05/06/2024
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres
Histoire
Dans l’histoire, les personnages qui n’ont pas eu la tête coupée, et les personnages qui n’ont pas fait couper de têtes disparaisssent sans laisser de traces.
Il faut être victime ou bourreau, ou sans aucune importance.
Si Richelieu n’eût pas usé de la hache, Robespierre de la guillotine, l’un serait moindre, l’autre effacé. Tout ceci est d’un mauvais exemple.
Le supplice du Christ fut l’origine d’une onde immense, et plus agissant sur les êtres que tous les miracles : sa mort plus sensible aux hommes que sa résurrection.
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres, II, Gallimard / Pléiade, 1960, p. 837.
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14/04/2023
Benoît Casas, Combine
81
Vous êtes
l’objet
de la lecture
de l’autre
chacun lit
en l’autre
son histoire
non écrite.
92
S’il ne
Lisait
pas
il ne voyait
pas
le jour
dans le
jour.
96
Concerné
j’accepte
le temps
comme
j’accepte
les nuages.
98
Elle
m’a fait
découvrir
de quoi
il était
question
dans ma vie
dans
mon livre.
Benoît Casas, Combine,
NOUS, 2023, np.
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13/04/2023
Benoît Casas, Combine
47
Sous le
grand soleil
fermentent
les hommes
les femmes
les passions
les siècles.
60
Elle prépare
le feu
de l’ombre
où je resterai
visible.
63
Comment
déterminer
le moment
précis
où commence
une histoire ?
542
Ce n’était
qu’une question
de temps
mais le temps
ne nous a
pas bien
traités
quelque chose
s’est mal
passé.
Benoît Casas, Combine,
Nous, 2923, np.
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07/11/2022
Cioran, Écartèlement
Le suicide, seul acte vraiment normal, par quelle aberration est-il devenu l’apanage des ratés ?
Quelle folie d’être attentif à l’histoire ? — Mais que faire lorsqu’on a été par le temps ?
Face à la mer je remâchais des hontes anciennes et récentes. Le ridicule de s’occuper de soi quand on a sous les yeux le plus vaste des spectacles ne m’échappa pas. Aussi ai-je vite changé de sujet.
Pensent profondément ceux-là seuls qui n’ont pas le malheur d’être affligé du sens du ridicule.
L’indolence nous sauve de la prolixité et par là même de l’impudeur inhérente au rendement.
Cioran, Écartèlement, dans Œuvres, Pléiade / Gallimard, 2011, p. 978, 979, 982, 984, 985.
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20/07/2020
Bernard Noël, De Gauche, autrement
De gauche, autrement
Depuis toujours, la pensée politique est orientée vers la prise du pouvoir, et par conséquent vers sa conservation. Cela s’exprimait autrefois par l’hérédité du pouvoir absolu. La succession démocratique a introduit la relativité — jusqu’à quel point ? Et l’instauration du pouvoir économique ne rétablit-elle pas le pouvoir absolu, mais masqué ?
Le comble du génie politique est de faire admettre à l’opprimé la nécessité de son oppression. Le chômage remplit très bien cette fonction. Rien n’est plus terrible dans l’Histoire que d’y observer la permanence d’un complexe de servilité, qui a toujours permis l’exploitation consentante de la majorité. La logique de cette permanence aboutit à ce pouvoir économique intelligent, brutal et universel.
Bernard Noël, De gauche, autrement, dans L’Outrage aux mots, Œuvres, II, P.O.L, 2011, p. 387.
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12/03/2020
Durs Grünbein, Presque un chant
Les journaux
J’ai mangé des cendres au petit déjeuner, cette poussière
Noire qui tombe des journaux, des colonnes dont l’encre est encore fraîche,
Où un putsch ne fait pas de taches et où le typhon reste immobile, noir sur blanc,
Et j’avais l’impression qu’elles se pourléchaient les babines, les Parques bavardes,
Quand, à la page Sports, commença la guerre sur laquelle se fondent les cours de la Bourse.
J’ai mangé des cendres au petit déjeuner. Mon régime quotidien.
Et de Clio, comme toujours, pas un mot... Soudain, en les repliant,
Le bruissement des pages passa sur ma peau comme un frisson.
Durs Grünbein, Presque un chant, traduction Jean-Yves Masson et Fedora Wesseler, 2019, p. 78.
L'Atelier contemporain :
À côté du travail de fond des libraires tout au long de l’année, sans lesquels une maison comme L’Atelier contemporain ne pourrait tout simplement pas vivre, nous proposons donc une formule d’abonnement afin de nous permettre de répondre en partie à nos besoins en trésorerie, équilibrer nos budgets.
Merci à vous de manifester votre soutien et votre intérêt pour notre projet éditorial, de contribuer à la pérennité et au développement de « L’Atelier contemporain » !
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22/02/2019
Franz Kafka, Derniers cahiers
Excusez ma soudaine distraction. Vous m’avez annoncé vos fiançailles, la plus réjouissante nouvelle qui soit, et me voici soudain sans réaction, semblant m’occuper de tout autre chose. Mais ce n’est certainement qu’un manque d’intérêt apparent, je me suis en effet souvenu d’une histoire, une vieille histoire, que j’ai vécue une fois dans les environs, en tout cas en toute sécurité, en toute sécurité et pourtant plus concerné que pour des affaires qui me touchaient personnellement. Cela tient à la chose elle-même, on ne pouvait rester indifférent à l’époque, même si l’on n’avait rien eu à voir que le dernier petit bout de l’histoire.
Franz Kafka, Derniers cahiers, traduction Robert Kahn, NOUS, 2015, p. 62.
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26/09/2018
Joseph Joubert, Carnets, I
Ce ne sont pas les faits, mais les bruits qui causent les émotions populaires. Ce qui est cru fait tout.
On affuble vite sa pensée du premier mot qui se présente et l’on marche en avant.
Vous ne semez là que des ronces. Elles porteront des épines.
Prophétiser et poétiser, unum et idem.
L’histoire est bonne à oublier ; c’est pour cela qu’elle est bonne à savoir.
Joseph Joubert, Carnets I, Gallimard, 1994, p ; 125, 131, 137, 144, 149.
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01/12/2017
Jacques Roubaud, Autobiographie chapitre dix
Évolution
primate de savane sèche, bipède autrefois omnivore, opportuniste, malin et prudent, j’ai été gagné par la crainte en même temps que par la conscience.
Jadis, je m’en souviens, mon cadre naturel était l’herbe plantée de très peu d’arbres cantonnés au bord du lac où se jetait la petite rivière d’Abyssinie. Lucy, jeune australopithèque gracile, m’aidait à chasser l’hipparion, le crabe, le crocodile, l’éléphant même aux défenses alors dirigées vers le bas comme un Vercingétorix.
Lucy est morte, voici trois millions d’années. J’ai conservé près de moi 40% de son squelette, au moment de traverser le boulevard sinistre contre la gueule des camions je recule, et je retourne en arrière jusqu’à ma chambre, pleurer à larmes chaudes sur ses vertèbres.
Jacques Roubaud, Autobiographie chapitre dix, Gallimard, 1977, p. 109-110.
Les amis éditent : Anne-Marie Albiach, inédits et études
La revue Nu(e), dirigée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio, espace éditorial où s’expérimente la poésie, est également le lieu de l’exercice de l’amitié. Son prochain numéro est consacré à
Anne-Marie AlbIach
Anne-Marie Albiach publie ses premiers poèmes à la fin des années soixante. État paraît en 1971 au Mercure de France. Elle vient de « changer le visage de la poésie ». De son poème, « partition de mots, de phrases, de blocs et d’espaces » monte « une polyphonie d’intonations qui vont de l’austérité à la sensualité même ».
Le volume que lui consacre la revue Nu(e), coordonné par Régis Lefort, rassemble « Intermède ou lapsus », un texte publié dans la revue Amastra-N-Gallar en 2006, des brouillons d’Anne-Marie Albiach, des photographies, des hommages, des études critiques :
- Anne-Marie ALBIACH, « Intermède ou lapsus » • Anne-Marie ALBIACH, Brouillons de poèmes • Régis LEFORT, Le désir ou l’attente • Alain CRESSAN, Géométrie – discontinu – point : figure vocative • Florence JOU, Circuler dans l’œuvre d’Anne-Marie Albiach • Francis COHEN, De la pulsion tangente au volume • Éric DAZZAN, Anne-Marie Albiach : l’existence du terrible : la remémoration • Catherine SOULIER, Résonances circulaires, Notes sur L’EXCÈS : cette mesure • Marie-Antoinette BISSAY, Représentations mouvementées des corps dans l’entrelacs sde l’écriture poétique • Sandrine BÉDOURET-LARRABURU, Une poétique du corps dans Mezza Voce • Marie JOQUEVIEL-BOURJEA, A(nne)-M(arie) A(lbiach) : Nu(e) • Rémi BOUTHONNIER, Une étude linéaire de « Distance : “analogie” » • Françoise DELORME, L’abstraction et l’épreuve du feu, État, une traversée • Abigail LANG, État des lieux. Anne-Marie Albiach, “A”-9 et la poésie américaine
Pour ce numéro de caractère exceptionnel, la revue organise une souscription.
Le volume peut être obtenu au prix promotionnel de 17 euros avant le 30 juin 2018, en renvoyant le talon ci-dessous. Après cette date, la revue sera en vente au prix normal de 20 €.
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Mme/M.
Adresse :
Souhaite … exemplaire(s) du numéro spécial de la revue Nu(e) sur Anne-Marie Albiach au prix de 17 € le numéro (+ 3 € de frais de poste) et paie ce jour le montant :
soit au total € à l’ordre de l’Association Nu(e), avec la mention : « Souscription Anne-Marie Albiach »
par chèque, c/o Béatrice Bonhomme, 29 avenue Primerose, 06000 NICE
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13/02/2017
Emmanuelle Pagano, Saufs riverains (Trilogie des rives, II)
Lundi 9 novembre 2015
La dernière fois que je l’ai empruntée, en septembre, il pleuvait à verse sur l’A75. J’avais pris des jeunes en covoiturage à la gare de Mende, je descendais en leur compagnie distrayante vers la vallée. Je revenais de l’hôpital de Rodez.
Nous avons franchi le viaduc de Millau sous un ciel majestueusement défait. Les jeunes n’avaient jamais entendu parler des luttes du Larzac.
Nous avons ralenti, warning et buée aux vitres, à hauteur du village du Bosc, que nous avons passé juste avant qu’une portion de l’autoroute ne s’effondre,. Les très fortes pluies avaient fragilisé le revêtement et engagé des chutes de rochers qu’aucun filet anti-sous-marin ne retenait. Une brèche venait de s’ouvrit sur le parcours, largement visibles sur les clichés aériens reproduits dans le Midi-Libre. J’ai gardé l’article dans le dossier préparatoire de ce livre. Je regarde l’image de la voie trouée agrandir la blessure toute neuve dans mon histoire.
Emmanuelle Pagano, Saufs riverains (Trilogie des rives, II), P.O.L, 2017, p. 333-334.
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10/02/2017
Sylvia Plath, Arbres d'hiver
Arbres d’hiver
Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d’herbier —
Mémoire accroissant cercle à cercle
Une série d’alliances.
Purs de clabaudages et d’avortements,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple !
Frôlant les souffles déliés
Mais plongeant profond dans l’histoire —
Et longés d’ailes, ouverts à l’au-delà.
En cela pareils à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
Qui sont ces vierges de pitié ?
Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.
Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée,
traduction Françoise Morvan et Valérie Rouzeau,
Poésie / Gallimard, 1999, p. 175.
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03/02/2017
Laurent Fourcaut, Arrière saison
Pas d’histoire
À toute force il faut narrer sinon on crève
le sens est à ce prix quel ennui ! le mouvant
cours des êtres des choses pris dans ce carcan
dépérit. On raconte tant de trucs sur Ève
comment la jouerez-vous ailleurs qu’en la vie brève ?
Sanglante fin d’été de ce sang qu’écrivant
on tire sans arrêt du petit pélican,
il hante le regard lutte contre le rêve.
Ne me parlez pas d’histoire je n’en veux point
je veux l’effondrement dans la meule de foin
l’abrupte samba des corps danse imperceptible
à qui danse le goût qu’on prend au doux comptoir
où le temps se la coule sans faire d’histoir
e où l’on existerait enfin hors de la Bible.
Laurent Fourcaut, Arrière saison, Le Miel de l’Ours, 2016, p. 9.
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10/05/2016
Georges Perros, Poèmes bleus
Je te propose ce fugitif compagnonnage
Entre le chien et le loup
De l’aboiement crépusculaire
Je te demande de m’aider
À extraire de nos solitudes jumelles
Un peu de cette magie
Grâce à laquelle se renouvelle le bail
Se rafraîchissent nos tristes idées
Qui sont comme pierres dans un désert sans oasis
Stupidement debout contre le mur du néant
Comme lorsqu’on attend quelqu’un
Qui ne viendra pas
Qui ne viendra plus
Le rendez-vous n’aura pas lieu
Les pierres de Carnac sont comme ces idées
Muettes comme l’éternité
Justes bonnes à attirer ceux qui veulent savoir tout
Par le biais de qui ne sait rien
Ô l’Histoire belle paresse,
Mais vivre en est une autre, histoire,
Rempli d’épines, le chemin,
Et n’ignore-t-on pas encore
L’étrange énigme d’ici-bas ?
Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard,
‘’Le Chemin’’, 1962, p. 53-54.
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23/03/2016
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes
Le centre de la scène
Elle danse très loin.
C’est ainsi que je rêvais. C’est pourquoi je reste dans le noir. Mais j’ai soif. Cette soif d’une liberté qui recule.
Il vient lui aussi.
Sans le dire entrouvre l’arabesque d’une main
Qu’on veut libre.
L’embrasse avec ses jambes ouvertes le temps d’être portée là-haut
Contre lui.
Son visage contient des choses humaines on se souvient
Mais c’est dans l’articulation que l’histoire vient.
Toujours ce temps pour faire un geste
Ne plus le revoir.
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes, Poésie / Flammarion,
2001, p. 47.
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04/12/2015
Jean Bollack, Au jour le jour
En hommage à Jean Bollack, disparu le 4 décembre 2012.
En dépit de toutes ses origines rituelles, la poésie comporte une tendance libératrice, due à sa puissance d’arrachement, qui peut la conduire à des mises en questions radicales, et à souvent contester des croyances établies. Elle est athée. Le dieu tient son pouvoir de la langue.
La fonction et la finalité d’une création littéraire (le terme n’est peut-être pas anachronique, ni pour Homère ni pour Sophocle) ne peuvent être saisies qu’au terme de l’analyse d’un projet qui relève de l’intervention d’un sujet ; ce « moi »-là s’affirme avant de pouvoir être rapporté à la situation historique d’un champ social dont la configuration préexiste à l’œuvre, mais s’y trouve également analysée et transformée.
Le plus souvent les textes recensés par les auteurs d’articles critiques servent de prétexte ou de support. Leurs développements s’en inspirent L’analyse du sens et le déchiffrement systématique des textes auraient dû précéder et faire l’objet d’une discussion critique. Les opérations se tiennent mais demandent à être distinguées.
Jean Bollack, Au jour le jour, P.U.F, 2013, p. 763, 167 et 191.
© Photo Tristan Hordé, 2012.
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