08/09/2020
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Aux champs dans les kermesses,
cérémonies et fêtes, c’est la fusion
des corps, des âmes, feux et foyers
avec le tintamarre des cloches
à la volée, en concordance avec les oiseaux migrateurs
et les canards dans le ciel incendié, les fanfares
et les drapeaux des jours fériés traversés de soleil
et des lois qui les ont institués :
toutes les générations présentes,
à venir, passées, hantent les lieux à la cantonade,
la bouche ouverte au rire, mégot, cigare ou pétard à mèche,
au boire et au manger,
fêtant leur saint patron, plastronnent
avec la certitude éternelle d’être au cœur
du monde et de l’instant
(à peine à cette heure sait-on qu’elle est ronde
et tourne, ignorant
par une sorte d’application de la théorie des vases,
où va le soleil qui s’abat, s’engloutit en silence,
comme étranger aux clameurs du canton).
le centre du monde en plein champ
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ
Vallon, 2007, p. 65.
Photo Chantal Tanet
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11/11/2014
Samuel Beckett, Mercier et Camier
Le champ s'étendait devant eux. Rien n'y poussait, rien d'utile aux hommes c'est-à-dire. On ne voyait pas très bien non plus en quoi ce champ pouvait intéresser les animaux. Les oiseaux devaient y trouver des lombrics. Il était de forme très irrégulière et entouré de haies malingres, composées de vieilles souches d'arbres et de fourrés de ronces. Il y avait peut-être quelques mûres sauvages en automne. Une herbe bleue et aigre disputait le sol aux chardons et aux orties. Ces dernières auraient pu servir de fourrage, à la rigueur. Au-delà des haies d'autres champs, d'aspect semblable, entourés d'autres haies, d'aspect non moins semblable. Comment passait-on d'un champ à l'autre ? À travers les haies peut-être. Un chèvre s'intéressait capricieusement aux ronces. Dressée sur ses pattes de derrières, celles de devant appuyées sur une souche, elle cherchait les épines les plus tendres. Elle s'en détournait avec pétulance, faisait quelques pas furieux et s'immobilisait. De temps en temps elle faisait un petit bond, droit en l'air. Puis elle se mettait de nouveau dans la haie. Ferait-elle ainsi le tour du champ ? Ou se lasserait-elle avant ?
Samuel Beckett, Mercier et Camier, éditions de Minuit, 1970, p. 87-88.
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27/03/2013
William Carlos Williams, Un Jeune Martyr
Le fermier
Le fermier absorbé dans ses pensées
marche à grands pas sous la pluie
au milieu de ses champs désolés, les
mains dans les poches,
la moisson déjà plantée
dans sa tête.
Un vent froid ridule l'eau
dans les herbes brunies.
De tous côtés
le monde s'en va roulant froidement :
vergers noirs
assombris par les nuages de mars _
laissant place à la pensée.
Par delà les taillis
hérissés près
de la voie ferrée lavée par la pluie
apparaît la silhouette artistique
du fermier — qui compose
— antagoniste
William Carlos Williams, Un Jeune Martyr, suivi de Adam
et Ève et la Cité, traduction de Thierry Gillybœuf, La Nerthe,
2009, p. 54.
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