10/04/2024
Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole
Est-ce que j’aime encore ?
Je bouge à peine dans les fils ténus
de ma propre mante,
rongée par les dents de l’oubli,
mensongère assurément — mais qui, encore,
pourrait m’en assigner, qui m’offrirait davantage ?
On disparaît. On n’est plus femme,
juste ce fantôme aux cartes de crédit,
celle qui occupe, ne devrait pas,
un siège dans l’autobus.
Et cette image dedans
de la jeune femme qu’on est encore.
Monique Laederach, Cette absolue liberté de paroles,
dans La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 19.
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09/04/2024
Georges Perros, Papiers collés
Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe. Et ce qui m’échappe me donne la mesure de ce que je suis.
La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.
Il faisait d’elle ce qu’elle voulait.
Aimer, c’est donner le droit à quelqu’un — sinon le devoir — de nous faire souffrir.
Les femmes sont ainsi faites qu’elles sont plus flattées de nous séparer d’une femme que de nous retirer de la solitude.
Georges Perros, Papiers Collés, Gallimard, 1960, p. 63, 65, 67, 72, 73.
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03/04/2024
Anne Calas, Une pente si douce
Une femme est une énonciation illimitée
le ton « Je sais » par exemple
une femme est une énonciation illimitée
est incompatible avec
« Qui suis-je ? »
il y a une gorge profonde
que je caresse aussi avec une planche à laver
si douce au toucher
que j’en atteins
l’enfance
un son
générique si particulier comme
animal
Anne Calas, Une pente si douce,
Flammarion, 2024, p. 201.
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10/03/2024
Georges Perros, Une vie ordinaire
Les femmes vieillissent trop vite
à force d’hommes sur leur ventre
mais elles valent mieux que nous
qui passons entre leurs genoux
comme on entre dans un tunnel
seulement fiers de bien saillir
afin de satisfaire filles
à prendre et bientôt à laisser
je me dégoûte d’être un homme.
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 698.
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03/01/2023
Hugo Hofmannsthal, Le lien d'ombre
Tercets, IV
Parfois des femmes que nul n’a jamais aimées viennent
En rêve à notre rencontre, on dirait des petites filles,
Et elles sont indiciblement émouvantes à voir.
Comme si avec nous sur d’invisibles routes
Elles avaient par un soir de jadis longuement cheminé,
Tandis que les cimes des arbres s’agitent en respirant
Et que tombe sur nous un souffle parfumé, et la nuit, et l’angoisse,
Et que le long du chemin, de notre chemin, l’obscur,
Dans la clarté du soir les étangs muets resplendissent.
Miroir de notre nostalgie, ils scintillent comme en rêve,
Et à toutes les paroles murmurées, à tout le flottement
De l’air du soir et au premier éclat des étoiles,
Les âmes, ces sœurs, profondément tressaillent
Et s’affligent, et s’emplissent d’une gloire triomphante,
Émues par le profond pressentiment qui comprend la grandeur de la
vie
Et sa splendeur et son austérité.
Hugo Hofmannsthal, Le lien d’ombre, poèmes complets, traduit de l’allemand, annoté et présenté par Jean-Yves Masson, édition bilingue, Verdier poche, 2006, p. 200-201.
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16/09/2022
Jude Stéfan, Libères
ma lente ma digne ma parfaite
toi partie pour guérir de toi
puisque femme de la femme guérit
courons voir au large une voile
rouge sur l’écume brève avec la
nymphe au trop de gestes et demain
la vénitienne aux baisers doulou-
reuse mais aux doigts si blancs sur sa
touffe puis le soir même la vieille
aux dents d’or qui vous abîme en l(oubli ;
où es-tu où je ne suis ici je
crie haï de moi d’aimer reviens
ma chaste unique entre tes mains
calmer ma face de tes feux mon cœur.
(Absence)
Jude Stéfan Libères, Gallimard, 1970, p. 47.
Stéfan, 1991, photo T. H.
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20/04/2022
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Ici
Ici les maisons cessent comme au bord de l’eau
La rue arpente les labours
Le flux de blé monte jusqu’au trottoir
Les femmes sont chez elles
Usant le jour et la lessive
Les pierres leur sont familières
Elles choisissent un vent propice
Les hommes à droite partent en terre
Ils retournent au champ lointain
Jeter leur filet de fer dans la glaise
Je suis venu pour rassembler
Le port où meurt la houle des sillons
La jetée des rives de Loire
Et la lisière humaine de la mer
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,
Le Chemin, Gallimard, 1961, p. 37.
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04/04/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Les descriptions de femme ressemblent à des vitrines de bijoutier. On y voit des cheveux d’or, des yeux d’émeraude, des dents perle, des lèvres de corail. Qu’est-ce, si l’on va plus loin dans l’intime ! En amour, on pisse de l’or.
Il avait plus de cheveux blancs que de cheveux.
Un ami ressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu’il ne soit usé. Sans cela, c’est lui qui nous quitte.
Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 11, 13, 15, 17.
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04/02/2021
Paul Claudel, Lettres à Ysé
Légation de France au Brésil
Rio de Janeiro, 4 août 1917
(...) Chère R. il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été /aimée/ par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimée, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entraînait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule et véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.
Paul Claudel, Lettres à Ysé, Gallimard, 2017, p. 112-113.
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25/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
FÉMININ SINGULIER
Éternel Féminin de l’éternel Jocrisse !
Fais-nous sauter, pantins nous payons les décors !
Nous éclairons la rampe… Et toi, dans la coulisse,
Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.
Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice,
Couronne tes genoux !… et nos têtes dix-cors ;
Ris ! montre tes dents ! mais… nous avons la police,
Et quelque chose en nous d’eunuque et de recors.
… Ah tu ne comprends pas ?… — Moi non plus — Fais la belle
Tourne : nous sommes soûls ! Et plats : Fais la cruelle !
Cravache ton pacha, ton humble serviteur !…
Après, sache tomber ! — mais tomber avec grâce —
Sur notre sable fin ne laisse pas de trace ! …
— C’est le métier de femme et de gladiateur. —
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,
1873, p. 23.
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31/03/2020
Joseph Joubert, Carnets, I
L’imagination est le goût. La raison est sans appétits : la vérité et la justesse lui suffisent.
Le papier est patient, mais le lecteur ne l’est pas.
Tout ce qui est très plaisant a quelque exagération et contient nécessairement une vérité défigurée.
Les animaux aiment ceux qui leur parlent.
Le châtiment de ceux qui ont trop aimé les femmes est de les aimer toujours.
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1938, 1994, p. 271, 272, 273, 274, 278.
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30/04/2019
Pascal Quignard, Les Larmes
Virgile
Virgile a écrit dans En. VI, 179 : On marche en direction de l’antique forêt qu’on a perdue, jadis, dès l’instant où on s’est agroupé pour tuer en imitant les essaims et ls meutes, en préparant des pièges, en dressant des filets, en entassant des pierres sur les morts, en assemblant des armées pour tuer, en constituant des nations qu’on borne de frontières imaginaires, verbales, brumeuses, impitoyables, terribles.
En latin : Itur in antiquam silvam.
Les Francs marchèrent le long du Rhin, le long de la Meuse, le long de la Moselle, le long de la Somme, le long de la Seine, le long de l’Yonne, le long de la Loire, le long de la Garonne.
On marche vers les cris qu’on a entendus dans le ventre noir des mères jusqu’au jour où on a commencé à se mettre debout et à tituber en direction de ce qu’on interprétait comme des tendres sourires, de ce qu’on découvrait comme des beaux visages aux lèvres peintes qui devenaient comme des leurres sous des grandes chevelures creuses, des grandes robes creuses, comme des lettres étranges, magiques, qui ensorcellent.
(…)
Pascal Quignard, "(Le Livre du poète Virgile)", dans Les Larmes, Folio / Gallimard, 2016, p. 173-174.
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21/10/2018
Charles Reznikoff, La Jérusalem d'or
58
Tu crois que tu es une femme
parce que tu as des enfants et des amants ;
mais dans la rue
quand il n’y a qu’Orion et les Pléiades pour nous voir,
tu te mets à chanter, tu joues à la marelle.
71
Lorsque le ciel est bleu, l’eau, sur fond de sable, est verte.
On y déverse des journaux, des boîtes de conserve,
un ressort de sommier, des bâtons et des pierres :
mais les uns, les eaux patientes les corrodent, les autres
une mousse patiente les recouvre.
Charles Reznikoff, La Jérusalem d’or, Unes, 2018, np.
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29/01/2018
Paul Claudel, Lettres à Ysé
"L'amour fou"
Rio de Janeiro, 4 août 1917 (Paul Claudel à Rozie — "Ysé")
(…) il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été aimée par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimé, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entrainait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.
Paul Claudel, Lettres à Ysé, édition G. Antoine, Gallimard, 2017, p. 112-113.
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24/08/2017
Robert Desnos, Deuil pour deuil
Écoutez ! des tambours et des cris, le roulement funeste d’une puissante auto présagent la Révolution prochaine. Des hommes seront guillotinés, les drapeaux s’envoleront comme des cigognes mais d’inguillotinables femmes décevront, laisseront songeurs au haut des estrades sanglantes les sympathiques, les pensifs bourreaux.
Robert Desnos, Deuil pour deuil, dans La liberté ou l’amour !, L’imaginaire/Gallimard, 1962, p. 131.
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