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19/01/2024

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil

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L’envers des mots

 

Dans le lit du vent déployé à largeur d’horizon (vacarme, vacarme, un vacarme de déménagement), sur le rivage des saules qui pour un rien  tournent casaque, émoustillés ?

 

Parallèlement, mais à coups d’ébréchures., de crêtes échevelées, retournement intempestif des vagues.

 

L’envers des mots, (quelque ordre, désordre que ce soit) : l’éclat argenté, les plis de l’ample doublure de satin ne déguiseraient la vacuité ?

 

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil, José Corti, 2009, p. 42.

12/04/2023

Benoît Casas, Combine

 

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16

La poésie

est expérience

qui subtilise

est apparence

qui varie

la poésie

est l’une des

expansions

de la vie.

 

19

Ce

travail

mettre

des mots

ensemble.

 

25

La poésie

crée

un rapport

de un

à un `

entre

le lecteur

et l’auteur.

 

42

Les poèmes

à chaque prise

à chaque

frappe

dispensent

le temps

et le monde

en surfaces.

 

Benoît Casas, Combine, NOUS, 2023, np.

03/02/2023

Antoine Emaz, Calme

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au fond  

c’est plus simple qu’en surface

 

il ne reste presque

que du silence

 

on a tout l’espace

 pour laisser filer

quelques étoiles pâles

 

fixer deux ou trois mots qui luisent

balises qui tremblent

lampes tempête

 

et tout le sombre n’est plus vide

plutôt nuit plaid

châle bleu noir

autour sans angles

 

quand tout se tait

sauf la vie son bruit faible

d’eau qui court

ou de cœur

 

le poème ne voudrait pas dire autre chose

 

Antoine Emaz, Calme, Faï fioc, 2016, np

31/01/2023

Antoine Emaz, De l'air

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dans la lumière brute

et le jaune des jonquilles

on est où ?

 

ricochets des mots

sur l’eau de tête

le temps

la masse tranquille d’un dimanche

océan c’est trop dire

plutôt mare étang borné

par la fin de semaine

étier

 

on ferait mieux

de s’atteler

à la semaine qui vient

 

Antoine Emaz, De l’air, Le dé bleu,

2006, p. 62.

31/05/2022

Jila Mossaed, Le huitième pays

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J’écris

Je saisis les mots

comme Robinson Crusoé

quand il trouvait de petites choses

 

J’emporte les mots dans ma grotte

comme un animal affamé

 

J’y ai là une mère qui attend

Lui montre les mots

Nous jouons avec comme deux petites filles

 

Nous les rinçons de leur poussière étrangère

nous nous épanouissons avec eux

 

Je récite mes poèmes et les prononce de telle sorte

que tous dans la grotte puissent les comprendre

 

Jila Mossaed, Le huitième pays, Le Castor Astral, traduction du suédois Françoise Sule, 2022, p. 51.

01/05/2022

Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel,

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   Chaque mot a beaucoup d’habitudes et de puissances ; il faudrait chaque fois les ménager, les employer toutes. Ce serait le comble de la « propriété dans les termes ».

   Mais tout mot est obscur s’il voile un coin du texte, s’il fascine comme une étoile, s’il est trop radieux.

   Il faudrait dans les phrases les mots composés à de telles places que la phrase ait un sens pour chacun des sens de chacun de ses termes. Ce serait le comble de la « profondeur logique dans la phrase » et vraiment « la vie » par la multiplicité infinie et la nécessité des rapports.

   C’est-à-dire que ce serait aussi le comble du plaisir de la lecture pour un métaphysicien.

   Et la cuisinière à sa façon pourrait la trouver agréable. Ou comprendre.

   La règle de plaire serait ainsi autant que possible obéie, ou le désir de plaisir satisfait.

 

Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel, Hermann, 1984, p. 40.

20/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

   

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— Et qui n’aiment ce qui est bien que lorsque cela exprime ce qu’ils pensent.

 

Tous ces écrits dont il ne reste, comme du spectacle d’un ruisseau (roulant quelques eaux claires sur de petits cailloux) que le souvenir des mots qui ont fui.

 

À quelle quantité peut s’élever le nombre de bons livres qu’on peut faire dans une langue ?

 

Voir du monde, c’est juger les juges.

 

Tous les beaux mots sont dans la langue. Il faut savoir les y trouver.

 

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 44, 44, 50, 54, 55.

22/07/2021

Samuel Beckett, L'innommable

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(...) ce sont les derniers mots, les vrais derniers, ou ce sont les murmures, ça va être les murmures, je connais ça, même pas, on parle de murmures, de cris lointains, tant qu’on peut parler, on en parle avant, on en parle après, ce sont des mensonges, ce sera le silence, mais qui ne dure pas, où l’on écoute, où l’on attend, qu’il se rompe, que la voix le rompe, c’est peut-être le seul, je ne sais pas, il ne vaut rien, c’est tout ce que je sais, ce n’est pas moi, c’est tout ce que je sais, ce n’est pas le :mien, c’est le seul que j’aie eu, ce n’est pas vrai, j’ai dû avoir l’autre, celui qui dure, mais il n’a pas duré, je ne comprends pas, c’est-à-dire que si, il dure toujours, j’y suis toujours je m’y suis laissé, je m’y attends, non, on n’y attend pas, on n’y écoute pas, je ne sais pas, c’est un rêve (...)

 

Samuel Beckett, L’innommable, éditions de Minuit, 1953, p. 260-261.

 

23/02/2021

Cioran, Exercices d'admiration, Essais et portraits

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Écrire est une provocation, une vue heureusement fausse de la réalité qui nous place au-dessus de ce qui est et de ce qui nous semble être. Concurrencer Dieu, le dépasser même par la seule vertu du langage, tel est l’exploit de l’écrivain, spécimen ambigu, déchiré et infatué qui, sorti de sa condition naturelle, s’est livré à un vertige superbe, déconcertant toujours, quelquefois odieux. Rien de plus misérable que le mot et cependant c’est par lui qu’on s’élève à des sensations de bonheur, à une dilatation ultime où l’on est complètement seul, sans le moindre sentiment d’oppression. Le suprême atteint par le vocable, par le symbole même de la fragilité !

 

Cioran, Exercices d’admiration, Essais et portraits, Arcades/Gallimard, 1986, p. 204.

10/11/2020

Gottfried Benn, Poèmes

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                Un mot

 

Un mot, une phrase — ; des lettres montent

vie reconnue et sens qui fulgurent,

le soleil s’arrête, les sphères se taisent,

tout se concentre vers ce mot.

 

Un mot — un éclat, un vol, un feu,

un jet de flammes, un passage d’étoiles —

puis à nouveau le sombre le terrible

dans l’espace vide autour du moi et du monde.

 

Gottfried Benn, Poèmes, traduction Pierre Garnier,

Gallimard, 1972, p. 249.

13/10/2019

Étienne Paulin, Là

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         Un carillon

 

les murs qui n’en sont pas

infligent leurs ombres

 

ne sont que trop des mots

 

écrire est une fréquence

cette sonnerie de musique foraine

qu’entendent les malades avant leur crise

 

mercerie triste

sans fantôme

j’entends son timbre

voilà j’arrive

 

Étienne Paulin, , Gallimard,

2019, p. 26.

 

14/02/2019

Paul Claudel, Positions et propositions

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         On ne pense pas d’une manière continue, pas davantage qu’on ne sent d’une manière continue. (…) Notre appareil à penser en état de chargement ne débite pas une ligne ininterrompue, il fournit par éclairs, secousses, une masse disjointe d’idées, images, souvenirs, notions, concepts, puis se détend avant que l’esprit se réalise à l’état de conscience dans un nouvel acte.Sur cette manière première l’écrivain éclairé par sa raison et son goût et guidé par un but plus ou moins distinctement perçu travaille, mais il est impossible de donner une image exacte des allures de la pensée si l’on ne tient pas compte du blanc et de l’intermittence.

         Tel est le vers essentiel et primordial, l’élément premier du langage antérieur aux mots eux-mêmes : une idée isolée par un blanc. Avant le mot une certaine intensité, qualité et proportion de tension spirituelle.

(…)

         Dans la prose les éléments primordiaux de la pensée sont en quelque sorte laminés et soudés, raccordés pour l’œil, et leurs ruptures natives sont artificiellement remplacées par des divisions logiques. Les blancs du stade créateur ne sont plus rappelés que par les signes de la ponctuation qui marquent les étapes dans le train uniforme du discours. Dans la poésie, au contraire, le lingot a été accepté tel quel et soumis seulement à une élaboration additionnelle (…).

                                                          *

Pas plus que l’inspiration, la poésie n’est un phénomène réservé à un petit nombre de privilégiés. Pas plus que les couleurs ne sont réservées aux peintres. Partout où il y a langage, partout où il y a des mots, il y a une poésie à l’état latent.Ce n’est pas assez de dire et j’ai envie d’ajouter : partout où il y a silence, un certain silence, partout où il y a attention, une certaine attention, et surtout partout où il y a rapport, ce rapport secret, étranger à la logique et prodigieusement fécond, entre les choses, les personnes et les idées qu’on appelle l’analogie1et dont la rhétorique a fait la métaphore, il y a poésie. La texture même du langage, et par conséquent de la pensée, est faite de métaphores… La poésie est partout. Elle est partout, excepté dans les mauvais poètes.

 

(1) Saint Bonaventure a donné la formule de l’analogie : A est à B comme C est à D.

 

Paul Claudel, "Réflexions et propositions sur le vers français" et "La Poésie est un art", dans Positions et propositions, Œuvres en prose, Pléiade, 1965, p. 3-4 et 54-55.

 

27/01/2019

René Daumal, Le Contre-ciel

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Il suffit d’un mot

 

Nomme si tu peux ton ombre, ta peur

et assure-lui le tour de sa tête,

le tour de ton monde et si tu peux

prononce-le, le mot des catastrophes,

si tu oses rompre ce silence

tissé de rires muets, — et si tu oses

sans complices casser la boule,

déchirer la trame,

tout seul, tout seul, et plante là tes yeux

et viens aveugle vers la nuit,

viens vers ta mort qui ne te voit pas,

seul si tu oses rompre la nuit

parée de prunelles mortes,

sans complice si tu oses

seul venir nu vers la mère des morts

 

dans le cœur de son cœur ta prunelle repose

 

écoute-la t’appeler : mon enfant,

écoute-la t’appeler par ton nom.

 

René Daumal, Le Contre-ciel, Poésie / Gallimard, 1070, p. 61.

13/03/2018

Joseph Joubert, Carnets, I

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On aime qu’une fois, disent les chansons : c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul âge qui soit véritablement propre à l’amour.

 

Entendez-vous ceux qui se taisent ?

 

Par le souvenir, on remonte le temps, par l’oubli on en suit le cours.

 

Nous sommes, dans le monde, ce que sont les mots dans un livre. Chaque génération en est comme une ligne, une phrase.

 

C’est ici le désert. Dans ce silence, tout me parle : et dans votre bruit tout se tait.

 

Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 110, 130, 135, 139, 155.

 

 

                           Le retour

 

Joseph Joubert, Carnets, I, aimer, souvenir, oubli, mot, désert

08/02/2018

Michel Bourçon, À l'arbre que l'on devient

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Nulle empreinte dans cette nuit éblouissante, un val où se perdre dans le noir ponctué de réverbères, ce véhicule de chair dans lequel rien ne bat, l’oubli du sang en ses veines, solstice hivernal du cœur.

 

Par la fenêtre, parmi le balancement des arbres chahutés par le vent, il y a le livre qui attend d’être écrit, on distingue parmi les branches, la silhouette d’un poème, à pas menus, à pas comptés, se découvre et capitule en souriant au vainqueur.

 

Dans le jour de neige, seuls les flocons savent ce qu’ils font, pas une aile au ciel pour déchirer le blanc, les mots tourbillonnent en tête et se poseront ailleurs, pas sur la page où un feutre noir repose comme pain sur la planche.

 

Michel Bourçon, À l’arbre que l’on devient, le phare du cousseix, 2017, p. 3.