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23/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Je n’oserais pas quitter mon ami,

Au cas où — au cas où il devrait mourir

Pendant mon absence — et que — trop tard —

Je rejoigne le Cœur qui m’attendait —

 

Si je devais décevoir les yeux

Qui ont scruté — tant scruté — pour voir —

Et ne pouvaient se résoudre à se fermer avant

Qu’ils m’aient « aperçue » — ils m’ont aperçue —

 

Si je devais poignarder la foi patiente

Si sûre de ma venue —

Bien sûr je suis venue —

À l’écoute — à l’écoute ­— endormi —

En prononçant mon nom doucement —

 

Mon ©œur souhaiterait se briser avant ça —

Se briserait alors — alors brisé —

Serait aussi inutile que le prochain soleil du matin —

Là où le givre de minuit — s’étendait !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, traduction

François Heusbourg, éditions Unes, 2023, p. 105.

14/09/2021

Baudelaire, Fusées

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À chaque lettre de créancier, écrivez cinquante lignes sur un sujet extra-terrestre et vous serez sauvés.

De la langue et de l’écriture, prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire.

Il y a dans l’acte de l’amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale.

Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.

Beaucoup d’amis, beaucoup de gants — de peur d’attraper la gale.

 

Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1250, 1256, 1257, 1258, 1258.

21/06/2020

Henri Thomas, La joie de cette vie

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Je n’ai pas vécu ce que j’écris maintenant ; je le vis, je le découvre, en l’écrivant — sur le mode de l’écriture, comme on dit en croyant par cette formule expliquer quelque chose.

Un ami — il lui faudrait des qualités que je n’ose rêver de personne, et dont je n’ai pas en moi le modèle. C’est en ce sens que « Ô mes amis, il n’y a pas d’amis ».

Vivre, être, s’exprimer — je ne vois rien de plus — car voir ne passe pas outre.

Une bonne part des ennuis de la vieillesse vient des autres, jeunes ou vieux : ils vous retirent, par prudence ou par indulgence ou par mépris, les outils de la vie, les armes, les fonctions, « dont vous n’avez plus besoin ; Reposez-vous, ce serait risqué, ne vous exposez pas... » Ils n’ont jamais tout à fait raison, mais à la fin, de guerre lasse, par indifférence ou mépris, on lâche prise.

Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1992, p. 30, 32, 45, 53.

17/02/2019

Pierre Reverdy, La meule de soleil

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         Mémoire

 

Quand elle ne sera plus là

                    Quand je serai parti

 

Là-bas où il doit aussi faire jour

 

Un oiseau doit chanter la nuit

                                    Comme ici

Et quand le vent passe

La montagne s’efface

 

Ces pointes blanches de la montagne

 

On se retrouvera sur le sable

                            Derrière les rochers

          Puis plus rien

                         Un nuage marche

Par la fenêtre sort un cri

Les cyprès font une barrière

L’air est  salé

Et tes cheveux sont encore mouillés

 

Quand nous serons partis là-bas derrière

Il y aura encore quelqu’un ici pour nous attendre

Et nous entendre

 

Un seul ami

 

L’ombre que nous avons laissée sous l’arbre et qui s’ennuie

 

Pierre Reverdy, La meule de soleil, dans Œuvres complètes, I,

Flammarion, 2010, p. 943-944.

21/10/2017

Valérie Rouzeau, Vrouz

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Je vous visiterai mes amis inconnus

Au sol dans les nuages je ne vous louperai

Aussi sûr que j’aurai dans ma chaussure

Un petit gravillon pour m’agacer le pied

Une plume collée sous ma semelle aussi

Un mégot antérieur long rêve de fumée

Ou crottin de cheval herbe mal essuyée

Réminiscence douce et dormante douce

Mes amis inconnus je m’assoirai dessus

Vivre seul cœur de marbre

Dur et pur come un chêne

J’ôterai de mon soulier le caillou blanc

Et je vous chanterai une chanson mince

À l’intérieur tout noir de moi

 

Valérie Rouzeau, Vrouz, La Table Ronde,

2012, p. 90.

12/09/2015

JUles Renard, Sourires pincés

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                            Gens du métier

 

   Un homme de lettres est capable d’avouer ses ridicules pour donner sur sa propre joue un soufflet aux autres.

 

   Un ami sincère est un confrère qui critique vivement et nous répète, « sous le sceau du secret », tous les petits propos doux, mais aigres, qu’on tient sur notre compte.

 

   Un homme de lettres méprise tellement le public qu’il écrit pour le public des choses qu’il méprise lui-même.

 

   Afin de juger sainement d’un livre, essayez de vous faire les ongles en le lisant. Si vous ny parvenez pas, le livre est bon, et si vous vous êtes un peu coupé, il est excellent.

 

Jules Renard, Sourires pincés, dans Œuvres, I, édition Léon Guichard, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 264.

19/11/2014

Luis Mizon, Corps du délit où se cache le temps

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je réfléchis

il y a une petite chose qui me tracasse

je ne sais pas reconnaître mes adversaires

je sis capable

de reconnaître mes alliés

mais je me trompe souvent

je ne connais pas les règles de ce jeu

 

plus grave encore je n'ai pas envie de les

connaître

c'est trop tard pour les apprendre

maintenant

à minuit

au milieu du terrain

entouré de haut-parleurs et de chiens

illuminés par les étincelles d'un bâton de

charbon

qui se consume entre la vie et la mort

 

Luis Mizon, Corps du délit où se cache le temps, dessins

de Philippe Hélénon, Æncrages & Co, 2014, np.