24/12/2020
Sylvia Majerska, Matin sur le soleil
Écume
Tu veux quitter les hommes pour toujours. La vague aussi fuit sur la mer, mais elle y revient à chaque fois. Puis il est des jours où elle n’essaie même plus.
Et la mer, elle, paraît si seule que tu as envie d’appeler tous ceux que tu connais et rire avec eux ne serait-ce que de tes étranges comparaisons.
Si seulement leurs sourires n’étaient pas blancs comme l’écume comme si la mer montrait les dents à quelqu’un.
Sylvia Majerska, Matin sur le soleil, Le Cadran ligné, 2020, p. 27.
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19/05/2020
Antoine Emaz, Personne
Passants
loin sur le sable au matin
des passants qui semblaient
ressembler
passants
rien d’autre
mais assez pour lever zn tête
après leur passage
d’autres passés
que l’on poursuit de l’œil dedans
alors que l’espace est devant
vide
à nouveau
on ne sait comment faire
pour bloque rles deux yeux
dedans dehors
malgré tout l’effort
ça passe
trop poreux
revenir seulement aux vagues
leur calme lancinant fatigué
à marée base
leur énergie qui se replie
tirer dedans comme un drap
lourd d’écume et de sel
du ciel un peu aussi
et dans les plis
les êtres
passés
pas plus
des ombres
des bouts
[...]
Antoine Emaz, Personne, éditions
Unes, 2020, p. 21-23.
© Photo Tristan Hordé, 2012
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02/07/2018
Antoine Emaz, Prises de mer
Le craquement des coquillages sous le pied, et les vagues, très près. Leur bruit assez sourd, d’air et d’eau, continu parce que constitué de plusieurs sons qui s’entremêlent le claquement de l’eau à la retombée, les souffle de l’écume, mais aussi la fin de la vague précédente qui s’étale et diminue son chuintant puis repart en raclant un peu.
Une sorte de magma : plusieurs sons se percutent, se superposent, se fondent, et varient doucement à l’intérieur d’une amplitude globale qui reste sensiblement la même.
Antoine Emaz, Prises de mer, le phare du cousseix, 2018, p. 13.
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30/10/2017
Pierre Dhainaut, Plus loin dans l'inachevé
Oiseaux d’ici
Rieuses, dit-on de ces mouettes
tête noire et bec rouge,
d’autant plus blanches
lorsque les ailes se déploient
sur la digue, sur le port,
sans trêve, le vent,
le vent est favorable
à la véhémence
de la trajectoire, à l’acuité
du cri : elles gravitaient l’air,
elles s’y précipitent, là même
où nous ne voyons rien,
quelle était
leur victime ? cette clameur
de vagues qui s’abattent
nous rattrape, nous blesse
jusque dans les rêves.
Pierre Dhainaut, Plus loin dans l’inachevé,
Arfuyen, 2010, p. 49.
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06/11/2016
Jean-Pierre Chambon, Matières de coma
Photo Denis Svartz
Dans la clôture du compact
Dans l’étroit séjour des pierres. Dans cette impossibilité du séjour dans la pierre. Prisonnier des rhombes, des cercles.
Sous le calice renversé du ciel.
À l’intérieur, dans les replis des cristaux, derrière les angles distordants. Il y a assez d’eau, ici, pour nager, assez d’air pour s’envoler. La nage et le vol dans le volume étouffant. Parmi la tempête moléculaire. Dans la vague et le vent.
Assez d’infime espace pour vivre, en abîme. Fantôme atomisé dans les ruines miniaturisées d’un château. Contemplant, en réduction, le monde et sur l’eau boueuse des douves, le reflet disloqué du donjon où se penche une ombre.
Matière de la nuit, forme solide et close dans laquelle nul œil ne peut s’introduire. De cette extrême solitude, de l’étreinte de ce cachot, la lumière un jour jaillira et brûlera tous les regards.
[…]
Jean-Pierre Chambon, Matières de coma, suivi de Bernard Noël, L’histoire mentale, Faï fioc, 2016, p. 105.
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12/12/2015
John Ashbery, Vague
Tu l’as dit, petit
Comme tu es courageux ! Parfois. Et l’injonction
Demeure, mur blanc tout simple. Encore un affaire en cours.
Mais n’est-ce pas là précisément la nature des affaires, dit
quelqu’un d’autre, l’air dégagé.
Tu ne peux pas tout laisser en plan au beau milieu, et puis filer.
Et si tu y prêtais incessamment l’oreille, jusqu’à
Ce qu’elle s’intègre à ton âme, corps étranger bien à sa place ?
Je te demande si souvent de réfléchir à la rupture que tu es en train
D’accomplir, cette révolution. Le temps se drape encore, pourtant,
Sur tes épaules. Le bulletin météo
N’a pas parlé de pluie, mais tu as le cul qui baigne dedans, alors ?
Trouve-toi d’autres prévisions. Celles-ci sont bonnes à jeter.
Les journaux d’hier, et ceux des semaines précédentes couvrent
Le temps écoulé, de plus en plus lointain, dans un ordre quasi parfait.
Ça ne sert
Qu’à te couper la parole. Le passé ne sert à rien d’autre.
Jusqu’au moment où, ton auto sortant brutalement d’une route
Pour tomber dans un champ, tu demeures assis à évoquer les heures.
C’était pour cela le baratin, les mensonges
Que nos murmures répétaient jusqu’à leur donner un parfum de vérité ?
Mais maintenant, comme quand on mord une monnaie dévaluée,
ils se font possessions
Alors que montent les étoiles. Et la ridicule machine
Continue à égrener ses slogans : « Encore bourré... », « de chez nous
À chez toi... » « On les a portés un certain temps, ils faisaient partie de
nous »
Chaque jour semble imbu de lui-même, il n’est pourtant
Fait que de quelques haricots colorés et d’un peu de paille sur la terre
battue
Dans le rai de lumière où danse la poussière. Il y a eu de la place, c’est vrai ;
Et c’est toi qui l’a ménagée en t’en allant. Quelque part, quelqu’un
Écoute ton rire, l’avale comme un verre d’eau fraîche,
Ni heureux, ni horrifié. Et cette posture, ce poteau fiché là, c’est toi.
John Ashbery, Vague, Traduit de l’américain par Marc Chénetier,
Joca Seria, 2015, p. 44-45.
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07/05/2015
Jean Tortel, Instants qualifiés
Sombre la nuit et telle
Qu’au profond les dormeurs
Touchent le sable au creux
Longtemps suspendu des calmes
Vagues noires, rongée
Par les insectes poussiéreux,
En apparence désormais
Inaccessible au fond
D’elle-même et perdue et vierge
Intouchable et noire, descendue
En se dissociant dans les dormeurs
Qui l’ignorent, qui sont la nuit
Abusivement claire d’un rêve
Sans contrôle.
Jean Tortel, Instants qualifiés,, Gallimard, 1973, p. 29. © Photo Jean-Marc de Samie.
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23/04/2015
Jeremy Halvard Prynne, Perles qui furent — traduction Pierre Alferi
Salut, salut du soir
au matin pour l’égard
comment fais-tu pour voir
en arrivant si tard,
Parler ensemble ça
et là reprendre,
frivole enjambée vers
cœur à cœur fendre.
Comme vague à la rive
dont le jour se fait proche,
son temps court au devant
gai de la joue qu’il touche,
Et mot après mot, pas
à pas suivant regain
ils iront parlant sage
frisson, l’espoir maintient.
*
Nodding, nodding, day out
and in for a sake
How do you do it to see
arriving so late,
To talk to and fro with each
other renewing and walking,
step for a span wayward in
heart to heart breaking.
Much like waves upon a shore
whose day approaches
her time running to meet
with joy the face it touches,
And word upon word, step
by next step regaining,
the’ll walk and talk, wisely
flicker some hope remaining.
Jeremy Halvard Prynne, Perles qui furent,
Traduction Pierre Alferi, Éric Pesty éditeur,
2013, p. xxiv et 24.
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