16/02/2014
Guy Goffette, Un Manteau de fortune
Défense de Verlaine
Pauvre Lélian, mon vieux Verlaine, vil défroqué,
qu'ils disent, toute débauche et sale et laid comme
un cochon de Chine, et poivrot par-dessus et,
par-dessous la vase verte quoi ? quoi qui sonne
et qui reste à ton crédit ? une âme qui file
doux sous la laine et vague un peu dans les brouillards ?
mais cette âme-là, cachée sous le noir sourcil,
est d'un ange, ô fruste certes, louche et braillard
comme un arbre peint par la tempête d'un ange,
vous dis-je, qui se fiche bien du tiers et du
quart, pourvu que l'eau des yeux dans son vers se change
en un vin léger qui tremble quand on l'a bu,
tremble encre, tremble longuement, tremble et trouble
jusqu'au lit où, rivières, nous couchons nos vies
petites, blêmes, racornies et parfois doubles
aussi, moins exposées aux vents de toute envie
que toi, Verlaine, parmi les plumitifs et les
rassis, toi, vieil enfant rebelle à tout ce qui
pèse ou qui pose, boiteux à la route ailée
avec l'âme tendre à jamais dans son maquis.
I. Travaux d'aveugle
Ô bucheron assis dans l'ombre
que réveillait l'enfant des bois
près de Rambervilliers, tais-toi,
laisse chanter la voix sans nombre
de l'arbre couché dans ses feuilles.
Elle a comme une femme blonde
dans le sillage de ses pas
jeté le sel du rêve, elle a
cousu nos âmes vagabondes
à la voile bleu de son œil.
Et nous voici, tâchant dans l'ombre
avec des mots de rien des voix
perdues, et des touchers de soie
comme un marieur de décombres
dans tes dentelles, ô poésie.
Guy Goffette, Un Manteau de fortune, suivi de
L'adieu aux lisières et de Tombeau du Capricorne,
Préface de Jacques Réda, Poésie/Gallimard, 2014,
p. 71-72, 83.
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15/02/2014
Malcom Lowry, Poèmes, traduction Jean Follain
Dans la prison d'Oaxaca
J'ai connu la cité d'atroce nuit
bien plus atroce que celle que connurent
Kipling ou Thomson...
une nuit où la dernière graine d'espérance s'est envolée
de l'esprit évanescent d'un petit-fils de l'hiver.
Dans le cachot cet enfant alcoolique frissonne
réconforté par l'assassin car la compassion ici aussi se montre ;
les bruits nocturnes y sont appels au secours
provenant de la ville, du jardin d'où l'on expulse les destructeurs ?
L'ombre du policier se balance sur le mur
l'ombre de la lanterne forme tache noire sur le mur
et sur un pan de la cathédrale oscille lentement ma croix
— les fils et le grand poteau télégraphique remuant au vent —
Et moi je suis crucifié entre deux continents.
Aucun message n'arrive du dehors en pleurnichant
pour moi qui demeure ici
mais que de messages pour moi venant d'ici
où l'on signe syphilis et chaude pisse avec du Sloane liniment
mais selon l'un ou l'autre on varie la dose
Malcom Lowry, Poèmes, traduction Jean Follain, dans Les Lettres Nouvelles, "Malcom Lowry", mai-juin 1974, p. 225.
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14/02/2014
Jean Genet, Le condamné à mort, l'enfant criminel, le funambule
La galère
Un forçat délivré rude et féroce lance
Un chiourme dans le pré mais d'une fleur de lance
Le marlou Croix du Sud l'assassin Pôle Nord
Aux oreilles d'un autre ôtent ses boucles d'or.
Les plus beaux sont fleuris d'étranges maladies.
Leur croupe de guitare éclate en mélodies.
L'écume de la mer nous mouille de crachats.
Sommes-nous remontés des gorges d'un crachat ?
On parle de me battre et j'écoute vos coups.
Qui me roule Harcamone et dans vos plis me coud ?
Harcamone aux bras verts hauts reine qui vole
Sur ton odeur nocturne et les bois éveillés
Par l'horreur de son nom ce bagnard endeuillé
Sur ma galère chante et son chant me désole.
Les rameaux alourdis par la chaîne et la honte
Les marles les forbans ces taureaux de la mer
Ouvragé par mille ans ton geste les raconte
Et le silence avec la nuit de ton œil clair.
[...]
Jean Genet, Le condamné à mort, l'enfant criminel, le funambule, L'Arbalète, 1958 [1945], p. 51-52.
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13/02/2014
Brantôme, Recueil d'aulcunes Rymes de mes jeunes Amours
Sonnet
Vous, Amans, qui avez, jusques au ciel d'Amour,
Or tristes, or gaillards, développé voz ailes,
De voz desirs remplis de joyes immortelles,
Si vous avez senti ses secretz quelque jour,
Pour Dieu, ne desdaignez discourir à mon tour,
La joye et le plaisir qu'eurent ces ames belles,
Lors que dedans leur lit de si douces cordelles,
S'entrelaçant si fort, n'estoient point à sejour.
Je ne puis, quant à moy, chetif et miserable,
Vous discourir en rien cet heur si delectable ;
Le sort de mon amour est si fort malheureux
Que je n'en puis conter qu'une peine et tristesse,
Et un mal-traitement d'une rude maistresse ;
Je vis ainsi chetif et vous autres heureux.
Brantôme, Recueil d'aulcunes Rymes de mes jeunes Amours, édition établie et préfacée par Louis Perceau, Georges Briffaut, 1927, p. 93.
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12/02/2014
Joseph Joubert, Carnets, I
Le seul moyen d'avoir des amis, c'est de tout jeter par les fenêtres, de n'enfermer rien et de ne jamais savoir où l'on couchera le soir.
On ne devrait écrire ce qu'on sent qu'après un long repos de l'âme. Il ne faut pas s'exprimer comme on sent, mais comme on se souvient.
Enseigner, c'est apprendre deux fois.
Ceux qui n'ont à s'occuper ni de leurs plaisirs ni de leurs besoins sont à plaindre.
Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.
Aux médiocres il faut des livres médiocres.
Les uns disent bâton merdeux, les autres fagot d'épines.
L'un aime à dire ce qu'il sait, l'autre à dire ce qu'il pense.
Évitez d'acheter un livre fermé.
Ce monde me paraît un tourbillon habité par un peuple à qui la tête tourne.
Joseph Joubert, Carnets, I, textes recueillis par André Beaunier, avant-propos de J.P. Corsetti, préface de Mme A. Beaunier et A. Bellesort, Gallimard, 1994 [1938], p. 73, 79, 143, 143, 161, 165, 172, 176, 183, 183, 211.
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11/02/2014
Philippe Beck, Lyre dure
Les éditions NOUS ont quinze ans
Lyre d'& XIV
Une lyre loin, que dit-elle ?
Elle fait un bruit de corde de mer,
le chant-courrier des vagues dessous,
harpe d'ondes vers le nom-cercle,
comme une grille libre d'images.
Elle lance la tresse de mots
d'eau et d'air vers
famille portée.
Dicter = composer ;
décrire = copier ;
et enformer, débriser,
après Villon.
Comme pluie-soleil
et hommage.
Bien.
Elle soigne
des pensées,
des fleurs dehors
ou dessous.
Des enveloppes claires
comme demi-cercle
ou convexe + concave
pour un ovale.
Il y a des bouquets de signes
bien rythmés,
un navire,
le cœur plaintif i
et invocatif,
un poème de temps
rudement fait
plutôt qu'un rommant.
Il fait des notices
et un Livre Hystorial.
Tu accommodes le Livre
qui passe dans la distance.
Opticienne au bain
révélateur.
Dans les plis de l'eau passante.
Je veille.
Philippe Beck, Lyre dure, NOUS, 2009, p. 73-74.
Philippe Beck vient de publier Opéradiques, Poésie /Flammation.
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10/02/2014
Milo De Angelis, Thème de l'adieu, préface de Jacques Demarcq
Les éditions NOUS ont quinze ans
Pas de gloria in excelsis, mais un fouillis
nerveux, un grincer de sons et les yeux
fixes en bas, ce rien
qui garde froide la pensée, ce tremblement
d'ampoules et d'aiguilles, quelque chose
qui s'enferme dans son cri. Le visage
touchait déjà sa terre, voyait l'écoulement
pâle des phénomènes
oh alors, disais-je, dors
et pourtant j'étais avec toi
et tu n'étais pas avec moi
*
Dans l'infranchissable minute reviennent tous
les jardins de notre vie,, toutes les ombres
que nous avons piétinées, les feuilles,
les saluts, souffles en sursauts, étés, phrases
comme enterrées, enterrements
qui semblent avoir eu lieu.
Milo De Angelis, Thème de l'adieu, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, Préface de Jacques Demarcq, 2010, p. 37, 76.
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09/02/2014
Sanguineti, Corollaire, traduction Patrizia Atzei & Benoît Casas
Les éditions NOUS ont quinze ans
pour toi je les ai éprouvés (et pour toi je les éprouve ma chérie) : et de ce que [tu vois,
tu le vois, il s'agit :
il y a comme un pré, une rive (un rivage), avec des roseaux,
avec des herbes en fleur, avec des zones lacustres ou palustres (le cadrage est [serré :
on voit, et on devine, peu et mal) : et deux couples d'oiseaux aquatiques voilà,
justement, âprement se becquettent, se déchirent (et, déchirés, se déplument) :
mais
trois autres volatiles (mais inaccoutumés, inadaptés au vol), trottinant paisibles,
apaisés (ce que je désigne ici, respectivement, par S, et par T, et enfin par R),
se tiennent là dans un coin, gauchement sereins :
(pourtant observe-les, ici, avec moi, ils palpitent) :
Edoardo Sanguineti, Corollaire, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, préface de Jacques Roubaud, NOUS, 2013, p. 38.
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08/02/2014
Dominique Buisset, Quadratures, postface de Jacques Roubaud
Les éditions NOUS ont 15 ans...
www.editions-nous.com
Parascève
16
De tout faire une ligne de mots
tout réduire à cette noircissure
peu à peu dont se griffe la page
grincement où s'étouffe la rage
et se dénoue le piège d'émo-
tion que rend la vieille narcissure
à moi regardante et pas si sûre
d'aimer reconnaître au tavelage
du miroir un saugrenu jumeau.
*
Quadratures
11
Universelle maison de l'équivoque
amour à travers tant de chambres couru
— et nous les habitons tantôt tantôt l'une
l'autre toujours si mal qu'elle nous le rend
bien — de ce monde où toute prise nous fuit
et c'est un leurre de tenir, où jamais
le milieu n'est juste ni l'instant rendu
— seule dure à perte la rage —, rends-le
nous, et sa piqûre dont s'ourlent de nous
les nuages filant par dessus tout vite
dans l'équivoque biais de l'universel.
Dominique Buisset, Quadratures, postface
de Jacques Roubaud, NOUS, 2010,
p. 91 et 19.
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07/02/2014
E. E. Cummings, font 5, traduction de Jacques Demarcq
Les éditions NOUS ont 15 ans
www.editions-nous.com
Quatre
XIV
il y a si longtemps que mon cœur n'a été avec le tien
serré par nos bras nous mêlant dans
une obscurité où de nouvelles lumières naissent et
grandissent,
depuis que ton esprit a parcouru
mon baiser tel un étranger
dans les rues et les couleurs d'une ville —
ce que j'ai peut-être oublié
oh oui, toujours (avec
ces pressantes brutalités
du sang et de la chair) l'Amour
se forge des gestes très progressifs,
et taille la vie pour l'éternité
— après quoi nos êtres se séparant sont des musées
remplis de souvenirs joliment empaillés
E. E. Cummings, font 5, traduction et postface de Jacques Demarcq, NOUS, 2011, p. 91.
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06/02/2014
Mina Loy, Manifeste féministe & écrits modernistes
Les éditions NOUS ont 15 ans...
www.editions-nous.com
Le dernier livre paru : Mina Loy [1882-1966]
Manifeste féministe [1914]
Le mouvement féministe tel qu'il est constitué à présent est
Imparfait
Femmes si vous souhaitez vous accomplir — vous êtes à la veille d'un soulèvement psychologique dévastateur — toutes vos illusions domestiques doivent être démasquées — les mensonges des siècles sont à congédier — Êtes-vous préparées à cet arrachement— ? Il n'y a pas de demi-mesure — NUL coup de griffe à la surface du monceau d'ordure s de la tradition ne conduira à la Réforme, la seule méthode est une Démolition Absolue.
Cessez de placer votre confiance dans la législation économique, les croisades contre le vice & l'éducation égalitaire — vous glosez à côté de la Réalité
Des carrières libérales et commerciales s'ouvrent à vous —
Est-ce là tout ce que vous voulez ?
[...]
Aphorismes sur le modernisme
Le MODERNISME est un prophète criant dans le désert que l'Humanité épuise son temps.
La MORALE a été inventée comme excuse pour assassiner le voisinage.
Les ANARCHISTES en art en sont les aristocrates immédiats.
Notes sur l'existence
La guerre n'a laissé aucune trace en nous à l'exception de la disgrâce de quelques vieilles dames qui publiquement se vautrent sur la tombe de leurs fils alors qu'elles auraient dû savoir comment mieux les élever.
Tomber amoureux est un tour de passe-passe qui consiste à magnifier un être humain à des proportions telles que toutes les comparaisons s'évanouissent.
Considérant ma vie passée, je peux en tirer une loi absolue de la physique — que l'énergie est toujours perdue.
Mina Loy, Manifeste féministe & écrits modernistes, traduction [de l'anglais] et préface d'Olivier Apert, NOUS, 2014, p. 15-16, 49, 50, 51, 59, 61, 61.
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05/02/2014
Antoine Emaz, Plaie — note à propos d'Antoine Emaz, Flaques
les heures passent
à la manivelle
au hachoir
on les force à passer
sans rien faire
l'horloge resterait bloquée
avec ses poids
au bout de leurs cordes
et le gros balancier de cuivre
immobile
arrêté
ce jour-là
ce lieu mental
attire
dès qu'on s'en approche
comment
désactiver
on pourrait partir loin
cela ne changerait rien
il faut remettre en état
la tête
absorber
le choc
ensuite seulement on pourra voir peut-être
s'il y a du ciel plus bleu et pas d'hiver
ailleurs
Antoine Emaz, Plaie, encres de Djamel Meskache,
Tarabuste, 2009, p. 79-80.
*
Note à propos du dernier livre d'Antoine Emaz, Flaques, encres de Jean-Michel Marchetti, centrifuges, 2013, 110 p., 12, 50 €.
Depuis 2003 avec Lichen lichen, parallèlement aux livres de poèmes, Antoine Emaz publie des notes. Il s'agit d'extraits de ses carnets, sorte de fourre-tout où ce qui arrive au jour le jour est consigné, pour une raison ou une autre. Pas de doute, ces fragments retenus sont bien « à mi-chemin d'un peu tout et n'importe quoi : description, poème, pensée, journal, bon mot, critique, ébauches... » (47). La liste n'est pas exhaustive, et il faut ajouter que le lecteur passe de propositions sur la poésie à des remarques sur le rassemblement, dans Sauf (2011), de plusieurs livres, de réflexions sur la lecture de Titus-Carmel à des citations de Klee (sur la forme), de Reverdy ou de Joubert, du commentaire d'une émission de radio consacrée à Sylvia Plath à une esquisse d'analyse du narcissisme. Il y a, dira-t-on, un désordre qui rend la lecture difficile, puisque les notes semblent ne donner que la « vie à vif » (56), sans l'organisation qui a abouti, comme l'écrit Antoine Emaz, aux Petits traités de Quignard.
Ce serait pourtant une lecture myope que de ne pas reconnaître des lignes de force dans Flaques. Le titre — un seul mot, comme le titre des livres de poèmes — évoque le minuscule (ce qui reste après la pluie), ce à quoi on ne s'arrête pas, comme les précédents titres des recueils de notes, Cambouis, Cuisine ou Lichen lichen, et Antoine Emaz s'interroge sur le lien qui pourrait être établi entre les poèmes et le « ramasse-miette du vivant » (62) que sont à ses yeux les carnets. Les notes en effet, on l'a dit, retiennent ce qui passe et s'oublie, s'attardant aussi bien sur un passage d'étourneaux, « nuages d'oiseaux » (73) que sur la figure d'un homme âgé qui chantonne La valse brune à la caisse d'un supermarché. Mais comment ne pas s'apercevoir que certains de ces regards sur le quotidien sont aussi le matériau de la poésie d'Antoine Emaz.
Le livre s'ouvre sur ce qu'est la vie pour chacun ("on"), « Ne plus rien avoir à retenir : la vie va, on est dans son courant muet. Il y a là, un moment, non pas une joie, mais une forme précaire de paix » (9), motif repris à diverses reprises — « le gros du temps d'une vie est linéaire, répétitif, quotidien. » (33). Ce début est suivi d'une affirmation sur le fond de l'écriture, motif récurrent dans les écrits d'Antoine Emaz, et constitue une charpente de Flaques : « Le plus important de ce que tu vis n'est pas forcément le plus important à écrire. L'essentiel, c'est ce que tu peux écrire de vivre. » (9) Le lecteur ne sera pas surpris de lire ces deux propositions réunies dans la dernière phrase du livre : « [si l'artiste] ne peut plus vivre écrire publier, alors très vite, il va mal et manque d'air. » (103)
Parallèlement, ce qu'est la poésie, et plus largement le fait d'écrire, sont des thèmes qui reviennent sans cesse dans Flaques ; parlant de la table où il s'installe pour écrire, face au jardin, il note : « C'est là que je me sens à ma place, qu'il y a du plaisir à vivre un peu comme si le monde des mots, des livres était devenu prioritaire sur le monde des hommes. Même s'il s'agit d'un retrait, pour rejoindre au bout. » (22). Quant à la poésie, faut-il la définir ? Il propose une formule : « Du vif qui] se cristallise en mots » 29), ou reprend Philippe Beck, même s'il s'estime loin de son écriture : la poésie, un « engin de captation du monde sans merveilleux » (91). Mais ailleurs : « Parce que la poésie est sans définition, on continue d'en proposer » (72). On peut au fil des pages relever les doutes — que restera-t-il de ce qui s'écrit aujourd'hui ? —, mais ce qui est assuré, c'est la certitude que l'art — l'écriture— est le premier pôle de la vie, si l'on entend toujours que « vivre reste premier » (87).
Note parue dans Sitaudis.
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04/02/2014
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers
Une semaine avec James Sacré
Animaux
I
Animaux velus sales et grossièrement familiers je vous vois : je lèche un sexe rouge et me réfugie dans vos fourrures et près de vos dents.)
Langage
Nul animal n'y est sauf
Grand cheval rouge ou licorne grande
Misère le mien (lequel ?) m'arrache
Des larmes il traîne à l'envers la charrue
Je rage quoi disparaît
Dans le temps parti je langage
Je vais rêver l'été sera clair il faudra un texte qui prenne régulier le format de la page voilà au centre de l'enfance (l'été s'y abreuve) un cerisier grandit la lumière est l'évidence du bleu je vois par dessus des buissons un bord de tuiles une maison je regarde je désire un poème qui serait du silence le même bleu (j'y bois la transparence de nulle écriture) au centre un cerisier n'y rêve pas que je meurs.
[...]
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 27-28.
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03/02/2014
James Sacré, Lorand Gaspar, Mouvementé de mots et de couleurs
Une semaine avec James Sacré
Je regarde des photos qui m'accompagnent. Retour
À des endroits connus, croit-on, mais n'en reste
Qu'un brasillement de couleurs dans la mémoire, et l'immense
Mouvement du ciel qui fait aller ses bleus et ses nuées
Comme une caresse exaspérée
À tout ce paysage d'été sec et d'arbres pétrifiés.
Des photos que les nuages
N'y bougent plus.
Leur couleur aussi pétrifiée.
Quelque part un œil méduse opère et c'est nulle part
Entre le temps qui n'existe plus et le paysage arrêté.
Son œil de pierre aveugle,
Celui de l'appareil photo, ou l'œil d'encre
Du poème arrêté.
James Sacré [poèmes], Lorand Gaspar [photographies], Mouvementé de mots et de couleurs, Le temps qu'il fait, 2003, p. 50.
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02/02/2014
James Sacré, Donne-moi ton enfance
Une semaine avec James Sacré
Un p'tit garçon, je sais plus
Si on cherche bien rien de si puéril ni de vraiment gentil dans ces années disparues. Tous autant qu'on est sait-on pas les gestes surtout méchants, tout le mauvais désir de vivre à la place de l'autre, les jeux cruels poursuivis jusque dans les tendresses qu'on avait ? Et l'indifférence du ciel qui t'emporte en ses tempêtes, l'enfance poussière et paille tout un vol de petits démons dans un grand pet du vent. Forcément que la vie sent mauvais. Faut s'y faire.
*
On finit par se souvenir de choses qu'on n'a peut-être pas vécues quelqu'un t'a raconté vieille femme du village là-bas que tu crois maintenant voir son beau visage qui t'accueille au monde maman t'avait laissé tout seul au bout du champ dans la petite voiture d'enfant, presque rien mais comme si d'un coup la parole t'était donnée avec l'autre et l'ampleur du monde... l'enfance a-t-elle commencé avec le premier souvenir qu'on a ? Et si on l'a quittée en même temps que des culottes courtes ? Personne te dira jamais. La vieille femme du village en savait rien non plus.
James Sacré, Donne-moi ton enfance, Tarabuste, 2013, p. 21.
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