03/03/2025
Kafka, Journal
Le voisin fait pendant des heures la conversation à la logeuse. Tous les deux parlent bas, la logeuse est presque inaudible, ce n’en est que plus énervant. J’ai interrompu l’écriture qui était repartie depuis deux jours, qui sait pour combien de temps. Désespoir pur. En est-il ainsi dans chaque logement ? Une telle détresse ridicule et nécessairement mortelle m’attend-elle chez chaque logeuse, dans chaque ville ? (…) Mais cela n’a pas de sens de désespérer immédiatement, plutôt chercher des moyens d’action, si fortement que — non cela ne va pas contre mon caractère, il y a encore un reste de judaïsme coriace en moi mais voilà, le plus souvent il aide la partie adverse.
Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, 2020, NOUS, p. 745.
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02/03/2025
Kafka, Journal
Il ne veut pas de consolation, mais pas parce qu’il n’en veut pas — qui n’en voudrait pas — mais parce que chercher la consolation signifie : consacrer sa vie à ce travail, vivre toujours au bord de sa propre existence, presque en dehors d’elle, ne presque plus savoir pour qui on cherche la consolation et du coup ne même plus être capable de trouver une consolation efficace (efficace, pas vraie, celle-là il n’y en a pas).
Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, 2020, NOUS, p. 745.
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01/03/2025
Kafka, Journal
J’ai rêvé aujourd’hui d’un âne ressemblant à un lévrier, qui était très réservé dans ses mouvements. Je l’observai avec précision parce que j’étais conscient de la rareté de l’apparition, mais je ne conservai que le souvenir de ce que ses pieds étroits, ceux d’un humain, ne purent me plaire à cause de leur longueur et de leur symétrie. Je lui offris des bottes de cyprès frais, vert foncé que je venais de recevoir d’une vieille dame de Zurich (toute la scène se passait à Zurich), il n’en voulait pas, les reniflait à peine ; mais dès que je les eux posées sur une table il les dévora si complètement qu’il n’en resta qu’un noyau semblable à une châtaigne et à peine reconnaissable. On raconta plus tard que cet âne n’était encore jamais allé sur ses quatre pattes mais qu’il se tenait toujours debout comme un homme et qu’il montrait sa poitrine brillante et argentée, ainsi que son petit bedon. Mais en fait cela n’était pas exact.
Kafka, Journal, édition NOUS, traduction Robert Kahn, 2020, p. 178.
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28/02/2025
Kafka Journal
Ce sentiment de fausseté que j’ai en écrivant pourrait être représenté par cette image : quelqu’un attendrait devant deux trous creusés dans le sol une apparition qui ne doit surgir que de côté droit. Mais alors que justement ce trou-là reste obstrué par une paroi assez opaque, une apparition après l’autre sort du côté gauche, cherche à attirer le regard sur soi et finit par y parvenir sans effort grâce à une ampleur croissante, qui finit même par recouvrir la bonne ouverture, quel que soit le moyen de défense pour empêcher cela. Mais voilà, si on ne veut pas quitter cette place — et cela on ne le veut à aucun prix — on doit s’accommoder de ces apparitions, qui pourtant, en raison de leur fugacité — leur force s’épuise dans le fait même d’apparaître — ne peuvent suffire, mais, quand par faiblesse, elles s’arrêtent, on les disperse vers le haut et dans toutes les directions, juste pour en susciter d’autres, parce que leur vision prolongée vous est insupportable et aussi parce que l’espoir subsiste qu’après épuisement des fausses apparitions les vraies pourront enfin surgir.
Kafka, Journal (27/12/1911), traduction Robert Kahn, éditions NOUS, 2020, p. 281.
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30/05/2024
Franz Kafka, Journal
Je vais essayer de rassembler progressivement tout ce qu’il y a de douteux en moi, plus tard ce qui est plausible, ensuite le possible, etc. Il y a sans doute en moi un désir avide de livres. Non pas, en fait, les posséder ou les lire, mais bien plutôt les voir, me convaincre de leur existence dans la vitrine d’un libraire. S’il y a quelque part plusieurs exemplaires du même livre chacun d’entre eux me réjouit. C’est comme si ce désir provenait de l’estomac, comme si c’était un appétit qui s’égare. Les livres que je possède me réjouissent moi, par contre les livres de mes sœurs me font bien plaisir. Le besoin de les posséder est incomparablement plus faible, il manque presque.
Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, éditions NOUS, 2020, p. 211-212.
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29/05/2024
Jules Renard, Journal
Être clair ? Nous sommes si peu capables d’efforts pour comprendre les autres !
Quand elle avait pris ses belles résolutions d’économie, elle commençait tout de suite par refuser aux pauvres.
L’incompréhensible dit toujours : « Mais tu ne comprends donc rien ! ».
Si l’inspiration existait, il ne faudrait pas l’attendre ; si elle venait, la chasser comme un chien.
La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 130, 131, 133, 133, 134.
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28/05/2024
Jules Renard, Journal
Le devoir ? Ah ! non, laissez-moi tranquille.
Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l’essuyer.
Un livre nous déplaît partout où il nous ressemble.
Ne jamais rien faire comme les autres en art ; en morale, faire comme tout le monde.
Le talent, c’est comme l’argent : il n’est pas nécessaire d’ne avoir pour en parler.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 116, 117, 124, 127, 129.
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27/05/2024
Jules Renard, Journal
J’ai vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles pareilles à la vôtre.
On peut donner le ton des paysans sans faute d’orthographe.
Il y a des critiques qui ne parlent que des livres qu’on va faire.
Comme c’est vain une idée ! Sans la phrase, j’irais me coucher.
C’est une erreur commune de prendre pour des amis deux personnes qui se tutoient.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 98, 99, 103, 103, 106.
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26/05/2024
Jules Renard,Journal
Le style, c’est l’oubli de tous les styles
Acquiers le talent de dire sans bâiller : « C’est intéressant. »
Ne jamais être content : tout l’art est là.
Soyez tranquille ! Je n’oublierai jamais le service que je vous ai rendu.
Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 88, 95, 96, 96, 97.
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25/05/2024
Jules Renard, Journal
Un monsieur très bien propriétaire d’un palmier en Tunisie.
Il jouait du piano d’une façon remarquable avec un seul doigt.
Le réalisme ! le réalisme ! Donnez-moi une belle réalité : je travaillerai d’après elle.
Un peintre, c’est un homme qui porte un béret.
Il est tombé sur moi à coups de compliments.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 60, 52, 66, 67, 69.
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24/05/2024
Jules Renard, Journal
Cette sensation poignante qui fait qu’on touche à une phrase comme à une arme à feu.
On peut être poète avec des cheveux courts.
On peut être poète et payer son loyer.
Quoique poète, on peut coucher avec sa femme.
Un poète, parfois, peut écrire en français.
Les bourgeois, ce sont les autres.
Cherchez le ridicule en tout, vous le trouverez.
Elle avait une peur ridicule du ridicule.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 50, 51, 51, 54, 55.
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10/11/2023
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Écrire pour quelqu’un, c’est comme écrire à quelqu’un : on se croit tout de suite de mentir.
Le peuple ne nous comprend pas. Nous le comprenons encore bien moins.
Mes bonheurs, je les ai presque toujours eus par maladresse.
Il vaudrait mieux se taire toujours. On ne dit rien quand on parle. Ou les mots dépassent la pensée, ou ils la diminuent.
Nous avons tous quelqu’un que notre mort arrangerait.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 1151, 1152, 1153, 1160, 1164.
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09/11/2023
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Mon ignorance et l’aveu de mon ignorance, voilà le plus clair de mon originalité.
J’aime assez à me créer moi-même mes ennuis.
Je ne connais qu’une vérité : le travail seul fait le bonheur. Je ne suis sûr que de celle-là, et je l’oublie tout le temps.
N’être bon que pour se faire bien voir, c’est se sentir, au fond, incurable.
La vérité créatrice d’illusions, c’est la seule que j’aime.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/gallimard, 1965, p. 1164, 1170, 1172, 1174, 1181.
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08/11/2023
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Dans ce coin du monde qu’est un village, il y a à peu près toute l’humanité.
La vanité est le sel de la vie.
Livres. Il suffit de lire les cinquante premières pages et de découper le reste.
J’avoue que parfois la nature m’embête. C’est une saveur de plus que je lui dois : celle de l’ennui.
La Bruyère, le seul dont dix lignes lues au hasard ne déçoivent jamais.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 1182, 1186, 1191, 1191, 1195.
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07/11/2023
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Je ne sais jamais rien, et j’ai toujours le plaisir d’apprendre n’importe quoi.
Les hommes naissent égaux. Dès le lendemain ils ne le sont plus.
Oui, je m’ennuie, mais l’ennui ne fait pas mal comme un autre sentiment : colère, orgueil, désir, etc.
Une seule expérience se fortifie en moi : tout dépend du travail. On lui doit tout, et c’est le grand régulateur de la vie.
Une fenêtre sur la rue vaut un théâtre.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 1130, 1132, 1147, 1148, 1148.
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