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09/11/2017

Emily Dickinson, Y aura-t-il pour de vrai un matin

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I’m Nobody! Who are you?

Are you — Nobody — too?

Then there’s a pair of us!

Dont tell ! they’d banish us — you know!

 

How dreary — to be — Somebody!

How public — like a Frog —

To tell your name — the livelong June —

To an admiring Bog!

 

Je ne suis personne ! et vous ?

Personne — non plus ?

Alors nous faisons la paire !

Chut ! on nous bannirait — savez-vous !

 

Que c’est ennuyeux — d’être — Quelqu’un !

Vulgaire — comme la grenouille —

De claironner son nom — au long de Juin —

À un Marais admiratif !

 

Emily Dickinson, Y aura-t-il pour de vrai un matin,

traduit et présenté par Claire Malroux, José Corti,

2008, p. 252-253.

14/09/2015

Raymond Queneau, L'instant fatal, II

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                       Quelqu’un

 

Quand la chèvre sourit

quand l’arbre tombe

quand le crabe pince

quand l’herbe est sonore

 

plus d’une maison

plus d’une coquille

plus d’une caverne

plus d’un édredon

 

entendent là-bas

entendent tout près

entendent très peu

entendent très bien

 

quelqu’un qui passe et qui pourrait bien être

et qui pourrait bien être quelqu’un

 

                          Pins, pins et sapins

 

Le ciel la mer saline et les rochers plein d’eau

le cœur de l’anémone auprès des pins têtus

la marche auprès du ciel la marche auprès de l’eau

et la course assoiffée auprès des pins têtus

 

herbes mousses lichens et toutes les bestioles

le regard s’est perdu sous les sapins têtus

le regard qui s’égare après tant de bestioles

les peuples effarés sous les sapins têtus

 

le ciel la mer saline où sabre le soleil

tranche la tête plane aux sapins éperdus

se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l’eau

 

tandis qu’une bestiole à l’ombre d’un lichen

cerne de son trajet le bois des pins têtus

sans qu’un regard disperse une route inutile

 

Raymond Queneau, L’instant fatal, II, dans Œuvres complètes, I, édition Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 96-97.

19/08/2011

Robert Pinget, Quelqu'un

 

   

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   Il était là ce papier, sur la table, à côté du pot, il n’a pas pu s’envoler. Est-ce qu’elle a fait de l’ordre ? Est-ce qu’elle l’a mis avec les autres ? J’ai tout regardé, j’ai tout trié, j’ai perdu toute ma matinée, impossible de le trouver. C’est agaçant, agaçant. Je lui dis depuis des années de ne pas toucher à cette table. Ça dure deux jours et le troisième elle recommence, je ne retrouve plus rien. Il paraît que c’est partout la même chose, dans toutes les maisons, dans tous les ménages. Alors il faudrait supprimer les bonnes ou les femmes. Moi je m’en passerais. J’ai mes petites affaires, mon petit travail, je peux me passer de tout le monde, je peux vivre seul. La bouffe ce n’est pas compliqué et le reste ça n’existe pas. Il n’y a que le travail qui compte. C’est vrai ça, se laisser emmerder toutes sa vie par des personnes qui mettent en ordre vos papiers. Il aurait fallu que je m’arrange autrement mais voilà, on est embringué dans l’existence, on ne sait pas seulement comment. Je n’ai pas l’intention d’en parler de mon existence mais probable qu’il va falloir. C’est d’un inintérêt, d’un plat. À se demander si c’est vrai, à se demander si on peut vivre comme ça. À croire qu’on ne choisit pas. Moi il y a longtemps que je le sais qu’on ne choisit pas mais il y a des gens pour vous dire que si, qu’on est responsable, qu’on est libre, un tas de foutaises. Et ils vous développent des arguments, ils vous prouvent par A plus B, ils vous mettent au pied du mur. Moi j’y suis tout le temps. Ils me coincent chaque fois. Alors pour développer mes arguments à moi c’est vite fait, je n’en ai pas. J’essaie de partir sur un raisonnement, de finasser, de faire croire que je sais des choses, que j’ai une expérience. Je parle du malheur, des tuiles, des machins qui vous bloquent, qui vous coupent l’herbe sous le pied. J’essaie de donner une forme à ce que je dis, j’ai des références toutes fausses, je confonds les penseurs, les mystiques, et tout de suite on se rend compte que je radote, que je n’ai aucune culture, rien, sauf de la prétention. Et c’est justement l’erreur, je n’ai aucune prétention, c’est eux qui m’y forcent. Ce n’est pas une fois, c’est mille fois qu’ils m’ont foutu dans cette situation. On ne devrait pas se laisser prendre, on devrait envoyer tout dinguer et se retirer à la campagne mais on se dit tout le temps que ce n’est pas encore le moment, qu’on a besoin des autres, qu’il faut bien vivre en société, un tas de mignardises qui peuvent nous coincer définitivement. Et qui nous coincent.

 

Robert Pinget, Quelqu’un, éditions de Minuit, 1965, p. 7-8.