Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/12/2023

Paul Verlaine, Jadis et Naguère

images.jpeg

                Langueur

 

Je suis l’Empire à la fin de la décadence,

Qui regarde passer les grands Barbares blancs

En composant des acrostiches indolents

D’un style d’or où la langueur du soleil danse.

 

L’âme seulette a mal au cœur d’un ennui dense.

Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.

Ô n’y pouvoir, étant si faible aux vœux si lents,

Ô n’y vouloir fleurir un peu cette existence !

 

Ô n’y vouloir, n’y pouvoir mourir un peu !

Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?

Ah ! tout est bu, tout est mangé ! plus rien à dire !

 

Seul, un poème un peu niais qu’on jette au feu,

Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,

Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !

 

Paul Verlaine, Jadis et Naguère, dans Œuvres poétiques

complètes, Pléiade/Gallimard, 1962, p. 570-571.

09/11/2023

Jules Renard, Journal, 1887-1910

Unknown-3.jpeg

Mon ignorance et l’aveu de mon ignorance, voilà le plus clair de mon originalité.

J’aime assez à me créer moi-même mes ennuis.

Je ne connais qu’une vérité : le travail seul fait le bonheur. Je ne suis sûr que de celle-là, et je l’oublie tout le temps.

N’être bon que pour se faire bien voir, c’est se sentir, au fond, incurable.

La vérité créatrice d’illusions, c’est la seule que j’aime.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/gallimard, 1965, p. 1164, 1170, 1172, 1174, 1181.

23/10/2023

Étienne Faure, Et puis prendre l'air

IMG_0626.JPG

L’ennui léger à la fenêtre enduré dès l’enfance, à regarder passer dans le ciel quelque chose, attendre un événement venu des nues : un nuage effilé par le vent, le passage de l’avion disparu par l’embrasure des arbres, un V d’oiseaux très haut en solitude rebroussant leur chemin en lançant des signaux aux autres animaux restés au sol, cet ennui lentement scruté derrière la vite avait changé progressivement de sens, glissé par la force des ans — nouveaux cirrus, autre altitude — parmi les nuages qui commençaient à s’amonceler, non plus singuliers mais pluriels — les ennuis. Et de loin le rire clair qui tout balaie au ciel de mars, à nouveau en mouvement.

        1.  
        2. Étienne Faure,  Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, p.103.

 

25/09/2021

Étienne Faure, Et puis prendre l'air

           E Faure fevrier 2020 .jpg

L’ennui léger à la fenêtre enduré dès l’enfance, à regarder passer dans le ciel quelque chose, attendre un événement venu des nues, infime : un nuage effilé par le vent, la vitesse de l’avion disparu par l’embrasure des arbres, un V d’oiseaux très haut en solitude rebroussant leur chemin et lançant des signaux aux autres animaux restés au sol, cet ennui lentement scruté derrière la vitre avait changé progressivement de sens, glissé par la force des ans — nouveaux cirrus, autre altitude — parmi les  nuages qui commençaient à s’amonceler, non plus singuliers mais pluriels — les ennuis. Et de loin le rire clair qui tout balaie au ciel de mars, à nouveau en mouvement.

 

Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, p. 103.

 

            Lecture-rencontre à deux voix :
 Stéphane Bouquet & Etienne Faure
                             liront
Le fait de vivre (Champ Vallon)
                               &
 Et puis prendre l'air (Gallimard)
 
 à la librairie Gallimard -15 Bd Raspail- 
    le mercredi 29 septembre à 19h

28/06/2021

Kafka, Journaux

                         1310284-Franz_Kafka.jpg

Avant de s’endormir. Cela paraît si affreux d’être célibataire, et, vieux monsieur, de quémander un accueil en ayant du mal à conserver sa dignité quand on veut passer une soirée avec des gens, rapporter son repas à la maison dans sa propre main, ne pouvoir attendre personne paresseusement et avec une tranquille confiance, ne pouvoir faire de cadeaux qu’à grand-peine ou en s’énervant, prendre congé devant la porte de la maison, ne jamais pouvoir se précipiter en haut de l’escalier avec sa femme, être malade et n(avoir pour seule consolation que la vue de sa fenêtre quand on peut s’asseoir, n’avoir dans sa chambre que des portes de côté qui donnent sur les appartements d’autrui, avoir à ressentir les membres de sa famille comme des étrangers, avec lesquels on ne peurt rester ami que par le mariage, d’abord le mariage de ses parents, ensuite, quand l’effet en est passé, le sien propre (...)

 

Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 216-217.

16/05/2021

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie

Tsvetaïeva.jpg

Ennui et tristesse

 

Ennui et tristesse... À qui donnerai-je la main

         À l’heure où plus rien ne nous leurre ?

Désirs ? À quoi bon désirer constamment et en vain ?

         Et l’heure s’en va, ­ la meilleure.

 

Aimer — mais qui donc ? À quoi bon — ces amours pour un jour ?

         Que dure l’amour le plus tendre ?

Je sonde mon cœur. Ce qui fut, est parti sans retour,

         Et tout ce qui est n’est que cendre.

 

Je vois mes passions, sous la faux de la froide raison

         Gisant — comme tiges éparses.

Oh, vie ! Soupirs et plaisirs et retour des saisons —

         Oh vie, tu n’es qu’une farce.

 

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie, traduction Ève Malleret, La Découverte, 1986, p. 207.

25/02/2021

Cioran, Aveux et Anathèmes

                                      

cioran,aveux et anathèmes,ennui,ponctualité,critique peintres

L’ennui, mal réputé frivole, nous fait cependant entrevoir le gouffre dont émane le besoin de prier.

La ponctualité, variété de la « folie du scrupule ». Pour être à l’heure, je serais capable de commettre un crime.

La critique est un contresens : il faut lire, non pour comprendre autrui mais pour se comprendre soi-même.

Ce qu’on devait se détester dans l’obscurité et la pestilence des cavernes ! On comprend que les peintres qui y vivotaient n’ai pas voulu éterniser la figure de leurs semblables et qu’ils aient préféré celle des animaux.

 

Cioran, Aveux et Anathèmes, Arcades/Gallimard, 1987, p. 25, 27, 28, 36-37.

23/09/2020

Jacques Réda, Retour au calme

        PHOTO-REDA.jpg

                    La boulangerie

 

Souvent assez tard en hiver cette boulangerie

En face reste ouverte, et l’on peut voir le pain

Nimber d’or les cheveux frisés de la boulangère

Qui, bien qu’à tant d’égards ordinaire, nourrit

Des desseins obliques de femme et s’ennuie. Et parfois

La boutique à cette heure est vide ; elle ne brille

Qu’à la gloire exclusive du pain.

Il suffit bien je crois de sa lumière au coin

De la rue assez tard en hiver pour que l’on remercie.

 

Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 92.

06/07/2019

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie

AVT_Marina-Tsvetaieva_9666.jpg

               Ennui et tristesse

 

Ennui et tristesse… À qui donnerai-je la main

     À l’heure où plus rien ne nous leurre ?

Désirs ? À quoi bon désirer constamment et en vain ?

     Et l’heure s’en va — la meilleure.

 

Aimer — mais qui donc ? À quoi bon ? — ces amours pour un jour ?

     Que dure l’amour le plus tendre ?

Je sonde mon cœur. Ce qui fut est parti sans retour,

     Et tout ce qui est n’est pas tendre.

 

Je vois mes passions, sous la faux de la froide raison

     Gisant — comme tiges éparses,

Oh, vie ! soupirs et plaisirs et retour des saisons —

     Oh, vie, tu n’es qu’une farce.

 

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie & autre poèmes,

traduction Ève Malleret, La Découverte, 1986, p. 207.

04/05/2019

Malcolm Lowry, Le Vendredi-Saint de M. Lowry...

Malcolm Lowry, Poèmes, traduction Jean Follain, esbroufe, ennui

Le Vendredi-Saint de M. Lowry

   sous un véritable cactus

 

Parce que je suis un esbrouffeur

Parce que je suis un effrayé

Parce que je dois éluder

La sentence du Seigneur

Puis à nouveau m’en moquer

Et encore une fois être crucifié à son côté

Parce que je dois décider

Parce que je ne le fais point

Étant comme Crusoé

Naufragé sur un îlot de douleur

Je suis mort, je crève d’ennui

Parce que je suis un esbrouffeur

Parce que je suis un effrayé.

 

Malcolm Lowry, Poèmes, traduction Jean Follain,

dans"Malcolm Lowry", Les lettres nouvelles,

1950, p. 89.

15/05/2017

Thomas Bernhard, Kulterer

 

                                 Thomas Bernhard.JPG

   Plus approchait le jour où il serait libéré de la centrale, plus Kulterer craignait de revenir auprès de sa femme. Il menait une vie refermée sur elle-meme, totalement ignorée par ses co-détenus, et il tuait le temps libre, qui était souvent bien trop long à la centrale car ils ne travaillaient, selon le règlement, que cinq à six heures par jour aux machines d’imprimerie, en notant des idées subites ou, pensait-il, des pensées insignifiantes qui l’occupaient presque sans interruption. Par ennui, et parce qu’il eût désespéré sans cela, il se lisait souvent à lui-même de courtes histoires et de courts récits qu’il avait lui-même inventés et rédigés. Le chat par exemple ou La cale sèche ou Les palmipèdes, L’hyène, La régisseuse de la propriétaire terrienne, Le lit de mort. La plupart du temps, ces histoires lui venaient la nuit, et il devait, pour ne pas les perdre, se lever et s’asseoir à la table dans l’obscurité tandis que ses compagnons de cellule dormaient, et noter dans cette même « obscurité effrayante » ce qui lui était venu.

 

Thomas Bernhard, Kulterer, traduction Claude Porcell, Arcane 17, 1987, p. 81-82.

25/02/2017

Amelia Rosselli, Document, 1966-1973

       Unknown.jpeg

Tu mourus toi aussi ; ou tu voulus mourir, moi

j’en eus des nouvelles avant d’en mourir, si jamais

ce fut toi à m’en donner.

 

J’ai l’ennui pour ligne d’arrivée, et la faute

pour arrière-garde.

 

Tangente divisée, je suis grotesque ce soir

et les montres avec leurs nombreux objets

ne se lassent pas de regarder.

 

Amelia Rosselli, Document, 1966-1973, traduction

Rodolphe Gauthier, La Barque, 2014, p. 162.

25/06/2016

Pierre Pachet, Autobiographie de mon père

                 Pierre Pachet, autobiographie d mon père, enfance, ennui, vie intérieure

En hommage à Pierre Pachet, 1937-21 juin 2016

 

   Dans l’enfance, je m’ennuyais beaucoup. Je vois avant tout l’enfance livrée à de longs déserts d’ennui, impossibles à traverser, pendant lesquels le corps est torturé, livré au temps, à l’incompréhensible attente. Seule ma mère avait la sympathie et la finesse nécessaires pour me comprendre et m’aider : elle acceptait de bonne grâce de jouer avec moi à la bataille, aux dominos, à la belote à deux, lorsque je n’avais pas d’amis sous la main. Mon père, lui, n’émergeait de son travail que pour rechercher le repos, en « s’allongeant » ou en allant se promener. Mais l’ennui, chez moi, ne voulait pas des promenades.

   Pourtant une fois — une fois qui a dû se produire de nombreuses fois que ma mémoire condense parce que d’abord mon expérience l’a ressentie comme une seule fois, une fois venant après beaucoup d’autres mais enfin saisie comme telle — une fois, prenant en pitié mon corps et mon âme torturés, mon père me dit : «  Tu t’ennuies ? Tu n’as qu’à avoir une vie intérieure ! Alors tu ne t’ennuieras jamais. »

 

Pierre Pachet, Autobiographie de mon père, Belin, 1996, p. 5.

16/03/2016

Étienne Faure, Vues prenables

3182172794.jpg

Hep, taxi, ce qui nous fuit dans le rétroviseur

déjà n’est plus d’époque,

à vivre ici, voir venir,

dans une amphigourique attente ou merdier d’être né,

l’enfer pavé d’intentions plus ou moins bonnes,

cette envie de disparaître — pas grand chose,

une demi-vie, une heure —

puis l’idée de durer qui persiste

— et rattraper sa nuit dans le train.

 

Seul et définitivement mortel

— l’était-il moins dans l’ignorance

ou jeune ou endormi dans les mots accrochés aux cimes

avec la même exaltation des hauteurs qui conduit

à bâtir des cathédrales, marcher parmi les épilobes —

l’ennui devenu un ami, c’est le seul qui lui reste

dans le double vitrage où sommeille

un apatride au rêve étrange, qui lui redit

le temps où ils allaient au Terminus

protégés par la chaleur, noir liquide,

finir la nuit.

 

terminus nuit

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009, p. 28.

 

A l'occasion de la parution de

Ciné-plage

d'Etienne Faure

Alphabet cyrillique
de Jean-Claude Pinson

aux éditions Champ Vallon

 

 

 

la librairie Michèle Ignazi

a le plaisir de vous inviter à une rencontre avec

Etienne Faure

et Jean-Claude Pinson

le mardi 22 mars 2016

à partir de 19 heures

Librairie Michèle Ignazi

17, rue de Jouy

75004 Paris

0142711700

Métro : Saint-Paul ou Pont-Marie

 

 

13/09/2015

Jules Renard, Journal, 1887-1910

                                                  742030.jpg

 

Il lisait un livre. Il voulait être célèbre comme l’auteur et, pour cela, travailler de l’aube à la nuit ; puis, ayant pris fermement cette résolution, il se levait, allait se promener, faire un tour, souffler.

 

S ! l’inspiration existait, il faudrait ne pas l’attendre ; si elle venait, la chasser comme un chien.

 

La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.

 

Amitié, mariage deux êtres qui ne peuvent pas coucher ensemble.

 

La mort des autres nous aide à vivre.

 

Lire toujours plus haut que ce qu’on écrit.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, édition Léon Guichard et Gilbert Sigaux, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 130, 133, 134, 136, 136, 145.