18/05/2014
Les 99 haïku de Ryokan
Dans la touffeur verte
une fleur de magnolia
en pleine floraison
Le ciel clair d'automne
des milliers de moineaux —
le bruit de leurs ailes
La fenêtre ouverte
tout le passé me revient —
bien mieux qu'un rêve !
Allons, c'est fini !
et moi aussi je m'en vais —
crépuscule d'automne
Sur la branche encore
aujourd'hui — mais plus demain —
le fleurs du prunier
Le vent de l'été
apporte dans ma soupe
des pivoines blanches
Les 99 haïku de Ryokan (1758-1831),
traduits par Joan Titus-Carmel,
Verdier, 1986, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les 99 haïku de ryokan, fleur, automne, moineau, souvenir, arbre | Facebook |
17/05/2014
Robert Walser, Bouderie et autres poèmes
Pourquoi, après tout ?
Alors qu'à la hâte revenait
un jour comme d'autres limpide,
il dit avec une résolution vraie,
une lenteur placide :
Maintenant il faut que ça change,
que dans la lutte je me plonge ;
je veux comme tant d'autres gens
aider à ôter du monde la souffrance,
veux souffrir, vagabondant,
jusqu'à ce qu'au peuple échoie la délivrance;
Ne veux plus jamais me coucher de lassitude ;
il faut faire
quelque chose ; alors l'envahit une incertitude,
une somnolence : à quoi bon, laisse faire.
Robert Walser, Bouderie et autres poèmes, traduction
Fernand Cambon, dans Europe, "Robert Walser",
n° 889, mars 2003, p. 149.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert walser, bouderie et autres poèmes, changement, souffrance, lassitude, laisser faire | Facebook |
16/05/2014
Anise Koltz, Galaxies intérieures
Le poème
est le regard posé
sur un présent illisible
Des espace se forment
et s'écroulent
devant toi
Le poème
voit sans yeux extérieurs
suspendu
par-dessus le vide des siècles
Il constate :
Tout est dans rien
*
À René
Je te revois en rêve
sombre demeure des morts
où tu vis et travaille
Parfois tu me fais signe
de ta terrasse planétaire
Ton ombre m'approche
jetant à mes pieds
notre monde partagé
*
J'ignore pour qui
pourquoi je vis
J'ignore pour qui
pourquoi je meurs
Anise Koltz, Galaxies intérieures, Arfuyen,
2013, p. 69, 91, 52.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anise koltz, galaxies intérieures, poème, néant, souvenir, rêve, mort, signe | Facebook |
14/05/2014
Pascal Quignard, Petits traités, III
Petits traités, I à VIII
XVIIe traité. Liber
Le terme de livre ne peut être défini. Objet sans essence. Petit bâtiment qui n'est pas universel.
La "réunion de feuilles servant de support à un texte imprimé, cousues ensemble, et placées sous une couverture commune" ne le définit pas. Ce que les Grecs et les Romains déroulaient sous leurs yeux, les tablettes d'argile que consignait Sumer, les bandes de papyrus encollées de l'Égypte, les carreaux de soie de la Chine, ce que les médiévaux enchaînaient à des pupitres et qu'ils étaient impuissants à porter sur leurs genoux, ou à tenir entre les mains, les microfilms qu'entassent les universités américaines, des feuilles de palmier séchées et frottées d'huile, des lamelles de bambou, des briques, un bout de papier, une pierre usée, un petit carré de peau, une plaque d'ivoire, un socle de bronze, une pelure d'écorce, des tessons, — rien de ce que l'usage de ces matières requiert ne s'éloigne sans doute à proprement parler de la lecture, mais rien ne vient s'assembler tout à coup sous la forme plus générale ou plus essentielle du "livre". Même, l'adhésion de tous les traits hétérogènes que ces objets présentent cette addition ne le constituerait pas.
Les critères qui le définissent ne le définissent pas.
Le livre est ce qui supporte l'écriture. Mais le petit papier manuscrit (la petite feuille volante) ne constitue pas un livre.
Le livre renvoie à une métamorphose qui supplée son écriture manuelle. Mais tout ce que les éditeurs font imprimer, mettent dans d'immenses silos, diffusent et vendent sous ce nom, c'est loin de définir un livre.
[...]
Pascal Quignard, Petits traités, III, Maeght, 1992, p. 37-39.
VENDREDI 16 MAI 2014
à 20 h
à L’Observatoire du livre et de l’écrit « Le MOTif »
6, villa Marcel-Lods
Passage de l’Atlas
75019 Paris
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, petits traités, iii, livre, antiquité, histoire, lecture | Facebook |
13/05/2014
Pascal Quignard, Petits traités, II
Petits traités, volumes I -VIII
xive traité. Noésis
[...]
Triple rituel
Le livre parce que sa lecture suscite des désirs qu'il met à mal et brise, construit sur de telles "brisées" — à chaque étape de la lecture — un grand désir tort, irréductible, compliqué, autonome afin de l'expulser — au terme de la lecture — avec le plus grand degré de violence et de satisfaction possible. De là le caractère si formel des livres : ce caractère tient à la nature répétitive, coutumière, des rituels sacrificiels. Il tient au vague de la pensée, à la pauvreté de ces gestes réflexes, et à l'invariabilité de la mort en nous.
Les désirs que le lecteur investit dans le livre qu'il lit, à l'gal des souhaits qu'il forme quant au cours ultérieur de l'argumentation ou de l'intrigue, ne cessent d'être empêchés ou contraints à la fois par "l'univocité de voix" qu'est tout livre, et par la temporalité imperturbable des pages qu'il tourne et qu'il retourne. Sans doute semblables sacrifices présentent-ils des traits assez proches de ceux dont le lecteur est la victime vive, le long des jours, à l'épreuve de ce qu'un monde, une époque, une langue affabulent, un temps, pour "réel", et qui par effet de retour nous presse ou nous écrase. Mais ce "réel" du livre se sacrifie lui-même au terme de la lecture du livre : carnage d'abstractions, un livre refermé, pour toute fin le mot même de fin, rien, rien.
Qui écrit écrit pour ce saccage final, pour la mise en scène qui mesure l'intensité du carnage.
Pascal Quignard, Petits traités, II, Maeght, 1990, p. 167-169.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, petits traites, ii | Facebook |
12/05/2014
Pascal Quignard, Petits traités, I
Petits traités, volume 1 à 8
VIIIe traité, Le Livre des lumières
Au cours de la lecture, on dit qu'une voix silencieuse, parfois, se fait jour. À l'évidence, elle ne naît pas du livre. Mais le corps ne l'articule pas. Elle épouse le rythme de la syntaxe et sans qu'elle fasse sonner les mots elle mobilise pourtant la gorge, le souffle, les lèvres. Il semble que tout le corps, pourtant immobile, s'est mis à suivre une certaine cadence, qu'il ne gouverne pas, mais que le livre lui impose : la langue résonne en silence dans les marques syntaxiques, le corps halète un peu et c'est un très lointain fredon.
On le dit.
« On le dit », cela veut dire : ce sont des choses qu'on entend. Mais personne n'entend les livres.
S'il est vrai que la ponctuation d'un livre est plus affaire de syntaxe que de souffle, il reste que parfois pareille voix fictive parcourt effectivement le corps. Même, quand le livre est très beau, elle fait penser que la lecture n'est pas si loin de l'audition, ni le silence du livre tout à fait éloigné d'une « musique extrême », — encore qu'il faille affirmer aussitôt qu'elle est imperceptible.
Aussi entend-on parler de la ponctuation comme d'une sorte de cadence ou, plutôt, de « mouvement d'exécution ». Ce n'est pas un air, une mélodie : mais un rythme, qui est abstrait, qui chiffre la promptitude ou la lenteur, solfiant les groupes des mots, décidant des valeurs Ainsi on estime certaines ponctuations pour agitées, ou contenues, pour graves, ou inquiètes, pour fougueuses, ou sèches, pour domptées, ou tumultueuses, — et il est vrai que le rejet même de la ponctuation, loin qu'il affranchisse d'une règle, consent un sacrifice qu'il n'appelait peut-être pas de ses vœux s'il a pour premier effet des restrictions supplémentaires, des privations exorbitantes. Vouant à vivre de peu, il accroît la misère.
[...]
Pascal Quignard, Petits traités, I, Maeght, 1990, p. 159-161.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, petits traités i, le livre des lumières, voix, souffle, corps, ponctuation, langue, lecture, silence | Facebook |
11/05/2014
Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé
Le lac
Au printemps de mon âge, ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer — si aimable était l'isolement d'un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.
Mais quand la nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurer sa musique — alors — oh ! alors je m'éveillais toujours à la terreur du lac isolé.
Cette terreur n'était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que non ! mine de joyaux ne pouvait m'enseigner ou me porter à définir — ni l'Amour, quoique l'Amour fut le tien !
La mort était sous ce flot empoisonnant, dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée — dont l'âme solitaire pouvait faire un Eden de ce lac obscur.
Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1928, p. 138-139.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les poèmes d'edgar poe, traduits par stéphane mallarmé, lac, terreut, isolement, amour, nuit, mort | Facebook |
Buson (1716-1783), Le parfum de la lune
aux poils de la chenille
on devine que souffle
la brise matinale
sous la lune
si loin semblent-elles
la couleur et la senteur de la glycine
juste un somme
au réveil cette journée printanière
déjà se termine
toute la nuit
sans un bruit la pluie
sur les sacs de graines
au bord du chemin
par une main éparpillées
quelques fleurs de sarrasin
les fleurs des cerisiers s'éparpillent
dans les pépinières de riz inondées
nuit étoilée
Buson (1716-1783), Le parfum de la lune,
traduction Cheng Wing fun et Hervé
Collet, Moundarren, 1992, p. 19, 29,
32, 39, 44, 48.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : buson, le parfum de la lune, brise, lune, fleur, cerisier, printemps | Facebook |
10/05/2014
Sarah Kirsch (1935-2013), À la pêche avec Sacha
À la pêche avec Sacha
Ce qui serait bien avait dit Sacha ce serait de faire
Aujourd'hui notre provision de vers de terre et demain
Le bus du canal un petit sac de ravitaillement l'attirail
De pêche des pliants du tabac en veux-tu en voilà moi j'ai dit
Sitôt dit sitôt fait après avoir perdu en route
Un chaudron traversé les roseaux en nous protégeant les yeux
Nous avons mis bas le paquets j'ai poussé un soupir le soleil
Pointait hors de l'eau dans cette contrée
L'eau de la rivière et non de la mer
Viens sous le saule
Toi prends le pliant rouge
À l'ombre des amorces
Enfile les bottes en caoutchouc
Claquements de lignes nombreux des deux côtés sur l'eau boueuse
Un petit chaudron çà et là fume y nagent sans doute
Des paprikas en attendant ceux qui pour l'instant sont encore
Ces poissons voilà déjà le bouchon qui plonge je ferre rien
Fais attention au fil
Un bateau à moteur passe le long du bord
Il a de belles mains
La ligne de vie pas une brisure
C'était à prévoir Sacha a de la veine il prend quelque chose et moi
De ces ridicules petits poissons dont on n'ose même pas
Dire le nom si j'essayais à la cuiller
Pas encore la saison je le sais bien les poissons aussi
Ma seule chance est là à nouveau le bateau à moteur
Qui passe il a son fil cassé au-dessus de l'hameçon viens
Les nœuds les tendres liens c'est à moi de les faire Sacha
Ta main est trop grosse
Serre bien les plombs avec tes dents
Je suis quand même bonne à quelque chose tu vois
Je pose la deuxième ligne
[...]
Sarah Kirsch (1935-2013), À la pêche avec Sacha, traduit de l'allemand par Maurice Regnaut, dans Rehauts, n° 32, septembre 2013, p. 3-4.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sarah kirsch (1935-2013), À la pêche avec sacha, rivière, poisson, bateau, hameçon | Facebook |
08/05/2014
James Sacré, Donne-moi ton enfance
La campagne de ton enfance. On la voit qui s'en va loin : au-delà de grands oliviers qui sont comme un geste du tems. Cette campagne est une belle étendue de lumière et de champs cultivés tenue dans la hauteur et relevée sur ses bords en collines qui sont déjà de la montagne.
Tu montres, on ne distingue pas bien, un endroit où ton grand-père t'emmenait, cheval et l'eau d'une fontaine à ramener à la maison. Sur le plat le cheval tire sa tête de côté, dis-tu, mais une fois dans la pente l'effort remet tout son corps dans le droit du chemin.
J'ai le sentiment d'être dans un endroit pour lire un monde sans secret sinon celui, donné là devant, dans la lumière. Tu n'as presque rien dit parce que sans doute
Il n'y a rien à dire. Ce qui s'étend devant ton enfance jusqu'à ce geste des oliviers vient nous toucher.
On a l'impression de comprendre mieux comment vivre est à la fois de l'espace et du temps.
James Sacré, Donne-moi ton enfance, Tarabuste, 2013, p. 101-102.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Sacré James | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, donne-moi ton enfance, secret, lumière, campagne, temps, fontaine | Facebook |
07/05/2014
Pier Paolo Pasolini, La Rage
62. Série de photographies de femmes parées de bijoux au théâtre.
La classe propriétaire de la richesse.
Parvenue à une telle familiarité avec la richesse,
qu'elle confond la nature et la richesse.
Si perdue dans le monde de la richesse
qu'elle confond l'histoire et la richesse.
Si touchée par la grâce de la richesse
qu'elle confond les lois et la richesse.
Si adoucie par la richesse
qu'elle attribue à Dieu l'ide de la richesse.
63. Gens qui rentrent à une réception et porte qui se ferme.
La classe de la beauté et de la richesse,
un monde qui n'écoute pas.
La classe de la beauté et de la richesse,
un monde qui vous laisse à la porte.
Pier Paolo Pasolini, La Rage, traduit par Patrizia Atzei et Benoît Casas, NOUS, 2014, p. 105-106.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pier paolo pasolini, la rage, richesse, mépris, nature, histoire | Facebook |
06/05/2014
Georges Didi-Huberman, Essayer voir
« Comment essayer dire ? » (how try say ?), se demande Beckett1. Et il répond par l'indication d'un geste double ou dialectique, un geste constamment reconduit à la façon dont nos propres paupières ne cessent d'aller et venir, de battre au-devant de nos yeux : « Yeux clos » (clenched eyes), pour ne pas croire que tout serait à notre portée comme le matériau intégral d'une demonstration ad oculos. « Yeux écarquillés » (staring eyes), pour s'ouvrir et s'offrir à l'irrésumable expérience du monde. « Yeux clos écarquillés » (clenched staring eyes), pour penser enfin, et même pour dire, essayer dire tout cela ensemble2. Si le langage nous est donné, le dire nous est constamment retiré, et c'est par une lutte de tous les instants, un essai toujours à recommencer, que nous nous débattons avec cet innommable de nos expériences, de notre défaut constitutionnel devant l'opacité du monde et de ses images.
Georges Didi-Huberman, Essayer voir, Les Éditions de Minuit, 2014, p. 53.
___________________________
1 S. Beckett, Worstxard Ho, London, John Calder, 1983, p. 17 (repris chez Faber en 2009). Trad. E. Fournier, Cap au pire, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991, p. 20.
2 Ibid, p. 11 (trad. cit., p. 12).
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges didi-huberman, essayer voir, beckett, expérience, monde, essai, image | Facebook |
05/05/2014
Pier Paolo Pasolini, La rage
Ainsi tandis que dans un coin la culture de haut niveau devient de plus en plus raffinée et réservée à quelques-uns, ces « quelques-uns » deviennent, fictivement, nombreux : ils deviennent « masse ». C'est le triomphe du « digest », de l'« illustré » et, surtout, de la télévision. Le monde déformé par ces moyens de diffusion, de culture, de propagande, devient de plus en plus irréel : la production en série, y compris des idées, le rend monstrueux.
Le monde des magazines, du lancement à l'échelle mondiale des produits, même humains, est un monde qui tue.
Pauvre, tendre Marilyn, petite sœur obéissante, accablée par sa beauté comme par une fatalité qui réjouit et tue.
Peut-être as-tu pris le bon chemin, nous l'as-tu enseigné. Ton blanc, ton or, ton sourire impudique par politesse, passif par timidité, par respect envers les adultes qui te voulaient ainsi, toi, restée gamine, voilà ce qui nous invite à apaiser la rage dans les pleurs, à tourner le dos à cette réalité maudite, à la fatalité du mal.
Car : tant que l'homme exploitera l'homme, tant que l'humanité sera divisée en maîtres et en esclaves, il n'y aura ni normalité ni paix. Voilà la raison de tout le mal de notre temps.
Et aujourd'hui encore, dans les années soixante, les choses n'ont pas changé : la situation des hommes et de leur société est la même qui a produit les tragédies d'hier.
Vous voyez ceux-là ? Hommes sévères, en veste croisée, élégants, qui montent et descendent des avions, qui roulent dans de puissantes automobiles, s'asseyent à des bureaux grandioses comme des trônes, se réunissent dans des hémicycles solennels, dans des lieux superbes et sévères ces hommes aux visages de chiens ou de saints, de hyènes ou d'aigles, ce sont eux les maîtres.
Et vous voyez ceux-là ? Hommes humbles, vêtus de haillons ou de vêtements produits en série, misérables, qui vont et viennent par des rues grouillantes et sordides, qui passent des heures et des heures à un travail sans espoir, se réunissent humblement dans des stades ou des gargotes, dans des masures misérables ou dans de tragiques gratte-ciels : ces hommes aux visages semblables à ceux des morts, sans traits et sans lumière sinon celle de la vie, ce sont eux les esclaves.
De cette division naissent la tragédie et la mort.
Pier Paolo Pasolini, La rage, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, introduction de Roberto Chiesi, NOUS, 2014, p. 18-19.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pier paolo pasolini, la rage, exploitation, maître, esclave, tragédie, mort, marilyn | Facebook |
04/05/2014
Buson (1716-1783), Le parfum de la lune
aux poils de la chenille
on devine que souffle
la brise matinale
sous la lune
si loin semblent-elles
la couleur et la senteur de la glycine
juste un somme
au réveil cette journée printanière
déjà se termine
toute la nuit
sans un bruit la pluie
sur les sacs de graines
au bord du chemin
par une main éparpillées
quelques fleurs de sarrasin
les fleurs des cerisiers s'éparpillent
dans les pépinières de riz inondées
nuit étoilée
Buson (1716-1783), Le parfum de la lune,
traduction Cheng Wing fun et Hervé
Collet, Moundarren, 1992, p. 19, 29,
32, 39, 44, 48.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : buson (1716-1783), le parfum de la lune, haïkaï, printemps, cerisier, nuit, fleur, lune | Facebook |
03/05/2014
Martial, DCL épigrammes recyclées par Christian Prigent
III, 65
Haleine d'enfant qui mord dans un fruit,
Brise qui passa sur fleur de safran ;
Arôme de vigne aux grappes d'argent,
Le gazon aimé des dents de brebis ;
Le myrte épandu avec l'aromate.
L'ambre, l'encens d'orient qi éclate
Au feu pâle ; une pluie douce aux sillons,
Des cheveux brillants du nard des flacons ;
Voilà tout ce que sentent tes baisers.
Pourquoi donc veux-tu me les marchander ?
*
IV, 65
Elle pleure d'un seul œil à la fois
Impossible ? Non — mais borgne : voila !
*
V, 13
J'ai pas un sou mais m'en bats l'œil :
Un peu partout j'ai des lecteurs
Qui s'écartent de mon soleil,
Disant : « C'est lui ! » — Que du bonheur !
Vivant, sur mes lauriers je dors
Mieux que bien d'autres déjà morts.
À toi tes cent mètres carrés,
Un coffre-fort plein craquer,
Tes propriétés, tes chevaux,
Les revenus de tes troupeaux.
Y arriver, chacun le peut.
Mais être moi : essaie un peu !
*
VII, 30
Putain romaine
Mais pute à Grecs.
Et si avec
Un Juif s'amène :
Putain pour lui.
Pute à Germains,
À Égyptiens,
Sand oublier
L'Indien bronzé
De la mer Rouge.
Elle se bouge
Le cul pour des
Petits Maltais,
Des grands Galois.
Même parfois
Tous à la fois.
Oui, mais voilà :
Pas de Romains.
Pour eux : « Tintin ! »
Dit la putain.
*
IX, 81
Mes lecteurs : « C'est bon ! »
Mes critiques : « Non ! »
Plutôt plaire aux invités
Que complaire au cuisinier.
Martial, DCL épigrammes recyclées par
Christian Prigent, P.O.L poche, 2014.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Prigent Christian | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : martial, dcl épigrammes recyclées par christian prigent, baiser, écrivain, richesse, putain | Facebook |