30/07/2022
Jean Tortel, Les Villes ouvertes
Mon nom fut-il inscrit
Sur le mur dépouillé
De ses pariétaires ?
Est-ce bien le mien ? J’ai vécu
Jusqu’ici. Un autrefois
Apparaît et disparaît.
Je ne me souviens pas.
Je descends tous les jours.
Je passe par là.
Je trempe mes mains dans l’eau.
La rue est sûrement la même
Et sans soleil et rien qui puisse le nier.
Son nom et mes initiales
N’ont pas changé. Suis-je si vieux
Qu’un signe écrit me concernant
Près des fontaines
Soit incompréhensible et cependant
La pierre est nue.
Jean Tortel, Les villes ouvertes, Gallimard, 1965, p. 73.
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05/05/2021
Jean Tortel, Du jour et de la nuit
Rencontres, I
Une larme, deux aventures,
Trois gémissements dans la nuit,
Quatre murailles qui s’écartent,
Cinq doigts qui crient, six lunes rondes,
Sept cordes qui barrent le ciel,
Huit deux fois quatre un coup pour rien,
Neuf portes s’ouvriront ensemble.
Jean Tortel, Du jour et de la nuit, éditions
Jean Vigneau, 1954, p. 71.
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15/11/2018
Jean Tortel, Du jour et de la nuit
Dure prairie
Table de joie
Le muscle épie
Votre cassure.
Vous immobile
Vous retenez
Comme un lutteur
Sa défaillance
Ce qui remonte
Des profondeurs
Et vous disperse.
Jean Tortel, Du jour et de la nuit,
Jean Vigneau, 1944, p. 93.
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23/01/2017
Jean Tortel, Instants qualifiés
L’opération durant laquelle
Les choses sont
Et ne sont pas ce qu’elles sont,
Le noir ne salit pas le blanc.
L’inclinaison grâce à laquelle
Elles respirent.
Noir et blanc, couleurs non couleurs,
Contradictoires.
Jean Tortel, Instants qualifiés, Gallimard,
1973, p. 76.
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28/11/2016
Jean Tortel, Relations
« La grande plaine est blanche, immobile et sans voix. »
(Guy de Maupassant)
Pour le redire ? Grande plaine
(Et nul coup de feu).
Sans soleil et sans ombre.
Une.
Je suis absent. Nul n’appelle personne.
J’ouvre indument cette blancheur
Immobile en son ordre
Et sans voix.
Qu’elle parle : c’est moi
Qui l’oblige à passer
De son ordre à quelque autre.
Et de quel droit le mien ?
Jean Tortel, Relations, Gallimard, 1968, p. 84.
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15/02/2016
Jean Tortel, Relations
Gestes de la marquise
II
La marquise sortit
À cinq heures, c’est moi
Qui le décide et la délivre,
Qu’elle aille vers la mer
Ou les rues, parallèle
À la sœur fabriquée
De quelque obsession
Et sans manteau.
Elle est merveilleusement triste.
Ne bouge pas.
Jean Tortel, Relations, Gallimard,
1968, p. 80.
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07/05/2015
Jean Tortel, Instants qualifiés
Sombre la nuit et telle
Qu’au profond les dormeurs
Touchent le sable au creux
Longtemps suspendu des calmes
Vagues noires, rongée
Par les insectes poussiéreux,
En apparence désormais
Inaccessible au fond
D’elle-même et perdue et vierge
Intouchable et noire, descendue
En se dissociant dans les dormeurs
Qui l’ignorent, qui sont la nuit
Abusivement claire d’un rêve
Sans contrôle.
Jean Tortel, Instants qualifiés,, Gallimard, 1973, p. 29. © Photo Jean-Marc de Samie.
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07/02/2015
Jean Tortel, Relations
Phrases pour un orage
I
Le ciel un peu trop lent pour cette heureuse
Matinée, l’arbre un peu trop
Chargé d’épaisseur tendre.
Le jardin transpirait
Au point du jour.
Il respire encore.
II
Vogue et scintille
Avant midi
Ce nuage.
(Il vient du sud), et nu
Le risque d’un azur
Quand sa blancheur l’éprouve
Dès qu’elle est suscitée.
Plus pure si possible
Que lui, touché par elle
Et dénoncé.
Ou son langage,
Ou son éclat.
III
On n’est pas heureux
Sous l’azur fragile.
En ce jardin je sais je ne sais quoi.
Les feuilles sont un peu plus larges,
Un peu moins vertes que leur nom.
L’azur enfante l’ombre
(Le fruit sa pourriture).
La terre aborde son silence
Qui l’attendait.
[...]
Jean Tortel, Relations, Gallimard, 1968, p. 29-31.
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30/09/2011
Jean Tortel, Appareil de la terre
L’odeur des vieux papiers se fait plus âcre, les modulations des oiseaux plus ténues. Les pêcheurs au bord de la rivière s’apprêtent à quitter, remisant leur attirail. Une auberge désaffectée conserve une seule habitante. À la fenêtre apparaît sa silhouette ancienne. Elle reste désemparée parce que ce morceau de pâté, que répudierait le médecin des pauvres, sent déjà fort, mais elle décide pourtant de la manger en le faisant revenir à la poêle. Des voix ne lui font plus peur : celle du forgeron, du distillateur, de l’émondeur qui, par leurs romances, ornent ses jours, maintenant, comme ils pensent avec elle, comptés, mais ne le furent-ils pas toujours au plus juste dès sa naissance, un jour de plein soleil.
Plainte
Ce jour-là une femme dit :
Qui veut me porter mon fils
il est lourd et la nuit revient.
O temps des légumes terreux
rouges ou verts
des navets vineux
dans un jardin bordé d’épines
sous un ciel de silence accepté
temps que je n’ai plus
pourtant ce monde reste réel
et j’aime à voir sa beauté.
Jean Tortel, Appareil de la terre, Gallimard, 1964, p. 17 et 64.
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