impossible. C’est ce que Nicolas de Cues, Blake, Hölderlin, cent autres, n’ont pas arrêté de dire, d’une part. Et de l’autre : notre esprit ne peut observer qu’à faux : en prélevant sur lui-même la part qui va l’observer. Donc rien ne s’oppose à ce qu’un esprit entier (et donc invisible) soit apte à confondre les contraires, se meuve dans une sorte d’âge d’or où l’action soit le rêve, où le ciel soit la mer : et l’erreur, la vérité.
Jean Paulhan, Georges Perros, Correspondance 1953-1967, édition Thierry Gillybœuf, éditions Claire Paulhan, 2009, p. 221-222.
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17/05/2017
Georges Perros, Papiers collés
Les poètes écrivant mal. C’est leur charme. Si tout le monde écrivait comme Anatole France, lire ne serait plus et définitivement qu’une entreprise maussade. Ils écrivent mal, n’ayant qu’un obstacle mais cet obstacle impossible à franchir. Ils le retrouvent partout. C’est le mot. Ils n’ont pas le loisir d’aller plus avant, c’est-à-dire de penser à quelque chose. À leur sort. À leur misère. À leur condition. Prendre quelqu’un au mot, c’est le sommer dans l’immédiat. Le poète est pris au mot. S’il réfléchit, c’est dans l’angle strict du langage. Une horloge ne pense pas. Elle réduit le mystère, le temps, à sa perpétuelle délibération. Mais aussi bien rend-elle à ce mystère toute son implacabilité, toute sa folle éternité.
Donc un mot ne veut rien dire. C’est grave quand on s’avise que la plupart des hommes utilisent cette monnaie d’échange pour correspondre. Pour aimer. Pour prêter serment. Mais le mot n’aime guère qu’on le presse, qu’on le prenne pour ce qu’il n’est pas. Le poète a compris cela. Il le traite avec discrétion sinon avec indifférence, et le mot donne tout son sens. Et même un peu plus. Il éclate, à maturité, faisant gicler l’image. Non sans donner sa chance à l’idée.
Georges Perros, Papiers collés, Le Chemin/Gallimard, 1960, p. 80-81.
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11/03/2017
Étienne Faure, Vues prenables
Puis les crues avaient délogé les morts
et les cadavres d’animaux qi dormaient sous l’eau
en un boueux désordre.
Une table flottait dans la Seine,
à quel repas en aval conviée, emportée sans hâte
— ce fut à Rouen qu’elle s’arrêta
à l’auberge où Flaubert l’attendait
avec d’autres ; toute la littérature
était là, à boire, à dévorer,
à ne vouloir jamais sortir de l’auberge
que la pluie ne coupât leur vin.
La vie,
sous la besogne outrancière des mots,
ils l’attrapaient comme idée,
pouce, index et majeur ramassés en grappe,
à s’aider de ces mains veinées
où coule en transparence une vieille vendange,
puis pour ne pas finir dans le vin aigre d’un tonneau
juraient, raturaient, buvaient
et contre Accoutumance, chien commun
tirant sa renommée de grammairien
d’une langue asséchée dans le jardin des maîtres,
aux jours de pluie rêvaient la canicule, en crevaient,
belle outre de vin noir — c’était du vent.
Littérature
Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009.
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27/02/2017
Jean-Pierre Chevais, Le temps que tombent les papillons
Je préfèrerais pas
être mort tout
de suite
j’ai
un mot trois
en fait à
vous dire a
près
je rangerai
oh
ça prendra
pas long
temps
si
quelques mots
trop longs
ils
se plieront ja
mais
je les met
trai
en
tre nous
ça
fera bien
les mots
pour finir
c’est bien sur
tout
les longs
Jean-Pierre Chevais, Le temps
que tombent les papillons, Rehauts,
2017, p. 65.
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10/01/2017
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino
Si j’étais peintre et doué pour le dessin
En quelques traits et taches de couleur
J’aurais là sur le papier ce qu’on voit de la campagne par le fond vitré du café :
Au pied des dernières maisons avant la chute en presque falaise
Toits de tuiles qui se distinguent mal de la pierre et briques des murs…
J’aurais là sur mon papier le silence ou l’esprit de Montalcino.
Paysage toscan sans trop de cyprès (il n’y en a pas
Dans les fresques de Lorenzetti à Sienne,
Ou de Signorelli Monte Olivero Maggiore) :
La très large étendue de campagne s’ouvre au loin
Jusqu’à sa remontée vers des Crêtes perdues dans le gris d’aujourd’hui
Taches de verts, et d’autres couleurs de terre
À peine soulignées d’arbres et de buissons.
Je dessine quoi avec des mots ? Et quel rapport
Entre le rythme de mes vers et celui des lignes
Qui tiennent le paysage et l’ouvrent dans l’infini ?
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino, Faï fioc, 2016.
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