16/09/2021
Baudelaire, Fusées, Mon cœur mis à nu
Pour guérir de tout, de la misère, de la maladie et de la mélancolie, il ne manque absolument que le goût du travail.
Sois toujours poète, même en prose. Grand style (rien de plus beau que le lieu commun).
Le premier venu, pourvu qu’il sache amuser, a le droit de parler de lui-même.
Relativement à la Légion d’Honneur : Si un homme a du mérite, à quoi bon le décorer. S’il n’en a pas, on peut le décorer, parce que [cela] lui donnera un lustre.
Être un homme utile m’a paru toujours quelque chose de bien hideux.
Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1266, 1267, Mon cœur mis à nu, 1271, 1272-3, 1274.
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21/02/2021
Philippe Beck, Traité des Sirènes suivi de Musiques du nom
Dignité 17. Le silence des Sirènes, Kafka le fait dépendre d’un capitaine qui refuse d’entendre ce qu’elles semblent chanter : il imagine l’entente de la fin de la musique (de la disparition du son éloquent) et ce mutisme lyrique est peut-être le silence des algues séchées au bord de l’eau, ou des joncs que le vent fait chanter d’ordinaire, témoins paradoxaux des jungles aux mille violences nues comme Orphée est une discrète tanière aux mille monstres. Ulysse déploie et signe la première tentative pour « écouter le silence sublime et effrayant : la mer d’huile est la promesse d’un suspens du travail chanté, que le dirigeant interdit ; C’est peut-être pourquoi Kafka change le récit homérique et imagine la cire qui ferme Ulysse aux bruits suspendus de l’océan : il fait du capitaine un étrange matelot soumis au besoin d’entendre la silencieuse loi du travail qu’impose la mer sans vent ; dans Homère, le silence des Sirènes est la conséquence d’un courage autoritaire, et du pénible courage d’entendre ce qui précède le silence : la plainte pure, avant tout voyage au pays de l’effort. L’Odyssée n’entend pas (mais fait résonner) la plainte des marins que la cire ne préserve pas des tortures de la rame sur une mer étale, au soleil de midi. Les marins, soumis au rythme du silence sont pourtant les Sirènes les plus proches, et endurent Sirius qui dessèche les efforts.
Philippe Beck, Traité des sirènes suivi de Musiques du nom, Le bruit du temps, 2020, p. 27.
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08/07/2019
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Solitaire
Solitaire, sans pays,
Je n’ai pas de jour selon vos bonjours,
Mes jours ne veulent bonjours
Que dans l’aube authentique du règne du travail.
Mes bonjours ne salueront
Que l’aube authentique du monde du travail !
Armand Robin, Le Monde d’une voix, préface Henri
Thomas, Gallimard, 1968, p. 163.
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11/04/2019
Valérie Rouzeau, Neige rien
Manœuvres
À l’étroit les trois huit
Virés salaires de rien
Micheline Michelin
Paradis pour demain
Allez toi va-t’en vite
Micheline Michelin
On te remercie bien
Valérie Rouzeau, Neige rien, dans
Pas revoir suivi de N r, La petite
Vermillon, 2010, p. 104.
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27/12/2018
James Sacré, Figures de silences
On se dit, voilà je vais savoir
Savoir un peu plus, savoir
Qu’on ne saura pas. Écrire un poème
S’en va dans l’ignorance et des mots
C’est que façon de continuer pareil
Que tout là-bas travail
Autrefois dans les champs le dernier chou
planté, demain
Faut tout recommencer, demain tu vas mourir.
C’est tout ce qu’on sait
Pour finir.
James Sacré, Figures de silences, Tarabuste, 2018, p. 39.
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02/06/2016
Albert Camus, Carnets III, mars 1953-décembre 1959
Cahier VII, 1953
Nécessité d’une aristocratie. Dans le présent, on ne peut en imaginer que deux : celle de l’intelligence et celle du travail. Mais l’intelligence à elle seule n’est pas une aristocratie. Ni le travail (les exemples, dans les deux cas, sont évidents). L’aristocratie n’est pas d’abord la jouissance de certains droits, mais d’abord l’acceptation de certains devoirs qui, seuls, légitiment les droits. L’aristocratie c’est à la fois s’affirmer et s’effacer. Pour sortir de soi (définition du devoir) l’intelligence ne peut aller vers les privilèges. Les uns font partie d’elle-même, les autres sont le contraire de l’intelligence. Et le devoir ne consiste ni à s’affirmer ni à se supprimer mais à faire servir ce qu’on affirme. Elle ne peut donc aller que vers le travail qui est son devoir et sa limite. Le travail de son côté ne peut aller vers l’abêtissement, inconscient ou conscient (humiliation généralisée de l’intelligence) qui est ou lui-même, ou son contraire (voir plus haut). Il ne peut donc aller que vers l’intelligence… Finalement l’aristocratie du travail et celle de l’intelligence ne sont possibles, dans le présent, que si elles se reconnaissent l’une l’autre, et commencent à marcher l’une vers l’autre pour consacrer un jour une seule image supérieure de l’homme.
La seule source de l’aristocratie c’est le peuple. Entre les deux, il n’y a rien. Ce rien qui est la bourgeoise, depuis 150 ans, essaie de donner une forme au monde et n’obtient qu’un néant, un chaos qui ne se survit encore qu’à cause de ses anciennes racines.
Albert Camus, Carnet III, mars 1953-décembre 1959, Folio / Gallimard, 2013 (1989), p. 122-123, 123.
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13/03/2016
Jean-Pierre Chevais, Sans titre, dans Rehauts n° 36, automne 2015
Sans titre
on fait la pause on a eu en partant un sandwich mais on est deux ils n’ont pas dit ce qu’il y avait dedans on fait quand même la pause
on a fini la pause on n’a plus rien à faire, on en aurait eu un chacun on serait encore à s’occuper pas longtemps mais un peu
on fait une deuxième fois la pause on n’a en partant rien eu d’autre on hésite à poursuivre on va quand même le faire
en rentrant de la pause on a trouvé dans la cour un sandwich il était pas trop abîmé mais on est deux on l’a pas ramassé
ils nous cachent quelque chose on va rentrer de la pause un peu plus tard peut-être qu’ils ont besoin d’un peu de temps c’est tout
la fois suivante on n’a pas eu le temps de rentrer ils ont demandé pourquoi qu’est-ce qu’on en sait et même si on savait
[...]
Jean-Pierre Chevais, ‘’Sans titre », dans Rehauts, n° 36, automne 2015, p. 47-48.
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04/01/2016
André du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein
[...]
Alain Veinstein
Quelle a été la fonction des carnets par rapport à l’écriture des poèmes, et des livres. Vous insistiez sur le travail, tout à l’heure : précisément, on retrouve dans les livres des phrases des carnets soumises à un processus de travail.
André du Bouchet
Dans les vrais livres, dans ce qui a pris forme de poème, il y a un travail d’élaboration qui, chaque fois, m’a obligé à sortir du carnet. Il y a un point de cristallisation et de travail sur des mots sortis du carnet qui fait que ce qui est un poème a un commencement et un point final. Lequel constitue généralement une difficulté pour le lecteur Quand on interrompt, on prend congé de ce que l’on a écrit, c’est une rupture, et une rupture appelle un commencement, qui vous engage bien davantage qu’une succession de notes courant indéfiniment. La fin d’un poème vous renvoie en sens inverse au commencement. Pour commencer, comme pour finir, il faut s’engager. Je pense que dans ce qui fait un poème, il y a une difficulté absente d’un livre de notes. Le livre de notes paraît beaucoup plus facile. On prend quelque chose qui est en cours. Peut-être que le lecteur est libéré de la décision qu’il devrait prendre, comme moi-même, au fond, j’ai été libéré de la responsabilité de ce livre, assumée à l’origine par quelqu’un d’autre que moi.
André du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein, L’Atelier contemporain / Institut National de l’Audiovisuel, 2016, p. 78.
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13/10/2015
Jean-Pierre Chevais, Sans titre, dans Rehauts
Sans titre
on fait la pause on a reçu en partant un sandwich mais on est deux ils n’ont pas dit ce qu’il y avait dedans on fait quand même la pause
on a fait la pause on n’a plus rien à faire on en aurait eu un chacun on serait encore à s’occuper pas longtemps mais un peu
on fait une deuxième fois la pause on a en partant rien eu d’autre on hésite à poursuivre on va quand même le faire
*
en rentrant de la pause on a trouvé dans la cour un sandwich il était pas trop abîmé mais on est deux on l’a pas ramassé
ils nous cachent quelque chose on va rentrer de la pause un peu plus tard peut-être qu’ils ont besoin d’un peu de temps c’est tout
la fois suivante on n’a pas eu le temps de rentrer ils ont demandé pourquoi qu’est-ce qu’on en sait et même si on savait
*
quand on hésite à quoi penser on repense au sandwich dans la cour on le sait bien pourtant penser dans ces cas-là ça n'a jamais suffi
on s'est en fin de compte séparés on n'avait rien à se dire n'empêche ça n'a pas été rien d'abord on n'y arrivait pas à la fin si
on fait maintenant la pause chacun à part ça repose c'est vrai quand même il y a des jours on crierait bien mais alors fort
[...]
Jean-Pierre Chevais, "Sans titre", dans Rehauts, automne-hiver 2015, n° 36, p. 47-48.
Rehauts, 112 p., 13 €. Abonnement 1 an, 2 numéros : 22 € ; 2 ans, 39 €.
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13/09/2015
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Il lisait un livre. Il voulait être célèbre comme l’auteur et, pour cela, travailler de l’aube à la nuit ; puis, ayant pris fermement cette résolution, il se levait, allait se promener, faire un tour, souffler.
S ! l’inspiration existait, il faudrait ne pas l’attendre ; si elle venait, la chasser comme un chien.
La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.
Amitié, mariage deux êtres qui ne peuvent pas coucher ensemble.
La mort des autres nous aide à vivre.
Lire toujours plus haut que ce qu’on écrit.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, édition Léon Guichard et Gilbert Sigaux, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 130, 133, 134, 136, 136, 145.
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06/06/2015
Jules Renard, Le petit bohémien
Le petit bohémien
En sortant de l’épicerie du village, avec une bouteille, il courut après des moutons que leur berger ramenait à la ferme. Il ne dit rien à ce berger qui avait la tête de plus que lui et n’aurait pas répondu, mais il suivit le troupeau et s’en occupa, de loin, comme un second berger.
Quand une brebis restait en arrière, c’était sa part : il pouvait la flatter, tremper ses doigts dans sa laine, lui parler en maître jusqu’à ce que le chien vint la reprendre.
À la porte de la bergerie, le petit bohémien fut sérieusement utile.
Les agneaux nouveaux-nés, qui n’avaient pas vu leur mère de la soirée, se précipitaient dehors, sous elles. Il les aida à retrouver chacun la sienne. Il en sépara deux qui s’obstinaient à donner des coups de tête au même ventre. Il en rattrapa un autre qui, joyeux d’être libre, oubliait de téter et bondissait imprudemment vers la mare.
Puis, pour sa récompense, le petit bohémien voulut pénétrer dans la bergerie. Il se croyait chez lui. Mais le berger lui ferma au nez le bas de la porte divisée en deux parties. Le petit bohémien posa à terre sa bouteille, se pendit à la porte basse, et regarda par-dessus. Ses yeux essayaient de percer l’ombre.
Il n’eut pas le temps de se fatiguer les poignets. Le berger, sa besogne terminée, ressortit, ferma cette fois la porte tout entière, le haut et le bas, au verrou, et s’en alla du côté de la soupe, avec son chien.
Le petit bohémien qui le suivait encore, le vit entrer dans la maison et s’asseoir près des autres domestiques, à la table commune. Il resta seul au milieu de la cour.
Personne ne faisait attention à lui, et la fermière ne se dérangea pas pour le chasser.
Il renifla fortement et revint à la bergerie coller son oreille à la porte. Les agneaux calmés se taisaient un à un. Il s’assura que le verrou extérieur était bien poussé, et par précaution chercha une grosse pierre afin de caler la porte. Cela fait, n’imaginant plus rien à faire, il reprit sa bouteille et se décida à quitter la ferme.
C’est à ce moment qu’il aperçut un monsieur sur la route. Il ôta ses sabots, mit ses mains dedans, et pieds nus, rattrapa vite le monsieur.
Il ne me dit pas bonjour.
[...]
Je parlai le premier et lui dis :
« Qu’est-ce qu’il y a de jaune dans ta bouteille «
— De l’huile et du vinaigre que j’ai achetés à l’épicerie.
— Pour mettre dans ta salade ?
— Dame ! pas dans ma soupe.
[...]
Jules Renard, Le Vigneron dans sa vigne, dans Œuvres I, textes établis par Léon Guichard, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 820-821.
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01/05/2015
Francis Ponge, Douze petits écrits
Le patient ouvrier
Des camions grossiers ébranlent la vitre sale du petit jour.
Mal assis, Fabre, à l’estaminet, bouge sous la table des souliers crottés la veille. L’acier de son couteau, attaqué par la pomme de terre bouillie, il le frotte avec un morceau de pain, qu’il mange ensuite. Il boit un vin dont la saveur affreuse hérisse les papilles de la bouche, puis le paye au patron qui a trinqué.
À sept heures ce quartier a l’air d’une cour de service. Il pleut.
Fabre pense à son wagonnet qui a passé la nuit dehors, renversé près d’un tas de sable, et qu’il relèvera brutalement, grinçant, décoloré, dans le brouillard, pour d’autres charges.
Lui est encore là, à l’abri, avec, dans une poche de sa vareuse, un carnet, un gros crayon, et le papier de la caisse des retraites.
Francis Ponge, Douze petits écrits, dans Œuvres complètes I, sous la direction de Bernard Beugnot, Pléiade / Gallimard, 1999, p. 8.
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11/03/2015
Jack Kerouac, Le LIvre des esquisses, 1952-1954
[...]
encore 500 miles jusqu’à Denver,
j’ai 1, 46 $ — mais
me sens de nouveau vivant & même
que je serai sauvé, c-à-d,
je ne suis pas un canard crevé,
ni un criminel, un
clodo, un idiot, un imbécile
— mais un grand poète
& un brave type & maintenant que c’est établi je
vais arrêter de me plaindre de
ma situation —&— me concentrer
sur mon travail à la Sp. RR pour
assurer mes besoins, comme ça je
pourrai écrire en paix, mettre en route
l’œuvre de ma vie sur mon
univers intérieur, 2e partie,
car Docteur Sax était
à coup sûr la première partie !
Jack Kerouac, Livre des esquisses, 1952-1954,
La Table ronde, 2010, p. 123-124.
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25/02/2015
Nathalie Quintane, Les poètes et le pognon
Conclusion de : "Les poètes et le pognon", article de Nathalie Quintane publié le 23 février dans Sitaudis.
À lire intégralement !
Parler travail et parler de travail, c'est la chose dégoûtante à laquelle a du mal à se résoudre le « milieu culturel » - donc les poètes qui en font partie. Aussi prend-on bien soin de dire plutôt "activité" ou "passion", quand on parle d'art et de poésie, pour soigneusement les distinguer du travail salarié ou des "interventions" payées au lance-pierre qui, par transfert, permettent de vivre "en poésie". Tant que le travail artistique ne sera pas reconnu et défini comme un chantier ou un laboratoire - au premier degré, littéralement et non métaphoriquement -, tant qu'on lira métaphoriquement Rimbaud (« d'autres horribles travailleurs »), tant qu'on refusera (ou qu'on omettra, par intérêt et non par pudeur) de considérer le travail artistique comme un travail et d'appeler un chat un chat (car je bosse, présentement), tant qu'on le fera, plus ou moins consciemment, pour ne pas être assimilé et confondu avec la plèbe des travailleurs ordinaires, tant qu'on contribuera à faire perdurer la légende de l'artiste moderne en croyant qu'elle nous protège alors qu'elle ne fait que nous exposer davantage à la dureté des temps en nous isolant, et par cet isolement, empêche qu'on envisage de possibles actions communes, des actions qui aillent au-delà du collectif ad hoc ou des associations provisoires qui se sont multipliées ces dernières années (pour [...] compenser l'atomisation du marché de l'art, la fin des galeries, etc), des actions qui ne regroupent pas seulement des artistes ou des intellectuels précaires (mais c'est déjà ça) et iraient à la rencontre des autres travailleurs, nous pourrons dire non seulement que nous avons largement contribué à installer la situation calamiteuse dans laquelle nous sommes, nous, mais qu'en plus nous y avons contribué pour tous les autres en pariant essentiellement sur notre propre tête - "au cas où", "tôt ou tard", comme diraient les économistes, qui sait, ça peut tomber sur moi, je peux enfin réussir en art -, et en validant ainsi le fait que parier sur sa propre tête est le bon modèle, le modèle à suivre.
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25/02/2014
Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005 (2)
L'amour d'un jardin, d'une maison à restaurer, d'un palimpseste à déchiffrer. Voilà ce qui unit. On ne partage que le travail.
Tout se résume en cela : l'insatisfaction de soi-même.
Alors que l'on n'a que trop tendance à attribuer à autrui la responsabilité de son état. Toute doctrine qui exalte la liberté et la responsabilité de la personne est, de ce point de vue, excellente.
Plus un art est grand, moins on peut en voir de pièces. On s'aperçoit soudain que tel tableau, telle sculpture dit tout ce que l'on était susceptible d'entendre à l'instant et il ne reste plus qu'à s'éloigner pour ne pas être indigne de nouvelles rencontres.
Jour et nuit
Grande balançoire, ces ondulations,
terre s'étendant en vergers, moissons,
terre levée en buttes et bosquets
à l'horizon qui bleuit, se recueille
sous quelques pâles nuages,
langue ancienne dont nous avons oublié l'alphabet
tracé ici avec une touffe d'herbe, un poirier,
terre ancrée dans les étoiles, révélées
si t'éveille la hulotte.
Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005, édition établie par Gilles Ortlieb, Le bruit du temps, 2014, p. 131, 148, 161, 190.
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