Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/09/2015

Christian Prigent, Un vivant - hommage à Denis Roche

UN VIVANT

 

 

Denis Roche est mort. Choc, tristesse.

 

Ce fut l'un de mes amis les plus chers.

 

Mon vieux camarade Hervé Hamon, qui fut pendant vingt-cinq ans son collègue au Editions du Seuil, m'écrivait hier  de lui : «Dandy, intraitable, délicat.»

 

Oui.

 

Dans les années 1968/1969, la lecture d'Eros énergumène et du Mécrit fut pour moi bouleversante. Et absolument déterminante pour ce que tenta la revue TXT et, au vrai, pour l'effort d'invention formelle et de réflexion théorique de toute une génération : elle détermina la plupart des raisons qu'il y avait d'écrire alors, d'écrire encore, de la «poésie» — tout en repensant de fond en comble la question du «langage poétique».

 

Des différends littéraires (politiques, aussi) nous éloignèrent au début des années 1990. Nous nous sommes écrit, parfois. Mais ne nous sommes plus revus. Je m'en mords les doigts. Rien de grave ne le justifiait. Même pas le fait que Denis, après avoir, comme écrivain, renoncé (ses raisons étaient nobles), n'ait plus regardé que de loin ceux qui ne renonçaient pas ; et, en tant qu'éditeur, qu'il ait moins ouvert ses portes au difficile «nouveau» qu'on ne le dit parfois.

 

Je vois aujourd'hui la presse parler de lui surtout comme d'une sorte d'éminence grise du monde littéraire. Et comme un directeur de collection dont la gloire serait d'avoir publié Pascal Brückner, Alain Finkielkraut ou Catherine Millet.

 

Quelle blague.

 

Ou bien cette presse rabâche distraitement le slogan héroïque («la poésie est inadmissible, d'ailleurs elle n'existe pas») que jamais elle ne comprit et dont de toutes façons elle n'a rien à battre (ça se saurait, sinon : elle parlerait d'autre chose que des proses banales sur lesquelles chaque semaine elle tartine).

 

Ou alors on salue Roche le photographe. La photo, en effet, c'est plus sexy et moins fatigant que les chichis de l'opaque poésie qu'on dit, pour la renvoyer à ses labos, «expérimentale».

 

Bon.

 

Mais ouvrons. Au hasard (c'est tombé sur Récits complets, Seuil 1963, p. 31). Et lisons : «Moi je vous dis que les arbres où vous / Me vautrez si bien marquis ont ceci de / commun avec les dindons qu'il n'est pas / De colère qui ne puisse entrer dans leur cime.» Quelle fraîcheur ! quelle élégance ! quel coup de torchon dans la compassée «nature» poétique ! quel sens de l'enchaînement enrobé et brisé en même temps ! que de joie moqueuse ! comme c'est emporté (phrasé ! vitesse !) ! arrogant ! insolemment lyrique (eh oui !) ! bref : comme c'est vivant !

 

Vivant : c'est le mot.

 

Denis Roche est vivant parce que sa langue est vivante.

 

«Je n'ai rien à dire, disait-il, que ma violente action d'écrire»

 

Nous qui le lisons, à chaque fois cette action nous r'ouvre à du vivant.

 

 

 

Christian Prigent

Saint-Brieuc, le 4 Septembre 2015

Les commentaires sont fermés.