19/11/2014
Luis Mizon, Corps du délit où se cache le temps
je réfléchis
il y a une petite chose qui me tracasse
je ne sais pas reconnaître mes adversaires
je sis capable
de reconnaître mes alliés
mais je me trompe souvent
je ne connais pas les règles de ce jeu
plus grave encore je n'ai pas envie de les
connaître
c'est trop tard pour les apprendre
maintenant
à minuit
au milieu du terrain
entouré de haut-parleurs et de chiens
illuminés par les étincelles d'un bâton de
charbon
qui se consume entre la vie et la mort
Luis Mizon, Corps du délit où se cache le temps, dessins
de Philippe Hélénon, Æncrages & Co, 2014, np.
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18/11/2014
Jacques Réda, La nébuleuse du songe, suivi de Voies de contournement
J'étais là. Je voyais se former les chimères
Du futur, comme si je les avais déjà
Vues s'accomplir avant que ne se dégageât
L'intention blottie au cœur glacé du vide.
Enfin elle s'échauffe, et l'excès du torride
Sur sa flamme la tord, la pousse à s'arracher
Aussi loin que possible enfin de ce bûcher
Fondu dans un bouillon de lave — et qu'en bondissent
Des grumeaux de charbon ardent qui refroidissent
Peu à peu sous le vent presque aussi violent
De leur course dont rien ne cassera l'élan.
Sinon (comme un troupeau dans des friches fleuries
Propices au repos, s'attarde en flâneries
Et succombe au besoin grégaire des moutons)
Le tournis planétaire, où d'abord à tâtons,
Sous un soleil encore embarbouillé d'éclipses,
La vie a démêlé ses premières éclipses
Dans la confusion du cosmique rugby.
Jacques Réda, La nébuleuse du songe, suivi de Voies de
contournement (La Physique amusante III), Gallimard,
2014, p. 61.
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17/11/2014
Raymond Queneau, Texticules, dans Contes et propos
Dans la lettre
L'abri, c'est magistral à l'intérieur d'un a, par exemple, d'un o, d'un i — intérieur mince, bien sûr, que celui de l'i, mais combien certain, tiède même, gemütlich. Avec ça bien sûr, on ne va pas loin sur le chemin de la renommée. Bien plutôt, on va lentement. Oh, combien d'écrivains et combien d'écrivaines
qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
à l'intérieur d'un i se sont ensevelis.
Si l'on est désinvolte on peut choisir autre chose : l'aleph, l'oméga, le sampi.
Ah petit troupeau, petit troupeau, que tu nous fais souffrir.
Paralogies
Que s'apprête un peu, loin de, le ce qu'il faut dire alors les échos qu'aux cocoricos d'une longue carte infuse mais dérisoire les limites répondent, répondent. C'est minuit. Certains écrivent, certains rêvent. L'encre coule entre les doigts de la lune en ses carrosses d'algèbres. À côté de, presque, environ, l'étage est annoncé par le carillon flagrant d'une thune. Il est toujours midi. L'heure n'a pas changé depuis le silurien. À peine a-t-elle changé. À peine : juste de quoi ne plus devenir troglodyte.
Le papier blanc laissé sur la table bat des ailes et prend son vol adéquat, idoine, certain.
Raymond Queneau, Texticules, dans Contes et propos, Gallimard, 1981, p. 209-210 et 214.
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16/11/2014
Étienne Faure, Vues prenables
Le temps travaille trop, on est déjà dimanche
ce matin en ouvrant la fenêtre,
il neige en silence, les rues sont d'antan ;
de la ville, la rumeur est absente,
c'est la neige ou la nuit en son cœur qui l'interrompt
— ou la mort, insistante à sonner l'heure,
qui ponctue plus sonore les rêves.
Tout remonte en mémoire, les petits vieux
revenus naguère estropiés, claudiquant,
plusieurs balles dans la peau, des idées
fixées désormais sur les hommes,
qui le dimanche à des poulbots sans église
tendaient des gâteaux, biscuits à la cuiller
trempés dans du vin, leur donnant
sans le savoir le goût du rouge.
Aidés d'un peu d'alcool ensuite ils mourraient
un après-midi dansant
entre les bras d'un fauteuil qui connut leurs étreintes
dimanche, entre deux guerres.
le goût du rouge
Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009, p. 79.
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15/11/2014
James Joyce, Brouillons d'un baiser, traduction de Marie Darrieussecq
[Tristan & Iseult]
Lui, le gentleman, avait une tête de bicarbonate. D'abord c'était un martyr de l'indigestion, plutôt enclin aux hémorroïdes à force de s'asseoir sur les murs de pierre en se repaissant de la beauté de la nature et par dessus le marché à suivre les avis du Dr Morrue il s'était envoyé des potions quotidiennes d'extrait d'écorce de saule pour se garder de la grippe hibernienne quand il avait été frappé d'une toux têtue. D'une pâleur fiévreuse, où se lisait l'action des hautes mers sur un estomac abstinent, il contemplait les saints fantômes de ses amours estudiantines, Henriette au sommet de la meule de foin, Nenette de l'Abbaye derrière la porte de la buvette, Marie-Louise toute de plaisir et de puces, Suzanne pompette attrape-moi si tu peux, et, la dernière mais pas la moindre avec ses os pointus, la bonne du curé de la paroisse locale. Épouvantablement, il la passamoura de l'œil avec une expression bordée de noir.
Elle leva la tête, les yeux suprêmement satisfaits. Car désormais elle tirait plutôt plein pot de son persiflage qu'il était un esclavamour à vie, c'était elle l'élue et pas cette chiffe à museau de souris et mèches d'épouvantail, Kateagnes O Halloran.
—Johnny-qui-sourit, quémanda-t-elle gynelexicalement, est-ce que tu mêmemême un titi pou ?
[...]
James Joyce, Brouillons d'un baiser, Premiers pas vers Finnegans Wake, réunis et présentés par Daniel Ferrer, Préface et traduction de Marie Darrieussecq,
2014, p. 69.
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14/11/2014
René Crevel, Le clavecin de Diderot
Amour divin et amour-propre
Des expressions de cette farine devenues monnaie courante, on s'imagine à la suite de quelles piètres pratiques l'amour a bien pu, dans l'idée que s'en font les hommes, se recroqueviller au point de prendre en béquille, de tels qualificatifs.
La rage possessive s'obstinait à voir, jusque dans la créature préférée une simple chose à prendre. Et certes, ppour que les affirmations : Tu es ma chose, je te possède et les acquiescements : Je suis ta chose, prends-moi, fussent devenus des cris réflexes de la jouissance, il fallait bien que l'inégalité eût été, une fois pour toutes, admise entre et par les éléments du couple. D'où notion d'un amour esclavage, lequel, avec ce qu'il sous-entend de remords de la part du maître-abuseur, de ressentiment de la part de l'esclave-abusée, devient vite amour-enfer. Alors, à nous les formules incandescentes :
Brûlé de plus de feux que je n'en allumais.
Malgré le ton haute époque, cet alexandrin pyrogène n'en sent pas moins le cochon grillé.
La communion que les êtres, entre eux, se défendent, apparaît à la lumière de leur désespoir délirant, une interdiction que seule peut lever, et pour des fins surnaturelles, la vertu d'un sacrement.
[...]
René Crevel, Le clavecin de Diderot, 1932, "Libertés 38", J. J. Pauvert éditeur, 1966, p. 64-65.
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13/11/2014
Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes
Pourquoi Israël ?
À ton existence pourquoi Israël
cette réponse noire de la haine ?
Toi l'étranger
astre venant de plus loin que les autres.
Vendu à cette terre
pour que la solitude continue à se transmettre.
Ton origine est couverte d'herbes folles
On a fait l'échange de tes étoiles
contre tout ce qui appartient aux mites et aux vers
Elles qui pourtant furent transportées comme l'eau de lune
des rives ensablées et rêveuses du temps jusque dans le lointain.
En chœur avec les autres
tu as chanté
Un ton plus haut
ou un ton plus bas
Au soleil couchant tu t'es élancé dans le sang
comme une douleur qui en cherche une autre.
Vaste est ton ombre
et pour toi il se fait tard
Israël !
Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes, traduit de l'allemand par Lionel Richard, Les Lettres Nouvelles/Denoël, 1967, p. 75.
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12/11/2014
Jean-Luc Sarré, La part des anges
On n'a pas le cœur à défaire
pour les vider de nos vacances
les valises qui encombrent l'entrée.
Les fantômes sentent la naphtaline
et le plaisir n'est plus le même
de convier le jour à noyer
un salon qui nous paraissait
vaste il y a seulement deux mois.
On ôte un suaire, on se vautre,
ni heureux ni triste, égaré
parmi les images de l'été
— elles et la nuit et la musique.
Mêler sa voix à celle des autres
en laiqqanr croire qu'on sait lire
ces indéchiffrables portées
ne fait pas longtemps illusion.
« Cheval sanglé jusqu'aux faugères
tu seras mon solfège » dit l'enfant
en pressant les flancs d'un dimanche
qui rentre rênes longues, encolure basse.
Jean-Luc Sarré, La part des anges, La Dogana,
2007, p. 91, 36.
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11/11/2014
Samuel Beckett, Mercier et Camier
Le champ s'étendait devant eux. Rien n'y poussait, rien d'utile aux hommes c'est-à-dire. On ne voyait pas très bien non plus en quoi ce champ pouvait intéresser les animaux. Les oiseaux devaient y trouver des lombrics. Il était de forme très irrégulière et entouré de haies malingres, composées de vieilles souches d'arbres et de fourrés de ronces. Il y avait peut-être quelques mûres sauvages en automne. Une herbe bleue et aigre disputait le sol aux chardons et aux orties. Ces dernières auraient pu servir de fourrage, à la rigueur. Au-delà des haies d'autres champs, d'aspect semblable, entourés d'autres haies, d'aspect non moins semblable. Comment passait-on d'un champ à l'autre ? À travers les haies peut-être. Un chèvre s'intéressait capricieusement aux ronces. Dressée sur ses pattes de derrières, celles de devant appuyées sur une souche, elle cherchait les épines les plus tendres. Elle s'en détournait avec pétulance, faisait quelques pas furieux et s'immobilisait. De temps en temps elle faisait un petit bond, droit en l'air. Puis elle se mettait de nouveau dans la haie. Ferait-elle ainsi le tour du champ ? Ou se lasserait-elle avant ?
Samuel Beckett, Mercier et Camier, éditions de Minuit, 1970, p. 87-88.
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10/11/2014
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
rien de ce tourment qui m'épuisait
comme la poésie qui portait mon âme,
rien de ces mille crépuscules, de ces mille miroirs
qui me précipitent dans l'abîme.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
que j'ai dû traverser à gué comme le fleuve
dont les âmes sont depuis longtemps étranglées par les mers,
et tu ne sais rien de cette formule magique
que notre Lune m'a révélé entre les branches mortes
comme un fruit de printemps.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
qui me chassait à travers les tombeaux de mon père,
qui me chassait à travers des forêts plus grande que la terre,
qui m'apprenait à voir des soleils se lever et se coucher
dans les ténèbres malades de ma tâche journalière.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,
du trouble qui tourmentait le mortier,
rien de Shakespeare et du crâne brillant
qui, comme la pierre, portait des cendres par millions,
qui roulait jusqu'aux blanches côtes,
au-delà de la guerre et de la pourriture avec des éclats de rire.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
car ton sommeil passait par les troncs fatigués
de cet automne, par le vent qui lavait tes pieds comme la neige.
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, traduit de l'allemand et présenté par Suzanne Hommel, "Orphée" / La Différence, 2012, p. 47.
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09/11/2014
Éric Houser, Mouvement perpétuel
C'est certainement quelque chose comme ça, un empilement mais il y a aussi différentes sortes, avec un espace infinitésimal qu'on ne voit pas mais qu'on sent. Un micro-feu tête d'aiguille à coudre, je l'ai senti parfois et parfois vu mais c'était, la plupart du temps, caché. Je n'ai pas essayé autre chose. Surtout, as-tu aussi parcouru cette marge étroite, comme un rebord des choses qu'on laisse se dérouler. Là encore, infinitésimal, crois-tu que je sois sous influence et laquelle. Il s'agit d'expériences qu'un ne peut décrire mais ça n'a pas d'intérêt si ce n'est pas décrit alors décrivons-les. Ou plutôt écrivons-les. Oui je le répète il ne sert à rien sinon pour ouvrir je ne sais pas quoi en avant. Quelque chose ou rien en avant qui se déroule et pourtant non, oublie-le aussitôt. Si je deviens abstrait donne-moi la main. Parce que c'est ainsi, comme une preuve. L'élasticité des choses est une sorte de paradis, je ne peux m'empêcher de rechercher ces endroits, ces plaques. Là où je ne sais pas bien la limite des objets, là où je perds l'assurance de vraiment marcher, c'est-à-dire que ça ne marche vraiment pas, comme une perruche désaccordée ou ignorante (sans programme de sons).
Éric Houser, Mouvement perpétuel, NOUS, 2014, p. 15.
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08/11/2014
Caroline Sagot-Duvauroux, Le Vent chaule, suivi de L'Herbe écrit
Lecture avec Jean-Louis Giovannoni
Même sans histoire maman faut bien vivre. Avant le grand cri dessus l'étendue, tu as pituité par moitié de bouche c'est un peu tôt non ? mais j'ai déguerpi rincer ma honte au whisky. Ta tendresse dis, c'est au naturel ou c'est concocté par foi l'espérance et la charité ? je suis dans la rue ne suis rien qu'à me confier le guidon. Pourquoi n'ai-je pas la mémoire d'enfance ? j'ai des trous. Où je dissimule des livres d'amour et mon cœur de pierre, Thomas touche des trous sur le corps de Jésus. Touche des trous pour croire. Je touche des trous mais j'ai pas le reste de Jésus autour.
Sans mémoire ni cigogne toujours s'en va-t-en guerre on est. Revenir c'est écrire mutilé tout à fait. Ce qu'on fait. On compte les absents mais coupée des servages jarret fendu des marronnages. Entre, on plante la bourrache, l'herbe à chat, valériane et patates et des ormes pour l'ombre. On métisse on parle. Sur la terre tétée de récoltes impériales on plante des absences et des tentatives on écrit.
Caroline Sagot-Duvauroux, Le Vent chaule, suivi de L'Herbe écrit, Corti, 2009, p. 69.
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07/11/2014
Stamatis Polenakis, "Les escaliers d'Odessa", traduction de Myrto Gondicas
Viola d'amore
Olga, si je meurs aujourd'hui,
j'espère que demain tu m'oublieras.
Rappelle-toi seulement le bateau entre Odessa
et Trieste, un après-midi d'été
dans une vie lointaine, et, oublié même de Dieu,
l'orchestre qui jouait des chansons russes populaires
sur le port ; l'étudiant
Trofimov, qui voyageait avec nous
et qui plus tard a disparu en Sibérie.
Surtout rappelle-toi les mouettes,
elles étaient très blanches et elles nous ont accompagnés
tout au long du voyage, en volant plus vite
que les vagues même.
Ich sterbe, Olga.
Aujourd'hui je meurs pour toujours.
Stamatis Polenakis, "Les escaliers d'Odessa", traduction de Myrto Gondicas, dans la revue de belles-lettres, 2014, I, p. 71.
Annonce :
V E N D R E D I 7 N O V E M B R E à 19H À L'A C A D E M I E D'A R C H I T E C T U R E
LA VILLE SENSUELLE ECRITURE, FICTION, EXPERIENCE
UN ENTRETIEN AVEC JACQUES FERRIER ET PHILIPPE SIMAY MIS EN IMAGE PAR PAULINE MARCHETTI
NUMÉRO ZÉRO est une revue expérimentale à ciel ouvert qui s’intéresse à l’écriture comme processus de travail, en amont de sa formalisation définitive et sous toutes ses formes. C’est un laboratoire de création qui invite des écrivains et des artistes à participer pendant un an à des rencontres publiques mensuelles, à un site internet, à une édition papier, et à prendre en charge une rubrique dans chacun de ces formats. entrée gratuite Durée 1h L'entretien sera suivi d'une dégustation de vins en partenariat avec R'Vinum ACADEMIE D'ARCHITECTURE HOTEL DE CHAULNES 9 PLACE DES VOSGES 75004 PARIS |
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06/11/2014
Antonin Artaud, Œuvres complètes, I, L'art et la mort
L'art et la mort
Qui, au sein de certaines angoisses, au haut de quelques rêves n'a connu la mort comme une sensation brisante et merveilleuse avec quoi rien ne se peut confondre dans l'ordre de l'esprit ? Il faut avoir connu cette aspirante montée de l'angoisse dont les ondes arrivent sur vous et vous gonflent comme mues par un insupportable soufflet. L'angoisse qui se rapproche et s'éloigne chaque fois plus grosse, chaque fois plus lourde et plus gorgée. C'est le corps lui-même parvenu à la limite de sa distension et de ses forces et qui doit quand même aller plus loin. C'est une sorte de ventouse posée sur l'âme, dont l'âcreté court comme un vitriol jusqu'aux bornes dernières du sensible. Et l'âme ne possède même pas la ressource de se briser. Car la distension elle-même est fausse. La mort ne se satisfait pas à si bon compte. Cette distension dans l'ordre physique est comme l'image renversée d'un rétrécissement qui doit occuper l'esprit sur toute l'étendue du corps vivant.
Antonin Artaud, Œuvres complètes, I, nouvelle édition revue et corrigée, Gallimard, 1976, p. 123.
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05/11/2014
René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit
Venelles dans l'année 1978
Nous nous avançons devant la haie d'une double réalité : la première est la plus coûteuse (la vie continuellement allumée et qui monte jusqu'à la fleur), la seconde est supposée nulle puisqu'elle n'a pouvoir que de lentement nous déshabiller et de nous réduire en poudre. L'avantage de la première sur la seconde est de se savoir fiable, de n'être pas aveugle, de mentir comme elle respire, l'enchantement consommé.
On ne partage pas ses gouffres avec autrui, seulement ses chaises.
Elle ne peut se souffrir seule, l'épouse de l'espoir, serait-ce dans un bain de vagues. Mais sur le berceau convulsé de la mer, elle rit avec les écumes.
La terre prête filles et fils au soleil levant puis les reprend la nuit venant. Leur repas du soir expédié, la cruelle les presse de s'endormir, consentant chichement quelques rêves.
René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Gallimard, 1979, p. 61.
© Photo Jacques Robert (Gallimard)
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