28/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
Quand se levait le rideau
Quand se levait le rideau sur le monde
de mon enfance, j’accourus comme
à une fête promise. Une à une
sont tombées les merveilles.
Des espérances conçues, nulle
qui vaille à m’en souvenir, même une larme
et même un seul soupir. Mais il me reste
ton baiser, jeune amie, qu’absences
et respect de nous-mêmes font plus rares.
C’était cela la vie, une gorgée amère.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 461.
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25/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
La solitude
Saison changeante, ombre et soleil
font le monde varié, qui dans son aspect riant
nous console, et de ses nuages nous peine.
Et moi, qui à tant de nos apparences et à mes
yeux portait une infinie gratitude
je ne sais aujourd’hui si je dois m’affliger
ou m’en aller joyeux comme quand on sort d’une épreuve :
je suis triste et pourtant la journée est si belle ;
dans mon cœur seulement il fait pluie et soleil.
D’un long hiver je sais faire un printemps ;
quand la route au soleil est une traînée d’or,
le bonsoir, je le dis à moi-même.
J’ai mes brouillards et mes beaux temps en moi tout seul
comme en moi seul est ce parfait amour
pour que l’on souffre tant, moi je ne pleure plus :
en mes yeux en mon cœur je trouve suffisance.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 146.
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07/10/2020
Umberto Saba, Du Canzionere
Seul
Je suis seul. Nul n’écoute ou
est vain tout appel aux amis
dispersés.
La haine brille come un glaçon, et je pense
que je te verrai ce soir, toi que j’aime.
Je pense : dans le jour qui révèle,
dans l’ombre qui dérobe, j’ai tant fait,
tant erré, pour me dire en paix quelques
mots.
Umberto Saba, Du Canzoniere, traduction P.
Renard et B. Simeone, Orphée / La Différence,
1992, p. 63.
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01/04/2020
Umberto Saba, Il Canzoniere
Sur la place
L’un va à la chasse à l’amour, l’autre aux plaisirs,
ou seulement aux souvenirs.
Dans les baraques
le soir, on n’arrive plus à servir
les lourds marrons grillés aux grands gaillards
du quartier libre.
Sur l’antique place
règne encore là-haut la gloire.
Personnage à cheval, prisonnier dans l’ennui
de marbre qui gauchement l’adule.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’Âge d’homme,
1988, p. 475.
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28/02/2019
Umberto Saba, Presque un récit
Moment
Les oiseaux à la fenêtre, les persiennes
demi-closes : un air d’enfance et d’été
qui me console. Ai-je vraiment l’âge
que je sais avoir ? ou seulement dix ans ? À quoi
l’expérience m’a-t-elle donc servi ? À vivre
satisfait des petits riens qui autrefois
inquiétaient ma vie.
Umberto Saba, Presque un récit, traduction René de
Ceccaty, dans Il Canzionere, L’Âge d’Homme, 1988, p. 584.
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19/07/2018
Umberto Saba, Il Canzionere
En train
Je regarde les arbres dépouillés, la campagne
déserte aux couleurs de l’hiver. C’est à toi que je pense
toi qui t’éloignes, que je viens de laisser.
Le soir pose comme un feu rose
sur les maisons, sur les troupeaux ; le train
qui fuit fait se retourner par sa course folle
quelque jeune animal, des poules
bigarrées.
Mon cœur est déchiré tandis qu’il sent
qu’il ne vit plus dans ta poitrine. Toute angoisse
se tait auprès de celle-là. Et c’est à peine
si la dure vie résiste à tant de maux.
Mais toi, tu changes selon ta loi,
et mon regret est vain.
Umberto Saba, Il Canzionere, L’Âge d’Homme, 1988, p. 491.
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30/06/2018
Umberto Saba, Il Canzoniere
Rouge-gorge
Même si je voulais te garder je ne puis.
Voici l'ami du merle, le rouge-gorge.
Il déteste autant ses pareils
qu'il semble heureux auprès de ce compagnon.
Toi, tu les crois amis inséparables
quand, surpris , à l'orée d'un bois, tu les surprends.
Mais d'un élan joyeux il s'envole, fuyant
le noir ami qui porte au bec une vivante proie.
Là-bas un rameau plie mais que ne peut briser,
juste un peu balancer son poids léger.
La belle saison, le ciel tout à lui l'enivrent,
et sa compagne dans le nid. Comme en un temps
le fils chéri que je nourrissais de moi-même,
il se sent avide, libre, cruel,
et chante alors à pleine gorge.
*
Oiseaux
Le peuple ailé
que j'adore — si nombreux par le monde —
aux coutumes si variées, ivre de vie,
s'éveille et chante.
Umberto Saba, Oiseaux(1948), traduit par Odette Kaan, dans
Il Canzoniere, L'Âge d'homme, 1988, p. 549, 551.
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08/12/2017
Umberto Saba, Trente poèmes
Printemps
Printemps que je n’aime pas, je veux
rapporter que tournant au coin
d’une rue, le présage de ta venue me blessait
comme un coup de couteau. L’ombre mince encore
des rameaux, sur la terre encore
nue, me trouble aujourd’hui comme si je pouvais,
comme si je devais renaître. La tombe elle-même
semble mal sûre à ton retour, antique
printemps, qui, plus que nulle autre saison,
cruellement, ressuscites et tues.
Umberto Saba, Trente poèmes, traduction Georges Mounin,
L’Apprentypographe, 1986, p. 17.
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18/07/2017
Umberto Saba, Il Canzoniere
Le dernier amour
Que me faudrait-il pour être heureux ?
Une petite chambre, mais avec un feu allumé
deux tasses, deux petites tasses,
l’une pour toi, l’autre pour moi, Paolina ;
et adoucir de tes baisers l’amertume
de la boisson. O ma toute petite écoute :
je ne te verrais durant quelques jours, je crois,
que rarement et furtivement. Et tu ne voudrais pas
d’abord une fois, une seule fois, ce
qu’à l’oreille je t’ai dit, et toi,
levant sur moi une main qui dans son geste
fut de baisers punie et recouverte,
tu m’as répondu « coquin » ; et contre ma poitrine
tu cachais, en riant, ta petite tête.
Tu ne veux pas, Paolina ? que je conserve
un souvenir de toi, si doux si doux, que mon cœur
à ce souvenir défaille, et que ce soit
la dernière fleur que j’aurai cueillie parmi les vivants.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L'Âge d’Homme, 1988, p. 197.
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22/10/2016
Umberto Saba, Chansonnettes pisanes
Chansonnettes pisanes
I
Clairsemées les eaux du fleuve
immobile une hirondelle,
sur la rive un brancard,
lent, très lent avance.
Lent, je le suis : je pressens
la douleur, le cœur m’opprime,
et s’allument les premières
étoiles au-dessus de la ville.
Blêmes lumières s’allumant le long
de l’Arno ; le jour est encore clair,
et tant d’ennui tout autour
que chacun en mourra.
Umberto Saba, traduction Thierry
Gillybœuf, dans Rehauts, n° 38, p. 10.
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15/09/2013
Umberto Saba, Couleur du temps
Le ghetto de Trieste
Vers 1860, le ghetto de Trieste était encore dans la floraison de ses dégoutantes origines. Mis depuis un demi siècle au même niveau que les autres citoyens, affranchis de gabelles particulières et de traitements spécifiques humiliants, les Juifs nés ou émigrés dans la ville franche n'avaient pas tous appris à vaincre une méfiance congénitale à mêler leur vie quotidienne à celle des "goy" qu'ils redoutaient (et donc détestaient). Cette aversion, qui n'était pas religieuse, et que, nulle part où elle existe, le baptême n'efface, car elle est enracinée en eux par des millénaires de persécutions et de quarantaines, retenait même quelques familles, assez aisées pour habiter une maison neuve dans une rue nouvelle, dans la "citadelle" où leurs vieux parents avaient exercé et exerçaient le métier de brocanteur, puisant dans leurs capharnaüms pittoresques, leur force. Les maisons neuves, construites comme un excellent investissement de capitaux pour riches veuves, et ceux qui craignaient de plus grands risques, étaient, c'est vrai, le rêve de beaucoup : mais, après les avoir acquises pour spéculer, les nouveaux propriétaires continuaient, en ce qui les concernait, à habiter dans ce ghetto bien-aimé, à leurs yeux empli d'intimités et de souvenirs. En vertu de la tradition et par la force d'inertie d'une habitude mentale devenue, comme une quelconque idée fixe, un poids plus difficile à décharger qu'à porter.
Umberto Saba, Couleur du temps, traduction René de Ceccatti, Rivages, 1989, p. 139-140.
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06/04/2013
Umberto Saba, Oiseaux, dans Il Canzoniere
Rouge-gorge
Même si je voulais te garder je ne puis.
Voici l'ami du merle, le rouge-gorge.
Il déteste autant ses pareils
qu'il semble heureux auprès de ce compagnon.
Toi, tu les crois amis inséparables
quand, surpris , à l'orée d'un bois, tu les surprends.
Mais d'un élan joyeux il s'envole, fuyant
le noir ami qui porte au bec une vivante proie.
Là-bas un rameau plie mais que ne peut briser,
juste un peu balancer son poids léger.
La belle saison, le ciel tout à lui l'enivrent,
et sa compagne dans le nid. Comme en un temps
le fils chéri que je nourrissais de moi-même,
il se sent avide, libre, cruel,
et chante alors à pleine gorge.
*
Oiseaux
Le peuple ailé
que j'adore — si nombreux par le monde —
aux coutumes si variées, ivre de vie,
s'éveille et chante.
Umberto Saba, Oiseaux (1948), traduit par Odette Kaan, dans
Il Canzoniere, L'Âge d'homme, 1988, p. 549, 551.
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12/02/2013
Umberto Saba, Trente poèmes, traduction Georges Mounin
Printemps
Printemps que je n'aime pas, je veux
raconter que tournant au coin
d'une rue, le présage de ta venue me blessait
comme un coup de couteau. L'ombre mince encore
des rameaux, sur la terre encore
nue, me trouble aujourd'hui comme si je pouvais,
comme si je devais
renaître. La tombe elle-même
semble mal sûre à ton retour, antique
printemps, qui, plus que nulle autre saison,
cruellement, ressuscites et tues.
Paroles
Paroles
où le cœur de l'homme, aux origines,
se regardait surpris et nu ; je cherche
un coin dans le monde, une oasis
propice où, par toutes mes larmes, vous laver
du mensonge qui vous aveugle. Du même coup
l'entassement des souvenirs épouvantables
fondrait comme neige au soleil.
Umberto Saba, Trente poèmes, traduction Georges Mounin,
L'apprentypographe, 1986, p. 17 et 26.
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