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06/07/2015

Rose Ausländer, Pays maternel

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À la mer

 

Pourvue de profondes empreintes digitales

La houle déferlante

Nous atteint

 

Nos minutes

Lavées

De la poussière de la ville

 

L’eau

Met en musique nos mots

Sages aquatiques

Cernés de sable

 

Tu es la voix

 

Sois indulgent envers moi

Étranger

Je t’aime

Toi que je ne connais pas

 

Tu es la voix

Qui m’envoûte

Je t’ai perçue

Reposant sur du velours vert

Toi haleine de mousse

Toi cloche du bonheur

Et du deuil inextinguible

 

Rose Ausländer, Pays maternel, traduction Edmond

Verroul, Héros-Limite, 2015, p. 21, 63.

05/07/2015

Raymond Queneau, Le chien à la mandoline

 

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Voilà que j’assiste à un grand dîner officiel

 

Après vous Après moi L’échange volatile

De ces mots survolant le côtes de rastron

Me semble en vérité de plus en plus futile

Depuis que j’ai gâté de sauce mon plastron

 

Pour aller au banquet des rois du mirliton

Je m’étais habillé non sans un certain style

On mangea de l’orange avec du caneton

Et des petits gâteaux de chez Lefèvre-Utile

 

Les yeux écarquillés je somnolais pantois

Il y eut un discours puis deux puis trois

Et moi-même admirant ma conduite exemplaire

 

Mais en baissant les yeux épouvanté je vois

La tache que j’avais plaquée avec mes doigts

Sur ma chemise blanche effort vestimentaire

 

Raymond Queneau, Le chien à la mandoline, Gallimard,

1965, p. 179-180.

04/07/2015

T. S. Eliot, Préludes

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                    Préludes

 

                          I

 

Le soir d’hiver choit dans les ruelles

Parmi des relents de grillade.

Il est six heures.

Les mégots de jours enfumés.

Voici que l’averse en bourrasque

À nos pieds plaque

Des bribes de feuilles souillées

Et de vieux journaux arrachés

Aux terrains vagues ;

Contre les jalousies brisées

Et les toiles des cheminées

L’averse bat ;

Un cheval de fiacre esseulé

Au coin de la rue piaffe et fume.

Puis les réverbères s’allument.

 

T. S. Eliot, Poésie, traduction Pierre Leyris,

Seuil, 1969.

03/07/2015

Paul Claudel, Dodoitzu, peintures de Rihakou Harada

Paul Claudel, Dodoitzu, figure dans le puits, crapaud

 

Ma figure dans le puits

 

Ma figure dans le puits

Pas moyen que je me l’ôte

Ma figure dans le puits

Pas moyen que je me l’ôte

Et que j’en mette une autre

Et si l’on me trouve jolie

Tant pis ! C’est pas ma faute !

 

                                    Her face in the well

 

                                    My face in the well

                                    I cannot take it out

                                    My face in the well

                                    I cannot take it off

                                   And if you think I’m pretty     

                                   It’s really not ma fault !

 

 

Le crapaud

Quand j’entends dans l’eau

Chanter le crapaud

Des choses passées

J’ai le cœur mouillé !

 

                                           Nightingale and toad

 

                                           When I hear in the cool

                                           Gold of the moonlight pool

                                           The nightingale singing,

                                           It is my heart ringing.

 

 

Paul Claudel, Dodoitzu, peintures de Rihakou Harada, Gallimard, 1945, non paginé.

 

 

 

 

02/07/2015

Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée

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II

 

Et presque jeune fille alors et de surgir

de ce bonheur uni du chant et de la lyre

et tous ses voiles de printemps de resplendir,

si claire, et de se faire un lit dans mon oreille.

 

Et de dormir en moi. Et tout fut son sommeil.

Les arbres que j’ai pu quelque jour admirer,

ce lointain, ce touchable, et, touchés, les herbages,

et chaque étonnement m’atteignant en personne.

 

Elle dormait le monde. À quel point accomplie

tu la fis, dieu chanteur, qu’elle n’ait pas souhaité

être éveillée avant ? Vois, naquit et dormit.

 

Où est sa mort ? Ô ce motif, le créeras-tu

avant que ton chant ne se dévore ? — Où va-t-elle

sombrer hors de moi ?... Une jeune fille presque...

 

Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée, traduction

Maurice Regnaut, dans Œuvres poétiques et théâtrales,

sous la direction de Gerald Stiec, Gallimard  Pléiade,

1997, p. 16.

01/07/2015

Pierre Le Pillouër, Ça et pas ça : recension

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   On se souvient de Michel Leiris écrivant ses rêves et l’on sait que Virgile Novarina consacre une partie de son œuvre à garder la trace de mots et de figures qui surgissent pendant son sommeil. Les « visions » et « auditions » réunies par Pierre Le Pillouër sont d’un autre ordre, ce qui est explicité en quatrième de couverture : elles sont « issues de l’état de semi-conscience qui se dissipe vite dans le sommeil ou dans le retour à la norme. » Leur notation prend deux formes distinguées par la typographie ; une image (ou une série d’images) est présentée en caractères romains et, précédés de « la voix dit » (ou « la voix se tait »), sont notés en italique quelques mots qui n’ont que très rarement une relation avec l’image. On lira des variantes : seulement des images ou des transcriptions de mots entendus ; on lira aussi, page 114, la source du titre : « la voix dit / C’est pas ça mais c’est souvent ça ».

   La partie relative à ce temps indécis qui précède l’endormissement ou le réveil, très brève dans le temps, est peuplée ici de personnages et d’objets qui appartiennent pour une bonne partie d’entre eux à l’ordre policé, plus ou moins lisse de notre quotidien, mais ils apparaissent dans des contextes ou sous des formes tels qu’ils perdent souvent leur aspect habituel. Ils deviennent parfois acteurs dans un univers qui serait complètement déréglé, avec une apparence défiant toute logique. Souvent, le décalage d’avec la réalité repose sur un détail : soit « un filet de pêcheurs / constitué uniquement / de sang ». On ferait aisément le relevé de ces altérations de la réalité, parfois très mineures ; par exemple, les visages sont dissimulés ou déformés, les masques abondent, notamment ceux des clowns ; etc.

. Est-ce à dire que les visions évoquent toujours un univers plus ou moins proche de certains dessins de Max Ernst, où choses et personnes perdent, partiellement, leur assise ? Les visions, dont on ignore pendant combien de temps elles ont été notées, sont très variées et certaines semblent d’autant plus étranges qu’elles renvoient à quelque chose qui pourrait être observé : une parmi bien d’autres, « Une vieille femme passe son index sur son cou ». Il y a régulièrement dans ce qui s’impose quelque chose à la fois « inconnu et familier » que le lecteur rapproche de ce qui est inconnu et étrange, et c’est la proximité de ces énoncés différents qui construit l’harmonie dans le désordre.

   La plupart des énoncés attribués à "la voix", fragments de discours sans contexte, même lorsqu’ils sont complets peuvent être paraphrasés de bien des manières, comme « Tu donnes ton mec s’il te plaît », et, de là, être rattachés à certaines images. On relève dans cet exemple le décalage entre les niveaux de langue (pour reprendre la formule du bon usage...), et une majorité appartient à ce registre dit familier, transcription toujours approximative de l’oral. Ce qui importe, c’est que certains fragments ont un statut analogue à celui des images, renvoyant à des règles autres dans l’univers, ainsi : « ...pour que tu n’embryonnes plus ta boîte... ».

   Isoler et classer les "visions" aboutirait à esquisser un portrait de l’auteur, qui ne pourrait être que partiel puisqu’on oublierait que ces visions sont données en bloc. Les images sont rarement prises en charge, parfois par un "on" (« On dirait... », « On ne voit rien... »), et le pronom "je" n’est pas totalement absent ; la description d’une femme penchée à la fenêtre suscite le commentaire « je crois la reconnaître », et le prénom "Pierre" apparaît — ce n’est pas un hasard — à la dernière page : « Pierre ça suffit les prénoms hein ». Mais les relevés, quoi qu’on ajoute, n’aboutiraient qu’à une esquisse éloignée de ce qu’est l’auteur.

 

   Il faut lire dans chaque page l’ensemble du texte — visions et auditions —, exploration de moments très fugitifs et que nous gommons, pour apprécier pleinement les bouleversements, légers ou violents, apportés à nos manières de voir et d’entendre — parce que c’est ainsi qu’ « On voit c’qui se noue » pour citer ce que "la voix dit" pour clore le livre.

 

Pierre Le Pillouër, Ça et pas ça, Le bleu du ciel, 2015, 15 €. Cette recension a été publiée par libre-critique : http://www.libr-critique.com/ le 18 juin 2015.

 

  

 

30/06/2015

Brume du matin

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Brume au-dessus de la vallée

 

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Brume sur la forêt

 

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Brume en Aveyron

29/06/2015

Gerard Manley Hopkins, Carnets-Journal-Lettres

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Les arbres sont connus

 

Par ce qu’ils portent, mais moi —

 

Ma sève est scellée,

 

Et sèche ma racine.

 

 

 

Si je ne puis avoir

 

Une vie intérieure

 

(Sinon pour fauter)

 

Ni produire de fruits

 

Cela doit être que

 

Je n’aime pas.

 

Est-il quelqu’un

 

Pour me prouver

 

Que j’ai mal raisonné ?

 

Car si je me condamne

 

Je ne perds pas confiance

 

S’Il m’éprouvait

 

Et me sondait

 

Ne trouverait-il pas (ce qui pourtant

 

Doit être là

 

Dissimulé derrière).

 

 

 

Gerard Manley Hopkins, Carnets-Journal-Lettres,

                                    traduits et présentés par Hélène Bokanowski

 et Louis-René des Forêts, Bibliothèque, 10/18,

 

 1976, p. 60.

 

28/06/2015

Alberto Giacometti, Écrits

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Paysage ! Paysage ! Ciel du matin, ciel du soir toujours doré là-bas au fond. Ah ! Comment dire ? On ne peut pas dire, il faut les peindre les grands ciels liquides et les avoir et les a r b r e s ! les arbres ! les arbres !

 

Depuis quinze jours j’essaie de faire des paysages. Je passe toutes les journées devant le même jardin, les mêmes arbres et le même fond. J’ai vu ce paysage la première fois le matin, brillant de soleil, les arbres couverts de fleurs, et dans le fond, très loin, les montagnes couvertes de neige. C’est ça que je voulais peindre mais depuis le ciel est moins clair, il pleut souvent, les montagnes je ne les vois plus depuis quinze jours, les fleurs sont fanées, les blanches et les lilas, et je continue mes paysages jusqu’à la nuit. Chaque jour je vois un peu plus que je ne vois presque rien et je ne sais plus du tout comment, par quel moyen, je pourrais mettre sur la toile quelque chose de ce que je vois. Tout espoir de rendre la vision du premier jour est disparu mais cela m’est assez indifférent. Ce paysage ne devait être qu’un commencement. C’est celui que j’ai tout le temps sous les yeux devant la porte de mon atelier, j’en ai vu beaucoup d’autres dans les environs que je voulais faire aussi, un je l’ai commencé un jour.

 

Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 202.

27/06/2015

Georges Braque, Le jour et la nuit

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En art, il n’y a pas d’effet sans entorse à la vérité.

                                *

Contentons-nous de faire réfléchir, n’essayons pas de convaincre.

                                 *

Il ne faut pas imiter ce que l’on veut créer.

                                  *

Il n’est en art qu’une chose qui vaille : celle qu’on ne peut expliquer.

                                   *

C’est la précarité de l’œuvre qui met l’artiste en posture héroïque.

                                    *

Faute de pouvoir adapter un vocabulaire périmé, le critique condamne.

                                     *

L’écho répond à l’écho. Tout se répercute.

 

Georges Braque, Le jour et la nuit, Gallimard, 1952, p.10, 11, 11, 12, 13, 14, 30.

26/06/2015

Max Ernst, Écritures

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Laïcité

 

Ne pas confondre

le baiser de la fée

avec

la fessée de l’abbé.

 

 

Soliloque

 

Pour apprendre à lire et à écrire

Ignorez la parole aux œufs durs

Pour apprendre à boire et à manger

Inaugurez la pêche au soleil levant.

 

La Paix

             la guerre

                            et la rose

 

la paix : source fraîche et amère

la guerre : le général rit sous cape

                      au nez du pape

la rose : nulle rose ne pleure virginité

 

Max Ernst, Écritures, Gallimard, 1970, p. 374, 375 et 373.

 

25/06/2015

Jean Arp, Jours effeuillés

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Sur le dos ou sur le ventre

 

Le jour est parfois plat.

On a beau faire

on n’arrive pas à s’élever.

Il n’y a personne pour s’élever.

On est forcé de rester plat

sur le dos ou sur le ventre

plat comme une feuille de papier

dans un bloc à écrire.

 

                       *

 

La petite obèse

détrompe ses nains

décroche sa cour.

Elle court elle ronronne

au nom d’une roue.

Elle est à bout.

Les nains s’étonnent.

Leur belle patronne

se décèlerait si vite,

plierait si vite ses cris

pour devenir une grande grenouille

rouge et chaude

donnant du lait ?

Le temps est gris

et mécontents les nains se plient

vivants et crus

et tour suit tour

nuage nuage.

 

Jean Arp, Jours effeuillés, Gallimard, 1966, p. 473, 462.

24/06/2015

Dino Campana, Chants orphiques

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Jardin d’automne

 

 

 

Vers le jardin spectral et le laurier muet

 

Aux vertes guirlandes

 

Vers la terre automnale

 

Un dernier salut !

 

Vers les pentes arides

 

Apres rougies dans la fin du soleil

 

Désordre de rauques rumeurs

 

Crie la vie lointaine :

 

Crie au soleil mourant

 

Qui ensanglante les massifs.

 

On entend une fanfare

 

Qui monte déchirante : le fleuve disparaît

 

Dans les sables dorés : dans le silence

 

Les statues blanches se dressent, tournées

 

Vers la tête des ponts : et les choses déjà ne sont plus.

 

Et du profond silence, une sorte de chœur

 

Grandiose et tendre

 

                        Surgit et soupire vers mon balcon :

Et en arôme de laurier

 

En arôme d’âcre laurier languissant,

 

Parmi les statues immortelles dans le crépuscule

 

Elle m’apparaît présente.

 

 

 

(Florence)

 

 

 

Dino Campana, Chants orphiques, traduction de l’italien par Michel Sager, Seghers, 1977, p. 49.

 

23/06/2015

François Muir, Le jeûne de la vallée

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Liens

 

Tel tracé aux pétales,

Aux courses filantes

La demeure sous les mains,

Épanouie, quelle rose

Innocente au venin ?

Sous la bise, le sable

Se tourne aveugle

Le chandelier, l’équarrisseur

Ce dehors du monde

Au levant réfracté

N’est-il d’autre semis ?

En joue, martèle l’enclume

De notre semence, à quelle encablure

résonne ce pas, ruines de l’orbe ?

 

Cailloux

 

Mutins,

Boyaux sous l’humus des forêts,

Rampent et colloquent

Espiègles,

L’étendard dressé,

S’échappent en comptines

Sur les digues apparaissent,

Ogres inaltérés

Bas serpes et dagues,

Au salut du semeur

En sa retraite, l’homme de cirque,

Tintant cailloux,

D’or les blasons

Que nul ne possède

 

François Muir, Le jeûne de la vallée, La Lettre volée,

2015, p. 16 et 25.

22/06/2015

Marie Étienne, extrait de Onze petits contes

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3 janvier 2008

 

   Elle constatait avec effroi que son appartement dominait, surplombait la falaise. Ou plus exactement que son prolongement, un espace ni privé ni public, ne se terminait pas, se terminait sur le néant, un vide après lequel il n’y avait plus rien.

   Et elle pensait à la petite qui lui rendrait visite, au terrible danger qu’elle y rencontrerait, elle s’étonnait, elle s’insurgeait contre elle-même : comment avait-elle pu ne pas en tenir compte au moment de l’achat ?

   Son compagnon disait : la falaise s’effondre. Il avait ajouté quelque chose sur la bêtise des promeneurs qui abîmaient les bords de mer, et sur ceux, qui ensuite, y dressaient leur maison.

   Et justement c’était son cas. Devait-elle en changer ?

 

   À quelques jours de là, elle aperçut un pré en pente, très incliné, planté peut-être de lavande — une herbe drue et bleue. En haut du pré, une haie d’arbres, irrégulière, derrière laquelle une maison. « Sa » maison qui l’attend. « Sa » ou « une » mais c’est elle qu’elle attend.

 

Marie Étienne, Onze petits contes, dans Marie Étienne : organiser l’indicible, textes réunis et présentés par Marie Joqueviel-Bourjea, éditions L’improviste, 2013, p. 117-118.