25/04/2023
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres
À propos de poésies posthumes
Comme dans les monts d’Alk
Lorsqu’y court, aussi leste,
La bergère, qu’en plaine,
Et du roc fait son lit,
Mais dont le pied déli-
Cat, pour mille baisers,
Ne veut plus avancer,
Quand moi, pour l’approcher,
Je saute les rochers,
Tant l’amour a des ailes,
Nonobstant les cailloux
Courant au-devant d’elle
Je tombe à deux genoux
Et aperçois en haut
Ma vie et mon tombeau.
Johannes Bobrowski, Boehlendorff
et quelques autres, traduction
Jean-Claude Schneider, La Dogana,
1993, p. 61.
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24/04/2023
Johannes Bobrowski, Terre sarmate
Poème d’amour
Lune, éponge d’huile, lanterne
lune — ou une plante des champs,
lune, disparais,
melon d’eau ou verte, biscornue
courge, je veux
par moi-même éclairer, seul,
mon amie, je veux
m’éteindre plus haut que toi,
rien que d’une hauteur
d’herbe — dans un arbre
surplombant la rivière,
lorsque viendra, humide,
le matin, je serai là, couché,
respirant encore.
Et je t’interroge,
toi qui étais couchée près de moi,
au sujet d’une lune
hier : quand a-t-elle disparu . toi,
sans répondre, la lueur
qui vibre depuis ta voix
effleure le nuage.
Hier —
j’ai disparu —
aujourd’hui —
je t’ai entendue —
et je continue de respirer.
Johannes Bobrowski, Terre sarmate,
traduction Jean-Claude Schneider,
Atelier La Feugraie, 2005, p. 29.
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17/04/2023
Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore
Et voici que
Et voici que
nous avons les deux mains pleines de lumière —
les strophes de la nuit, les eaux
agitées heurtent de nouveau
la rive, le soleil âpre, sans regard,
des bêtes dans les roseaux
après l’étreinte — puis
nous voilà debout contre la pente
ders, contre le ciel
blanc, qui vient
par-dessus la montagne,
froid, cascade splendeur,
et demeure figé, glace
qui descendait des étoiles.
Sur ta tempe
je veux vivre cette petite
saison, oublieux, sans bruit,
laisser errer
mn sang à travers ton cœur.
Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore,
L’Alphée,1087, p.73.
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07/09/2020
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres
La béatitude des païens
Au-dessus du manteau court, taillé dans la peau d’une bête abattue, un visage comme de fer. Avec des yeux profondément enfoncés, que la lumière ne doit pas atteindre. Même la chevelure grise, qui mange une partie du front, n’accepte pas la lumière, tout comme le vent qui vient de la rivière, en sautes rases, et parle sans s’arrêter, et dit un nom, toujours le même.
Ici, avant les rapides, la rive envoie des bancs de sable en travers du courant jusqu’à ce que l’eau vive cède du terrain, se détourne, se heurte à l’autre rive. Juste de l’écume encore à la pointe plate des langues de terre et le bruit des eaux, comme des débris de verre, des tourbillons au-dessus desquels les oiseaux fusent comme s’ils voulaient calmer les flots, et le silence inévitables propre aux lieux désertés.
[...]
Johannes Bobrowski, Beohlendorff et quelques autres, traduction Jean-Claude Schneider, La Dogana, 1993, p. 71-72.
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06/09/2020
Johannes Bobrowski, Temps sarmate
Nymphe
Le temps des cigales, un temps
blanc, alors que le garçon, assis
au bord de l’eau, sur ses bras
inclinait la rondeur de son front. Où
est-il allé ?
Il y a des chemins
à travers la forêt,
secrets. J’y vais cueillir une herbe
qui saigne. Sur les pierres je la pose,
lance par-delà la lisière le cri
de chasse du geai, clair.
Et, le regard verdissant,
elle émerge dans la poudreuse, la tendre
ombre des aulnes.
Syrinx, ton ah, un bris de verre,
court parmi les buissons.
Johannes Bobrowski, Temps sarmate,
traduction Jean-Claude Schneider,
L’Atelier La Feugraie, 1995, p. 21.
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05/09/2020
Johannes Bobrowski, Terre d'ombres fleuves
Récit
Rajla Gelblung
échappée à Varsovie
d’un transport parti du Ghetto,
la fille
a traversé des forêts,
avec une arme, la partisane
fut prise
à Brest-Litowsk,
portait une capote (de soldat polonais),
fut interrogée par des officiers
allemands, il y a
une photographie, les officiers sont
des personnes jeunes, aux uniformes impeccables,
aux visages irréprochables,
leur apparence
est exemplaire.
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves,
traduction Jean-Claude Schneider, Atelier
La Feugraie, 2005, p. 137.
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04/09/2020
Johannes Bobrowski, Ceci vit encore
Et voici que
Et voici que
nous avons les deux mains pleines de lumière —
les strophes de la nuit, les eaux
agitées heurtent de nouveau
la rive, le sentiment âpre, sans regard,
des bêtes dans les roseaux
après l’étreinte — puis
nous voilà debout contre la pente
dehors, contre le ciel
blanc, qui vient
par-dessus la montagne,
froid, cascade-splendeur,
et demeure figé, glace
qui descendait des étoiles.
Sur ta tempe
je veux vivre cette petite
saison, oublieux, sans bruit
laisser errer
mon sang à travers ton cœur.
Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore,
traduction de l’allemand Ralph Dutli et
Antoine Jaccottet, L’Alphée, 1987, p. 73.
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11/07/2020
Johannes Bobrowski, Terre d’Ombres Fleuves,
Hölderlin à Tübingen
Terrestres les arbres, et lumière,
où la barque repose, appelée,
rame contre la rive, la belle
pente, devant cette porte
passait l’ombre, elle est
tombée sur une rivière,
le Neckar, qui était vert, Neckar
inondant
les prairies et les saules de la rive.
La tour,
qu’elle soit habitable
comme un jour, pesanteur
des murs, la pesanteur
contre le vert,
arbres et eau, les peser
tous les deux dans une main :
le son de la cloche tombe
sur les toits, l’horloge
se met en mouvement pour faire
que tournent les fanions de fer.
Hölderlin in Tübingen
Baüme irdisch, und Licht,
darin der Kahn steht, gerufen,
die Ruderstange gegen das Ufer, die schöne
Neigung, vor dieser Tür
ging der Schatten, der ist
gefallen auf einen Fluß
Neckar, der grün war, Neckar,
hinausgegangen
um Wiesen und Uferweiden.
Turm,
daß er bewohnbar
sei wie ein Tag, der Mauern
Schwere, die Schwere
gegen das Grün,
Baüme und Wasser, zu wiegen
beides in einer Hand:
es laütet die Glocke herab
über die Dächer, die Uhr
rührt sich zum Drehn
der eisernen Fahnen.
Johannes Bobrowski, Terre d’Ombres Fleuves,
traduction Jean-Claude Schneider, Atelier
La Feugraie, 2005, p. 80-81.
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28/08/2019
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres
Valéry et les haricots
C’est donc un drap en cuir, si tanné qu’il laisse passer la lumière, et si serré et résistant qu’on peut le tendre au-dessus de tout ce qui est en vie ou qui est mort sans le déchirer : au-dessus d’un squelette disloqué comme d’une rame de haricots, qui pousseront bien sous lui et se développeront et peut-être même fleuriront, tant qu’ils trouvent de la lumière dans leur pot, assez pour couvrir les racines, et un peu d’air qui passe par les pores du cuir. Ce drap blanc jaunâtre, tendu sur des crochets et des baguettes, donne là-bas un contour net, ici — au-dessus de la rame de haricots — quelques courbes irrégulières, ne bouffe nulle part, lisse et en même temps très léger il repose et se laisse porter par les mouvements silencieux, précautionneux des feuilles vivantes, des tiges, des fleurs rouges et blanches.
J’ai voulu dessiner un portrait et n’y suis pas parvenu. Un monsieur assez âgé, frêle et pourtant bien en chair, une chair qui s’efface, avec ses veines minces, sous un uniforme doré, un membre de l’Académie avec une petite épée et un beau chapeau sur le bras. Ce n’est pas réussi, je me suis trop consacré aux haricots, à la rame, une plante martiale — même sous un drap de cuir fin et jaunâtre qui laisse passer la lumière du jour.
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres, traduction de l’allemand Jean-Claude Schneider, La Dogana, 1993, p. 85-86.
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27/08/2016
Johannes Bobrowski, Terres d'ombres fleuves
Le mont des Juifs
Voyage d’araignée,
blanc, la terre se répandait en poussière
de sable rougeâtre — forêt,
comme chevelure de tresses, cri d’animal,
lui heurtait la joue, herbe
piquait ses tempes.
Tard, lorsque le grand duc, bruissement
de cent nuits, traversait
le sommeil des genêts,
il se levait dans le hallier frémissant
des grillons pour voir un
blême chemin de lune qui montait
dans l’entrelacs des racines.
Il regardait par-delà le marécage.
Abrupt, indistinct, un reflet de lumière
le frôlait de son vol, le temps de ce
battement de cœur une sauvage
empaumure émergea des ténèbres,
hérissée, tête larmoyante.
Pressé entre les mains
le temps, non nommé : les essaims
qui, jaunes, suivaient
Curragh, nuées grondantes
au-dessus du lac, les abeilles
suivaient le pieux père,
il remuait les rames, il disait :
Je serai un mort dans la verte vallée.
Der Judenberg
Spinnenreise
weiß, mit rötlichem Sand
stäubte die Erde — Wald,
flechtenhaarig, Tierschrei,
stieß um die Wange ihm, Gras
stach seine Schläfe.
Spät, wenn der Uhu, Sausen
aus hundert Nächten, umherstrich
durch den Schlaf der Geniste,
hob er sich in der Grillen
Schwirrgesträuch, einen fahlen
Mondweg zu sehn, der heraufkam
an die seufzende Eiche, die Greisin, in ihrem
Wurzelgeflecht verging.
Über das Bruch sah er hin.
Jäh, undeutbar, Lichtschein
flog vorüber, diesen
Herzschlag lang ragte wüstes
Schaufelgeweih aus der Finsternis,
zottig, ein tränendes Haupt.
Unter die Hände gepreßt
Zet, unbenannt: die Schwärme,
gelb, die dem Curragh
folgten, tönende Wolken
über der See, die Bienen
folgten dem frommen Vater,
er rührte die Ruder, et sagte :
Ich werde tot sein im grünen Tal.
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves,
traduit de l’allemand par Jean-Claude
Schneider, Atelier La Feugraie, 2005, p. 84-87.
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23/03/2015
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres, traduction J.-C. Schneider
À propos de poésies posthumes
Comme dans les monts d’Alk
Lorsqu’y court, aussi leste,
La bergère, qu’en plaine,
Et du roc fait son lit,
Mais dessus le pied déli-
Cat, pour mille baisers,
Ne veut plus avancer,
Quand moi, pour l’approcher,
Je saute les rochers,
Tant l’amour a des ailes,
Nonobstant les cailloux
Courant au-devant d’elle
Je tombe à deux genoux
Et aperçoit en haut
Ma vie et mon tombeau.
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques
autres, traduit de l’allemand par Jean-Claude
Schneider, La Dogana, 1993, p. 61.
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23/12/2014
Johannes Bobrowski, Terre d’Ombres Fleuves, traduction Jean-Claude Schneider
Hölderlin à Tübingen
Terrestres les arbres, et lumière,
où la barque repose, appelée,
rame contre la rive, la belle
pente, devant cette porte
passait l’ombre, elle est
tombée sur une rivière,
le Neckar, qui était vert, Neckar
inondant
les prairies et les saules de la rive.
La tour,
qu’elle soit habitable
comme un jour, pesanteur
des murs, la pesanteur
contre le vert,
arbres et eau, les peser
tous les deux dans une main :
le son de la cloche tombe
sur les toits, l’horloge
se met en mouvement pour faire
que tournent les fanions de fer.
Hölderlin in Tübingen
Baüme irdisch, und Licht,
darin der Kahn steht, gerufen,
die Ruderstange gegen das Ufer, die schöne
Neigung, vor dieser Tür
ging der Schatten, der ist
gefallen auf einen Fluß
Neckar, der grün war, Neckar,
hinausgegangen
um Wiesen und Uferweiden.
Turm,
daß er bewohnbar
sei wie ein Tag, der Mauern
Schwere, die Schwere
gegen das Grün,
Baüme und Wasser, zu wiegen
beides in einer Hand:
es laütet die Glocke herab
über die Dächer, die Uhr
rührt sich zum Drehn
der eisernen Fahnen.
Johannes Bobrowski, Terre d’Ombres Fleuves,
traduction Jean-Claude Schneider, Atelier
La Feugraie, 2005, p. 80-81.
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17/08/2014
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves
Le mont des Juifs
Voyage d’araignée,
blanc, la terre se répandait en poussière
de sable rougeâtre — forêt,
comme chevelure de tresses, cri d’animal,
lui heurtait la joue, herbe
piquait ses tempes.
Tard, lorsque le grand duc, bruissement
de cent nuits, traversait
le sommeil des genêts,
il se levait dans le hallier frémissant
des grillons pour voir un
blême chemin de lune qui montait
dans l’entrelacs des racines.
Il regardait par-delà le marécage.
Abrupt, indistinct, un reflet de lumière
le frôlait de son vol, le temps de ce
battement de cœur une sauvage
empaumure émergea des ténèbres,
hérissée, tête larmoyante.
Pressé entre les mains
le temps, non nommé : les essaims
qui, jaunes, suivaient
Curragh, nuées grondantes
au-dessus du lac, les abeilles
suivaient le pieux père,
il remuait les rames, il disait :
Je serai un mort dans la verte vallée.
Der Judenberg
Spinnenreise
weiß, mit rötlichem Sand
stäubte die Erde — Wald,
flechtenhaarig, Tierschrei,
stieß um die Wange ihm, Gras
stach seine Schläfe.
Spät, wenn der Uhu, Sausen
aus hundert Nächten, umherstrich
durch den Schlaf der Geniste,
hob er sich in der Grillen
Schwirrgesträuch, einen fahlen
Mondweg zu sehn, der heraufkam
an die seufzende Eiche, die Greisin, in ihrem
Wurzelgeflecht verging.
Über das Bruch sah er hin.
Jäh, undeutbar, Lichtschein
flog vorüber, diesen
Herzschlag lang ragte wüstes
Schaufelgeweih aus der Finsternis,
zottig, ein tränendes Haupt.
Unter die Hände gepreßt
Zet, unbenannt: die Schwärme,
gelb, die dem Curragh
folgten, tönende Wolken
über der See, die Bienen
folgten dem frommen Vater,
er rührte die Ruder, et sagte :
Ich werde tot sein im grünen Tal.
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves,
traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider,
Atelier La Feugraie, 2005, p. 84-87.
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29/11/2013
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres
Une semaine avec les éditions La Dogana
C'était vraiment fini
Le matin, en septembre le matin, quand j'allais à la gare, traversant la place aux taxis trempés de rosée qui étaient dans leur premier sommeil, quand le brouillard ténu passait sur les étendues herbeuses et autour des arbustes et qu'Orphée, devenu vieux, arrivait en se traînant, dans ses pantoufles larges qui pendillaient, pour reprendre sa place à l'Institut pour nécessiteux, y lire des inscriptions, y ajouter quelque chose, sans espoir, quand le garçon, sur la chemin de l'école, venait du tramway, tous les matins, alerte et tendu, mais déjà avec le visage, les yeux d'un ivrogne, un petit pli à la racine du nez, gai et déjà une touffe de cheveux sur le front, mouillée et tortillée, comme l'aigrette d'un elfe des eaux, alors je marquais toujours un arrêt devant la porte de la gare, me retournais encore une fois, pour jeter un coup d'œil sur la place, jusque là-bas, où la route goudronnée commençait, attaquait la voussure du pont, et l'église à coupoles par derrière, avant de pousser avec le pied le battant de la porte qui oscillait et de me hâter vers le guichet.
Cela, je ne le vois plus. Je me suis installé ailleurs, dans un autre quartier de la ville. Même plus les tavernes dans les caves qui commençaient immédiatement dans les rues adjacentes et se suivaient toutes, six ou huit, des brasseries à cochers pour le café du matin, pour le kummel et l'alcool de grain, deux petits d'abord puis les trois doubles. Plus rien de cela. Car j'ai entamé une autre vie, dans une profession qui ne tolère pas ça, qui m'oblige au costume de chez le tailleur, le matin flocons d'avoine, un cigare avec le thé, et une bouteille de vin rouge le soir. On dit ça comme ça, mais c'est réellement vrai.
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres, traduit de l'allemand par Jean-Claude Schneider, La Dogana, 1993, p. 81-82.
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01/04/2013
Johannes Bobrowski, Terres d'ombres Fleuves
Routes d'oiseaux 1957
I
Dans la pluie je dormais
dans les roseaux de la pluie je me réveillais.
Avant que tout se feuille, je vois la lune proche,
j'entends le cri des migrations d'oiseaux,
l'émouveur d'air, le cri
blanc qui met l'air en pièces.
Vite et vif
comme les loups prennent le vent,
sœur, écoute ! Wäinämöinen
chante à travers le vent,
jette l'aile de neige
sur ton épaule, nous dérivons
sur les pennes dans le vent du chant —
II
mais sous de vastes
ciels, seuls, routes
délaissées des légions
à plumes, qui s'en allaient —
dormant sur les vents
elles passaient, un soleil
neuf incendiait, la flamme
a jailli, elles ont brûlé
dans l'arbre de cendres.
C'est là-bas que se sont envolés
aussi nos chants.
Sœur, tes mains
blêmissent, tu continues dans mon obscurité
à dormir — quand aurai-je
à chanter la peur des oiseaux ?
Vogelstrassen 1957
I
Im Regen schlief ich,
im Regenröhricht erwacht ich.
Eh es blättert, seh ich den nahen Mond,
hör ich den Zugvogelschrei,
den Lufterschüttrer, den weißen
Schrei, der die Luft zerschlägt.
Schnell und scharf
wie die Wölfe wittern,
Schwester,lausch! Wäinemöinen
singt durch den Wind.
wirft aus Schnee den Fittich
auf deine Schulter, wir treiben
flügelnd im Liederwind —
II
aber unter großen
Himmeln allein, verlassne
Straßen der gefiederten
Heere, die vergingen —
schlafend auf den Winden
fuhren sie, eine neue
Sonne flammte, die Lohe
schlug herauf, sie brannten
im Aschenbaum.
Dort sind aufgeflogen
unsere Lieder auch.
Schwester, deine Hände
bleichen, du schläfst mir im Dunkel
fort — wann soll ich
singen der Vögel Angst ?
Johannes Bobrowski, Terres d'ombres Fleuves, L'Atelier la Feugraie, traduit de l'allemand par Jean-Claude Schneider, 2005, p. 97 et 99, 96 et 98.
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