24/01/2024
Pierre Chappuis, Muettes émergences
Noir et blanc
La lumière, non les couleurs.
Chaleur et lumière pleinement, passées les dunes et les dernières traces de végétation, les derniers chardons à moitié enfouis dans le sable. Exclusif, l’œil ne retient, noir et blanc, que l’ombre portée d’une de ces barrières à claire-voie qui partout courent le long du rivage, plus ou moins usées par le vent.
Pierre Chappuis, Muettes émergences, José Corti, 2023, p. 141.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, noir et blanc, lumière | Facebook |
21/01/2024
Pierre Chappuis, Le noir de l'été
Naissance de l’ennui
Ce qu’il croyait rejoindre en se mettant en route (l’été, lé belle insouciance de l’été), des forces adverses l’en éloignent sournoisement pour l’ankyloser toujours davantage, néfastes harassantes, bien plus incontournable que, dans sa fougue, le vent. Toujours devant lui la même distance infranchie.
L’enfance, irrémédiablement une lézarde vient d’y porter atteinte, la première par où s’infiltre la lèpre de la solitude.
Les lieux, portant les mêmes, lieux de toujours (comment, en un instant, défigurés ?), le temps, les lieux en partent, irascible, la marque. La garderont.
Nulle aide, nul attrait, nulle part.
Voix, inéluctablement (où donc aller ?), chaque tour de roue (à quoi bon ?) se fait plus pesant comme cs, au lieu d’avancer, soudain misérable, il reculait.
(…)
Pierre Chappuis, Le noir de l’été, La Dogana, 2002, p.15-16.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, le noir de l'"t", voix, lieu | Facebook |
20/01/2024
Pierre Chappuis, Entailles
Colombes,
colonne, ou trombe
en marche d’ouest en est `
à l’horizon.
Migration printanière.
Entraînée, la montagne
elle aussi se déplace.
(giboulée)
Pierre Chappuis, Entailles,
éditions Corti, 2014, p. 43.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, entailles, giboulée | Facebook |
19/01/2024
Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil
L’envers des mots
Dans le lit du vent déployé à largeur d’horizon (vacarme, vacarme, un vacarme de déménagement), sur le rivage des saules qui pour un rien tournent casaque, émoustillés ?
Parallèlement, mais à coups d’ébréchures., de crêtes échevelées, retournement intempestif des vagues.
L’envers des mots, (quelque ordre, désordre que ce soit) : l’éclat argenté, les plis de l’ample doublure de satin ne déguiseraient la vacuité ?
Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil, José Corti, 2009, p. 42.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, comme un léger sommeil, vent, mot | Facebook |
18/01/2024
Pierre Chappuis, À portée de la voix
Dans la clarté maintenue
Sans hâte, sur l’esplanade, le soir étend ses linges ici et là à même le sol entre les arbres, de moment en moment (oh ! le ralentissement de la durée) diffère la tombée de la nuit.
Au fond se dresse l’étroite façade de pierre jaune dont le sommet se perd dans les touffes d’arbres.
Flotter entre deux dans la clarté maintenue, porté par le parfum des tilleuls.
Pierre Chappuis, À portée de la voix, José Corti, 2003, p. 23.
Publié dans Akhmatova Anna | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, à portée de la voix, nuit | Facebook |
29/06/2022
Pierre Chappuis, En bref, paysage
Surgissent. Ont surgi. Hêtraie une fois encore (de quel attrait donc ?), vaste, aérée.
Ont jailli, jaillissent à la verticale d’un seul et même mouvement, en foule, jeunes, élancés, sveltes et droits, fusées immobiles rivalisant de hauteur pour, au sommet, mêler leurs branches.
À tire-d’aile, cinq, six canards tracent d’un seul élan, poème, une ligne droite. Invariable, l’intervalle entre chacun d’eux. Leur vol : sûr et néanmoins comme déhanché.
Pierre Chappuis, En bref, paysage, Corti, 2021, p. 37.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, en bref, paysage, hêtre, branche, canard | Facebook |
30/05/2022
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde
Que ne nous sépare pas
Que ne nous sépare pas, insensible abîme, le moindre écart.
Ce que nous étions, ce que nous sommes. N’ayant point souvenir des massifs d’ombre côtoyés, mouvants, dont les senteurs montaient à la tête.
Un courant de transparence, insensiblement, nous porte ; aurore, démarcation nulle.
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p.65.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, la nuit moins profonde, transparence, abîme | Facebook |
25/11/2021
Pierre Chappuis, En bref, paysage
Les arbres et leurs ombres : imbriqués mais droits
— des sapins —, rangs serrés, à gagner, regagner du
terrain sur la neige.
À la nuit reprendra ses positions avancées.
Ciel bas, assombri, lourd à nos épaules — si tant est
que... —
Me tient captif, de si loin, cette prairie enneigée
resserrée sur elle-même, si haut juchée à flanc de
coteau.
Pierre Chappuis, En bref, paysage, Corti, 2021, p. 43.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, en bref, paysage, neige, sapin | Facebook |
24/11/2021
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde
L’ombre
L’ombre des chênes (son épaisseur), là (y fûmes-nous ?), serrés, solidaires (à poings fermés), cœur même de la plénitude de l’été.
Y fûmes-nous vraiment ?
Que ne nous sépare pas...
Que ne nous sépare pas, insensible abîme, le moindre écart.
Ce que nous étions ; ce que nous sommes. N’ayant point souvenir des massifs d’ombre côtoyés, mouvants, dont les senteurs portaient à la tête.
Un courant de transparence insensiblement nous porte : aurore, démarcation nulle.
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p. 64-65.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, la nuit moins profonde, ombre, séparation | Facebook |
23/11/2021
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde
Une photographie
Retour sur image, celle, panoramique, accrochée au mur depuis bien des années, à l’écart.
La mer, basse, a laissé le fond de l’anse à nu. Partout une lumière égale, riante, plane. Bonheur ! Il n’est que de céder, insoucieux, au sentiment d’immensité sans rencontrer d’autre obstacle que, moindre éminence, celui de l’îlot voisin vers lequel tu t’avances dans la tiédeur d’une fin d’après-midi de juillet, minuscule tache rouge et blanche (jupe et corsage) à quoi un œil non averti ne prêterait aucune attention.
Tu ne te retourneras pas. Le temps, inexorablement, est au beau fixe.
Pierre Chappuis, L’espace que rien ne borne, dans La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p. 73.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, la nuit moins profonde, espace, photographie | Facebook |
16/03/2021
Pierre Chappuis, battre le briquet
Langue écrite
Même écrite, transmise par l’écrit, la poésie n’en repose pas moins — rythme, sonorités, souffle — sur les qualités orales, physiques de la langue, il est vrai selon une organisation, une syntaxe propres, affranchie par exemple des chevilles liée à une transmission orale fondée sur la mémorisation ou, pour nous aujourd’hui, ayant pris ses distances quant aux règles et contraintes prosodiques ; inséparable de la voix, quoique entendue de l’intérieur ; en veilleuse dans le livre, à chaque lecture retrouvant fraîcheur et nouveauté sans se répéter, sans redite.
Pierre Chappuis, battre le briquet, précédé de ligatures, Corti, 2018, p. 50.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, battre le briquet, précédé de ligatures, langue écrite, orale | Facebook |
06/11/2020
Pierre Chappuis, Battre le briquet
Ressassement
Que le monde — partie vaut pour le tout — ailleurs sans autre à notre conscience, que, par la grâce du poème, nulle distance (pourtant non abolie) n’intervienne entre les mots et les choses en vertu d’une adhésion unissant de même le poème à son lecteur, cela peut-il n'être qu’un vœu ? Toujours la même ombre au tableau attire le regard au point de l’engloutir. Par-delà, en fin de compte, le poème trouve à vibrer, et le monde, les choses avec lui.
Expérience première, vitale, renouvelée à chaque fois ; éblouissante ? Peut-être simple ressassement d’une idée reçue — c’est dans l’air ! — des plus banales aujourd’hui.
Pierre Chappuis, Battre le briquet, éditions corti, 2018, p. 56.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, battre le briquet, ressassement, expérience, poème, lecteur | Facebook |
09/10/2019
Pierre Chappuis, Entailles
Paysage brouillé
Vents plutôt que pluie hachurent ciel et terre.
Issu de la nuit, de l'échevèlement de la nuit, tremblé, confus et net (résurgence), un paysage brouillé, un brouillon de paysage refuse à contre-jour de se fixer, du coup (un négatif, une épure) ne parvient pas jusqu'à la couleur. Dans le révélateur où il serait à tremper, une main délicatement l'agite.
Tempétueusement, beau temps.
Quoique ne tenant pas en place, joie de se sentir en place ici chez soi en pleine turbulence.
Lumineuse effervescence dévalant la colline en tous sens, balayant coteaux et ravins. Qui, désormais, déferle abondamment, noire, oui (vertu éclairante du noir, plus clair vu de plus loin) remue, traverse, raye le papier de mille traits aussi fins que pattes de mouches, ou cheveux — une ample chevelure emmêlée et défaite.
Pierre Chappuis, Entailles, éditions Corti, 2014, p. 9.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, entailles, paysage brouillé, vent | Facebook |
19/02/2019
Pierre Chappuis, Pleines marges
Pleines marges
Toute le nuit
est resté ouvert
sur une page blanche
le calepin noir
Au matin, la neige.
(hiatus)
Tels,
dans le lit même de l’hiver,
les galets que remue une eau imaginaire.
Tel
que semble cesser,
prisonnier du gel,
le vacarme harassant de la route.
(espace muet)
La plaine sous des amas de brume ;
le regard tranché par la bise.
Alentours en fuite.
Pierre Chappuis, Pleines marges, suivi de
L’Autre, le Même, éditions d’en bas,
Lausanne, 2017, p. 8, 10 et 12.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, pleines marges, suivi de l’autre, le même, hiver, neige | Facebook |
26/10/2018
Pierre Chappuis, Battre le briquet : recension
La collection « en lisant en écrivant » est indispensable pour qui veut comprendre les évolutions et les voies de la poésie contemporaine ; on y lit des réflexions et notes très diverses, d’Yves di Manno à Caroline Sagot Duvauroux, de Claude Dourguin à Philippe Beck. À côté de volumes de poésie, Pierre Chappuis a aussi nourri la collection, maintenant avec Battre le briquet.
Le livre s’ouvre avec des notes à propos de l’écriture, la poésie, la langue, la lecture, etc. ; parmi ces fragments qui ressemblent à des extraits d’un Journal — à la manière de Reverdy régulièrement évoqué —, certains touchent d’autres sujets, par exemple le suicide de Francis Giauque ou une démonstration d’Étienne Decroux. Cependant, les uns et les autres, relations de faits de la vie, ne s’éloignent guère d’une question essentielle pour Pierre Chappuis, le rapport à la langue, aux mots. Ainsi d’un souvenir d’enfance relaté. Jeune garçon, il ne put manger le poisson proposé et vomit ; or la scène se passait chez les parents de son père, sa mère ne mangeait jamais de poisson et il est probable qu’il était au menu pour cette raison : tout s’est passé comme si l’enfant, prenant en charge le dégoût de sa mère pour cet aliment, avait construit l’équivalence poisson / poison. Pour Étienne Decroux, il parvient dans son mime de la marche à « l’illusion parfaite », c’est à dire à la restitution de l’expérience vécue — ce que le poème s’efforce de faire. Etc. Le premier ensemble se poursuit par des réponses au poète Antonio Rodriguez sur la pratique de l’écriture : non plus des notes mais des réflexions plus développées. La seconde partie rassemble 18 articles, écrits depuis 1995, sous le titre Battre le briquet ; titre gardé pour le livre qui demande explication : avec les anciens briquets, il fallait à plusieurs reprises actionner la molette pour enflammer l’essence ; l’écriture exige des retours analogues et Pierre Chappuis, à propos de la nécessité de ne jamais se satisfaire d’un résultat, renvoie à Joubert dans le premier article de la série, avec lui il faut « s’interroger sans relâche sur les mots, la lecture, les livres, le langage poétique ».
Ce travail toujours à recommencer implique que l’écriture du poème n’est jamais spontanée. Il y a bien au départ un « sentiment », une « matière sauvage », sans quoi rien ne se passerait, « Affleure je ne sais quoi venu des profondeurs (et non du ciel), noté dans un calepin en cours de route ». C’est ce matériau qui est transformé, retouché, élagué jusqu’à trouver la forme la plus concise, débarrassée de tous oripeaux ; c’est encore suivre la leçon de Reverdy et, comme lui, faire « l’éloge du peu, un des enjeux majeurs de la poésie ». Pierre Chappuis dans son dialogue avec Antonio Rodriguez donne un exemple de ce qu’est la réécriture d’un poème — la première version ici ayant sans doute déjà été revue dans l’atelier :
Champs hersés sous une première neige :Champs hersés de frais (la première neige)
Sol clignotant, hiver vagabond.
En avant !
*
Champs hersés de neige (la première neige), scintillements au sol (vivement, zigzaguer) (vivement), hiver vagabond (vivement emboîter le pas).
*
Champs hersés de frais, hiver vagabond à fleur de neige. Vivement, emboîter le pas !
Il n’est pas nécessaire d’analyser longuement les modifications successives pour saisir la volonté de dépouillement, mais aussi pour comprendre que le poète n’a pas à privilégier à tout prix la transparence du sens. Si la recherche d’allègement aboutit parfois à un poème obscur, il faut comprendre que cette obscurité répond « à l’obscurité du monde, de tout être, toute chose dans sa singularité, de toute relation qui se noue, unique. » Pour le dire autrement, et Pierre Chappuis y revient plusieurs fois, le poème tente de combler la distance entre l’expérience et ce qui en est dit, entre les mots et les choses, tout en sachant qu’elle ne peut être abolie ; il permet au moins d’imaginer que nous sommes « en présence des choses » grâce à « la seule vertu des mots eux-mêmes, leurs couleurs, leur charge affective, par l’attraction qu’ils exercent les uns sur les autres ». C’est dire que la poésie, d’abord, est « rythme, sonorités, souffle », caractéristique essentielle qui donne sa place au lecteur.
La lecture, à sa manière, est aussi complexe que l’écriture ; l’une et l’autre ne peuvent jamais être linéaires, elles impliquent « Allers et retours, repentirs, détours, attentes vaines et raccourcis soudains ». Rencontre (comme avec une personne), la lecture exige du temps, elle est subjective, donc faite d’imprévus, et c’est pourquoi la lecture en ligne ne fait qu’introduire des manques. Le lecteur commençant à lire un livre de poèmes, qu’il en connaisse ou non déjà l’auteur, doit construire progressivement ses repères. On appréciera, dans Battre le briquet, le fait que Pierre Chappuis soit attentif à ce que peut être la réception autant qu’à l’écriture telle qu’il la pratique.
On appréciera également les citations ou les renvois aux écrivains qu’il lit, de Hölderlin à Montale, de Ponge à Esther Tellermann, de Reverdy à Beckett (au « chant âpre, délabré »), les discrètes allusions à des musiciens, Haydn ou Alban Berg (« Beau jusqu’à la souffrance ») et à la peinture, l’extrême attention à la langue n’étant pas séparée d’une relation à l’ensemble des arts. Lire, regarder et écouter les choses du monde pour écrire et pour lire.
Pierre Chappuis, Battre le briquet, Corti, 2018, 176 p., 18 €.Cette note de lecture a été publiée par Sitaudisle 28 septembre 2018.
Publié dans RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, battre le briquet | Facebook |