26/06/2020
Paul Louis Rossi, Le voyage de Sainte Ursule
(mémoire)
En ce temps-là j’étais dans un pays lointain et j’écoutais
dans le froid crépiter les glaces où luisaient
la flamme des autel et l’or fin
des missels
C’était dans un temps très ancien et je me trouvais dans une
Ville lointaine enfouie autant qu’il m’en
souvienne dans les neiges et pourtant
tiède et familière
Et j’entendais au cœur de cette Ville d’Europe une
musique résonner au fond des rues comme je
suppose doit résonner dans les cours
l’orgue de Barbarie
Et sans doute demeurais-je depuis toujours dans cette
Ville au ciel précieux comme un vieux pastel
qui le soir se teintait de rose
et de violet
Paul Louis Rossi, Le voyage de Sainte Ursule, Gallimard, 1973, p. 17.
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13/05/2015
Paul Louis Rossi, Visage des nuits
Gens de peu
Gens de peu et gens de rien
Quel est le bras qui vous retient
Lorsque vous passez la Seine
Sans amours qui vous soutiennent
Vous pensez je le sais bien
Sans veine que tout est vain
Sans amis qui se souviennent
À vous jeter dans la Seine
Sachez que ce n’est pas la peine
De troubler l’eau avec des larmes
Essayez de donner l’alarme
Si le courant vous entraîne
Le Fleuve est moins bon que vous-même
Pourquoi voulez-vous qu’il vous aime
Paul Louis Rossi, visage des nuits, Poésie /
Flammarion, 2005, p. 97.
© Photo Chantal Tanet
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25/04/2014
Paul Louis Rossi, Cose naturali, Natures inanimées
Vie tranquille
Sur une des parois de l'ensemble magdalénien de Marsoulas on aperçoit un visage humain de face : le nez de travers et les yeux presque ronds. Ainsi représenté il ressemble à celui que nous avions autrefois rencontré dans les couloirs du collège sur l'emplacement écaillé d'un ancien lavabo qui figurait à notre avis le visage d'un homme : le nez, les yeux, le rictus de la bouche. Et nous allions chaque jour lui rendre visite comme un rite que l'on accomplit à ces âges.
Pour moi le masque humain sera toujours un sujet d'étonnement. Quand j'y songe, j'ai de tous temps eu cette sorte de passion pour les masques : masques amers de la comédie, orbites creuses des masques africains, masques à transformation de la Colombie Britannique, dents pointues de ceux du théâtre de Java, regard aveugle des géants de l'île de Pâques Aussi loin que l'on découvre le geste de l'homme, il a tenté de se représenter parmi les outils, les dieux et les animaux familiers. Et ces masques, je ne les observe pas seulement, ce sont eux, souvent, qui viennent m'épier à leur tout, ils m'interrogent et me surveillent, me regardent autant que je les regarde.
[...]
Paul Louis Rossi, Cose naturali, Natures inanimées,
éditions Unes, 1991, p. 7-8.
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24/04/2014
Paul Louis Rossi, Cose naturali, Natures inanimées
la vue
Une figue se
reflète dans
un
petit
miroir...
(Trompe l'œil)
Des bésicles maintenues
par un lacet
tendu
entre deux clous
(bois jaune et rose)
un Almanach
du « Messager Boiteux »
(der Königlich privilegierte
Colmarer Hinkende Bott)
(dans un parc)
Grand cratère baroque
grand rideau rouge derrière une colonne
s'ouvrant sur un fond d'arbres
Héron près d'une
touffe de pivoines
faisan argenté
Sur un vase
un perroquet
bleu
Paul Louis Rossi, Cose naturali, Natures inanimées,
éditions Unes, 1991, p. 104, 105, 36.
Photo Chantal Tanet
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15/02/2013
Paul Louis Rossi, Le Voyage de sainte Ursule
Et je marchais dans les rues paisible en apparence
mais tout entier tremblant de cette mémoire
inconnue comme un
alcool
Tourmenté de ce regard plongé à travers moi dans le
temps aveugle et pénétrant cette trame
indéchiffrable d'images fugitives
et de sonneries
Presque illisible où s'inscrivaient des souvenirs qui
ne me laissaient jamais reposer et j'allais
perpétuellement agité de l'auberge
au gibet
Aisni qu'une barque amarrée roulant au fil des eaux
enfermé dans la spirale des rues nouant et
dénouant l'écheveau de cette
Ville ancienne
Paul Louis Rossi, La Voyage de sainte Ursule, Gallimard, 1973, p. 19.
© Photo Chantal Tanet, 2011.
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03/08/2012
Paul Louis Rossi, Visage des nuits
Gens de peu
Gens de peu et gens de rien
Quel est le bras qui vous retient
Lorsque vous passez la Seine
Sans amours qui vous soutiennent
Vous pensez je le sais bien
Sans veine que tout est vain
Sans amis qui se souviennent
À vous jeter dans la Seine
Sachez que ce n'est pas la peine
De troubler l'eau avec des larmes
Essayez de donner l'alarme
Si le courant vous entraîne
Le Fleuve est moins bon que vous-même
Pourquoi voulez-vous qu'il vous aime
Paul Louis Rossi, Visage des nuits, Poésie / Flammarion,
2005, p. 97.
© photo Chantal Tanet
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26/04/2012
Paul Louis Rossi, Les Variations légendaires
L'Aile du scarabée
[...]
Il nous semble que le discours poétique s'est amenuisé à mesure qu'il poursuivait son élan, jusqu'à devenir ce flot de peu d'importance, rendu comme toute chose périssable, renouvelable à loisir, aussi précaire que les objets, les passions, espérances et désespérances qui agitent le monde et l'entourent d'un filet serré d'illusions et de convenances. Alors que notre civilisation doit affronter le nouveau millénaire, un quelconque Bulgare de Bulgarie, dans un cabaret de Sofia, peut énoncer cette phrase désolante : « Nous n'avons plus besoin de symboles. » Nous pouvons légitimement nous demander ce qu'en penserait Candide et même Pangloss.
D'ailleurs, à mon sens, la question n'est pas de savoir si nous devons céder à l'hédonisme contemporain, à l'indifférence des individus et des sexes, à l'espoir d'une communication généralisée et sans objet. Nous savons que les avant-gardes, autrefois, ont soutenu les totalitarismes, par besoin, par innocence souvent, cela exigeait alors une sorte de courage. L'avant-garde aujourd'hui ne soutient plus personne, elle suit aveuglément cette voie incontrôlée du progrès machinal.
Elle en reproduit les tares, les manipulations et les errements, elle donne sans discernement la main aux forces qui contribuent à la destruction du monde. Il s'agit pour nous seulement de savoir si cet ordre du monde nous convient. Il n'est pas question de sacraliser l'art ou de le désacraliser, il s'agit de savoir si le monde sans le sacré — privé de ses dieux innombrables — est plus enviable et vivable que le monde qui possède des espérances et des symboles et qui se préoccupe encore des possibles de son futur.
(1999)
[...]
Paul Louis Rossi, Les Variations légendaires, chroniques, Poésie / Flammarion, 2012, p. 17-18.
© Photo Chantal Tanet
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02/12/2011
Paul Louis Rossi, Le Voyage de sainte Ursule
[le plaisir]
(donnez-nous des plaisirs aigus
croisés comme des fers d'épées)
Il l'embrasse il la vénère
Elle a des cheveux roux et fous
Ils semblent dire une prière
L'un pour l'autre et contre tous
(ah! donnez-nous des plaisirs aigus
l'odeur des œillets sauvages)
Elle sourit au fond de la salle
Une légère moue sur les lèvres
Un col blanc comme une voile
Tendue sur la mer tranquille
(des aiguilles de pin
criblées des feux de l'été)
Elle penche la tête pour cacher
Le trouble de son regard
Son désir et sa chasteté
Pareil au vin à l'eau mêlé
(violet couleur de la mer
violet couleur de la mort)
Pris d'une passion ingénue
Il agite devant ses yeux
Les prestiges de sa bouche
Rêvant son image nue
(comme une bête furieuse
un taureau ivre de rouge)
L'orage gronde sur la côte
Ils sentent venir le désir
De mesurer côte à côte
Le vertige du plaisir
(un paysage endormi
lassé de couleurs et de cris)
Ils reposent ensommeillés
Sur le sable d'une plage
Abandonnés contre les épaves
Seuls et las de s'être enlacés
Paul Louis Rossi, Le Voyage de sainte Ursule, Gallimard,
1973, p. 64-65.
© Photographie Chantal Tanet
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