02/11/2014
Pound / Joyce, Lettres
Ezra Pound James Joyce
Seefeldstrasse 73, Zurich, 9 avril 1917.
[...] Toute la journée j'ai réfléchi à ce que je pourrais faire ou écrire. Peut-être y a-t-il quelque chose si seulement cela pouvait me venir à l'esprit. Malheureusement j'ai très peu d'imagination. Je suis aussi un très mauvais critique. Par exemple, il y a quelque temps une personne m'a donné un roman en deux tome à lire, Joseph Vance. Je l'ai lu par à-coups pendant un temps, jusqu'à ce que je découvre que je lisais le second tome au lieu du premier. Et si je suis mauvais lecteur, je suis le plus ennuyeux des écrivain — à mes yeux, du moins. Cela m'épuise avant d'avoir fini. Je me demande si vous aimeriez lire le livre que j'écris. Je le fais, comme disait Aristote, avec des moyens différents selon les diverses parties. C'est étrange à dire, mais malgré ma maladie j'ai pas mal écrit récemment.
[...] Comme je vous l'ai écrit, la Stage Society souhaite réexaminer ma pièce, Les Exilés. Je vais demander à mon agent de la soumettre aussi pour la publication à Londres et à New York cet automne. Je voudrais bien entendre parler d'un agent théâtral aux USA qui voudrait bien s'en charger. Peut-être aurait-elle plus de succès que Dedalus. Je vous fais part d'un limerick à ce sujet :
Il était une fois un flâneur du nom de Stephen
dont la jeunes était des plus étranges et plus houleuses.
Il prospérait dans l'odeur
d'un infernal fumier
qu'un hottentot n'eût pas cru possible.
Pound / Joyce, Lettres d'Ezra Pound à James Joyce (et de J.J à E.P), présentées et commentées par Forrest Read, traduction de Philippe Lavergne, Mercure de France, 1970, p. 118-119.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Joyce James | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pound joyce, lettres, écrire, livre, lecteur, critique, limerick | Facebook |
01/11/2014
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction par Thierry Gillybœuf
"Le Paradis se trouve autour de nous dans notre prime enfance", et nos proches nous reprennent l'histoire quand nous grandissons.
"Où vas-tu ? demanda l'ange.
— Je ne sais pas.
— Et d'où biens-tu ?
— Je ne sais pas.
— Mais qui es-tu ?
— Je ne sais pas.
— Alors tu es l'Homme. Veille à ne pas te retourner pour ne pas repasser par là d'où tu viens.
La mort n'est pas la fin : reste le litige sur l'héritage.
"Pourquoi pleures-tu ?
— Parce que ma femme est morte. Hélas ! Je ne la reverrai plus jamais !
— Ta femme ne te reverra plus jamais, et pourtant elle ne pleure pas".
On peut se savoir laid, mais il n'existe pas de miroir pour le comprendre.
La vie est une petite tache de lumière. Nous entrons, serrons une ou deux mains, et retournons chacun de notre côté dans les ténèbres. Le mystère est infiniment pathétique et pittoresque.
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction de l'anglais par Thierry Gillybœuf, allia, 2014, p. 31, 34, 38, 39, 43, 53.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
31/10/2014
Dino Buzzati, Bestiaire magique
Les mouches
Une antique légende qui circulait chez les mouches disait ceci : Quand les villes de l'homme seront devenues tellement vôtres et que cet homme vous sera soumis et que la voix du grand peuple s'étendra d'un horizon à l'autre, alors ce sera le temps de l'orgueil et de la fornication mais, au beau milieu de ce triomphe, les armées étrangères surviendront pour tenter de vous exterminer ; et ce sera aussi le temps de la mort. Elles vous lanceront leur souffle et la moitié di grand peuple tombera aussi dru que tombe la pluie. Elles continueront de souffler et le reste du peuple tombera à son tour et le silence s'installera. Alors, ô mouches, c'en sera fini de votre règne.
Mais ce n'était qu'une légende dont il ne convenait pas de s'effrayer. D'ailleurs les mouches n'y croyaient pas. Pas plus que n'y croyait l'inspecteur de la Salubrité publique des régions du Sud, le professeur Santi Liguori, homme de nature sceptique et fondamentalement pessimiste. Obtempérant aux ordres du gouvernement, il avait fait appliquer dans les villes et dans les bourgs les mesures prescrites pour l'élimination des insectes fâcheux. Sans aucune illusion toutefois. Au contraire, le dépérissement dû à l'âge et la renonciation à certains des rêves de sa jeunesse avaient provoqué en lui un fort ressentiment à l'encontre de la science qu'il était censé servir. Une joie amère le prenait même à la vue de la prolifération de ces bestioles qu'il aurait dû haïr, et dont il prenait en secret le parti. [...] Pendant ce temps, dans les cours de fermes, des nuées de mouches noires et visqueuses s'agglutinaient sur les petits enfants, formant de véritables grappes au bord de leurs paupières, se précipitaient sur le lait, sur la soupe, sur les bouteilles de vin, et on les sentait soudain entre ses dents pendant qu'on buvait, les mouches tourbillonnaient autour des mulets, des paysans, des curés, des femmes en couches. Du matin au soir, ce maudit bruissement. Point d'orgue de la misère humaine.
[...]
Dino Buzzati, Bestiaire magique, traduit de l'italien par Michel Breitman, 10/18, 1997, p. 88-89.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dino buzzati, bestiaire magique, les mouches, légende, disparition, mort | Facebook |
30/10/2014
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit & J.-. Schneider
La tristesse
Quelle violence, bouche sombre,
Au-dedans de toi, forme faite
Des années d'automne,
Du calme d'or du soir ;
Un torrent au reflet verdâtre
Dans les cercle d'ombre
Des pins fracassés ;
Un village
Qui meurt pieusement en des images brunes.
Voici que bondissent les chevaux noirs
Sur le pâturage brumeux.
O soldats !
De la colline où mourant le soleil roule
Se déverse le sang rieur —
Sous les chênes
Sans voix ! Ô tristesse grondante
De l'armée, un casque étincelant
Est tombé en sonnant d'un front pourpre.
La nuit d'automne vient si fraîche,
Avec les étoiles s'illumine
Au-dessus des débris d'os humains
La moniale silencieuse.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l'allemand
par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard,
1972, p. 155.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georg trakl, Œuvres complètes, violence, automne, tristesse, mort, moniale | Facebook |
29/10/2014
Oskar Pastior, Poèmepoèmes
dans le poème-femme-au-foyer la femme au foyer refuse l'appellation de femme au foyer plus longtemps elle s'arroge le nom lilas ôte les cuivres du mur à partir de là met fin au conte va au concret se teint les cheveux en roux cuivré mais dans le cas présent ils deviennent lilas et elle malheureuse elle en est consciente et sort tant bien que mal de son état puis parle d'elle à la troisième personne parfois aussi à la seconde « lilas est un objet roux » ou « lilas tu te cuivres en lyrisme » lilas est consciente du danger métallique des biographies métaphoriques elle se lance dans une humeur roussie elle frotte les taches blafardes aux murs qui donnent l'impression qu'une femme au foyer ne serait qu'un vieux cadre pour motifs en cuivre
Oskar Pastior, Poèmepoèmes, traduction et postface d'Alain Jadot, préface de Christian Prigent, NOUS, 2013, p. 24.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, MARGINALIA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oskar pastior, poèmepoèmes, femme au foyer, mimas, toux, cuivre, hueur | Facebook |
28/10/2014
Luis Mizon, Corps du délit où se cache le temps
tout est écrit par le corps
sans que la main droite sache
ce que fait la main gauche
le linge immaculé raconte
des histoires cryptées
près de la flamme
les taches deviennent visibles
on voit la trace de la machinerie
les effets spéciaux
la scène sombre du balcon
les aveux des amoureux
les hésitations des comédiens
les soupirs des jeunes poètes
les traces de l'amour et de la haine
l'oubli n'a rien effacé
Luis Mizon, Corps du délit où se cache le temps,
dessins de Philippe Hélénon, Æncrages
& Co, 2014, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : luis mizon, corps du délit où se cache le temps, histoire, flamme, scène, oubli | Facebook |
27/10/2014
Jean-Patrice Courtois, Mélodie et jugement / Cyrano de Bergerac, Lettres
Les vacances soldées par permis carbone germinent toujours au gentil riant soleil d'octobre. Slogan saisonnier jamais n'imitera la nature, même foulée pieds sur sol à l'endroit exact. Des précipices de conférence totale font circuler des concepts d'humains qu'on déduira de géographies multiplicatrices d'engendrement d'enfermement aussi. La bascule des girotombes de pleine légalité va et vient avec allure de giclant barbouillant. Une rime plate désâme par mouvement perpétuel, bonne productivité, bonnes commandes, bonnes opérations matérielles fines et constrictures expulsées depuis un être qui n'a pas d'action d'abord et candidat à titre de lot universel. L'indiscernable vaut partout trame faite : nous effrayer même par l'usage !
*
Codicille, vous voulez bien ? Sganarelle saute et hors sol choque les talons parce que le "Moine-bourru" appartient à la périlleuse distribution. Apostille dans le codicille : « Bourru » : adjectif non négligeable en soi / n'est pas de détermination légère / prudence / bien mesurer la chose / prudence devant le Bourru / car le Moine tord le cou aux passants aux alentours de Noël pour, probablement, marquer les esprits en plein dans le chrétien, aux avents, sûrement même pour ça, avec « cris effroyables » de lutin approximatif répertorié. « Fantôme » / cependant / assure le dictionnaire / mais fantôme utile « qu'on fait craindre au peuple ». Le poète Furetière réquisitionné bas de page compense ainsi l'absent « populace », resté variante dans une Lettre. Apostille dans l'apostille : accélérateur bloqué !Bandeau souillé claquant / balance à la diagonale fixe / notre paysage ? Justice des formes de vie /où êtes- / vous ? Êtes-vous ? / Description deuxième nécessaire, non suffisantes du même, vite plus vite / poches à / transfusion / phrases à / poche / — ou l'endormir ! Le dictionnaire venge les oubliées / les dépliées de terre à vide sautent en une fois ! Codicille à l'apostille dans l'apostille : nos vivats rénovants et amants vont aux significations rendues aux surfaces.
Jean-Patrice Courtois, Mélodie et jugement / Cyrano de Bergerac, Lettres, éditions 1 : 1, 2013, p. 12 et 40.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, MARGINALIA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-patrice courtois, mélodie et jugement cyrano de bergerac, lettres, codicille, apostille, dictionnaire | Facebook |
26/10/2014
Gilles Jallet, Contre la lumière, Œuvres poétiques
Partout nous voyageons depuis toujours
et nous sommes fourvoyés à cause de la certitude
que cela donne une ressemblance entre les lieux,
d'exister partout ailleurs que là où nous vivons,
sous un ciel vide, abandonné, la terre
creusée de trous noirs et la langue, elle aussi,
portant les stigmates de ceux qui disparurent
sans voir la mort. Ainsi partent-ils tous
emportant avec eux le secret de leurs paroles
et cette parole aujourd'hui nous manque :
c'est pourquoi nous n'avons plus de pays,
plus de ciel, plus de chez moi à regarder.
Gilles Jallet, Contre la lumière, Œuvres poétiques, La
Rumeur libre, 2014, p. 155.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gilles jallet, contre la lumière, Œuvres poétiques, voyage, ailleurs, mort, retour | Facebook |
25/10/2014
Paul Auster, Dans la tourmente, dans Disparitions
En mémoire de moi
Simplement m'être arrêté.
Comme si je pouvais commencer
là où ma voix s'est arrêtée, moi-même
le son d'un mot
que je ne peux prononcer.
Tant de silence
à faire naître
dans cette chair pensive, battement
de tambour des mots
au-dedans, tant de mots
perdus dans le vaste monde
au-dedans de moi, et de ce fait avoir compris
que malgré moi
je suis là.
Comme si c'était le monde.
Paul Auster, Dans la tourmente, dans Disparitions, traduit
par Danièle Robert, Babel, 2008 (éditions Unes/ActesSud, 1994), p. 158.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul auster, dans la tourmente, dans disparitions, mot, silence, perte, monde | Facebook |
24/10/2014
Jacques Moulin, Portique, Dessins d'Ann Loubert
Portique : il s'agit de l'appareil de levage qui, sur des montants mobiles, permet de déplacer de lourdes charges... Dans ces cinq poèmes autour du portique, Jacques Moulin a abandonné jardins et oiseaux1) pour les quais des ports, les marchandises en conteneurs descendues des navires ou qui les rejoignent. Cependant, grâce à l'homonymie, apparaissent un instant les grues cendrées à côté des grues métalliques ; celles-ci, comme les oiseaux, cris(ss)ent par les poulies, appelant le grincement des mots, et toutes deux, de fer ou de chair, ont bec et cou et « même grégarité ». Mais l'une demeure dans la boue des quais quand l'autre s'élève dans le ciel pour migrer. C'est à un autre oiseau, l'albatros (« Il y a de l'albatros en lui »), que peut faire penser le portique, par sa taille et l'apparente maladresse de ses mouvements et c'est pourquoi, à son propos, Jacques Moulin reprend en partie un vers de Baudelaire, « Ses ailes de géant l'empêchent de sombrer ». Enfin, le bruit des poulies, les déplacements sur le quai du portique entraînent un nouveau rapprochement, cette fois entre métal et mouette : l'on entend « leur cri rauque dans le silence du poème. »
Parallèlement à l'opposition entre l'espace quasi immobile du travail des hommes et celui du déplacement des oiseaux, est construite une opposition temporelle par renvoi à Zénon, fondateur du stoïcisme : mot issu d'un mot grec signifiant "portique" — Zénon, selon la tradition, enseignait sous un portique —, et le philosophe, comme l'engin de levage fait grincer les poulies, a fait « grincer » les mots. Par ailleurs, le portique lève sur le quai de lourdes charges qui disparaissent vite de la vue, comme s'il s'en emparait pour les dévorer : il évoque ainsi le Minotaure ou le dragon, figures mythologiques des temps anciens. C'est à l'espace méditerranéen que renvoie encore le portique par sa forme, qui ressemble aux « colonnes grecques et arcs romains réunis » ; comme eux, il est voué à la destruction et à l'oubli ; il deviendra ruine et fait songer aux « ruines des portiques de Palmyre ».
Une autre relation analogique s'établit, cette fois entre les mouvements sur les quais, portique, grues, marchandises, et le poème qui se construit. L'appareil semble chercher les conteneurs comme on cherche les mots du poème — ou l'inverse ; le déplacement des boîtes s'opère et les quais se vident : métamorphose comme celle des mots qui ont trouvé leur place sur la page, ainsi « le poète est pontier portiqueur passeur de mots ». Un autre glissement peut s'observer du conteneur, « forme fixe », au poème et, de même que le conteneur est posé pour un temps sur le quai par le portique, le poème « pose des mots ».
Le lien le plus étroit entre portique et poème est peut-être celui du travail. Tous les mouvements sur les quais sont ceux des engins conduits par les hommes, « Tout ça trafique manœuvre s'empile », conteneurs avec leurs marchandises qui ont circulé sur les mers et maintenant amas sur le port, comme des rochers que bougerait un invisible Sisyphe. Quant au poète, Jacques Moulin l'assimile au palonnier et, alors que le « port est polyglotte », lui « cherche sa langue » ; les marchandises représentent le travail de transformation des choses du monde, incessant, et le poème s'efforce de restituer ce qu'est ce mouvement ; « C'est dans l'appui au quai qu'on parcourt le monde et reçoit son message », et qu'on peut tenter de le transmettre. La transmission, ici, évite très souvent l'ordre d'une syntaxe sage — sujet verbe complément... — : les choses sont là et sont nommées simplement nommées, au lecteur de les imaginer, « Bassins de mer au couchant mirages d'abbayes en mélancolie » ... À leur manière, les dessins d'Ann Loubert donnent à voir les mouvements sur les quais en laissant sa place à la rêverie.
Jacques Moulin, Portique, Dessins d'Ann Loubert, L'Atelier contemporain, 2014, 62 p., 10 €.
Recension publiée dans Sitaudis le 21 octobre
____________________________
(1) Voir récemment À vol d'oiseaux (2013), Comme un bruit de jardin (2014).
Publié dans RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques moulin, portique, dessins d'ann loubert, port, quai, po§me | Facebook |
23/10/2014
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduit par Thierry Gillybœuf
"Immoral" : tel est le jugement du bœuf dans son étable devant l'agneau qui gambade.
C'est vrai que l'homme ne connaît pas la femme. Mais la femme non plus.
Si vous voulez passer pour grand auprès de vos contemporains, ne le soyez pas beaucoup plus qu'eux.
Le premier homme que vous croiserez est un imbécile. Si vous pensez le contraire, interrogez-le et il vous le prouvera.
Une patte de lapin peut vous porter chance, mais elle ne l'a pas portée au lapin.
Laissons celui qui voudrait redoubler chacune de ses expériences jacasser sur la valeur de la vie.
Un auteur populaire est quelqu'un qui écrit ce que pense le peuple. Le génie les invite à penser autre chose.
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduit par Thierry Gillybœuf, éditions Allia, 2014, p. 7, 7, 11, 13, 14, 20,
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ambrose bierce, Épigrammes, traduit par thierry gillybœuf, morale, femme, qualité, ppopulaire | Facebook |
22/10/2014
Norma Cole, Avis de faits et de méfaits, traduction Jean Daive
Méfaits
1
Quatre oiseaux bruns
voltigent dans le faux
poivrier
conscient de
la brume moi et
dehors quand
commence
le passé ?
2
La nuit
imaginer ne pas
résoudre cela puis
son propre lit surveillé
le second état
même l'espace ne
se répète
More facts
1
Four brown birds
fly up into the false
pepper tree
conscious of
mist myself and
outside—when
does the past
begin?
2
The night's
to imagine not
salve it then
home bed checks
second state
even space does
not repeat
Norma Cole, Avis de faits et de méfaits,
présenté et traduit par Jean Daive,
Corti, 2014, p. 100-103.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : norma cole, avis de faits et de méfaits, traduction jean daive, oiseau, passé, nuit, espace | Facebook |
21/10/2014
Bartolo Cattafi, Mars et ses ides
Une pierre
Un geste de courage
lancé dans le vent
une pierre roulant lentement tout au long de son trajet
qui dans sa plénitude se reconnaît
et admire ses arêtes
puis émerge comme un marbre depuis la mêlée
ton front
blanc prend peur
inerte défaite poussiéreuse
tombée à tes pieds
mais retentissante
après t'avoir touché.
Gris
Dans ce temps dans ce gris
j'ouvre la porte
j'y entre aisément
comme une goutte dans la mer
mon visage est gris
comme les vêtements qui couvrent
le gris de mon corps
mon âme se montre
aux fenêtres des yeux
avec une part de gris
puisque le reste est encore
charbon non consumé.
Bartolo Cattafi, Mars et ses ides, traduit de l'italien par
Philippe di Meo, Héros Limite, 2014, p. 13, 53.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bartolo cattafi, mars et ses ides, pierre, mouvement, gris, mélancolie | Facebook |
20/10/2014
Jean Frémon, Silhouettes
Une journée de R. W.
La passion de servir. Être un autre. Manquer de respect au premier venu. Ne pas conclure. Bêcher le jardin. Trier des pois, tourner de la ficelle, coller des sacs de papier. Prendre une ou deux résolutions. Remettre son départ au lendemain. Un même amour pour le provisoire et l'éternel. Suivre la courbe des nuages dans la vitre, une herbe dans la bouche. Cet épi rétif dans les cheveux. Brusquer une décision. L'incompréhension générale est votre liberté. Ne pas en faire une règle. Une fin sans histoire, longtemps préparée. Je vous lègue mon chapeau.
Abschied
Un foulard de laine en cache-nez. Le bonjour donné à la ronde. L'haleine en nuage devant soi. Le crissement de la neige sous les pas. Peu de barrières aujourd'hui, peu de retenue. Le ciel très haut que traverse, de gauche à droite, un corbeau.
Une résolution. Poings serrés dans les poches. Suivre la pente, s'en écarter doucement. L'air froid aspiré profond. Une sorte d'asymptote.
Jean Frémon, Silhouettes, dessins de Nicola de Maria, éditions Unes, 1991, p. 39 et 41.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, MARGINALIA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean frémon, silhouettes, une journée, abschied | Facebook |
19/10/2014
Henri Michaux, Poteaux d'angle
Pour le trentième anniversaire de la mort de Henri Michaux,
le 19 octobre 1984
Celui qui a cru être ne fut qu'une orientation. Dans une autre perspective sa vie est nulle.
La révélation qu'ils n'étaient qu'un personnage (on le sait par nombre de biographies) anéantissait les saints. Le diable, pensaient-ils, avec la permission du ciel et en punition de leur orgueil, leur infligeait cette souffrance. Ainsi appelaient-ils leur lucidité abominable.
L'autre lucidité soudain manquait. Elles s'excluent.
Que de gènes insatisfaits en tous, en chacun !
Et toi aussi, tu pouvais être autre, tu pouvais même être quelconque et... l'accepter.
De quel être t'es-tu mis à être ?
Communiquer ? toi aussi tu voudrais communiquer ?
Communiquer quoi ? tes remblais ? — la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.
Henri Michaux, Poteaux d'angle, dans Œuvres complètes, III, édition établie par Raymond Bellour avec Ysé Tran, Pléiade, Gallimard, 2004, p. 1064-1065.
Les craquements
À l'expiration de mon enfance, je m'enlisai dans un marais. Des aboiements éclataient partout. « Tu ne les entendrais pas si bien si tu n'étais toi-même prêt à aboyer. Aboie donc. » Mais je ne pus.
Des années passèrent, après lesquelles j'aboutis à une terre plus ferme. Des craquements s'y firent entendre, partout des craquements, et j'eusse voulu craquer moi aussi, mais ce n'est pas le bruit de la chair.
Je ne puis quand même pas sangloter, pensais-je, moi qui suis devenu presque un homme.
Ces craquements durèrent vingt ans et de tout partait craquement. Les aboiements aussi s'entendaient de plus en plus furieux. Alors je me mis à rire, car je n'avais plus d'espoir et tous les aboiements étaient dans mon rire et aussi beaucoup de craquements. Ainsi, quoique désespéré, j'étais également satisfait.
Mais les aboiements ne cessaient, ni non plus les craquements et il ne fallait pas que mon rire s'interrompît, quoiqu'il fît mal souvent, à cause qu'il fallait y mettre trop de choses pour qu'il satisfît vraiment.
Ainsi, les années s'écoulaient en ce siècle mauvais. Elles s'écoulent encore...
Henri Michaux, Épreuves exorcismes, dans Œuvres complètes I, édition établie par Raymond Bellour, avec Ysé Tran, Pléiade, Gallimard, 1998, p. 781-782.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Michaux Henri | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henri michaux, poteaux d'angle, être, lucidité, communiquer, intimité | Facebook |