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15/01/2025

Jean-Loup Trassard, Caloge

 

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   Mer bientôt blonde sur ses orges, mer chevelue de seigles roux. Nous sommes là simplement pour voir. Pour marcher de façon précaire au bord d'une sphère sur son orbe. Et nous croyons que rien n'entame le regard de l'homme vers la mer.

   Marée montante du blé vert, reflux des pailles qui laissent le chaume aride. Dans l'étendue de ciel béant les oiseaux n'ont pas coutume de se percher, ils nichent sur le sol, faute de branches passent en élévation, ou chutes, leur vie criante. Alouettes que leur chant maintient hautes, qui soudain tombent en deux ou trois paliers, et devant notre étrave le vol de l'œdicnème. D'entre les vagues céréales mûrissantes sort l'appel d'une caille, nous la nommons.

   Sensible à cette respiration longue qui nous fait sur les champs monter descendre, à l'ample courbe qui jusqu'au lointain baisse relève les champs avec lenteur, nous allons sous la voile du ciel tendu, à chacun pour seule mâture sa verticalité, d'espace ivres.

 

Jean-Loup Trassard, Caloge, Le temps qu'il fait, 1991, p. 28.

08/09/2020

Étienne Faure, Légèrement frôlée

Étienne faure,légèrement frôlée,le centre du monde,fête,champ

Aux champs dans les kermesses,

cérémonies et fêtes, c’est la fusion

des corps, des âmes, feux et foyers

avec le tintamarre des cloches

à la volée, en concordance avec les oiseaux migrateurs

et les canards dans le ciel incendié, les fanfares

et les drapeaux des jours fériés traversés de soleil

et des lois qui les ont institués :

toutes les générations présentes,

à venir, passées, hantent les lieux à la cantonade,

la bouche ouverte au rire, mégot, cigare ou pétard à mèche,

au boire et au manger,

fêtant leur saint patron, plastronnent

avec la certitude éternelle d’être au cœur

du monde et de l’instant

(à peine à cette heure sait-on qu’elle est ronde

et tourne, ignorant

par une sorte d’application de la théorie des vases,

où va le soleil qui s’abat, s’engloutit en silence,

comme étranger aux clameurs du canton).

 

le centre du monde en plein champ

 

Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ

Vallon, 2007, p. 65.

Photo Chantal Tanet

11/11/2014

Samuel Beckett, Mercier et Camier

                                             Samuel Beckett, Mercier et Camier, champ, haie, oiseau, mûre, chèvre

   Le champ s'étendait devant eux. Rien n'y poussait, rien d'utile aux hommes c'est-à-dire. On ne voyait pas très bien non plus en quoi ce champ pouvait intéresser les animaux. Les oiseaux devaient y trouver des lombrics. Il était de forme très irrégulière et entouré de haies malingres, composées de vieilles souches d'arbres et de fourrés de ronces. Il y avait peut-être quelques mûres sauvages en automne. Une herbe bleue et aigre disputait le sol aux chardons et aux orties. Ces dernières auraient pu servir de fourrage, à la rigueur. Au-delà des haies d'autres champs, d'aspect semblable, entourés d'autres haies, d'aspect non moins semblable. Comment passait-on d'un champ à l'autre ? À travers les haies peut-être. Un chèvre s'intéressait capricieusement aux ronces. Dressée sur ses pattes de derrières, celles de devant appuyées sur une souche, elle cherchait les épines les plus tendres. Elle s'en détournait avec pétulance, faisait quelques pas furieux et s'immobilisait. De temps en temps elle faisait un petit bond, droit en l'air. Puis elle se mettait de nouveau dans la haie. Ferait-elle ainsi le tour du champ ? Ou se lasserait-elle avant ?

 

Samuel Beckett, Mercier et Camier, éditions de Minuit, 1970, p. 87-88.

27/03/2013

William Carlos Williams, Un Jeune Martyr

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                  Le fermier

 

Le fermier absorbé dans ses pensées

marche à grands pas sous la pluie

au milieu de ses champs désolés, les

mains dans les poches,

la moisson déjà plantée

dans sa tête.

Un vent froid ridule l'eau

dans les herbes brunies.

De tous côtés

le monde s'en va roulant froidement :

vergers noirs

assombris par les nuages de mars _

laissant place à la pensée.

Par delà les taillis

hérissés près

de la voie ferrée lavée par la pluie

apparaît la silhouette artistique

du fermier — qui compose

— antagoniste

 

William Carlos Williams, Un Jeune Martyr, suivi de Adam

et Ève et la Cité, traduction de Thierry Gillybœuf, La Nerthe,

2009, p. 54.