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11/07/2023

Joseph Joubert, Carnets

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Et se précipiter dans la mort comme dans un fleuve, où s’engloutissent tous les soins et où l’on boit l’oubli des maux.

La liberté. C’est-à-dire l’indépendance de son corps.

Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.

Personne ne voulait être le second.

Ne pas juger les gens par leurs affaires.

 

Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994, p. 152, 155, 165,173, 183.

29/03/2023

Jules Supervielle, Le Forçat innocent

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              Réveil

 

Le jour auprès de moi se fixe

Mais il m’ajourne dans l’oubli

Si je m’approche du miroir

Je n’y découvre rien de moi.

 

Hier encore j’eusse dit : « Mes mains »

Et aussi : « Mes jours et mes nuits »

Aujourd’hui je ne sais que dire,

Tous les mots sont restés au loin,

Saisis par leur propre délire.

 

 Jules Supervielle, Le Forçat innocent, dans

Œuvres poétiques complètes, Pléiade /Gallimard,

1996, p. 271.

31/10/2021

Maurice Blanchot, Le pas au-delà

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Mourir : comme si nous ne mourions jamais qu’à l’infinitif. Mourir : le reflet sur la glace peut-être, le miroitement d’une absence de figure, moins l’image de quelqu’un ou de quelque chose qui ne serait pas là qu’un effet d’invisibilité qui ne touche à rien de profond et serait seulement trop superficiel pour se laisser saisir ou voir ou reconnaître. Comme si l’invisible se distribuait en filigrane, sans que la distribution des points de visibilité y soit pour quelque chose, non pas donc dans l’intimité du dessin, mais trop à l’extérieur, dans une extériorité d’être dont l’être ne porte aucune marque.

 

Maurice Blanchot, Le pas au-delà, Gallimard, 1973, p. 130-131.

31/10/2020

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île

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Le miroir

 

Ville aveuglée à moins que ne la montre

À soi une rivière

Elle tire partage de l’eau

Et s’assied chez soi sur les berges

Un côté garde l’autre ils s’opposent et se voient

La rive se reflète en l’autre

Et chacune soi-même en le fleuve

Lui la dédouble et ainsi la redouble

Et permet qu’elle se connaisse.

 

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,

Gallimard /Le Chemin, 1961, p. 79.

10/09/2019

Yannis Ritsos, Erotica

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Dans le miroir

tu es deux

dans l’autre trois

onze quinze vingt-quatre

la maison en est pleine

le monde en est rempli

et pas un seul miroir

un lac seulement

et dedans la grande roue

et une de tes sandales

sur la table

près du cendrier

                                    

                                    Athènes, 11.11. 80

 

Yannis Ritsos, Erotica, traduction

Dominique Grandmont, Gallimard,

1984, p. 33.

27/04/2019

Claude Chambard, Carnet des morts

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IV

 

Dans le miroir nous ne nous connaissons pas

C’est le sauvage qui est dans le grain.

Mieux vaut être sauvage qu’aveugle.

S’il n’y a pas de buée sur le miroir, c’est la mort.

La mort est invisiblement visible dans le miroir.

 

Le livre est le lieu de la ressemblance.

Même si le livre ne ressemble pas au livre, il est la ressemblance.

Nous ressemblons à ce que nous lisons dans le livre.

Même si ce que nous lisons est exécrable. Notre visage alors se tord & marque sa répugnance. Nous effaçons le livre de notre visage le live, nous nous écartons de la ressemblance ;

 

Claude Chambard, Carnet des morts, Le bleu du ciel, 2011, p. 36-37.

28/12/2018

Samuel Beckett, Les Os d’Écho

 

Da Tagte Es

 

rachète les succédanés d’adieux

dans ta main le drap file comme un fleuve

toi qui as largué toutes amarres

et le miroir sans buée au-dessus de tes yeux

 

Samuel Beckett, Les Os d’Écho, traduction

Édith Fournier, éditons de Minuit, 2002, p. 41.

01/12/2018

Yves Bonnefoy, L'heure présente

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           Dans le miroir

 

Imagine placé dans une chambre

Un grand miroir. La clarté des fenêtres

S’y prend, s’y multiple. Ce qui existe

Devient ce qui apaise. Là, dehors,

 

C’est à nouveau le lieu originel.

Passent Adam et Eve dont les mains

Se rejoignent ici, dans cette chambre,

Elle, tout une longue jupe, à falbalas.

 

J’ai pris un fruit, c’ était dans un miroir,

L’image n’en fut pas troublée, le jour d’été

En éprouva à peine un frémissement.

 

J’en perçus la couleur, la saveur, la forme,

Puis le posai, dehors. Et vint la nuit

Dans le miroir, et les fenêtres battent.

 

Yves Bonnefoy, L’heure présente, Mercure de France,

2011, p. 29.

Communiqué d'une revue amie :

Le numéro 13 de la revue Catastrophes, "le Meilleur des mondes" est paru avec des poèmes, proses, essais et images de :
 
Laurent Albarracin 
Guillaume Artous-Bouvet,  
Patrick Beurard-Valdoye,
Brice Bonfanti, 
William Cliff,
Guillaume Condello,
Maria Corvocane,  
Olivier Domerg,
Ariane Dreyfus,  
Aurélie Foglia,  
Hippolyte Hentgen,
Christophe Lamiot Enos,  
Louise Mervelet,  
Guillaume Métayer,  
Marie de Quatrebarbes,  
Victor Rassov et 
Jean-Claude Pinson.
 
Vous trouverez ici le sommaire en ligne :
https://revuecatastrophes.wordpress.com/13-le-meilleur-de...
et ici l'ensemble à télécharger au format pdf :
https://revuecatastrophes.files.wordpress.com/2018/11/cat...

Amicalement,
 
Pierre Vinclair pour CATASTROPHES.

PS. - Pour celles et ceux qui peuvent, n'oubliez pas la soirée Catastrophes & V. Warnotte à la maison de la poésie de Paris le 20 décembre (réserver ici : https://poesie.shop.secutix.com/selection/event/date?prod...). Et si vous voulez offrir le 1er numéro papier de la revue Catastrophes, il est encore pour quelques jours au tarif souscription (15 euros franco de port au lieu de 20) ici : https://www.lecorridorbleu.fr/produit/catastrophes/
--
Catastrophes
écritures sérielles & boum !

25/11/2018

Jules Supervielle, Le Forçat innocent

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                        Le miroir

 

Qu’on lui donne un miroir au milieu du chemin,

Elle y verra la vie échapper à ses mains,

Une étoile briller comme un cœur inégal

Qui tantôt va trop vite et tantôt bat si mal.

 

Quand ils approcheront, ses oiseaux favoris,

Elle regardera mais sans avoir compris,

Voudra, prise de peur, voir sa propre figure,

Le miroir se taira, d’un silence qui dure.

 

Jules Supervielle, Le Forçat innocent, dans Œuvres complètes,

édition Michel Collot, Pléiade / Gallimard, 1996, p. 280.

 

 

24/10/2018

Pascal Quignard, Les Larmes

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(…) Les hommes ôtent leurs différentes peaux le soir.

  Puis ils approchent leur corps de la surface lisse de leur miroir. Ils s élavant le visage.

   Ils nettoient leurs crocs avec de petits bouts de bois. Ils essuient une à une leurs griffes. Ils frottent la paume de leurs mains en sorte d’écarter la crasse qui y a imprimée le jour. Ils éteignent la lumière.

  Nus — phosphorescents encore de la lumière qu’ils viennent d’anéantir — ils avancent dans le couloir puis pénètrent dans le noir de leur chambre.

  Ils ouvrent leurs draps et s’y glissent.

  Ils sont si pâles.

  Ils sont comme des grenouilles sur les ries des rivières qui se détachent sur la mousse vête en écarquillant leurs grands yeux exorbités et étranges. Notre pauvre premier monde de têtards est une eau qui est sombre. Avant de naître et de découvrir le soleil nous avons connu un séjour à peu près complètement obscur où nous vivions sans jamais respirer ainsi que le font les carpes et les crabes les poulpes ou les anguilles.

 

Pascal Quignard, Les Larmes, Folio / Gallimard, 2018, p. 189-190.

09/10/2018

Laurent Cennamo, L'herbe rase, l'herbe haute

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À midi le poème

 

À midi le poème porte un mouchoir

sur la tête. Tu lisais sur le balcon. L’enfant

blond en été, la fleur de coquelicot qui dépasse

du muret de pierres sèches. Les grands chênes

poussiéreux à l’horizon, le Petit Salève

lavandière penchée au-dessus de son invisible

baquet d’où jaillit un nuage de papillons.

Tu lisais, toi aussi à l’envers. Écrire

Beaucoup plus tard serait comme traverser

Le miroir, écrire dans l’air, comme Tolstoï

Dans la petite gare, Kafka

sur la photographie fraiche contre le mur,

fourrure, épais manchon. Ton front brûlant,

comme le cygne plonge sa tête et son

long cou dans les eaux du lac,

éblouissantes. Tu es un enfant encore pour peu

de temps, bientôt le poème prend fin (il est

midi) le ciel bascule et le Petit Salève

comme une bille dans son château de bois

 

Laurent Cennamo, L’herbe rase, l’herbe haute,

Bruno Doucey, 2018, p. 47.

21/09/2018

Malcolm Lowry, Divagation à Veracruz

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Divagation à Veracruz

 

Où s’est-elle enfuie la tendresse demanda-t-il

demanda-t-il au miroir de Baltimore Hôte, chambre 216

Hélas son reflet peut-il lui aussi se pencher sur la glace

se demandant où je suis parti vers quelles horreurs ?

Est-ce elle qui maintenant me regarde avec terreur

inclinée derrière votre fragile obstacle ? La tendresse

se trouvait là, dans cette chambre même, à cet endroit même

sa forme vue, ses cris par vous entendus.

Quelle erreur est-ce là, suis-je cette image couperosée ?

Est-ce là le spectre de l’amour que vous avez reflété ?

Avec maintenant tout cet arrière plan

de téquila, mégots, cols sales, perborate de soude

et une page griffonnée à la mémoire de ceux-là

qui sont morts, le téléphone décroché.

De rage il fracassa toute cette glace de la chambre.

                                    (Coût 50 dollars)

 

Malcolm Lowry, Poèmes inédits, traduction Jean Follain, dans

Les Lettres nouvelles, n° spécial, mai-juin 1974, p. 226.

04/11/2017

Roger Giroux, L'arbre le temps

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Nue,

Frileusement venue,

Devenue elle sans raison, ne sachant

Quel simulacre de l’amour appeler en image

(belle d’un doute inachevé

vague après vague,

et comme inadvenue aux lèvres), ici

d’une autre qui n’est plus

que sa feinte substance nommée

 

Miroir, abusive nacelle,

eau de pur silex.

 

Roger Giroux, L’arbre le temps,

Éric Pesty éditeur, 2016, p. 61.

24/06/2017

Jorge Luis Borges, La mémoire de Shakespeare

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                                       25 août 1983

 

   À l’horloge de la petite gare je vis qu’il était 11 heures du soir passées. Je me dirigeai vers l’hôtel. Comme en d’autres occasions, j’éprouvai cette résignation et ce soulagement que procurent en nous les lieux que nous connaissons bien. Le grand portail était ouvert et l’édifice, dans l’obscurité. J’entrai dans le vestibule dont les miroirs blêmes répétaient les plantes du salon. Curieusement, le propriétaire ne me reconnut pas et me présenta le registre. Je pris la plume qui était accrochée au pupitre, je la trempai dans l’encrier de bronze et au moment où je m’inclinai sur le livre ouvert se produisit la première des nombreuses surprises qu’allait m’accorder cette nuit. Mon nom, Jorge Luis Borges, était déjà écrit, à l’encre, encore fraiche.

   Le propriétaire de l’hôtel me dit :

« Je croyais que vous étiez déjà monté. »

Puis il m’observa attentivement et il se reprit :

« Pardon, monsieur. C’est que l’autre vous ressemble tellement, mais vous, vous êtes plus jeune. »

[…]

 Jorge Luis Borges, La mémoire de Shakespeare, dans Œuvres complètes, II, édition Jean-Pierre Bernès, Pléiade / Gallimard, 1999, p. 963.

05/03/2017

Pierre Reverdy, Le Gant de crin

 

 

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Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.

Aussi me gardé-je bien de la défendre.

J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.

 

Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

 

Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.

Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.

 

Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.

 

Pierre Reverdy, Le Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.