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13/09/2018

Octavio Paz, Le singe grammairien

 

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  Les choses reposent sur elles-mêmes, prennent assise sur leur réalité, sont injustifiables. Ainsi s’offrent-elles aux yeux, au toucher, à l’ouïe, à l’odorat — non à la pensée. Ne pas penser : voir. Faire du langage une transparence. Je vois, j’entends les pas de la lumière dans la cour : peu à peu elle se retire du mur d’en face, se projette sur le mur de gauche et le recouvre tel un manteau translucide de vibrations presque imperceptibles  transsubstantiation des carreaux de brique, combustion de la pierre, instant d’incandescence de la matière avant qu’elle ne s’abîme en son aveuglement — en sa réalité. Je vois, j’entends, je touche la progressive pétrification du langage qui ne signifie déjà plus, qui dit seulement : table, poubelle, sans les dire vraiment, tandis que la table et la poubelle s’effacent dans la cour totalement obscure… La nuit me sauve.

 

Octavio Paz, Le singe grammairien, Les sentiers de la création, Skira, 1972, p. 116-117.

02/06/2014

Paul Nougé, Fragments

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Entendre encore

le son de tes pas

    sur la pierre

 

Pourquoi m'as-tu

       reconnu ?

La nuit tombait.

 

Ton rire brisé

    la vague

qui retombe

 

Et en fin de compte

   les lèvres sèches

     nous sommes

        tombés là

     dans le sable

     (si l'on veut)

       exténués

 

Je ne dis

que ce que

  tu penses

 

J'attendais

ton image

dans le miroir

   d'en face

 

     Viens

même si tout est

      perdu

 

Paul Nougé, Fragments,

éditons Labor, 1983, p. 20-23.

 

31/03/2013

Jean Grosjean, Une voix, un regard (textes retrouvés, 1947-2004)

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                     Apriliennes

 

  Entendre

 

La voix qui s'est tue

on l'entend encore

sous le bruit des rues,

dans le son du cor.

 

Le ciel du matin

éclaire des pas

qui marchent très loin

et qu'on n'entend pas.

 

Puis c'est le soir qui

marche sur des prés

dont la brise essuie

un reste d'ondée.

 

La violette

 

Le soleil en manteau d'or

s'était mis à redescendre.

La colline en robe à fleurs

faisait semblant de l'attendre.

 

La violette au bord du bois

se cachait pour qu'on la voie.

 

Quand le soleil s'est penché

pour lui respirer le cœur

les oiseaux n'ont plus chanté

de peur d'éventer l'odeur.

 

Le vieux verger

 

Les coteaux encerclent le verger. Le soleil a fini par les connaître : il surgit un matin d'un point, le matin suivant d'un peu plus loin et chaque soir il s'en va par une passe différente. Le verger s'en est bien aperçu : il y a longtemps que le vieux verger observe le vieux soleil.

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard (textes retrouvés, 1947-2004), édition de Jacques Réda, préface de J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 2012, p. 102, 106-107, 110.