13/11/2022
Jacques Réda, Retour au calme
La mercière
Ayant mis des chandails en solde sur le trottoir,
Elle contemple l’infini du fond de sa boutique.
Au passage on entend grésiller des musiques
Comme de l’huile chaude, au fond d’un petit transistor.
On croise en même temp des gens qui déménagent
Des poêles, des ballons débordant de lainages,
Ils ont l’air misérable et louche, un peu traqué.
Un couloir de travers les avale, et le pavé
Luit de nouveau comme un couteau dans un libre-service.
Froid et gras, son reflet met dans la profondeur
Des vitrines une autre rue où le ciel des tropiques
Décoloré voisine avec les fioles du coiffeur,
Des lavabos et des gâteaux aux couleurs utopiques,
Pendu bien au-delà sans remuer d’un cil,
L'œil résigné de la mercière les traverse.
Elle n’attend plus rien. L’hiver est nuisible au commerce,
Elle ne vendra pas aujourd’hui la moindre bobine de fil.
Jacques Réda, Rettour au calme, Gallimard, 1989, p. 67.
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11/02/2022
Paul de Roux, Entrevoir
Hiver s’écarte
Comme un bateau à l’amarre détachée,
doucement, irrésistiblement, l’hiver s’écarte
— déjà absent, encore présent ? qui le sait ?
En ville on ne sait que des signes, rien encore
de l’éclat des fleurs, de la douceur
du bourgeon qui s’ouvre et un moment
n’est ni bourgeon ni feuille : naissance.
Les nuages passent, caravane
avec ses nouvelles des climats inconnus,
des campagnes et des fleuves lointains
— caravane qui ne s’arrête pas, peut-être
n’apprend rien — puis le ciel est bleu,
seuls les oiseaux sont en accord avec lui
— en nous quelque chose qui ne bouge plus
facilement, qui reste posé là
comme un colis abandonné : sentiment
d’être seul au monde à ne pas reverdir.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie / Gallimard, 2014, p. 279.
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06/02/2022
Guillaume Apollinaire, Poèmes de guerre
Pluie
La pluie argente mes beaux rêves
Ce long après-midi d’hiver
Le soleil darde ses petits glaives
Dont le reflet est gris et vert
Nîmes aux ruelles dormantes
Qu’entourent de longs boulevards
Les cafés y sont pleins de tantes
Et de vieux officiers bavards
Soupé de la Maison Carrée
Mais la Fontaine est de mon goût
J’aime la pierre à teinte ambrée
Lorsque le soleil luit partout
Mais c’est au temple de Diane
— Ô liberté de mes rognons
Faites qu’enfin mon cul se tanne —
Que je relis des compagnons
Les inscriptions anciennes
Je les aime mon cher André*
Engravant ces pierres romaines
Roses dans le jour gris cendré
ton Guil Apollinaire
* André Billy
Guillaume Apollinaire, Poèmes de guerre, édition
Claude Debon, Les Presses du réel, 2018, p. 81.
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26/11/2021
Fabienne Raphoz, Ce qui reste de nous
sursis d’été à
l’heure d’hiver roux
trois rouges-gorges
jouent à la guéguerre
avant l’aurore
écrire toute une vie
sans autre connaissance
que — la perte —
des chants et des fleurs)
*
Puis la mousse se gorge quand le tilleul lâ
che tout
Toute la forêt détone entre les sabots
des bêtes
Une langue se tend du plexus à leurs yeux
mi-clos
Fabienne Raphoz, Ce qui reste de nous,
éditions Héros-Limite, 2021, p. 27-28.
©Photo Ianna Andréadis
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16/11/2021
Shakespeare, Sonnets
5
Ces heures, dont l’œuvre raffinée a créé
Ce regard merveilleux où tous les yeux s’attachent,
Seront plus tyranniques envers leur propre ouvrage,
Détruisant tout ce qui excellait en beauté.
Car, jamais en repos, le temps mène l’été
Jusqu’au hideux hiver et l’anéantit,
Sève toute glacée, feuilles vertes en allées,
Beauté vêtue de neige et partout nudité,
Alors s’il ne restait de l’été un parfum,
Liquide emprisonné entre des murs de verre,
La beauté et sa puissance d’engendrer mourraient
Sans même laisser un souvenir de ce qu’elles furent.
Mais les fleurs distillées, confrontées à l’hiver,
Perdent leur apparence, leur essence survit.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction Jean-Michel Déprats, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 257.
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04/11/2021
Antoine Emaz, De l'air
Froid ((5.12.04)
dans le gris de l’hiver comme feutre
devenir d’un coup très vieux
des couches de lumière pâle
les unes sur les autres
jusqu’à ce gris flottant
entre ce qui se passe
et celui qui regarde
grand calme là
s’enliser sans fin
dans le terne
*
jour court
et rabot lent du froid
on ne s’habitue pas
un jardin de fer
le géranium finit son rouge
le pan de ciment non peint
à travers les branches du prunus
un ciel d’étain
bloque la neige
tout est gourd
Antoine Emaz, De l’air, le dé bleu,
2006, p. 56-57.
Photo T.H., 2010
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24/11/2020
Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre
L’hiver
Merd’ ! V’là l’hiver et ses dur’tés,
V’là l’moment de n’pus s’mett » à poils ;
V’là que’ ceuss’ qui tienn’nt la queu’ d’la poêle
Dans l’Midi vont s’carapater !
V’là l’temps ousque jusqu’en Hanovre
Et d’Gibraltar au cap Gris Nez,
Les Borgeois, l’soir, vont plaind’ les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !
Et v’là le temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc’ments d’putains,
On va r’découvrir la Détresse,
La Purée et les Purotains !
Les jornaux, mêm’ ceuss’ qu’a d’la guigne,
À côté d’artiqu’s festoyants
Vont êt’ pleins d’appels larmoyants,
Pleins d’sanglots... à trois sous la ligne !
(...)
Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre,
Poésie/Gallimard, 2020, p. 23.
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19/02/2019
Pierre Chappuis, Pleines marges
Pleines marges
Toute le nuit
est resté ouvert
sur une page blanche
le calepin noir
Au matin, la neige.
(hiatus)
Tels,
dans le lit même de l’hiver,
les galets que remue une eau imaginaire.
Tel
que semble cesser,
prisonnier du gel,
le vacarme harassant de la route.
(espace muet)
La plaine sous des amas de brume ;
le regard tranché par la bise.
Alentours en fuite.
Pierre Chappuis, Pleines marges, suivi de
L’Autre, le Même, éditions d’en bas,
Lausanne, 2017, p. 8, 10 et 12.
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13/02/2019
Henri Thomas, Poésies
Le temps n’est qu’un noir sommeil
bienheureux qui sut garder
les images de l’éveil.
Vallée blanche, mes hivers,
bois pleins d’ombre, mes étés,
belle vue des toits déserts,
jours d’automne, et je marchais
recueilli, seul, ignoré,
dans l’or pâle des forêts,
déjà moutonnait la mer
perfide des accidents,
petits flots, petits éclairs,
bien malin qui s’en défend.
Henri Thomas, Poésies, Poésie / Gallimard,
1970, p. 132.
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22/09/2018
Pascal Commère, Territoire du coyote
D’hiver disait-elle
Ce qu’un mot retient, donne
à vivre.
Un mot, et pas
seulement
le mot neige, le mot
boucherie (quelque chose
sale)
Terre !
D’hiver, disait-elle
dans son recoin de veuve
Une fois encore, une
fois à dire & quoi — interdits
à être : tant de poids, un retour
où paraît de nos peurs
la tête de marteau des loups.
Pascal Commère, Territoire du coyote, Tarabuste, 2017, p. 127.
Le gouvernement entend changer le financement du CNL, qui repose sur les taxes sur les appareils de reproduction et d'impression, et prendre en charge le budget — d'où disparition dal relative autonomie du CNL
Lire la position de la CGT du CNL. :
Ses ressources sont exclusivement issues des taxes sur la reprographie et sur l’édition. À l’heure où la tutelle du CNL n’est plus assurée par la ministre de la Culture, pour se prémunir du conflit d’intérêts, et où le ministère est donc affaibli dans la défense de ses missions, le président du CNL a annoncé aux agents, lors de sa réunion de rentrée le 6 septembre dernier, la suppression de ces taxes ! Le budget de l’établissement passera désormais intégralement sous le giron de l’État.
Dix jours plus tôt, le Premier ministre déclarait lors de l’université d’été du Medef :
« Dès l’année prochaine, 2019, nous allons supprimer une vingtaine de petites taxes pour un montant global de 200 millions d’euros et permettez-moi de ne pas résister au plaisir de mentionner certaines de ces taxes supprimées. Je pense par exemple à la taxe sur les appareils de reproduction ou d’impression pour 25 millions d’euros tout de même… »
L’intérêt du gouvernement, lui, s’en trouve bien facilité !
Or, le président du CNL affirme que « C’est une excellente nouvelle pour l’établissement »…
En 2019, le budget de l’établissement sera préservé et aucun poste ne sera supprimé. Mais qu’en sera-t-il pour les années suivantes dans une situation très dégradée du budget de l’État et une forte volonté de réduction des effectifs de la fonction publique ?
Soucieux de l’avenir de l’établissement auquel ils sont attachés, les représentants du personnel s’enquièrent régulièrement, et ce depuis plusieurs années, de l’avenir financier du CNL et des stratégies élaborées avec sa tutelle.
Dans un tel contexte d’incertitudes, les agents du CNL sont inquiets et demandent que la prochaine présidence du CNL, avec le soutien du ministère, porte un projet ambitieux pour les trois années à venir, qui confortera la pérennité de ses missions, de ses ressources et de son plafond d’emploi, un projet qui mobilisera le savoir-faire de chaque agent, au service de tous les professionnels du livre et de tous les publics.
La CGT-Culture, qui s’oppose à la suppression de ces taxes dont le seul but est d’arranger le Medef, exige la compensation de la totalité du budget du CNL pour les prochains exercices et par conséquent une augmentation du budget du ministère de la Culture afin d’assurer la continuité de sa politique de soutien au secteur du livre et de l’ensemble des politiques culturelles qu’il porte.
Paris, le 18 Septembre 2018
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28/03/2018
Des merles dans le jardin
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05/10/2017
Alejandra Pizarnik, Cahier jaune
Portrait de voix
– À l’aube je dormirai avec ma poupée entre les bras, ma poupée aux yeux bleu or, ou celle à la langue aussi merveilleuse qu’un poème à ton ombre. Poupée, tout petit personnage, qui es-tu ?
– Je ne suis pas si petite. C’est toi qui es trop grande.
– Qu’es-tu ?
– Je suis un moi, et cela qui semble si peu, est suffisant pour une poupée.
Petite marionnette de la bonne chance, elle se débat à ma fenêtre au gré du vent. La pluie a mouillé ses vêtements, son visage et ses mains, qui se décolorent. Mais il lui reste son anneau, et avec lui son pouvoir. En hiver, elle frappe à la vitre de ses petits pieds chaussés de bleu et elle danse, danse de froid, d’allégresse, elle danse pour réchauffer son cœur, son cœur de bois, son cœur de la bonne chance. Dans la nuit elle lèvre ses bras suppliants et crée à volonté une petite nuit de lune.
Alejandra Pizarnik, Cahier jaune, traduction Jacques Ancet, Ypsilon, 2012, p. 88.
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01/01/2017
Jules Renard, Journal, 1887-1910
1er janvier 1905
Le poète Ponge va reprendre la plume : les nationalistes relèvent la tête !
L’argent, il l’appelle « le numéraire ». (…)
Je lui ai fait donner les palmes. Il dit aux gens de son village :
— Mes amis, les palmes me font bien plaisir, mais ce n’est rien à côté de vos félicitations.
L’esprit inquiet mais clairvoyant, c’est-à-dire actif et sain, de l’homme qui ne travaille pas.
(…)
— J’ai froid.
— C’est la saison qui veut ça, dit le riche.
Hiver. Des vitres dessinées par Vallotton.
Le vent lui-même a gelé.
La glace répandue sur le pré comme des glaces brisées.
Jules Renard, Journal 1887-1910, Gallimard/Pléiade,
1965, p. 945 et 946.
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15/11/2016
Lorand Gaspar, Patmos et autres poèmes
Il marchait un matin d’hiver
dans les rues vides d’un dimanche à Paris —
vent froid, ciel gris,
l’air un peu hagard, égaré
de l’errant qui ne sait pas au juste où il va —
il avait pourtant un désir précis :
arriver par delà le désespoir —
Lorand Gaspar, Patmos et autres poèmes,
Poésie/Gallimard, 2001, p. 170.
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08/06/2016
Bashô, Seigneur ermite
Espérant le chant du coucou,
j’entends les cris
du marchand de légumes verts
L’automne est venu —
sur l’oreiller
le vent me salue
Sous une couverture de gelée,
un enfant abandonné
sur un matelas de vent
Ah ! le printemps, le printemps,
que le printemps est grand !
et ainsi de suite
Les pierres semblent fanées
et même l’eau s’est tarie —
l’hiver à son comble
Bashô, Seigneur ermite, édition bilingue
par Makoto Kemmoku et Dominique
Chipot, La Table ronde, 2012, p. 64,
66, 69, 77, 82.
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