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19/03/2024

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Je n’oserais pas quitter mon ami,

Au cas où — au cas où il devrait mourir

Pendant mon absence — et que — trop tard

Je rejoigne le Cœur qi m’attendait —

 

Si je devais décevoir les yeux

Qui ont scruté ­ — tant scruté — pour voir —

Et ne pouvaient se résoudre à se fermer avant

Qu’ils m’aient « aperçue » — ils m’ont aperçue —

 

Si je devais poignarder la foi patiente

Si sûre de ma venue —­ bien sûr je suis venue —

À l’écoute — à l’écoute — endormi —

En prononçant mon nom doucement —

 

Mon cœur souhaiterait se briser avant ça —

Se briserait alors — alors brisé —

Serait aussi inutile que le prochain soleil du matin —

Là où le givre de minuit — s’étendait !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes

1860-1861, traduction François Heusbourg, éditions

Unes, 2023, p. 105.

22/09/2023

Jean Follain, Appareil de la terre

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Au seuil d’une porte, le balai en main, la servante ressent un bien-être à écouter : des gens en blouse, veste de coutil ou caraco de nuit, se parlent en plein jour. Dans l’agitation demeurent calmes découvreurs de charades et problèmes : il ne faut pas dit un homme, la croix et la bannière pour trouver la capacité des citernes. Une clef du pressoir détruit reste enfouie, rouillée. Un mulot, un instant, inspecte. Il semble tout d’un coup que le monde veuille basculer dans le vide pour en terminer avec les bavardages du présent.

Jean Follain, Appareil de la terre, Gallimard, 1953, p. 10.

30/01/2018

Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet

 

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Débris d’écoute, débris de vue, dans

le dortoir mille-

et-un,

 

jours ou

nuits,

la polka-des-ours :

 

ici on te façonne à nouveau,

 

de nouveau tu deviens

il.

 

Hörreste, Sehreste, im

Schlafsaal eintausendundeins,

 

tagnächtlich

die Bäten-Polka :

 

sie schulen dich um,

 

du wirst wieder

er.

 

Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet, Clivages, 1978, np.

02/05/2015

Jaromir Typlt, Ce murmure insistant...

 

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Ce murmure insistant

 

 

Je suis allongé

sur une couche

de vibrations et de bruissements

à peine audibles.

À peine audibles

mais continus. Ils forcent le chemin,

me pénètrent par en-dessous,

me rabotent, doucement

mais très, très doucement

me

blessent.

Comme si quelque chose se frayait

un passage

entre plancher et plafond,

dans un entre-deux.

Surtout ce frémissement

sonore,

presque clair,

parfois discontinu.

Ce murmure insistant,

comme un bavardage féminin venant d’en bas.

 

 

 

To naráží řeč

 

Ležím

na podloží

sotva slyšitelných

drnčení a hukotů.

Sotva slyšitelných

ale vytrvalých. Prosazují se

 a odspodu do mě vnikají,

přenášejí se na mě, lehce,

ale velmi velmi lehce

pobolívají.

Jako by něco drhlo

mezi stropem a podlahou,

někde tam, kde se od sebe ještě nedají rozeznat.

Zvlášť to vysoké,

málem až jasné,

chvílemi přerušované

chvění.

To naráží řeč.

Asi spolu o patro níž mluví ženské.

 

Jaromír Typlt, To naráží řeč, in revue Souvislosti,

01/2009 ; repris dans  Nejlepší české básně 2009 ,

Brno: Host, 2009.

©Traduction du tchèque Chantal Tanet,

avec le concours de l'auteur.

 (À écouter : stáhnout mp3 )