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12/10/2021

George Oppen, Poésie complète

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Les circonstances

 

Les mots les plus

Simples disent que le brin d’herbe

Entrave 

L’éclat

D’un astre

Pour projeter une ombre

Dans laquelle les insectes rampent

Près des racines ;

 

Père, père

De la paternité

Qui me hante, homme

Tremblant le plus nu

D’entre nous, ô père

 

                observe

Près des racines

De l’herbe le présent

Créateur    ce terrifiant

plongeon

 

Georges Oppen, Poésie complète,

traduction Yves di Manno, Corti,

2011, p. 165.

24/05/2019

Henri Cole, Terre médiane

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                        Insomnie

 

La nuit, à la lueur de la lampe, certains insectes

planant ou volant, en noir, rouge ou or,

surgissent comme des acteurs, vaguement spectraux,

dans l’espace ordinaire de ma chambre.

Hier soir, ils ont exécuté La Tempêteavec frénésie,

exigeant que je joue Prospero et pardonne

à chacun. « Et puis quoi ! » ai-je gémi.

Ce cher Ariel surnaturel, je l’aimais,

le décor insulaire, l’opportune vengeance —

comment résister ? La pluie s’est mise à tomber,

emplissant le temps comme du sable ou l’entendement humain.

C’est comme si je rêvais ou étais mort.

J’ai pardonné à mon frère, il m’a pardonné.

Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre dans l’obscur reflux de la nuit.

 

Henri Cole, Terre médiane, traduction Claire Malroux, Le bruit du temps, 2003, p. 83.

 

26/08/2017

Eugène Savitzkaya, Sang de chien

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   Comme un champignon je serai bientôt, comme un champignon esquinté par un groin si je continue à vivre de la sorte, si je continue à me frotter au vent, car le vent peu à peu me déforme le visage et me rend méconnaissable. Il entre par les narines et gonfle brusquement les sinus jusqu’à ce qu’ils explosent. Si je continue à manger mes peaux mortes, si je dors sur le ventre et la face écrasée contre terre. Si je continue à me coucher sur de la pierre, car la pierre, surtout le granit, contient une réserve d’humidité glacée qui a le pouvoir de se communiquer directement aux os et à la moelle. Si je continue à respirer. Si je continue à manger de la terre, et de la terre la glaise la plus salée, je deviendrai ça, une souche pourrie depuis longtemps et creuse, pleine du bois meulé et digéré par les insectes.

 

Eugène Savitzkaya, Sang de chien, éditions de Minuit, 1988, p. 54.

07/05/2015

Jean Tortel, Instants qualifiés

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Sombre la nuit et telle

Qu’au profond les dormeurs

Touchent le sable au creux

Longtemps suspendu des calmes

Vagues noires, rongée

Par les insectes poussiéreux,

En apparence désormais

Inaccessible au fond

D’elle-même et perdue et vierge

Intouchable et noire, descendue

En se dissociant dans les dormeurs

Qui l’ignorent, qui sont la nuit

Abusivement claire d’un rêve

Sans contrôle.

 

Jean Tortel, Instants qualifiés,, Gallimard, 1973, p. 29. © Photo Jean-Marc de Samie.