07/03/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
En écoutant Claudio Monteverdi
On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre
qu’il aurait entrevue un jour dans la forêt
et qu’il faudrait, fût-ce au prix de son âme, retenir :
c’est par urgence que sa voix prend feu.
Alors , à sa lumière d’incendie, on aperçoit :
une pré nocturne, humide, et par-delà
où il avait surpris cette ombre tendre,
ou beaucoup mieux et plus tendre qu’une ombre :
Il n’y a plus que chênes et violette maintenant.
La voix qui a illuminé la distance retombe.
Je ne sais pas s’il a franchi le pré.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 9.
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18/04/2022
Jack Kerouac, Mexico City Blues
103e Chorus
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- Mon Père dans le rouge de la basse ville
- Se promenant comme une ombre
- D’encre noire, avec chapeau, hochant la tête,
- Dans les lumières immémoriales de nos rêves.
- Car j’ai depuis rêvé de Lowell
- Et de l’image de mon père,
- Chapeau de paille, journal dans la poche,
- Sentant l’alcool, cirages-coiffeur,
- Est l’image de l’Homme Ignorant
- Se hâtant vers sa destinée qui est la Mort
- Quoiqu’il le sache.
- C’est pourquoi ils appellent Santé,
- une bouteille, un verre, une rasade,
- Une Coupe de Courage.
- Les hommes savent que le brouillard n’est pas leur ami —
- Ils sortent des champs et mettent leurs manteaux
- Ils deviennent des hommes d’affaires et meurent rassis
- La même mort rassise et écœurante
- Ils auraient pu mourir à la campagne
- Collines de fumier
- Mes souvenirs de mon père
- dans la basse ville de Lowell
- homme en carton marchant
- dans les lumières perdues
- faits de la même matière vide
- que mon père dans sa tombe.
- Jack Kerouac, Mexico City Blues, traduction
- Pierre Joris, Poésie/Gallimard, 2022, p. 119.
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24/11/2021
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde
L’ombre
L’ombre des chênes (son épaisseur), là (y fûmes-nous ?), serrés, solidaires (à poings fermés), cœur même de la plénitude de l’été.
Y fûmes-nous vraiment ?
Que ne nous sépare pas...
Que ne nous sépare pas, insensible abîme, le moindre écart.
Ce que nous étions ; ce que nous sommes. N’ayant point souvenir des massifs d’ombre côtoyés, mouvants, dont les senteurs portaient à la tête.
Un courant de transparence insensiblement nous porte : aurore, démarcation nulle.
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p. 64-65.
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01/10/2021
Christian Viguié, Fusain
Cherche l’ombre
comme une lanterne
ou un papillon.
Le vent
autour du puits
s’étonne qu’aucune parole
n’en sorte.
Un oiseau
s’envole
avant toute parole.
C’est à l’intérieur de toi
que les roses
ferment les yeux.
Le brouillard
ne nous demande pas
de voir les choses
mais l’attente des choses.
Christian Viguié, Fusain, le cadran ligné,
2021, p. 19, 20, 23, 24, 32.
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11/09/2021
Gustave Roud, Journal
Ascension [24 mai 1938] – « Sur la Croix » Ferlens
Espèce de saisissement tout à l’heure, en arrivant au carrefour de Ferlens. La couleur des ombres d’arbres sur les quatre routes éveille en moi un appel, un rappel de voyages anciens et c’est un cri confus et caché qui me traverse — une voix qui me dit de ne point attendre, de partir, de partir, où ? Je ne sais à quel moment précis de l’autrefois de ma vie ces valeurs sont liées, mais cela doit être à quelque chose d’essentiel, peut-être autour de ma vingtième année… À travers tout ce printemps, d’ailleurs, j’ai ressenti le même choc indéfinissable et c’était toujours devant les routes de poussière bordées d’herbe sombre — Les valeurs de ce gris-blanc-bleu et du vert bleuâtre des prairies étaient absolument partielles à un accord musical retrouvé, mais qu’on se répète sans trêve avec une très profonde nostalgie — sans pouvoir la situer dans le temps et dans l’espace.
Gustave Roud, Journal Carnets cahiers et feuillets II 1937-1971, éditions Empreintes 2004, p. 36-37.
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25/07/2021
Stefano Simoncelli, Frôlant les murs et les lumières
Parfois je sens
qu’un vent rapace
veut m’emporter
loin de ces confins escarpés
ravis aux bonds des chevreuils,
aux vallons ourlés d’orages,
jusqu’ici, où un déséquilibre
ou un trouble du regard
fait exploser les nuances
des ombres tapageuses
que j’ai oubliées
dans les livres et sur les murs
tandis que le noir est ce noir
où chaque nuit, dans un âge hors de saison,
je m’habitue à disparaître.
Stefano Simoncelli, Frôlant les murs et les lumières, traduction Laurent Cennamo, dans revue de belles-lettres, 2021-1, p. 149.
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07/11/2020
Bartolo Cattafi, Mars et ses idées
En silence
Un quelque chose qui donne de l’ombre
surgit et pique
une plante à épines
une encre livide
avec de nombreux bras
ici et maintenant avec nos bras
en silence
tête baissée
Bartolo Cattafi, Mars et ses ides, traduction
Philippe Di Meo, Héros-Limite, 2014, p. 95.
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29/09/2020
Philippe Jaccottet, Airs
Monde
Poids des pierres, des pensées.
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle
Fleurs couleur bleue
bouches endormies
sommeil des profondeurs
Vous pervenches en foule
parlant d’absence au passant
Sérénité
L’ombre qui est dans la lumière
pareille à une fumée bleue
Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
2014, p. 438.
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25/06/2020
Bernard Vargaftig, Le monde le monde
Feuillage et craie étonnés
Un abîme m’envahissait
La grève sans cacher près de l’éboulis
Ce qui est incomparable
La durée avec le gué
Et les oiseaux là-bas là-bas
Et comme éperdument chancelle en criant
La profondeur des contrées
Vent où la clarté traverse
À nouveau oubli et poursuite
Lilas dont la vivacité se répète
Ombre et première épouvante
Quand tout à coup rien ne manque
Les rochers le pli et ta robe
À l’écart dans l’ensoleillement désert
Emmurée par ton langage
Bernard Vargaftig, Le monde le monde, André Dimanche,
1994, p. 17
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29/05/2020
Leopoldo Maria Panero, Le dernier homme, poésie 1980-1986
Motus
C’était peut-être plus romantique
quand je griffais la pierre et que
je disais par exemple, en louant
les ombres depuis les ombres,
étonné de mon propre silence,
par exemple : « il faut
labourer l’hiver
et il y a des sillons, et des hommes dans la neige. »
Aujourd’hui les araignées me font signe doucement
depuis les coins de ma chambre, et la lumière vacille,
et je commence à douter qu’elle soit vraie :
l’immense tragédie
de la littérature.
Leopoldo Maria Panero, Le dernier homme, poésie 1980-1986, traduction de l’espagnol Rafael Garido, Victor Martinez et Cédric Demangeot, fissile, 2020, p. 89.
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05/01/2020
Jacques Prévert et André Verdet, Histories
La rivière
Cette nuit-là les yeux étaient une rivière sous les étoiles
Il y avait une barque au fil de l’eau
Vide
L’ombre frissonnante des arbres de la rive
Sur la lumière des flots
Puis l’arche d’un pont de pierre
Où la lune s’était posée
Jacques Prévert et André Verdet, Histoires,
Le Pré aux Clercs, 1948, p. 159.
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08/06/2019
Bernard Noël, La Chute des temps
Sur un pli du temps
toujours le plus
aura manqué
la langue a touché
trop d’ombre
trop compté les lettres du nom
une fois
cent fois
mille fois
les mains
ont rebâti
la statue
des larmes
mot
tombé
d’un mot
l’être
a roussi
dans le souffle
quelle fin
la bouche
troue
un visage
l’ombre
gouverne
sous les yeux
une pierre
pousse
entre nous
(…)
Bernard Noël, dans
La Chute des temps,
Poésie/Gallimard,
1993, p. 225-226.
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11/05/2019
Bernard Vargaftig, Distance nue
`
Cailloux murs pivoines
Et l’ombre
Des sorbiers
N’est plus qu’un mouvement
L’aveu me fait face
Accourir
Était
Une page muette
Paysage comme
Sans rien
Déchirer
L’air touchait où je tremble
Où les chiens se jettent
Où dans l’aube
Les places
Ont le nom d’un instant
Bernard Vargaftig, Distance nue,
André Dimanche, 1994, np.
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17/02/2019
Pierre Reverdy, La meule de soleil
Mémoire
Quand elle ne sera plus là
Quand je serai parti
Là-bas où il doit aussi faire jour
Un oiseau doit chanter la nuit
Comme ici
Et quand le vent passe
La montagne s’efface
Ces pointes blanches de la montagne
On se retrouvera sur le sable
Derrière les rochers
Puis plus rien
Un nuage marche
Par la fenêtre sort un cri
Les cyprès font une barrière
L’air est salé
Et tes cheveux sont encore mouillés
Quand nous serons partis là-bas derrière
Il y aura encore quelqu’un ici pour nous attendre
Et nous entendre
Un seul ami
L’ombre que nous avons laissée sous l’arbre et qui s’ennuie
Pierre Reverdy, La meule de soleil, dans Œuvres complètes, I,
Flammarion, 2010, p. 943-944.
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26/01/2019
Bernard Vargaftig, Le monde le monde
L’horizon touche les herbes
À nouveau pas un nuage
Et tant de souffle qu’espère
L’écho dans l’emportement
Tout ressemblait à la suite
Amandiers hâte calanque
Après l’avoir oubliée
L’inclinaison et l’été
Comme étonné sous ton cri
Et pitié inavouable
Et parfum embrasé où
Aucun mot n’est épargné
L’éblouissement sans ombre
Ne se referme jamais
Bernard Vargaftig, Le monde le monde,
André Dimanche, 1994, p. 65.
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