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16/05/2024

Georges Perros, Poèmes bleus

                                    georges perros, poèmes bleus, mourir

Ces envies qui me prennent

Et cette panique, cette supplication

Cette peur de mourir

Alors que je n’ai pas encore vécu

Et que dans ces moments

J’ai ma vie sur ma langue

Il me semble que ça va être possible, enfin

Que je vais y aller d’une grande respiration

Que je vais avaler le soleil et la lune

Et la terre et le ciel et la mer

Et tous les hommes mes amis

Et toutes les femmes mes rêves

D’une seul grand coup

De poitrine éclatée

Quitte à en mourrir, oui,

Mais pour de bon

Pas de cette mort ridicule

Déshonorante, ridicule,

Qui accuse la parodie

Qui accuse le défaut

De ce qu’on appelle la vie

Sans trop savoir de quoi nous parlons.

On se renseigne auprès des autres

On leur pose des tas de questions

Avec cette hypocrisie de bonne société

On marque des points en silence

Ils souffrent autant que nous, tant mieux

On se dit même

Qu’on est un peu plus vivant qu’eux

O l’horreur

Et la fragilité

De nos amours.

 

Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard,

1962, p. 129-130.

14/09/2022

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais

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Quand j’ai peur à l’idée que je pourrais cesser d’être...

 

Quand j’ai peur à l’idée que je pourrais cesser d’être

Avant que ma plume ait glané mon cerveau fourmillant,

Avant qu’une pile de livres, en caractères d’imprimerie,

Engrange le blé bien mûr comme de riches greniers ;

Quand je contemple, sur le visage étoilé de la nuit,

Les immenses symboles nuageux d’une noble idylle,

Et je me dis que je ne pourrai jamais vivre pour suivre

Leurs ombres, avec la main magique de la chance ;

Que je ne poserai jamais plus les yeux sur toi,

Ne connaîtrai jamais de plaisir dans le pouvoir féérique

De l’amour insouciant ! — puis sur la rive

Du vaste monde je me tiens seul, et je réfléchis

Jusqu’à ce qu’Amour et Renom sombrent dans le néant.

 

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, traduction

Cécile A. Holdban, Poesis, 2021, p. 91.

22/05/2022

Michel Leiris, À cor et à cri

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En ce temps où les media occupent tous les horizons et où de leur fait nous vivons par procuration dans une large mesure, mourir c’est non seulement ne plus pouvoir parler mais n’être plus à même d’écouter et de lire les paroles douces ou aigres que, si vous êtes parvenu à i-un peu de notoriété, radio, télévision et journaux imprimés déversent temporairement sur vous. Mourir : passer gibier de presse qui n’existe plus que sur papier ou sur ondes et, en tant que personne dont les cinq sens étaient autant de fenêtres, devenir étranger à tout, faute de disposer du moindre actif ou passif de communication avec quiconque.

 

Michel Leiris, À cor et à cri, Gallimard, 1988, p. 79.

12/04/2022

Jack Kerouac, Mexico City Blues

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79° Chorus

 

Histoire de quoi

  (Histoire d'enfance)

En descendant

                  le boulevard

 Contemplant le suicide

Je me suis assis à une table

Et à ma grande surprise

Mon ami faisait l'idiot

                          à une table

Et à haute voix

Et voici le résultat

De ce qu'il dit.

 

Faites votre choix

 

Finit dans une situation

`Tellement fâcheuse

Vous n'saurez quoi faire de vous-mêmes

Vivre ou mourir.

 

Jack Jerouac, Mexico City Blues, traduction

Pierre Joris, Poésie/Gallimard, 2022, p. 95.

31/10/2021

Maurice Blanchot, Le pas au-delà

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Mourir : comme si nous ne mourions jamais qu’à l’infinitif. Mourir : le reflet sur la glace peut-être, le miroitement d’une absence de figure, moins l’image de quelqu’un ou de quelque chose qui ne serait pas là qu’un effet d’invisibilité qui ne touche à rien de profond et serait seulement trop superficiel pour se laisser saisir ou voir ou reconnaître. Comme si l’invisible se distribuait en filigrane, sans que la distribution des points de visibilité y soit pour quelque chose, non pas donc dans l’intimité du dessin, mais trop à l’extérieur, dans une extériorité d’être dont l’être ne porte aucune marque.

 

Maurice Blanchot, Le pas au-delà, Gallimard, 1973, p. 130-131.

24/10/2019

Alfonso Gatto, Pauvreté comme le soir

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Te sourire

 

Te sourire c’est peut-être mourir,

tendre la parole

à cette terre légère

au coquillage qui bruit

au ciel du soir,

à toute chose qui est seule

et s’aime de son propre cœur.

 

Alfonso Gatto, Pauvreté comme le soir,

traduction Bernard Simeone, Orphée/

La Différence, 1989, p. 41.

22/10/2019

Philippe Jaccottet, Nuages

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Thoreau écrit quelque part dans Walden : « Vie et mort, ce que nous exigeons, c’est la réalité. Si nous sommes réellement mourants, écoutons le râle de notre gorge et sentons le froid aux extrémités ; si nous sommes en vie, vaquons à nos affaires. »

Voilà une sagesse à laquelle j’adhère presque* sans réserve. Mais quelle est "notre affaire" ? La suite le dit très bien, par métaphore : « Le temps n’est que le ruisseau dans lequel je vais pêchant. J’y bois ; mais tout en buvant j’en vois le fond de sable et découvre le peu de profondeur. Son faible courant passe, mais l’éternité demeure. Je voudrais boire plus profond ; pêcher dans le ciel, dont le fond est caillouté d’étoiles. Je ne sais pas compter jusqu’à un. Je ne sais pas la première lettre de l’alphabet. [...] Mon instinct me dit que ma tête est un organe pour creuser [...] et en même temps je voudrais miner et creuser ma route à travers ces collines. Je crois que le filon le plus riche se trouve quelque part près d’ici : c’est grâce à la baguette divinatoire et aux filets de vapeur qui s’élèvent que j’en juge ainsi ; et c’est ici que je commencerai à creuser. »

Je crois n’avoir pas fait autre chose que creuser ainsi, mais tout près de moi ; refusant au souci de la mort de me faire lâcher mon outil.

* Pourquoi ce "presque", ce mot prudent devenu chez moi d’un usage presque (encore !) machinal ? Ma réserve tiendrait à ceci, que l’affirmation pourrait être trop belle, la proclamation trop assurée ; et cela, justement, par rapport à la "réalité" de l’expérience vécue. Qui sait si nous serons à la hauteur de ce vœu ? Le vœu, autrefois, je l’ai fait mien.

 Philippe Jaccottet, Nuages, Fata Morgana, 2002,p. 9-12.

10/05/2019

Norge, Le Stupéfait

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             Une fête

 

La folle mouche d’octobre

Qu’exaltait l’amour de vivre,

Sent déjà pincer le givre

Qui va lui blanchir la robe.

 

Mais elle ne gémit pas

Et nous zézaie à tue-tête

Mordant au raisin muscat

Que la mort est une fête.

 

Norge, Le Stupéfait, Gallimard,

1988, p. 99.

31/03/2019

Primo Levi, À une heure incertaine

 

primo levi,À une heure incertaine,œuvre,achèvement,mourir

              L’œuvre

 

Voilà, c’est terminé : on n’y touche plus.

Qu’à la main la plume me pèse !

Elle était si légère, tantôt,

Et plus vive que le vif argent :

Je n’avais qu’à la suivre,

Elle me guidait la main

Comme un voyant guide un aveugle,

Comme une dame vous amène à danser.

Maintenant, ça suffit, la tâche est terminée,

Parachevée, bouclée.

Si j’en ôtais ne fût-ce qu’un seul mot,

Ce serait comme un trou d’où suinte le sérum.

Si j’en ajoutais un,

Il saillerait, aussi laid qu’une verrue.

Si j’en changeais un seul, il sonnerait faux

Comme un chien qui aboie au milieu d’un concert.

Et maintenant, que faire ? Comment s’en détacher ?

Mettre au monde une œuvre, c’est chaque fois mourir un peu.

 

Primo Levi, À une heure incertaine, traduction Louis Bonalumie, Arcades /Gallimard, 1997, p. 78.

14/01/2019

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer

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Devant le pommier

 

Je ne meurs pas, avant d’avoir vu la vache

      dans l’étable de mon père,

avant que l’herbe ne rende ma langue acide

      et que le lait ne métamorphose ma vie.

Je ne meurs pas avant, avant que ma cruche ne soit remplie à ras bord

      et que l’amour de ma sœur ne me rappelle

combien est belle notre vallée

      où ils battent le beurre

et tracent des signes dans le lard pour Pâques…

      Je ne meurs pas, avant que le forêt n’envoie ses tempêtes

et que les arbres parlent de l’été,

      avant que la mère ne sorte dans la rue avec un fichu rouge

derrière la charrette cahoteuse, où elle pousse

      son bonheur : pommes, poires, poulets et paille —

Je ne meurs pas, avant que ne se referme la porte par laquelle

      je suis venu

devant le pommier —

 

Thomas Bernhard, Sue la terre comme en enfer, traduction Susanne Hommel, Orphée / La différence, 2012, p. 57.

26/06/2018

Sanda Voïca, Trajectoire détournée

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On vit en immortels,

On meurt en mortels.

 

L’urgence de ce qui m’a toujours accueillie :

mon propre lit

mon propre livre ;

Mais je

flotte

plane

vacille

erre

m’absente

de ces mots mêmes.

Comment réinventer les mots évidés ?

Chaque jour un peu plus vers

l’espace inédit, mien,

qui se crée et augmente,

autour du tronc de mon tulipier,

entre les branches qui s’en éloignent.

 

J’enveloppe

et m’éloigne du tronc

d’un savoureux arbre :

les guêpes en raffolent.

 

Sanda Voïca, Trajectoire déroutée, Lanskine, 2018, p. 55.

06/02/2018

Victor Hugo, Choses vues

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16 février 1859

 Que de choses j’ai encore à faire ! Dépêchons-nous ! Je ne serai jamais prêt. Il faut que je meure cependant.

 

22 septembre 1862

 Parler, écrire, imprimer, publier : cercles concentriques de l’intelligence. Ondes sonores de la pensée.

 

25 décembre 1862

C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches.

 

C’est au-dedans de soi qu’il faut regarder le dehors.

 

Victor Hugo, Choses vues, Quarto/Gallimard, 2002, p. 891, 923, 939, 943.

14/11/2017

Jean de Sponde, Œuvres littéraires

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Tandis que dedans l’air un autre air je respire,

Et qu’à l’envy du feu j’allume mon désir,

Que j’enfle contre l’eau les eaux de mon plaisir,

Et que me colle à Terre un importun martyre,

 

Cet air tousjours m’anime, et le désir m’attire,

Je recherche à monceaux les plaisirs à choisir,

Mon martyre eslevé me vient encore saisir,

Et de tous mes travaux le dernier est le pire.

 

À la fin je me trouve en un estrange esmoy,

Car ces divers effets ne sont que contre moy ;

C’est mourir que de vivre en cette peine extrême.

 

Voilà comme la vie à l’abandon s’espard,

Chaque part de ce Monde en emporte sa part,

Et la moindre à la fin est celle de nous mesme.

 

Jean de Sponde, L’essay de poèmes chrétiens, dans Œuvres

littéraires, Droz, Genève, 1978, p. 259.

27/02/2017

Jean-Pierre Chevais, Le temps que tombent les papillons

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Je préfèrerais pas

être mort tout

de suite

j’ai

un mot trois

en fait à

vous dire a

près

je rangerai

oh

ça prendra

pas long

temps

si

quelques mots

trop longs

ils

se plieront ja

mais

je les met

trai

en

tre nous

ça

fera bien

les mots

pour finir

c’est bien sur

tout

les longs

 

Jean-Pierre Chevais, Le temps

que tombent les papillons, Rehauts,

2017, p. 65.

25/02/2017

Amelia Rosselli, Document, 1966-1973

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Tu mourus toi aussi ; ou tu voulus mourir, moi

j’en eus des nouvelles avant d’en mourir, si jamais

ce fut toi à m’en donner.

 

J’ai l’ennui pour ligne d’arrivée, et la faute

pour arrière-garde.

 

Tangente divisée, je suis grotesque ce soir

et les montres avec leurs nombreux objets

ne se lassent pas de regarder.

 

Amelia Rosselli, Document, 1966-1973, traduction

Rodolphe Gauthier, La Barque, 2014, p. 162.