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29/06/2022

Pierre Chappuis, En bref, paysage

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Surgissent. Ont surgi. Hêtraie une fois encore (de quel attrait donc ?), vaste, aérée.

 

Ont jailli, jaillissent à la verticale d’un seul et même mouvement, en foule, jeunes, élancés, sveltes et droits, fusées immobiles rivalisant de hauteur pour, au sommet, mêler leurs branches.

 

À tire-d’aile, cinq, six canards tracent d’un seul élan, poème, une ligne droite. Invariable, l’intervalle entre chacun d’eux. Leur vol : sûr et néanmoins comme déhanché.

 

Pierre Chappuis, En bref, paysage, Corti, 2021, p. 37.

30/05/2022

Pierre Chappuis, La nuit moins profonde

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Que ne nous sépare pas

 

Que ne nous sépare pas, insensible abîme, le moindre écart.

 

Ce que nous étions, ce que nous sommes. N’ayant point souvenir des massifs d’ombre côtoyés, mouvants, dont les senteurs montaient à la tête.

 

 

Un courant de transparence, insensiblement, nous porte ; aurore, démarcation nulle.

 

Pierre Chappuis, La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p.65.

 

 

25/11/2021

Pierre Chappuis, En bref, paysage

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Les arbres et leurs ombres : imbriqués mais droits

— des sapins —, rangs serrés, à gagner, regagner du

terrain sur la neige.

 

À la nuit reprendra ses positions avancées.

 

 

Ciel bas, assombri, lourd à nos épaules — si tant est

que... —

 

 

Me tient captif, de si loin, cette prairie enneigée

resserrée sur elle-même, si haut juchée à flanc de

coteau.

 

Pierre Chappuis, En bref, paysage, Corti, 2021, p. 43.

24/11/2021

Pierre Chappuis, La nuit moins profonde

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L’ombre

 

L’ombre des chênes (son épaisseur), là (y fûmes-nous ?), serrés, solidaires (à poings fermés), cœur même de la plénitude de l’été.

 

Y fûmes-nous vraiment ?

 

Que ne nous sépare pas...

 

Que ne nous sépare pas, insensible abîme, le moindre écart.

 

Ce que nous étions ; ce que nous sommes. N’ayant point souvenir des massifs d’ombre côtoyés, mouvants, dont les senteurs portaient à la tête.

 

Un courant de transparence insensiblement nous porte : aurore, démarcation nulle.

 

Pierre Chappuis, La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p. 64-65.

23/11/2021

Pierre Chappuis, La nuit moins profonde

                        

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                                Une photographie

 

   Retour sur image, celle, panoramique, accrochée au mur depuis bien des années, à l’écart.

 

   La mer, basse, a laissé le fond de l’anse à nu. Partout une lumière égale, riante, plane. Bonheur ! Il n’est que de céder, insoucieux, au sentiment d’immensité sans rencontrer d’autre obstacle que, moindre éminence, celui de l’îlot voisin vers lequel tu t’avances dans la tiédeur d’une fin d’après-midi de juillet, minuscule tache rouge et blanche (jupe et corsage) à quoi un œil non averti ne prêterait aucune attention.

 

   Tu ne te retourneras pas. Le temps, inexorablement, est au beau fixe.

 

Pierre Chappuis, L’espace que rien ne borne, dans La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p. 73.

16/03/2021

Pierre Chappuis, battre le briquet

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                             Langue écrite

 

Même écrite, transmise par l’écrit, la poésie n’en repose pas moins — rythme, sonorités, souffle — sur les qualités orales, physiques de la langue, il est vrai selon une organisation, une syntaxe propres, affranchie par exemple des chevilles liée à une transmission orale fondée sur la mémorisation ou, pour nous aujourd’hui, ayant pris ses distances quant aux règles et contraintes prosodiques ; inséparable de la voix, quoique entendue de l’intérieur ; en veilleuse dans le livre, à chaque lecture retrouvant fraîcheur et nouveauté sans se répéter, sans redite.

 

Pierre Chappuis, battre le briquet, précédé de ligatures, Corti, 2018, p. 50.

06/11/2020

Pierre Chappuis, Battre le briquet

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                                           Ressassement

 Que le monde — partie vaut pour le tout — ailleurs sans autre à notre conscience, que, par la grâce du poème, nulle distance (pourtant non abolie) n’intervienne entre les mots et les choses en vertu d’une adhésion unissant de même le poème à  son lecteur, cela peut-il n'être qu’un vœu ? Toujours la même ombre au tableau attire le regard au point de l’engloutir. Par-delà, en fin de compte, le poème trouve à vibrer, et le monde, les choses avec lui.

 Expérience première, vitale, renouvelée à chaque fois ; éblouissante ? Peut-être simple ressassement d’une idée reçue — c’est dans l’air ! — des plus banales aujourd’hui.

 

Pierre Chappuis, Battre le briquet, éditions corti, 2018, p. 56.

09/10/2019

Pierre Chappuis, Entailles

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                       Paysage brouillé

 

Vents plutôt que pluie hachurent ciel et terre.

 

Issu de la nuit, de l'échevèlement de la nuit, tremblé, confus et net (résurgence), un paysage brouillé, un brouillon de paysage refuse à contre-jour de se fixer, du coup (un négatif, une épure) ne parvient pas jusqu'à la couleur. Dans le révélateur où il serait à tremper, une main délicatement l'agite.

 

Tempétueusement, beau temps.

 

Quoique ne tenant pas en place, joie de se sentir en place ici chez soi en pleine turbulence.

 

Lumineuse effervescence dévalant la colline en tous sens, balayant coteaux et ravins. Qui, désormais, déferle abondamment, noire, oui (vertu éclairante du noir, plus clair vu de plus loin) remue, traverse, raye le papier de mille traits aussi fins que pattes de mouches, ou cheveux — une ample chevelure emmêlée et défaite.

 

Pierre Chappuis, Entailles, éditions Corti, 2014, p. 9.

19/02/2019

Pierre Chappuis, Pleines marges

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Pleines marges

 

Toute le nuit

est resté ouvert

sur une page blanche

le calepin noir

 

Au matin, la neige.

 

                             (hiatus)

 

Tels,

dans le lit même de l’hiver,

les galets que remue une eau imaginaire.

 

Tel

que semble cesser,

prisonnier du gel,

le vacarme harassant de la route.

 

                               (espace muet)

 

La plaine sous des amas de brume ;

le regard tranché par la bise.

 

Alentours en fuite.

 

Pierre Chappuis, Pleines marges, suivi de

L’Autre, le Même, éditions d’en bas,

Lausanne, 2017, p. 8, 10 et 12.

 

 

 

26/10/2018

Pierre Chappuis, Battre le briquet : recension

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La collection « en lisant en écrivant » est indispensable pour qui veut comprendre les évolutions et les voies de la poésie contemporaine ; on y lit des réflexions et notes très diverses, d’Yves di Manno à Caroline Sagot Duvauroux, de Claude Dourguin à Philippe Beck. À côté de volumes de poésie, Pierre Chappuis a aussi nourri la collection, maintenant avec Battre le briquet.

   Le livre s’ouvre avec des notes à propos de l’écriture, la poésie, la langue, la lecture, etc. ; parmi ces fragments qui ressemblent à des extraits d’un Journal — à la manière de Reverdy régulièrement évoqué —, certains touchent d’autres sujets, par exemple le suicide de Francis Giauque ou une démonstration d’Étienne Decroux. Cependant, les uns et les autres, relations de faits de la vie, ne s’éloignent guère d’une question essentielle pour Pierre Chappuis, le rapport à la langue, aux mots. Ainsi d’un souvenir d’enfance relaté. Jeune garçon, il ne put manger le poisson proposé et vomit ; or la scène se passait chez les parents de son père, sa mère ne mangeait jamais de poisson et il est probable qu’il était au menu pour cette raison : tout s’est passé comme si l’enfant, prenant en charge le dégoût de sa mère pour cet aliment, avait construit l’équivalence poisson / poison. Pour Étienne Decroux, il parvient dans son mime de la marche à « l’illusion parfaite », c’est à dire à la restitution de l’expérience vécue — ce que le poème s’efforce de faire. Etc. Le premier ensemble se poursuit par des réponses au poète Antonio Rodriguez sur la pratique de l’écriture : non plus des notes mais des réflexions plus développées. La seconde partie rassemble 18 articles, écrits depuis 1995, sous le titre Battre le briquet ; titre gardé pour le livre qui demande explication : avec les anciens briquets, il fallait à plusieurs reprises actionner la molette pour enflammer l’essence ; l’écriture exige des retours analogues et Pierre Chappuis, à propos de la nécessité de ne jamais se satisfaire d’un résultat, renvoie à Joubert dans le premier article de la série, avec lui il faut « s’interroger sans relâche sur les mots, la lecture, les livres, le langage poétique ».

   Ce travail toujours à recommencer implique que l’écriture du poème n’est jamais spontanée. Il y a bien au départ un « sentiment », une « matière sauvage », sans quoi rien ne se passerait, « Affleure je ne sais quoi venu des profondeurs (et non du ciel), noté dans un calepin en cours de route ». C’est ce matériau qui est transformé, retouché, élagué jusqu’à trouver la forme la plus concise, débarrassée de tous oripeaux ; c’est encore suivre la leçon de Reverdy et, comme lui, faire « l’éloge du peu, un des enjeux majeurs de la poésie ». Pierre Chappuis dans son dialogue avec Antonio Rodriguez donne un exemple de ce qu’est la réécriture d’un poème — la première version ici ayant sans doute déjà été revue dans l’atelier :

 

          Champs hersés sous une première neige :Champs hersés de frais (la première neige)
                       Sol clignotant, hiver vagabond.     

 

                       En avant !

                                                                      *

Champs hersés de neige (la première neige), scintillements au sol (vivement, zigzaguer) (vivement), hiver vagabond (vivement emboîter le pas).

                                                   *

Champs hersés de frais, hiver vagabond à fleur de neige. Vivement, emboîter le pas !

 

      Il n’est pas nécessaire d’analyser longuement les modifications successives pour saisir la volonté de dépouillement, mais aussi pour comprendre que le poète n’a pas à privilégier à tout prix la transparence du sens. Si la recherche d’allègement aboutit parfois à un poème obscur, il faut comprendre que cette obscurité répond « à l’obscurité du monde, de tout être, toute chose dans sa singularité, de toute relation qui se noue, unique. » Pour le dire autrement, et Pierre Chappuis y revient plusieurs fois, le poème tente de combler la distance entre l’expérience et ce qui en est dit, entre les mots et les choses, tout en sachant qu’elle ne peut être abolie ; il permet au moins d’imaginer que nous sommes « en présence des choses » grâce à « la seule vertu des mots eux-mêmes, leurs couleurs, leur charge affective, par l’attraction qu’ils exercent les uns sur les autres ». C’est dire que la poésie, d’abord, est « rythme, sonorités, souffle », caractéristique essentielle qui donne sa place au lecteur.

   La lecture, à sa manière, est aussi complexe que l’écriture ; l’une et l’autre ne peuvent jamais être linéaires, elles impliquent « Allers et retours, repentirs, détours, attentes vaines et raccourcis soudains ». Rencontre (comme avec une personne), la lecture exige du temps, elle est subjective, donc faite d’imprévus, et c’est pourquoi la lecture en ligne ne fait qu’introduire des manques. Le lecteur commençant à lire un livre de poèmes, qu’il en connaisse ou non déjà l’auteur, doit construire progressivement ses repères. On appréciera, dans Battre le briquet, le fait que Pierre Chappuis soit attentif à ce que peut être la réception autant qu’à l’écriture telle qu’il la pratique.

   On appréciera également les citations ou les renvois aux écrivains qu’il lit, de Hölderlin à Montale, de Ponge à Esther Tellermann, de Reverdy à Beckett (au « chant âpre, délabré »), les discrètes allusions à des musiciens, Haydn ou Alban Berg (« Beau jusqu’à la souffrance ») et à la peinture, l’extrême attention à la langue n’étant pas séparée d’une relation à l’ensemble des arts. Lire, regarder et écouter les choses du monde pour écrire et pour lire.

 

Pierre Chappuis, Battre le briquet, Corti, 2018, 176 p., 18 €.Cette note de lecture a été publiée par Sitaudisle 28 septembre 2018.

 

14/09/2018

Pierre Chappuis, Un élan semblable

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Un élan semblable

 

  Ravie (impossible de la rattraper), happée vertigineusement par son cri. L’affolement. Embrasée mais inerte. Tension de tout l’être, engouffré, qui ne s’appartient plus, non plus qu’à lui. Dans l’affolement d’une course effrénée pour tenter de la rejoindre, il est lui-même le jouet d’une force qui, souveraine, impérieuse, fait en lui des ravages, l’affouille et le comble tout à la fois. Un manque absolu et une jouissance absolue (mais pour le dire il n’y a, n’y eut jamais de nom). Une vague immense s’est emparée d’eux, les enroule, les traverse, les fait vibrer d’un commun accord. Promesse d’un aboutissement différé. Parviendra-t-il à lui communiquer, enlacée, l’énergie qui le jette dans un transport, oui, presque de détresse ? Confusion des corps qui est aussi écart — infime, infranchissable —, rapprochement extrême en un point brûlant où se noue la jouissance, de là rayonnant jusqu’aux limites de ce que peut recevoir de plus intense la conscience. Jeet tumêlés dans un étrange chacun pour soi. Solidaires. Ensemble par le trait d’union de leurs caresses : les mains donnent vie, explorent les pleins et les déliés les modèlent, les réinventent. Parallèlement, au plus intime — oh ! frémissement ! — reflux, concentration qui est également expansion infinie. Éperdus tous deux à jamais, dans un éclair.

 

  Étreindre (stringere), de la même famille qu’étroit, strict (strictus), racloir, étrille (strigilis) : serrer, étriller, ligoter.

                                                         *

   Telle la poésie : non, sauf s’il s’agit d’exprimer — presser hors de soi — ce qu’on porte en soi de plus secret, enfoui, de plus personnel mais aussi — mots ou semence — commun, anonyme.

Pierre Chappuis, Battre le briquet, "en lisant en écrivant", Corti, 2018, p. 147-148.

02/03/2018

Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin

                    pierre chappuis,dans la lumière sourde de ce jardin,déversoir du temps,bruits

 

                      Déversoir du temps

 

Orgues, non : ressassement brut.

 

Gravier, cailloux, sable s’engouffrant dans l’oreille — hoquetant, leur tri à longueur de journée —, délestés par une machinerie géanye, indifférente, indomptable.

 

Brinquebale ; éructe.

 

D’être secoué, véhiculé au gré de multiples stéréoducs, passé au crible, le jour lui-même se décolore, réduit en une poussière grise, en un brouhaha — des ribambelles de grincements, chuintements raclements de gorge venus se perdre dans un brouillage ininterrompu.

 

Tel, glossolalie harassante (" ce vrombissement démesuré qui n’a pas de début et n’aura pas de fin"), tel ce que crachent dans le vide plans inclinés et entonnoirs s’entrecroisant dans le ciel.

 

 

Déversoir du temps qui, sans relâche, inintelligiblement, l’émiette.

 

Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin, Corti, 2016, p. 9-10.

26/10/2017

Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses

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Escalade, le chant du merle

 

   Congé pris à l’avance en toute discrétion et sérénité pour prévenir le risque d’être pris de court (« Car tu ne sais ni le jour ni l’heure »). Sans effroi, sans renier les liens les plus chers (« ne me retenez pas »), la pensé de la mort — non moins violemment : disparition, départ ou tout autre euphémisme — se fait ici détachement, transparence, allègement tant volontaire (« j’escalade ») que subi (« emportée »), mais de notre plein gré.

[ …]

 Pierre Chappuis, Muettes convergences, proses, José Corti, 2011, p. 193.

07/10/2016

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil

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Murets de pierres sèches :

plaies anciennes,

enflures, renflements moindres.

 

Aujourd’hui encore.

 

Pièce à pièce,

de pâture à pâture,

réassemblage du Même ;

silence au silence cousu.

 

(affleurements, 2)

 

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil,

Corti, 2009, p. 70.

29/03/2016

Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde du jardin

 

                              

                           

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                                      Zone franche

 

S’avancer sur la pointe des pieds et, crainte de froisser la lumière déclinante d’une fin de journée (si fragile, son équilibre), s’arrêter, interdit, sur le seuil de la clairière, parmi les bruyères, les sphaignes.

 

Arbre soi-même sur-le-champ au cœur et en dehors du temps.

 

Jalousement, une zone franche ; aucune traverse zigzaguant entre mottes et touffes, aucune trace n’en violent l’espace.

 

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En face, si proche — et pourtant ! — court une lignée de bouleaux légers comme neige dans un ciel neuf, fuyants, frêles (limite dérobée du rêve) et cependant fringants, se tenant droits.

 

Formeraient, serrés étroitement les uns contre les autres, une barrière à claire-voie.

 

Hampes nues d’arrière-automne.

 

Où, reprenant, poursuivant sans relâche sa reconnaissance, le regard, oublieux, vagabonde.

 

Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin, Corti, 2016, p. 21-22.