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08/02/2023

Jean Grosjean, Une voix, un regard, Textes retrouvés 1947-2004

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Senteurs

 

Le grenier sent la poussière

de nos journées inutiles

visitées par la lumière

qui se glisse entre les tuiles.

 

Tout ce que l’âme a coupé

dans les enclos du dimanche

a l’odeur de foin séché

qu’on hume aux portes des granges.

 

Un parfum de bois qu’on brûle

 circule à travers les chambres

puisque notre feu posthume

n’est pas éteint sous nos cendres.

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard, Textes

retrouvés 1947-2004, Gallimard, 2012, p. 107.

06/02/2023

Jean Grosjean, Une voix, un regard

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La Beune

 

Un grand verger bosselé au fond d’ un vallon, bordé de sombres noyers, avec un néflier tortueux, deux mirabelliers, des quetschiers quelques pommiers penchants. Et la fosse d’un étang à sec. Oui, le ruisseau a été détourné. Il circule entre des roches qu’il lave ou bien il les enjambe avec une sorte de chuchotement, de quoi inquiéter les arbres. Ils ont l’air de se retourner à demi comme les vaches quand on traverse leu pâture.

 

Surplombé de pentes raides où les forêts s’accrochent, ce vallon ne s’ouvre qu’au nord. Il est livré aux brefs jours d’hiver, aux longs vents d’hiver, à de brusques gels, à des neiges stagnantes. Mais le soleil d’été le regarde par-dessus les bois. Le soleil sait voir, à travers l’eau courante, les galets de grès rose qui somnolent au fond du ruisseau. Et il y a les cris des enfants qui jouent à la guere avec des chutes d’étoffes pour drapeau. Ah les prunes par terre.

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard, Textes retrouvés 1947-2004, Gallimard, 2012, p. 189.

05/03/2014

Jean Grosjean (1912-2006), Une voix, un regard, textes retrouvés

 

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                 L'homme quittera

 

                         II. Fuite

 

Les jours passent comme des nuages

et leur ombre sur la terre.

Le mobilier ne change guère,

vergers de prunes bleues ou jaunes,

noyers bruns à forte odeur,

tendres mousses sur la roche,

envols d'oiseaux qu'interrompt

le froid. Mais les parents

que nous venions voir se sont

enfuis à notre approche.

 

                          XI. Brume

 

Brume sur les champs.

L'amour de toi.

 

Tu ne te dédis pas,

tu ne t'éloignes que peu.

 

Je n'entends qu'à peine

les morts derrière toi.

 

Je vois dans la brume

luire tes cheveux.

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés

1947-2004, édition de Jacques Réda, préface

de J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 2013, p. 85-86, 90.

                                                   

04/03/2014

Jean Grosjean (1912-2006), Une voix, un regard

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                Nos pas se posent...

 

Nos pas se posent

sur les pierres qui dorment dans le sol

sur les cheminements des fourmis

 

Que de paroles dans notre tête

leur danse et l'arrière-goût

de toutes les choses entendues

 

Mais pas de langage à la bouche

Nos pas seuls

 

leurs crissements sur les brindilles

leur poussière

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés 1947-2004, édition de Jacques Réda, préface de J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 2012, p. 99.

 

04/10/2013

Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés, 1947-2004

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                             La Beune

 

   Un grand verger bosselé au fond d'un vallon, bordé de sombres noyers, avec un néflier tortueux, deux mirabelliers, des quetschiers, quelques pommiers penchants. Et la fosse d'un étang à sec. Oui, le ruisseau a été détourné. Il circule entre des roches qu'il lave ou bien il les enjambe avec une sorte de chuchotement, de quoi inquiéter les arbres. Ils ont l'air de se retourner à demi comme les vaches quand on traverse leur pâture.

 

   Surplombé de pentes raides où les forêts s'accrochent, ce vallon ne s'ouvre qu'au nord. Il est livré aux brefs jours d'hiver, aux longs vents d'hiver, aux brusques gels, à des neiges stagnantes. Mais le soleil d'été le regarde par dessus les bois. Le soleil sait voir, à travers l'eau courante, es galets de grès rose qui somnolent au fond du ruisseau. Et il y a les cris des enfants qui jouent à la guerre avec des chutes d'étoffes pour drapeaux. Ah les prunes par terre.

 

   Il serait temps de secouer les arbres, mais on aime mieux remuer les pierres, faire des barrages, des biefs, des méandres. Soif, peut-être, à tant pétrir l'eau ? Le plus brave court à Jauloin, l'autre source, tellement meilleure à boire, mais le sentier à travers les buissons est un coupe-gorge avec ses tournants et la corde qu'une chèvre tend pour brouter avec ce froissement des fourrés que font les bandits dans les livres.

 

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés, 1947-2004, édition de Jacques Réda, préface de J. M. G. Le Clézio, 2012, p. 189-190.

31/03/2013

Jean Grosjean, Une voix, un regard (textes retrouvés, 1947-2004)

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                     Apriliennes

 

  Entendre

 

La voix qui s'est tue

on l'entend encore

sous le bruit des rues,

dans le son du cor.

 

Le ciel du matin

éclaire des pas

qui marchent très loin

et qu'on n'entend pas.

 

Puis c'est le soir qui

marche sur des prés

dont la brise essuie

un reste d'ondée.

 

La violette

 

Le soleil en manteau d'or

s'était mis à redescendre.

La colline en robe à fleurs

faisait semblant de l'attendre.

 

La violette au bord du bois

se cachait pour qu'on la voie.

 

Quand le soleil s'est penché

pour lui respirer le cœur

les oiseaux n'ont plus chanté

de peur d'éventer l'odeur.

 

Le vieux verger

 

Les coteaux encerclent le verger. Le soleil a fini par les connaître : il surgit un matin d'un point, le matin suivant d'un peu plus loin et chaque soir il s'en va par une passe différente. Le verger s'en est bien aperçu : il y a longtemps que le vieux verger observe le vieux soleil.

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard (textes retrouvés, 1947-2004), édition de Jacques Réda, préface de J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 2012, p. 102, 106-107, 110.