24/03/2013
Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir
Au cœur de mon amour
Un bel oiseau me montre la lumière
Elle est dans ses yeux, bien en vue,
Il chante sur une boule de gui
Au milieu du soleil
*
Les yeux des animaux chanteurs
Et leurs chants de colère ou d'ennui
M'on interdit de sortir de ce lit
J'y passerai ma vie
L'aube dans des pays sans grâce
Prend l'apparence de l'oubli.
Et qu'une femme émue s'endorme, à l'aube,
La tête la première, sa chute l'illumine.
Constellations,
Vous connaissez la forme de sa tête.
Ici, tout s'obscurcit :
Le paysage se complète, sang aux joues,
Les masses diminuent et coulent dans mon cœur
Avec le sommeil.
Et qui donc veut me prendre le cœur ?
*
Je n'ai jamais rêvé d'une si belle nuit,
Les femmes du jardin cherchent à m'embrasser —
Soutiens du ciel, les arbres immobiles
Embrassent bien l'ombre qui les soutient.
Une femme au cœur pâle
Met la nuit dans ses habits.
L'amour a découvert la nuit
Sur ses seins impalpables.
Comment prendre plaisir à tout ?
Plutôt tout effacer.
L'homme de tous les mouvements,
De tous les sacrifices et de toutes les conquêtes
Dort. Il dort, il dot, il dort.
Il raie de ses soupirs la nuit minuscule, invisible.
Il n'a ni froid ni chaud.
Son prisonnier s'est évadé — pour dormir.
Il n'est pas mort, il dort.
Quand il s'est endormi
Tout l'étonnait.
Il jouait avec ardeur,
il regardait,
Il entendait.
Sa dernière parole :
« Si c'était à recommencer, je te rencontrerais
sans te chercher. » ]
Il dort, il dort, il dort.
L'aube a beau lever la tête,
Il dort.
Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir [1924], dans Œuvres complètes I, textes établis et annotés par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 137-139.
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