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03/03/2014

Jacques Roubaud, Ode à la ligne 29 des autobus parisiens

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                                                               Chant I

                                                   Strophe première

                                                   Du terminus saint-Lazare

                                                    à l'arrêt Havre-Haussmann

  

L'autobus vingt et neuf,     départ de saint-lazare

           Comme la ligne vingt

                     Ce n'est pas par hazare

                     Les lignes dont le nom     commence par un deux

                     Partent toutes

                          Partaient

                     Des lazaréens lieux

                             À moins que dépecée     un jour par un caprisse

                             De la èr-a-té-pé     quelqu'un ne finisse

                             Ailleurs : ainsi le vingt     et deux à l'opéra

                             Célèbre par son chic     et par ses petits ra

                                   Ce haut lieu musical     où des milliers se prèsse

                                   Tels des touristes zen     partance vers la grèsse

                                    Pour entendre don juan,     falstaff  ou turandot

                                    Avec plus de ferveur      qu'en attendant godot

                                        De mauroy disait     quidam dedans la poste

                                        Confondant avec la     rue où fidèle au poste

                                        La donzelle chanté'     par brassens opérai

                                        Le recrutement d'un     client bien argentai

                                             J'insère ici deux vers     que je vous donne en primes

                                             Afin de respecter     l'alternance des rimes

                                           Dans un film de clouzot     autre confusi-on

                                            Analogue on entend

                                                  Belle précisi-on

                                            "On ne badine pas     avec l'amour" d'alfrède 

                                             De musset

                                                      Admirez !

 

                                        [...]

 

                            Jacques Roubaud, Ode à la ligne 29 des autobus parisiens, éditions

                            Attila, 2012, p. 11.

 

 

 

 

 

02/03/2014

Pierre Bergounioux, Obazine

Pierre Bergounioux, Obazine, bibliothèque, livre, imagination, Hamlet

   Lorsqu'il m'a pris fantaisie de chercher, à la bibliothèque municipale de la sous-préfecture natale, les livres qui se rapporteraient à la contrée à ses habitants et, pourquoi pas, à la bibliothèque elle-même, qui était un endroit très étrange, je ne les ai pas trouvés. J'ai supposé que des titres trompeurs, comme Le Rouge et le noir, par exemple, en dissimulaient le contenu effectif ou que j'avais mal cherché. C'est plus tard, à la réflexion, que j'ai compris. Ils étaient restés dans l'encrier.

   L'expérience de la lecture présentait, pour ce qui nous concernait, un caractère essentiellement contradictoire et, par suite, très déconcertant. Les livres parlaient invariablement d'endroits où l'on n'avait jamais mis les pieds, de gens différents avec d'autres vues, un autre langage tandis qu'il n'y était jamais fait mention des lieux familiers, de leurs occupants.

   Ou bien les personnages n'avaient d'existence que sur le papier ou bien ils avaient un répondant palpable quelque part, au loin, et c'est pour cette raison que l'univers exigu, terne, somnolent qui nous était alloué, n'apparaissait jamais dans l'espace sacralisé compris entre les plats de couverture des ouvrages imprimés. Aux complications du romanesque, qu'on finit par débrouiller, s'ajoutait une incertitude irréductible, qui était de savoir si les ambitions, les procédés, les réflexions que l'amour prêtait aux protagonistes du récit étaient le fruit de sa seule imagination ou s'ils étaient gagés sur une réalité aussi tangible que la nôtre. Auquel cas, pour parodier amèrement Hamlet, il y avait infiniment plus de choses au ciel et sur la terre que dans toute notre philosophie.

 

Pierre Bergounioux, Obazine, Le lieu de l'archive, supplément à la lettre de l'IMEC, 2013, p. 10-11.

01/03/2014

Paul Valéry, Cahiers, II, Poésie

                                               Paul Valéry, Cahiers, II, Poésie, inspiration, émotion, universel

                                   Poésie

 

   C'est une plaisanterie usée de dire que le poète exprime ses douleurs, ses grandeurs et ses aspirations dans ses vers. Cela n'est vrai que de poètes vulgaires comme Musset — Encore...

   Il est trop clair que le vers installe un autre monde que celui des affaires personnelles d'un poète, lesquelles n'intéressent pas directement l'universel.

   Il est vrai que sa tournure d'esprit, ses humeurs dominent ses mouvements internes, et l'excitent de telle ou telel façon, mais indirectement par rapport à la poésie.

   L'art est précisément tel qu'il rend les tourments imaginaires indiscernables des réels. Il n'y a besoin que d'une force très faible pour remuer des masses énormes quand des machines sont interposées. Un enfant fait sauter une montagne en pressant un bouton. L'accumulateur est langage. Toute l'attention du vrai artiste est portée sur la manœuvre des représentations et des émotions, bien plus que sur leur potentiel. C'est en tant qu'elles sont manœuvrables qu'il les connaît e tles sollicite. Le minimum de présence et d'intensité actuelles et le maximum d'obéissance et d'intensité probables chez le lecteur, sont liés.

 

Paul Valéry, Cahiers, II, édition établie, présentée et annotée par Judith Robinson, Pléiade / Gallimard, 1974, p. 1094.

28/02/2014

Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour

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   La convocation

 

Ici

On convoque.

 

Ici

Enfin la multitude

Se tient.

 

Combien sont serrés

Dans les rangs

 

Dans la meute.

 

Silence

 

Et cris figés

Dedans.

 

Incapables de monter...

 

Surface.

Bord ultime

Avant poussées

Et déferlement.

 

Tout ce silence

Bruissant sous la clôture.

 

Couvercle dessus

Pour empêcher.

 

Transpire

Bouge

Dois tenir

Parmi.

 

Objets aussi

Sont multitudes

À l'orée

Sans mouvement.

 

Lieu ferme.

 

Bouche avec corps

Chiffons.

 

Ne dois pas

Ne dois pas.

 

Peuple du devant

En lisière.

 

Respire

Une fois sur deux.

 

Pour eux

Soustraits

 

Hors souffle.

 

Sous cette peau tendue.

 

Qui contient

Et retient.

 

Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour,

éditions Unes, 2013, p. 43-44.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

27/02/2014

Jean de Sponde, Œuvres littéraires, Les amours

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                       Les amours

 

                           XXIII

 

   Il est vray, mon amour estoit sujet au change,

Avant que j'eusse appris d'aimer solidement,

Mais si je n'eusse veu cest astre consumant,

Je n'aurois point encor acquis ceste loüange.

 

 

   Ore je voy combien c'est une humeur estrange

De vivre, mais mourir, parmy le changement,

Et que l'amour luy mesme en gronde tellement

Qu'il est certain qu'en fin, quoy qu'il tarde, il s'en vange.

 

   Si tu prens un chemin apres tant de destours,

Un bord apres l'orage, et puis reprens ton cours,

En l'orage, aux destours, s'il survient le naufrage

 

   Ou l'erreur, on dira que tu l'as merité.

Si l'amour n'est point feint, il aura le courage

De ne changer non plus que fait la verité.

 

Jean de Sponde, Œuvres littéraires, introduction et notes par Alan Boase, Droz, 1978, p. 71.

26/02/2014

Paul de Roux, Entrevoir , préface de Guy Goffette

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              Verger abandonné

 

La mousse du vieux poirier

patiente et douce murmure :

« Ne bougez pas »

et la solidité du bois

du bon vieux tronc

est douceur aussi

et sûr appui.

 

 

                Stèle pour un corbeau

 

Lui aussi menait sa vie, ce corbeau

dont je n'ai vu que le cadavre efflanqué

les plumes noires collées à la terre gluante

sous la frondaison des châtaigniers en fleurs

— c'était en mai. Ce matin de septembre

parmi les premières bogues chues

je ne retrouve pas une plume.

Mais tandis que je bats les feuilles mortes, soudain

dans le bois de la Montagne de Reims

un croassement s'élève, comme en écho

à ma rêverie mélancolique.

 

Paul de Roux,  Entrevoir suivi de Le front contre la vitre et de La halte obscure, préface de Guy Goffette, Poésie / Gallimard, 2014, p. 98, 105.

25/02/2014

Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005 (2)

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L'amour d'un jardin, d'une maison à restaurer, d'un palimpseste à déchiffrer. Voilà ce qui unit. On ne partage que le travail.

 

Tout se résume en cela : l'insatisfaction de soi-même.

Alors que l'on n'a que trop tendance à attribuer à autrui la responsabilité de son état. Toute doctrine qui exalte la liberté et la responsabilité de la personne est, de ce point de vue, excellente.

 

Plus un art est grand, moins on peut en voir de pièces. On s'aperçoit soudain que tel tableau, telle sculpture dit tout ce que l'on était susceptible d'entendre à l'instant et il ne reste plus qu'à s'éloigner pour ne pas être indigne de nouvelles rencontres.

 

                                                           Jour et nuit

 

                                             Grande balançoire, ces ondulations,

                                             terre s'étendant en vergers, moissons,

terre levée en buttes et bosquets

à l'horizon qui bleuit, se recueille

sous quelques pâles nuages,

langue ancienne dont nous avons oublié l'alphabet

tracé ici avec une touffe  d'herbe, un poirier,

terre ancrée dans les étoiles, révélées

si t'éveille la hulotte.

 

Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005, édition établie par Gilles Ortlieb,  Le bruit du temps, 2014, p. 131, 148, 161, 190.

 

 

 

24/02/2014

Paul de Roux, Au jour le jour 5, Carnets 2000-2005

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   Le sentiment de la nature, de son "étrangeté" est peut-être le degré le plus bas  de la perception du non-humain, de la perception de puissances qui ne relèvent pas de l'espèce humaine. Oui, c'est peut-être quelque chose de très primaire, mais c'est du moins quelque chose qui vous arrache à la toute puissance de nos sociétés humaines, faisant craquer les bornes d'un univers artificiellement clos, tel celui de la "ville tentaculaire".

 

   Je me suis dit soudain que le Louvre était mes sentiers, mes bois, mes montagnes perdus. Ce n'est pas que l'esprit, c'est aussi, tout autant, la chair du monde que je retrouve ici fugitivement.

 

   Je brouille le monde en moi. Le chaos intérieur donne un reflet chaotique du monde. Je ne vois rien, je n'entends rien, je ne sens rien. La perte est immense. Et comme était modeste, la provende que je faisais à travers champs ! Quelques piécettes de l'incalculable fortune proposée. Aujourd'hui cependant, seule leur réminiscence conserve un certain éclat dans la besace du passé. La lumière, le vent, ce qui ne se stocke pas, ne s'emporte pas dans la poche, cela seul peut-être s'accorde à quelque chose de très intime, en un point où cœur, sens, esprit coïncident, se confondent.

 

Paul de Roux, Au jour le jour 5, Carnets 2000-2005, Le bruit du temps, 2014, p. 48, 56, 80.

23/02/2014

Raymond Queneau, L'instant fatal, dans Œuvres complètes,I

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                 Je crains pas ça tellment

 

Je crains pas ça tellment la mort de mes entrailles

et la mort de mon nez et celle de mes os

Je crains pas ça tellment moi cette moustiquaille

qu'on baptise Raymond d'un père dit Queneau

 

Je crains pas ça tellment où va la bouquinaille

la quais les cabinets la poussière et l'ennui

Je crains pas ça tellment moi qui tant écrivaille

et distille la mort en quelques poésies

 

Je crains pas ça tellment La nuit se coule douce

entre les bords teigneux des paupières des morts

Elle est douce la nuit caresse d'une rousse

le miel des méridiens des pôles sud et nord

 

Je crains pas cette nuit Je crains pas le sommeil

absolu Ça doit être aussi lourd que le plomb

aussi sec que la lave aussi noir que le ciel

aussi sourd qu'un mendiant bêlant au coin d'un pont

 

Je crains bien le malheur le deuil et la souffrance

et l'angoisse et la guigne et l'excès de l'absence

Je crains l'abîme obèse où gît la maladie

et le temps et l'espace et les torts de l'esprit

 

Mais je crains pas tellment ce lugubre imbécile

qui viendra me cueillir au bout de son curdent

lorsque vaincu j'aurai d'un œil vague et placide

cédé tout mon courage aux rongeurs du présent

 

Un jour je chanterai Ulysse ou bien Achille

Énée ou bien Didon Quichotte ou bien Pansa

Un jour je chanterai le bonheur des tranquilles

les plaisirs de la pêche ou la paix des villas

 

Aujourd'hui bien lassé par l'heure qui s'enroule

tournant comme un bourrin tout autour du cadran

permettez mille excuz à ce crâne — une boule —

de susurrer plaintif la chanson du néant

 

Raymond Queneau, L'instant fatal, dans Œuvres complètes,

 I, édition établie par Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 123.

 

 

 

 

 

 

 

22/02/2014

Raymond Queneau, Chansons,

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               Chansons

 

                     I

 

Il y a des gens qui s' cass'nt la tête

Parc' qu'ils voudraient gagner d'l'argent

                     Beaucoup d'argent

Ils cherch'nt partout des recettes

Pour dev'nir rich's immédiatement

                     Et copieusement

Ou bien ils travaill'nt tout' leur vie

Ou bien ils préfèr'nt êt' bandits

                     De grand chemin

Tout ça c'est bien trop compliqué :

Pour êtr' célèbre et honoré

                      Y a qu'un moyen

      Faites comme moi

      Dev'nez champion

      C'est si facile

      Et c'est si bon

 

Ah quel plaisir d'être champion

On n'a qu'à se mettr' sur les rangs

Pour écraser les concurrents

Ah quel bonheur d'être champion

Même un champion de trottinette

Tout l'monde accourt pour lui fair' fête

Ah quelle joie d'être un champion

C'est si facile et c'est si bon.

 

                        *

          Une vie sans toi

 

Une vie sans toi

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dir' la pluie

Tout au long des mois

Ça veut dir' l'ennui

Ça veut dir' le pire

Ça veut dir' tout ça

Et encore tout ça

 

Ça veut dir' la neige

Au mois de juillet

Ça veut dir' la fleur

Mourant sur la branche

Ça veut dire l'oiseau

Crevant en plein ciel

Ça veut dir' tout ça

Et encore tout ça

 

Ça veut dir' tout ça

Ne pas te revoir

Si jamais la vie

Voulait t'éloigner

À toujours de moi

Comme serait gris

Comme serait noir

Un monde sans toi

 

Raymond Queneau, Chansons, dans Œuvres

complètes, I, édition établie par Claude

Debon, Pléiade / Gallimard,1989, p. 972 et 969.

 

 

 

 

 

21/02/2014

Étienne de la Boétie, Œuvres complètes, Sonnets

 

Étienne de la boétie,Œuvres complètes,sonnet,poème d'amour,cupidon,serment

                          Sonnets            

                               X

 

Ores je te veux faire un solennel serment,

Non serment qui m'oblige à t'aimer davantage,

Car meshuy je ne puis ; mais un vrai tesmoignage

À ceux qui me liront, que j'aime loyaument.

 

C'est pour vrai, je vivrai, je mourrai en t'aimant.

Je jure le hault ciel, du grand Dieu l'héritage,

Je jure encor l'enfer, de Pluton le partage,

Où les parjurs auront quelque jour leur tourment ;

 

Je jure Cupidon, le Dieu pour qui j'endure ;

Son arc, ses traicts, ses yeux & sa trousse je jure :

Je n'aurois jamais fait : je veux bien jurer mieux,

 

J'en jure par la force & pouvoir de tes yeux,

Je jure ta grandeur, ta douceur & ta grace,

Et ton esprit, l'honneur de cette terre basse.

 

Étienne de la Boétie, Œuvres complètes, II, introduction, bibliographie et notes de Louis Desgraves, Conseil général de la Dordogne / William Blake ans Co, 1991, p. 120.

20/02/2014

Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE

Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE, soir, papillon, vent, ombre

               À perte

 

C'est un soir et le temps

qui court   Dame souris

trotte et chicote

à la maison du nouveau mort

étendu dans la chambre

plus ou moins noire où sphinx

(tête idoine) et bombyx

cernent la lampe et demain

seront miettes et poudres

 

déjà l'enfant perdu

court au jardin sauvage

ça sent le frai la laine et l'argile

 

le vent revient de loin

un ange passe

                                     13 août 2007

  

             Voyures

 

Quoi s'éloignait là ? disais-tu

le vent fouettard à son branle

qui tombait dans l'éparse grâce de la mer

le soleil entre l'ombre et l'ombre

tout feu tout flamme déboulé

dans un panier de nuages

la neige à venir et l'herbe à Robert

un improbable accès aux replis des collines

les menues semences

l'eau douce à la saulaie

les grandes nuits lointaines

C'est ça le vrai jour et l'aboi neuf

ça râpe et ça rit

ça rabote

                                       2 mai 2008

 

Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE

n°136, 2ème trimestre 2011, p. 41 et 48.

19/02/2014

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, cinq

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                         Histoire de la perdrix

 

Prologue

 

Les choses ne sont pas ce que les mots produisent. Elles émergent de ce qu'ils séparent. Elles deviennent visibles, visibles et nues, comme elles ne le sont pas elles-mêmes. Visibles après le bain. Issues de l'ombre positive d ela langue, de l'implacable et lumineux glissement de sa négativité.

 

Cette ombre pour respirer. Cette ombre pour plonger.

 

Survie phrasique jusque dans l'extrême nuance opaque du poème. Lecture sans le moindre émouvante - ou bien molle, injuste, sans le moindre tranchant.

Voici la découpe où je vis : l'emporte pièce, autant de bandes, brunes jaunes. Adorable limaille.

 

Et vivable vraiment la présence due aux mots ; sans eux on n'échapperait pas à la chaotique filature du temps ni à la puissance de l'instant laissé à lui-même — seuls les animaux y excellent.

 

Pierre parmi les pierres. Foin dans le foin, j'écris le maquillage de la perdrix.

Je déracine et brandis son théâtre d'un bloc. Sa brûlure n'est pas extatique, mais douloureuse comme la totalité.

 

Une précipitation d'apparence.

Une explosion de perdrix pierreuse.

 

Le théâtre est clos ; à l'intérieur, la ressemblance est infinie.

 [...]

 

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, cinq, André Dimanche, 2008, p. 57-58.

18/02/2014

François Rannou, Rapt

François Rannou, Rapt, d'amour si longtemps tu, ailleurs, Bretagne, moisson, femme

                                   D'amour si longtemps tu

 

                                                      se resserre

                                                      aux quatre coins

                                                      enfoncée dans

                                                      l'os

d'amour si longtemps tu ne sais où   la lumière                                        te mord

                                                    (il y a là une femme qui aimait

                                                    son rire sa façon de disparaître

                                                    du lit après l'amour pour écrire)

 

[...]

                                                                    *

 

                                  14 stelles

 

                                     ailleurs

  

                          sous les phrases la

                                  ligne de

                       sable chardons dans

                                   l'herbe

                     clairsemée raide courte

 

                           le chant de marie

                             qu'on encule

                       sous la lune blanche

 

                                 Bretagne intérieure

 

 

                                moteur lancinant des

                                   des moissons la

                                         nuit on n'

                                             entend

                                       plus la route

 

                                           il reste

                                               les

                                    « mottes tuées »

 

                      François Rannou, Rapt, La Termitière / La Nerthe,

                       2013, p. 29, 75-76.

 

 

 

 

                                                  

 

17/02/2014

Guy Goffette, Un manteau de fortune (2)

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Psaumes pour le temps qui me dure d'être sans toi

 

Le jour est si fragile à la corne du bois

que je ne sais plus où ni comment ce matin

poser mes yeux, ma voix, poser ce corps d'argile

si drôlement qui craque à la croisée des ombres.

 

J'ai peur soudain, oui, peur de n'être que cela :

une poignée de terre qu'un souffle obscur à l'aube

tient dans sa paume, et qu'il ne s'épuise d'un coup

et me laisse tomber dans la poursuite du temps,

 

comme ces fruits qu'aucune bouche n'a touchés

et qui roulent sans fin dans la nuit des famines.

Seigneur, si vous êtes ce souffle obscur et si

fragile à la corne du bois, et si je suis

 

ce corps, resserrez votre paume, resserrez)la.

 

                         Aux marges

 

Il reste deux ou trois choses

à dire sous le ciel, deux

ou trois seulement par quoi

les poètes comme les chevaux

 

les chiens perdus, les lisières

se reconnaissent — c'est un

creux, une ride, une veilleuse

dans la nuit de l'œil _ deux

 

ou trois choses à peine

qu'on peut entendre et qui

nous tiennent comme l'ét

dans la langue d'avril

 

à la merci des marges.

 

Guy Goffette, Un manteau de fortune, suivi de L'adieu aux lisières et de Tombeau du Capricorne, Préface de Jacques Réda, Poésie/Gallimard, 2014, p. 159, 192.