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22/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

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Ils se tiennent aux portes et ne voient que les barreaux.

 

La grande affaire de l’homme c’est la vie, et la grande affaire de la vie c’est la mort.

 

La vie entière est employée à s »’occuper des autres ; nous en passons une moitié à les aimer, l’autre moitié à en médire.

 

Qui est-ce qui pense pour le seul plaisir de penser ? qui est-ce qui examine pour le seul plaisir de savoir ?

 

Tous ceux enfin pour qui le style n’est pas un jeu, mais un travail.

 

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 95, 100, 100, 117, 118.

21/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

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Le commun (dans les arts) est ce qui ne parle qu’aux sens.

 

On se ruine l’esprit à trop écrire. — On le rouille à n’écrire pas.

 

Il faut savoir entrer dans les idées des autres et il faut savoir en sortir. Il faut savoir sortir des siennes et il faut savoir y rentrer.

 

Ce que l’homme ne connaît que par sentiment, on ne peut l’expliquer que par l’enthousiasme.

 

Il y a beaucoup de défauts qu’on n’a jamais quand on est tout seul ou seulement en tête à tête. Aussi ne peut-on les apercevoir que dans les cercles ou assemblées.

 

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 57, 58, 62, 81, 87.

20/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

   

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— Et qui n’aiment ce qui est bien que lorsque cela exprime ce qu’ils pensent.

 

Tous ces écrits dont il ne reste, comme du spectacle d’un ruisseau (roulant quelques eaux claires sur de petits cailloux) que le souvenir des mots qui ont fui.

 

À quelle quantité peut s’élever le nombre de bons livres qu’on peut faire dans une langue ?

 

Voir du monde, c’est juger les juges.

 

Tous les beaux mots sont dans la langue. Il faut savoir les y trouver.

 

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 44, 44, 50, 54, 55.

19/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

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Écrire avec l’esprit et la pensée. Ce qui est écrit ainsi paraît d’abord plus lumineux.

 

Montesquieu : il dictait ce qu’il se souvenait d’avoir pensé. Ainsi, tous ces menus remplissages qui font plaisir à la lecture, mais dont la mémoire fait peu de cas ne se trouvent point dans ses écrits.

 

« L’art est de cacher l’art » Oui, dans tout ce qui doit ressembler à la nature. Mais n’est-il rien qui doive ressembler à l’art et par conséquent le montrer ?

 

            

Mes idées ! C’est la maison pour les loger qui me coûte à bâtir.

 

— et combien de bonnes idées viennent dans un grenier à rats — quand il fait mauvais temps.

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 33, 34, 36, 37, 43.

04/12/2021

Paul Valéry, Cahiers, II, Poésie

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Je ne puis séparer mon idée de la poésie de celle de formations achevées — qui se suffisent, dont le son et les effets psychiques se répondent, avec un certain « indéfiniment ».

Alors, quelque chose est détachée, comme un fruit ou un enfant de sa génération et du possible qui baigne l’esprit — et s’oppose à la mutabilité des pensées et à la liberté du langage fonction.

Ce qui s’est produit et affirmé ainsi n’est plus de quelqu’un mais vomme la manifestation de propriétés intrinsèques, impersonnelles, de la fonction composée. Langage — se dégageant rarement dans des conditions aussi rarement réunies que celles qui font le carbone diamant. (1942)

03/12/2021

Paul Valéry, Cahiers, II, Poésie

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Des vers du poème, les uns furent trouvés, les autres faits.

Les critiques disent des sottises qui parlent sur ce poème comme d’un tout, et qui ne considèrent pas la position de l’auteur : combiner, appareiller les vers de ces deux espèces.

Le travail du poète est de faire disparaître cette inégalité originelle ; d’ailleurs, tout travail intellectuel consiste à mettre d’accord pour un but, ce qu’on trouve, et des conditions données d’autre part.

 

Paul Valéry, Cahiers, II, Poésie, Pléiade/Gallimard, 1974, p. 1066.

03/04/2020

Paul Valéry, Carnets, II

 

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                         Éros

 

La passion de l’amour est la plus absurde. C’est une fabrication littéraire et ridicule.

De quoi un antique auteur pouvait-il parler ? après la guerre et les champs _ il tombait dans le vin et l’amour.

Mais si l’on sépare les choses indépendantes — on trouve bien un sentiment singulier devant l’être vivant, devant l’autre — mais ce n’est pas l’amour — quoique cela puisse finir dans certaines expériences ­ de physique.

 

Paul Valéry, Carnets, II, Pléiade/Gallimard, 1974, p. 396.

15/09/2019

Joseph Joubert, Carnets, II

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Pour bien présider un corps d’hommes médiocres et mobiles, il faut être mobile et médiocre comme eux.

 

Il vaut mieux être voyant que dialecticien ou tâtonneur.

 

Virgile n’eût été, au temps de Numa, qu’un villageois joueur de chalumeau.

 

Pour bien faire, il faut oublier qu’on est vieux quand on est vieux et ne pas trop sentir qu’on est jeune quand on est jeune.

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 462, 481, 483, 491.

16/01/2018

Joseph Joubert, Carnets II

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Ces esprits secs qui n’ont besoin que de doctrines ou de sèches pensées.

 

Pourquoi, disait-on à la pierre, offres-tu si peu de poli ? C’est que je ne suis pas du marbre.

 

De ce qui est théâtral dans la vie, dans les discours, dans les actions, dans les pensées.

 

L’esprit militaire est un esprit favorable à la bougrerie.

 

Tout vieillit, même l’estime, si on n’y prend garde.

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 409, 419, 422, 424, 426.

 

Publication en janvier 2018 :

PAPILLES  n° 48  AU RESTAURANT

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08/10/2017

Joseph Joubert, Carnets, II

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17 juin 1812

N’ayant rien trouvé qui valut mieux que le vide, il laisse l’espace vacant.

 

2 juillet

L’indifférence donne un faux air de supériorité.

 

29 juillet

Quand on a trop craint ce qui arrive, on finit par éprouver quelque soulagement lorsque cela est arrivé.

 

4 août

Tout ce qui a l’air antique est beau, tout ce qui a l’air vieux ne l’est pas.

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 355, 357, 359, 360,

21/09/2017

Franz Kafka, Lettres à Felice

 

À Grete Bloch, 8. V. 14

 

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Jusqu’à présent (…) j’ai obtenu tout ce que je voulais, mais pas tout de suite, jamais sans détour, le plus souvent même sur le chemin du retour, toujours au cours de l’ultime effort, presque au dernier moment si tant est qu’on en puisse juger. Pas trop tard, mais presque trop tard, c’était tout juste le dernier martelage du cœur. Et puis je n’ai jamais obtenu non plus la totalité de ce que je voulais, en général d’ailleurs tout n’était plus disponible, et tout l’eût-il été que je n’aurais pas pu en venir à bout, mais quoi qu’il en soit j’en recevaus toujours un gros morceau, et même le plus souvent le principal. En soi naturellement ces lois qu’on trouve soi-même ne signifient absolument rien, elle ne sont toutefois pas sans signification pour caractériser celui qui les découvre, d’autant qu’une fois trouvées elles le dominent avec une sorte de matérialité réelle.

 

Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 655-656.

10/08/2017

Pascal Quignard, Petits traités, II

      

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   Un livre est assez peu de chose, et d’une réalité sans nul doute risible au regard d’un corps. Il ne se transporte au réel que sous les dimensions qui ne peuvent impressionner que les mouches, exalter quelques blattes peut-être, étonner les cirons. Parfois l’œil d’un escargot enfant.

   Il introduit dans le réel une surface dont les côtés excèdent rarement douze à vingt centimètres, et l’épaisseur d’un doigt.

 

Pascal Quignard, Petits traités, II, Maeght, 1980, p. 83.

 

30/03/2017

Étienne de la Boétie, Vers français

 

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Ores je te veux faire un solennel serment,

Non serment qui m’oblige à t’aimer davantage,

Car meshuy je ne puis, mais un vray tesmoignage

A ceulx qui me liront, que j’aime loyaument.

 

C’est pour vray, je vivray, je mourray en t’aimant.

Je jure le hault ciel, du grand Dieu l’heritage,

Je jure encor l’enfer, de Pluton le partage,

Où les parieurs auront quelque jour leur tourment ;

 

Je jure Cupidon, le Dieu pour qui j’endure ;

Son arc, ses traicts, ses yeux & sa trousse je jure :

Je n’aurois jamais fait : je veux bien jurer mieux.

 

J’en jure par la force & pouvoir de tes yeux,

Je jure ta grandeur, ta douceur & ta grâce,

Et ton esprit, l’honneur de ceste terre basse.

 

Étienne de la Boétie, Vers français, dans Œuvres complètes,

II, édition par Louis Desgraves, Conseil général de la

Dordogne/William Blake & Co, 1991, p. 121.

 

 

14/04/2016

Hervé Piekarski, L'état d'enfance, II

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                                       Une fable

 

   On a retrouvé le corps du vieillard dans le fossé, on a déclaré la fin des recherches mais le corps du vieillard continuait de pourrir dans le fossé. On a interrogé la femme dont le fils n’était pas rentré puis la femme s’est mise à pleurer, on a libéré les chevaux mais c’était là chose absurde car les chevaux étaient déjà en liberté. Le lendemain le fils est rentré puis il s’est assis dans le café et il a demandé où était la femme. On avait emporté le corps du vieillard à la morgue et certains auraient voulu qu’on le brûle. Le fils a pensé que la femme était pour quelque chose dans la disparition du corps. Les messieurs de la ville ont dit qu’ils reviendraient et la femme s’est rendu compte qu’un dernier appui avait cédé dans son cœur et qu’il lui faudrait tomber et ensuite se relever.

 

Hervé Piekarski, L’état d’enfance, II, Flammarion, 2016, p. 83.

06/02/2016

Samuel Beckett, Les années Godot, Lettres, II : recension

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   Le premier volume des lettres, publié en 2014, était consacré aux lettres de jeunesse, le second a plusieurs caractères particuliers dus à la situation de Beckett : après avoir achevé Watt pendant la guerre, en anglais, il commence à écrire en français, et à être édité par les éditions de Minuit ; alors qu’il a bientôt cinquante ans il connaît en France le succès avec la pièce En attendant Godot, traduite ensuite et jouée dans plusieurs pays, et ses œuvres sont progressivement éditées en Angleterre (Faber and Faber, John Calder), aux États-Unis (Grove Press) et en Allemagne (Fischer Verlag, Suhrkamp Verlag). Une partie seulement des lettres conservées sont publiées — celles qui concernent son œuvre —, et celles de ses correspondants sont parfois données en note quand elles éclairent le texte. Peu de lettres restent de la période de la guerre ; Beckett, résistant, avait quitté Paris et s’était réfugié à Roussillon, village du Luberon, et celles qui subsistent n’ont pu être consultées à la suite du refus du collectionneur.

   À partir de 1945 s’ouvre une période très féconde puisque sont écrites une première pièce, Eleutheria, une trilogie romanesque (Molloy, Malone meurt, L’innommable), des nouvelles (réunies plus tard sous le titre Nouvelles et textes pour rien) et En attendant Godot, puis Fin de partie. On retiendra surtout ce qu’écrit Beckett à ses correspondants (notamment, jusqu’en 1954, au critique d’art Georges Duthuit) à propos de ses livres, mais aussi de la peinture — celle en particulier de Bram van Velde — et du théâtre. Il entretient avec son écriture une relation complexe, elle lui est absolument nécessaire et c’est en même temps une épreuve de s’y consacrer ; on retrouvera souvent des remarques analogues à celle-ci, de 1950, « ça vient assez facilement, mais je répugne à m’y mettre, plus que jamais » ; ainsi, un peu plus tard à Barney Rosset, son éditeur aux États-Unis, « Écrire est impossible, mais pas encore suffisamment impossible ». Pour le dire autrement, il y a chez lui, comme il l’écrit à propos de Bram van Velde, « la beauté de l’effort et de l’échec ».

   Parallèlement, d’un bout à l’autre de sa correspondance, il exprime constamment sa distance vis-à-vis de ce qu’il écrit, notant par exemple quand il recommence à dactylographier Malone meurt, en juillet 1948, qu’il le fait « en vue de son rejet par les éditeurs » ; cinq années plus tard, il affirme : « J’en ai plus qu’assez de me voir sur du papier imprimé — et autrement » — ce qui ne l’empêche pas d’écrire en français et de traduire ses propres textes en anglais (mais, à propos de Molloy : « ça ne passe pas en anglais, je ne sais pas pourquoi »), d’autres (Éluard, Ponge) pour ‘’Transition’’, la revue de Georges Duthuit. Il suit aussi de près la traduction de En attendant Godot en allemand, en anglais, en espagnol... Mais, comme y insiste le préfacier, Dan Gunn, « personne n’est plus surpris que Beckett lui-même devant le succès auprès de la critique — et encore plus auprès du grand public — qu’obtient son œuvre [En attendant Godot] ».

   Surprise, non pas indifférence, même si les réactions vis-à-vis de la pièce l’exaspèrent ; il dira à plusieurs reprises — ici à Pamela Mitchell, en 1955 — « être fatigué de Godot et des interminables malentendus que la pièce semble provoquer partout ». Il refuse presque toujours de répondre aux demandes d’explications, non par mépris mais pour défendre une conception de la littérature ; on lira sa lettre à Michel Polac qui voulait connaître ses idées sur Godot : il y répète de différentes manières qu’il n’écrit pas à partir d’idées. Retenons « Je n’ai pas d’idées sur le théâtre. Je n’y connais rien. Je n’y vais pas. » et, en dernier point, quant au sens à donner à la pièce et « à emporter après le spectacle, avec le programme et les Esquimaux, je suis incapable d’en voir l’intérêt. » Il avait eu une réaction analogue, en 1948, quand des lecteurs avaient avoué leur incompréhension après la lecture de Eleutheria, « Qu’ils prennent de l’aspirine ou qu’ils fassent du fouting avant le petit déjeuner ». Ce qui importe, c’est d’écrire, non d’expliquer ce que l’on a écrit, « À définir la littérature, à sa satisfaction, même brève, où est le gain, même bref ? » Point.

   Ce n’est pas pour autant que Beckett n’avait rien à dire à propos de En attendant Godot. Il refuse l’expressionnisme et le symbolisme que suggérer la metteure en scène allemande et insiste sur le « côté farce indispensable » ; à Roger Blin, premier à donner la pièce, il écrit que « rien n’est plus grotesque que le tragique, et il faut l’exprimer jusqu’à la fin », d’où l’exigence, dans la dernière scène, de voir le pantalon d’Estragon tomber à ses pieds. D’où aussi la certitude que le théâtre n’a pas besoin d’adjuvant, qu’il doit être « réduit à ses propres moyens », sans décor particulier, sans rien qui gêne l’écoute du texte et le jeu des acteurs, et il précise dans une lettre à Georges Duthuit : « Quant à la commodité visuelle des spectateurs, je la mets où tu devines ».

   Le lecteur reconnaîtra la même absence de concession quand il s’agit de peinture. Il s’indigne (« ce salaud ») quand Maeght ne renouvelle pas le contrat de Bram van Velde, parce que cela prouve que le marchand de tableaux a été incapable de comprendre ce que faisait ce peintre, à savoir qu’il « peint l’impossibilité de peindre », ce que détaille Beckett dans plusieurs lettres et qu’il mettra au net dans Le monde et le pantalon. Il ne respecte pas les convenances et quand des tableaux médiocres de peintres reconnus sont devant lui, il écrit ce qu’il en pense, par exemple à l’occasion d’une exposition de peintres français à Dublin, « Manet navet, Derain inconcevable, Renoir dégob (n’y a pas que Pichette, pardon), Matisse beau bon coça colà ».

   On se tromperait cependant si l’on regardait Beckett comme un atrabilaire. L’éditeur Jérôme Lindon affirmait n’avoir pas connu d’homme aussi bon, et on trouvera dans les lettres de nombreux exemples de son souci d’autrui, les preuves aussi de sa reconnaissance envers ceux qui avaient su le lire. Mais il n’acceptait pas les demi mesures, s’en tenant à quelques principes, dont celui-ci : « le respect de l’impossible que nous sommes, impossibles vivants, impossiblement vivants ».

   Il faut louer la qualité de l’édition qui mériterait à elle seule un article. Le lecteur apprendra dans l’introduction de Dan Gunn ce qui est nécessaire pour apprécier le grand épistolier qu’était Beckett. En outre, il lira des notices sur les correspondants, feuillettera la bibliographie des ouvrages cités et l’index général, s’attardera sur les 19 photographies (trop peu de Beckett) qui illustrent le volume et, si sa curiosité ne se relâche pas, il suivra le détail des recherches entreprises pour réunir les lettres et les nombreux témoignages qui nourrissent les notes.

Samuel Beckett, Les années Godot, Lettres, II, 1941-1956, traduit de l’anglais par André Topia, Gallimard, 2015, 768 p., 54 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 22 janvier 2016.