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10/03/2024

Georges Perros, Une vie ordinaire

 

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Les femmes vieillissent trop vite

à force d’hommes sur leur ventre

mais elles valent mieux que nous

qui passons entre leurs genoux

comme on entre dans un tunnel

seulement fiers de bien saillir

afin de satisfaire filles

à prendre  et bientôt à laisser

je me dégoûte d’être un homme.

 

Georges Perros, Une vie ordinaire, dans

Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 698.

03/01/2023

Hugo Hofmannsthal, Le lien d'ombre

         

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Tercets, IV

Parfois des femmes que nul n’a jamais aimées viennent

En rêve à notre rencontre, on dirait des petites filles,

Et elles sont indiciblement émouvantes à voir.

 

Comme si avec nous sur d’invisibles routes

Elles avaient par un soir de jadis longuement cheminé,

Tandis que les cimes des arbres s’agitent en respirant

 

Et que tombe sur nous un souffle parfumé, et la nuit, et l’angoisse,

Et que le long du chemin, de notre chemin, l’obscur,

Dans la clarté du soir les étangs muets resplendissent.

 

Miroir de notre nostalgie, ils scintillent comme en rêve,

Et à toutes les paroles murmurées, à tout le flottement

De l’air du soir et au premier éclat des étoiles,

 

Les âmes, ces sœurs, profondément tressaillent

Et s’affligent, et s’emplissent d’une gloire triomphante,

Émues par le profond pressentiment qui comprend la grandeur de la   

    vie

Et sa splendeur et son austérité.

 

Hugo Hofmannsthal, Le lien d’ombre, poèmes complets, traduit de l’allemand, annoté et présenté par Jean-Yves Masson, édition bilingue, Verdier poche, 2006, p. 200-201.

16/09/2022

Jude Stéfan, Libères

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ma lente ma digne ma parfaite

toi partie pour guérir de toi

puisque femme de la femme guérit

courons voir au large une voile

rouge sur l’écume brève avec la

nymphe au trop de gestes et demain

la vénitienne aux baisers doulou-

reuse mais aux doigts si blancs sur sa

touffe puis le soir même la vieille

aux dents d’or qui vous abîme en l(oubli ;

où es-tu où je ne suis ici je

crie haï de moi d’aimer reviens

ma chaste unique entre tes mains

calmer ma face de tes feux mon cœur.

                          

                                              (Absence)

 

Jude Stéfan Libères, Gallimard, 1970, p. 47.

Stéfan, 1991, photo T. H.

20/04/2022

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île

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                 Ici

 

Ici les maisons cessent comme au bord de l’eau

La rue arpente les labours

Le flux de blé monte jusqu’au trottoir

Les femmes sont chez elles

Usant le jour et la lessive

Les pierres leur sont familières

Elles choisissent un vent propice

Les hommes à droite partent en terre

Ils retournent au champ lointain

Jeter leur filet de fer dans la glaise

 

Je suis venu pour rassembler

Le port où meurt la houle des sillons

La jetée des rives de Loire

Et la lisière humaine de la mer

 

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,

Le Chemin, Gallimard, 1961, p. 37.

04/04/2022

Jules Renard, Journal, 1887-1910

                         jules renard, journal, amitié

Les descriptions de femme ressemblent à des vitrines de bijoutier. On y voit des cheveux d’or, des yeux d’émeraude, des dents perle, des lèvres de corail. Qu’est-ce, si l’on va plus loin dans l’intime ! En amour, on pisse de l’or.

 

Il avait plus de cheveux blancs que de cheveux.

                      

Un ami ressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu’il ne soit usé. Sans cela, c’est lui qui nous quitte.

 

Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 11, 13, 15, 17.

04/02/2021

Paul Claudel, Lettres à Ysé

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Légation de France au Brésil

Rio de Janeiro, 4 août 1917

 

(...) Chère R. il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été /aimée/ par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimée, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entraînait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule et véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.

 

Paul Claudel, Lettres à Ysé, Gallimard, 2017, p. 112-113.

25/12/2020

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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             FÉMININ SINGULIER

 Éternel Féminin de l’éternel Jocrisse !
Fais-nous sauter, pantins nous payons les décors !
Nous éclairons la rampe… Et toi, dans la coulisse, 
Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.

Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice, 
Couronne tes genoux !… et nos têtes dix-cors ;
Ris ! montre tes dents ! mais… nous avons la police, 
Et quelque chose en nous d’eunuque et de recors.

… Ah tu ne comprends pas ?… — Moi non plus — Fais la belle
Tourne : nous sommes soûls ! Et plats : Fais la cruelle !
Cravache ton pacha, ton humble serviteur !…

Après, sache tomber ! — mais tomber avec grâce —
Sur notre sable fin ne laisse pas de trace ! …
— C’est le métier de femme et de gladiateur. —

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,

1873, p. 23.

31/03/2020

Joseph Joubert, Carnets, I

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L’imagination est le goût. La raison est sans appétits : la vérité et la justesse lui suffisent.

 

Le papier est patient, mais le lecteur ne l’est pas.

 

Tout ce qui est très plaisant a quelque exagération et contient nécessairement une vérité défigurée.

 

Les animaux aiment ceux qui leur parlent.

 

Le châtiment de ceux qui ont trop aimé les femmes est de les aimer toujours.

 

Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1938, 1994, p. 271, 272, 273, 274, 278.

30/04/2019

Pascal Quignard, Les Larmes

                                      Pascal Quignard, "(Le Livre du poète Virgile)", dans Les Larmes, marche, ventre, femme          

      Virgile

 

  Virgile a écrit dans En. VI, 179 : On marche en direction de l’antique forêt qu’on a perdue, jadis, dès l’instant où on s’est agroupé pour tuer en imitant les essaims et ls meutes, en préparant des pièges, en dressant des filets, en entassant des pierres sur les morts, en assemblant des armées pour tuer, en constituant des nations qu’on borne de frontières imaginaires, verbales, brumeuses, impitoyables, terribles.

   En latin : Itur in antiquam silvam.

   Les Francs marchèrent le long du Rhin, le long de la Meuse, le long de la Moselle, le long de la Somme, le long de la Seine, le long de l’Yonne, le long de la Loire, le long de la Garonne.

   On marche vers les cris qu’on a entendus dans le ventre noir des mères jusqu’au jour où on a commencé à se mettre debout et à tituber en direction de ce qu’on interprétait comme des tendres sourires, de ce qu’on découvrait comme des beaux visages aux lèvres peintes qui devenaient comme des leurres sous des grandes chevelures creuses, des grandes robes creuses, comme des lettres étranges, magiques, qui ensorcellent.

(…) 

Pascal Quignard, "(Le Livre du poète Virgile)", dans Les Larmes, Folio / Gallimard, 2016, p. 173-174.

21/10/2018

Charles Reznikoff, La Jérusalem d'or

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Tu crois que tu es une femme

parce que tu as des enfants et des amants ;

mais dans la rue

quand il n’y a qu’Orion et les Pléiades pour nous voir,

tu te mets à chanter, tu joues à la marelle.

 

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Lorsque le ciel est bleu, l’eau, sur fond de sable, est verte.

On y déverse des journaux, des boîtes de conserve,

   un ressort de sommier, des bâtons et des pierres :

mais les uns, les eaux patientes les corrodent, les autres

   une mousse patiente les recouvre.

 

Charles Reznikoff, La Jérusalem d’or, Unes, 2018, np.

29/01/2018

Paul Claudel, Lettres à Ysé

 

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                              "L'amour fou"

Rio de Janeiro, 4 août 1917 (Paul Claudel à Rozie — "Ysé") 

 

(…) il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été aimée par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimé, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entrainait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.

 

Paul Claudel, Lettres à Ysé, édition G. Antoine, Gallimard, 2017, p. 112-113.

24/08/2017

Robert Desnos, Deuil pour deuil

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Écoutez ! des tambours et des cris, le roulement funeste d’une puissante auto présagent la Révolution prochaine. Des hommes seront guillotinés, les drapeaux s’envoleront comme des cigognes mais d’inguillotinables femmes décevront, laisseront songeurs au haut des estrades sanglantes les sympathiques, les pensifs bourreaux.

 

Robert Desnos, Deuil pour deuil, dans La liberté ou l’amour !, L’imaginaire/Gallimard, 1962, p. 131.

06/05/2017

64 Dodoïstu, Les montagnes, les rizières et la mer

       

                       64 Dodoïstu, Les montagnes les rizières et la mer, alain kervern, rupture, grenouille, pluie, femme

L’homme avec qui j’ai rompu

Le voilà au détour du chemin

Vite frottons nous les yeux

Une poussière y est entrée

 

Le long des berges

Par temps de pluie

Des grenouilles se tiennent

Vigiles de l’autre monde

 

La pluie tombe

Les mauvaises langues se délient

La pluie s’arrête

Les mauvaises langues continuent

 

Cœur de femme

Corps de luciole

Sans un mot

Se consument

 

64 Dodoïstu, Les montagnes les rizières et la mer,

traduction du japonais Alain Kervern,

Calligrammes,1984, np.

19/02/2017

Yannis Ritsos, Erotica

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Meubles tissus objets

d’usage courant

la vieille lampe

un bouton dans le verre

faux-fuyants — dit-il —

des à-peu-près

pour ce qui n’a pas été nommé —

derrière le rideau rouge

une femme nue

deux oranges dans les mains

moi je monte sur la chaise

j’enlève les toiles d’araignée du plafond

pourtant

si je ne te nomme pas

ce n’est pas toi

ni moi.

 

Yannis Ritsos, Erotica, traduit du grec par

Dominique Grandmont, Gallimard, 1981, p. 30.

10/02/2017

Sylvia Plath, Arbres d'hiver

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             Arbres d’hiver

 

Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.

Posé sur son buvard de brume

Chaque arbre est un dessin d’herbier —

Mémoire accroissant cercle à cercle

Une série d’alliances.

 

Purs de clabaudages et d’avortements,

Plus vrais que des femmes,

Ils sont de semaison si simple !

Frôlant les souffles déliés

Mais plongeant profond dans l’histoire —

 

Et longés d’ailes, ouverts à l’au-delà.

En cela pareils à Léda.

Ô mère des feuillages, mère de la douceur

Qui sont ces vierges de pitié ?

Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.

 

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée,

traduction Françoise Morvan et Valérie Rouzeau,

Poésie / Gallimard, 1999, p. 175.