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10/07/2021

Christian Prigent, Chino au jardin

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[Chino] monte et descend le long de son jardin comme un élastique énervé avec des pétarades de pancartes à la mitraillette :

 

                           Toute l’écriture

est de la cochonnerie

 

            ou

 

                      La poésie : merde pour ce mot

 

                                       ou

 

                                    Poésie ?

                                  La Haine !

 

 

                                       ou

 

                                    La poésie ?

                                  Inadmissible !

                                                              *d’ailleurs n’existe pas !

 

On n’y co :=prend rien si on n’est pas du coin. Passe ton chemin, touriste au doigt vissé à la tempe ! Si tu lèves le nez vers le bleu du ciel, tu verras circuler dans les courants oscillants quelques parapentistes impatients. Ils attendent een tournicotant qu’on débarrasse le plancher pour atterrir les pieds dans le plat. À moi Antonin ! Francis ! Georges ! Denis ! appelle d’en bas époumoné d’extase de midinet Chino. Qu’on égaille un peu les familles classées par affinités qui patouillent la vase poétiquement dans des crottes de vers ! Et sans transition, il va au-devant d’une petite troupe gaie qui se tord les pieds dans le cailloutis. Car entre les bruyères qui crient les voici ! et les tamaris qui pleurent que tant pis ! s’amènent échevelée de coiffures christiques la clique aux flancs creux en pétard contre tout et rien dont le capital exploiteur du monde, les cloches de Sorbonne qui tout amochissent et la poésie perte de la pensée.

 

Christian Prigent,  Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 214-216.

 

09/07/2021

Christian Prigent, Chino au jardin

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Mais pressons pressons. Déjà cent étoiles au ciel. Prends ton chapeau, mets tes bretelles : si tu rates la messe, la soupe après c’est pas l’oignon, c’est la grimace. On se précipite, pite, patte, deux pattes quatre à quatre au trot toutes jambes caro cari cara caracole hop là au galop. Qui botte en tra tra versant cataclop le carré tchouc tchouc aux choux tagada le cul de qui qui encombre ? GM, de Ki, le chien qu’a un œil qui dit kaoc’h à l’autre. S’il en avait deux qui diraient merde, ce serait Kiki. Avait qu’à pas japper beurton en large sur le seuil en plus d’aboyer chinot en long dans l’allée : va voir si y a pas du lapin ailleurs dans les Pointus d’Hiver.

 

Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 175.

14/11/2019

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes

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Large au séant

 

                     Et pourquoi qu’tu trompaytes ?

                    j. van hoddis

 

moins de fesses, d’yeux, cerveaux,

ça suffirait. moins de mains.

bien. moins de texte. ôter l’image ;

moins de mots. nuls relais,

rejets, nulle vapeur ! sans pin-pon

écrire encore moins de vagues.

plus de  papier, moins de trombones

à cul lisse aussi dégonflé. nul présent !

 

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, traduction

Alain Jadot, préface Christian Prigent,

NOUS, 2015, p. 147.

05/08/2019

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, Poésie complète

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Large aux séant

 

                         Et, pourquoi qu’tu trompaytes ?

                          j.van hoddis

 

moins les fesses, d’yeux, cerveaux,

ça suffirait, moins de mains,

bien. moins de texte, ôter l’image ;

moins de mots. nuls relais,

rejets, nulle vapeur !  sans pin-pon

écrire encore, moins de vagues.

plus de papier, moins de trombone,

à cul lisse aussi, dégonflé, nul présent !

 

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, Poésie complète,

traduction Alain Jadot, préface Christian Prigent,

NOUS, 2015, p. 147.

16/03/2018

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes

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premier jet d’un projet

 

glisser perturbé dans la chaleur

patiner confus vers l’équarri

flotter affolé vers l’agenouillé

 

le bourdon harcèle l’après-fête

amortir l’achevé contaminé

refouler des douleurs incongrues

 

gicler tremblant sur le rivé

parsemer terrifié le pompé

débouler étonne l’ déjà donné

 

fendre bluffé sur l’ancré

dériver pâle dans l’immergé

asperger frissonnant le méconnu

 

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, traduction

Alain Jadot, préface Christian Prigent,

NOUS, 2015, p. 135.

06/03/2018

Christian Prigent, Merde pour ce mot

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                          Merde pour ce mot par Christian Prigent

 

 Journal, 2 mars 2018

 

L’Humanité est mon journal, j’ai dit ailleurs pourquoi. Cet amour, parfois, est déçu. Hier : pages « poésie » (le Printemps s’amène, des becs gorgés de vers vont cuicuiter dans les librairies, centres d’art, théâtres, maisons de poésies…). Fronton : « La poésie ? Un arc-en-ciel qui se lève à minuit ». Ça commence fort. Plus fort : « Muse, sa parole ailée déchire la nuit, la lumière filtre ». Toujours les cieux de convention, les yeux blancs, les mollets lyriques cambrés, « le cœur à l’écoute », le moi qui bave, le « chant du désir », la « fraîcheur du vent », maman Nature mon adorée, la chatouille sous les bras rhétoriques pour des exaltations sur-jouées. A côté, puisqu’il faut aussi au « Poète » (grand pet) « séquestrer les jougs contraires », les déplorations rituelles sur les espaces médiatiques « dramatiquement rétrécis », la misère marginalisée de la corporation (mais sa dignité dans ces déboires).

Où est le pire ? dans l’insignifiance paresseuse du poète chroniqué ? dans la logorrhée abrutie du chroniqueur (un « poète », lui aussi, forcément) ? En tout cas, dans le fourmillant petit monde poétique, rien n’a changé. Toujours les mêmes ignorances, les faiblesses de pensée, les narcissismes artistes, les formes abandonnées aux enchaînements réflexes, aux lieux communs, aux pires clichés, aux vieilleries métaphoriques recyclées sans scrupule. Le mot même de « poésie » s’étire là-dedans comme un chewing-gum mille fois remastiqué, délavé de tout goût, avec des petites bulles d’œuf peinturluré comme effet voulu bœuf. « Merde » pour lui, comme disait Ponge, s’il ne nomme que ça.

Que le Printemps des Poètes se nourrisse de ces déjections du temps est dans l’ordre des choses et n’a pas d’importance. Mais que L’Huma célèbre ces niaiseries réactionnaires me navre.

Texte publié sur Sitaudis le 5 mars 2018.

 

 

 

19/11/2017

Christian Prigent, L'orthographe au zoo

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Au zoo, la-le visiteur.trice grammairien.ne admiratif.tive peut désormais observer les bêt.e.s suivant.e.s : la-le léopard.e, la-le giraf.e, la-le hippopotam.tame, la-le rhinocéros.rosse, la-le kangouroux.rousse, la-le impale-la, la-le crocodil.delle, la-le lamantin.tine, la-le zébu.e, la-le phacocher.chère, la-le bison.ne, la-le grand.e koudoux.douce, la-le porc-que épic-que, la-le castor.e, la-le chat.te pêcheur.cheuse.cheresse, la-le civet.te de lapin.pine, la-le gazil.zelle, la-le antilop.lope, la-le autruc.truche, la-le babouin.e et tout.te.s sort.te.s de animâles-femelles plus petit.te.s : la-le belet-te, la-le souris.se, la-le raton.ne laveur.veuse, la-le perroquet-quette, la-le tourtereau-relle, les corbeaux-belles et les freux.frelles sur les fils.filles électriques, la-le maquereau-relle et la-le carpe.pette dans la-le bassin.ne chez les phok-que.s et les nombreux.breuses mouch.e.s sur  le œil et la oreille du-de la panthèr.e

 

Christian Prigent, L'orthographe au zoo, publié sur Sitaudis le 11 novembre 2017.

01/11/2017

Christian Prigent, Journal

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27/08 [2017) (écrire / ne pas écrire)

 

Les longues périodes (des mois parfois) sans « écrire » (écrire vraiment : creusement des mémoires, parcours des archives, lectures tout entières programmées par leur utilité pour le travail en cours, effort acharné au style, poursuite de l’expression sensorielle « juste », élaboration des tensions, phrase/phrasé, soucis techniques de composition, séances régulières et longues, perspective de « livre » — publication)…

Ces phases m’ont toujours enfoncé dans des états péniblement dépressifs. Sans doute parce que peu à peu, alors, s’en va toute chance de prise symbolique, toute initiative souveraine, toute possibilité de résistance à la pression paradoxalement dé-réalisante du dehors (le « monde » saturé de représentations, la « réalité » toujours-déjà fixée en mots et images, le lieu commun où s’évanouit et s’aliène la singularité sensible de l’expérience.

Du monde, alors, je ne comprends plus rien, il flotte devant moi et en moi comme un nuage fuyant, ce n’est qu’un paysage flou. C’est comme si tout sens et toute vie m’abandonnent. Ne reste qu’une pénible sensation de débilité et de déréliction, sans doute à chaque fois arrivée (misérablement avivée pour autant que mêlée de honte, de sentiment du ridicule), par la terreur, inscrite au plus profond de moi, de la perte d’amour, d’abandon, de ce que j’ai appelé un jour la « seulaumonditude » : je ne suis pas « au monde », le monde n’est plus ni en ni à « moi », etc.

 

Christian Prigent, Journal (extraits), Sitaudis, 2017.

 

 

23/10/2017

Christian Prigent, Chino aime le sport : recension

 

christian prigent,chino aime le sport : recension

     Chino aime "le" sport ? le football et le cyclisme sont privilégiés, parce qu’à un moment ou un autre pratiqués par Christian Prigent, mais beaucoup d’autres activités sportives sont présentes, natation, boxe, rugby, marathon, etc. ; toutes liées soit à la biographie de Christian Prigent et à son histoire familiale, soit plus largement à « quelques épisodes marquants de la « grande » histoire 1945 [année de la naissance de C.P.]-2015. » (4ème de couverture). Le destin individuel est inclus dans le mouvement collectif, ce qui explique en partie la présence d’un paratexte inhabituel dans un livre de poèmes.

   En caractères romains, corps réduit, des dates à la droite de certains vers renvoient à un événement historique, parfois à la biographie de C.P., dates qui invitent à consulter les notes en fin de volume. À la suite des notes, un tableau à plusieurs entrées : à une date déterminée correspondent trois colonnes : politique, sport, texte, par exemple :

1958 / Débuts de la Ve République / Création a Tunis de l'équipe de foot du FLN/ 

                                                                                                                               Mekhloufi

   Les parents de C.P. étaient adhérents du Parti communiste, ce n’est pourtant pas dès l’enfance que le politique entre dans sa vie et ce qui s’est passé au cours des années 50 est reconstruit. Au moment de l’insurrection en Hongrie, en 1956, contre le régime communiste, « on crabouille tout sous les chenilles / Socialistes (bien fait ! nous dit l’Huma / L’à Staline et Thorez dévoué Kanapa » (82) — la mère de C.P. déchire sa carte, « papa pas » et « ça lui torticole à fond le ki / Ki cocu » pour accepter la répression. Quant à C.P., il est en dehors, comme ensuite au moment de la prise de pouvoir en France par de Gaulle, « Mais que piges-tu de tout ça ? Peu voire nib ou couic » (89). On relève cependant à divers endroits sa présence, et la dernière partie ("Envoi"), la plus brève, s’ouvre sur une photographie récente (2015) ou l’on voit C.P. en short — en séance de gymnatique sur une plage ? courir vers la mer ? Le réel biographique s’insère dans une histoire familiale et, plus discrètement peut-être, dans la région natale, la Bretagne : le poème d’ouverture est un hommage à Éric Tabarly, un titre comprend le nom d’un camarade d’enfance, Auguste Delaune est évoqué (résistant dirigeant de la région Normandie-Bretagne, torturé à mort par les nazis), et l’on note au fil de la lecture un jeu de mots (« d’Armor à mort », 89), des mots en breton (« tad coz », = grand-père). Cependant ces éléments, comme d’autres, sont parties minuscules d’un ensemble.

   Ce qui est en premier plan, ce sont des événements qui ont modifié (modifient encore) la vie de populations entières, pas seulement celle de C.P. : le Front populaire, par exemple, avec les premiers départs en congés payés — sont rappelés les premiers mots d’une chanson de 1936, « Ma blonde entends-tu dans la ville [Siffler les fabriques et les trains /Allons au-devant de la bise, / Allons au-devant du matin] ». Bien d’autres bouleversements sont rappelés et mis en relation avec le présent ; le stalinisme, la fin de l’URSS, la chute du mur de Berlin en 1989 et presque immédiatement après cette chute « le flash de pub Camel s’épin / Gla(s) tonitruant et déblatérant chameau » (136) et c’est partout le triomphe de « l’Euro / Ligarchie financière », alors qu’est « crabouzillée contre les barrières de barbelés / Ou asphyxiée la viande syrienne en camion immigrée » (138). Ajoutons le camp d’Argelès où s’entassèrent les réfugiés espagnols qui, « survivants / Gelaient comme à Calais (Sangatte) on / Gèle » (61), la guerre d’Algérie ; etc. :Le point commun de nombreux événements, c’est qu’on y voit tout — choses, lieux, corps — en argent par le capitalisme triomphant et, il fallait s’y attendre, même Auschwitz devient un site touristique comme un autre.

   Et le sport ? Ce que conserve C.P. des événements sportifs passés illustre l’absence d’autonomie du sport. Dans l’Allemagne nazie des années 1930, les athlètes juifs n’existent plus en tant que tels, le footballeur hongrois Ferenc Puskás passe à l’Ouest après 1956, Emil Zatopek condamne l’intervention soviétique à Prague en 1968 et est exclu du Parti communiste, et. L’histoire d’autres sportifs, qui pourraient sembler guidée par des choix de l’individu, est tout autant liée au monde extérieur ; ainsi celle des sportifs qui se droguent, pour gagner, comme Lance Armstrong, ou que l’on oblige à prendre des stéroïdes anabolisants comme l’athlète de l’ancienne Allemagne de l’Est Marlies Göhr ; défilent Javier Sotomaros suspendu à vie pour drogue, Tom Simpson mort à la suite d’un dopage…

   Ironie tragique, le skipper Éric Tabarly meurt noyé, Roger Rivière reste paralysé après une chute, Marcel Cerdan disparaît dans un accident d’avion, Luis Ocana atteint d’un cancer se suicide. N’y a-t-il pas de figure heureuse ? C.P. retient celle du cycliste Gino Bartali qui portait des messages aux résistants et des faux papiers pour sauver des Juifs, celle des athlètes noirs américains Tommie Smith et John Carlos qui levèrent le poing (ganté de noir) quand l’hymne américain fut exécuté aux J. O. de 1968. Certes, quelques sportifs ont vécu à l’écart de la marchandisation généralisée, pourtant à partir de l’ensemble des morceaux choisis dans l’histoire des sports se construit une représentation d’un monde qui se défait. Qu’en tirer ?

Ah ! que ce soit boxe ou vélo ou art

Ça sert à quoi de s’bouger la graisse

(…) on finit

À serrer les dents sous le pissenlu

(« graisse » rime avec « détresse »…)

 

Lisons autrement. Dans cette représentation du monde viennent s’insérer d’autres éléments, notamment la littérature. Explicitement avec trois exemples : Pier Paolo Pasolini, assassiné, tapait le ballon ; Maïakovski par le biais de Yachine, gardien de but qui était quasiment son sosie, « car gapette prolo + mâchoires / Id + double mètre = ego ! ; les trois complices de C. P. dans la revue TXT (Éric Clémens, Jean-Pierre Verheggen, Jean-Luc Steinmetz — les trois poèmes se suivent. On relèvera également la parodie d’un vers de Baudelaire, à propos des anciens cyclistes (« leurs pompes de Géants les empêchaient de marcher », 148), la reprise d’un fragment du Bateau ivre (« l’Europe aux anciens parapets », l’allusion à une chanson de Boris Vian et à Beckett avec « en attendant Goddet » (nom du directeur du Tour de France à partir de 1936). On reconnaît encore avec une expression archaïque déformée (« vous en-t-il souvient (pour dire l’émotion) », 147) Le Lac de Lamartine (« Un soir, t’en souvient)il… »). Le cinéma est aussi présent (« Stan Laurel est mort les G.I. débarquent au Vietnam », 95), pas toujours directement (« Groucho Merckx », 94). Mais ce ne sont pas ces éléments qui apparaissent d’abord au lecteur, c’est une écriture qui rompt avec sa propre pratique et avec l’idée que l’on se fait de la poésie.

   Il faut un certain temps pour s’inventer sa lecture, et dresser la liste de ce qi déborde la norme aboutirait à un ensemble complexe. Sont mis à mal la syntaxe ()et la morphologie (l’héros, skon, endsous, xest, d’mo, etc. — ce qui ne surprend plus trop depuis Queneau), y compris avec la formation de néologismes chairdepoulé, tamtamant, on s’aplaventre), le plus souvent sous la forme de mots valises. Le vocabulaire emprunte au Moyen Âge (sadinet, bran), aux langues régionales et au français dit "populaire", et les langues étrangères sont abondamment sollicitées : elles ont pour fonction de défaire la lisibilité — quel lecteur pratique le japonais et le russe et la graphie gothique de l’allemand ? —, mais cette graphie signale aussi un moment particulier de l’histoire, tout comme l’introduction de l’italien est liée à certains personnages, comme Pasolini, l’anglais au capitalisme, etc. Les mots valises eux-mêmes ne sont que rarement des créations humoristiques : qu’on relise « camaorades » (21 pour évoquer un engagement politique, « septombe » (24) pour les Touts jumelles de New York, « l’huile hon / Tueuse » (43) pour la mort de Tom Simpson, « la réuni / Frication » (130) pour la réunion des deux Allemagne ; etc.

  1. P. privilégie les accords phoniques en tous genres, souvent dérangeants parce qu’ils sont proches de ce que l’on attribuerait à un potache, de « au rhum enrhume » (50) à « la mousse de sa moustache » (119), parce qu’ils donnent à voir le jeu de la langue (la langue a du jeu), avec l’introduction d’un calligramme « OO » (54) pour figurer des jumelles, avec la répétition de sons (« moite d’moi on mata », 148 ; « le pipi des pipettes », 150), etc., les onomatopées, l’usage d’éléments perturbateurs comme les sigles, les nombres, etc. Tout cela, on en conviendra, communément à l’écart de la poésie.

   On ne dira rien de la composition du livre, qu’explicite les titres de « I. Court » à « IV. Très long », ni de la versification avec la préférence de C. P. pour l’impair, le 11 syllabes (aussi vers de 9 et de 15) et son usage des ressources connues pour obtenir le nombre de syllabes voulu : « multiplicati-on » (83), e muet compté ou non — cette question demanderait une étude particulière. Ce qui importe, et ce sur quoi il faut insister, c’est que l’ensemble est porté par une singulière allégresse, qui me semble lisible dans l’autoportrait qui ouvre l’avant dernier poème :

Ex-cyclococo ex-maofooteux ex-pop’poète ex-

Épique opaque avant-gardiste ex-occupé par le sexe

 

Ex-(sous peu)tout dans ton âge sage ( ?) à peu de tifs plus d’os

Rhumatismeux vazy roule ce qui te reste de bosse

 

En touriste d’Europe aux anciens parapets (…)

 

Christian Prigent, Chino aime le sport, P.O.L, 2017, 176 p., 18 €.

Cette note a été publiée sur Sitaudis le  10 septembre 2017.

 

 

 

 

03/10/2017

Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie

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Littérature = affrontement catastrophique à l’innommable. 

 

Je pars de ceci qui concerne empiriquement TOUS les êtres parlants : qu’aucun des discours positifs (science, morale, idéologie, religion…) ne rend compte de l’expérience que nous faisons intimement, chacun pour notre compte, du monde (de la manière dont le réel nous affecte). Parce que le monde (le monde dit « extérieur » société, politique, histoire — et le monde « intérieur » — nos « cieux du dedans » — mémoire, inconscient, imaginaire) ne nous vient pas comme sens, mais comme confusion, affects ambivalents, jouissance et souffrance mêlées, chaos, fuite, polyphonie insensée.

 

Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie, L’Ollave, 2017, p. 22.

15/07/2017

Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie (2)

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[À propos de Météo des plages]

 

Avril 2009

 

Ce qui me reste d’un « savoir » ( ?) du spécifique ( ??) du « poétique » ( ???)

 

Le langage poétique travaille avec les dimensions « non-figuratives » de la langue (graphique de la lettre, rebonds du son, tonicité des rythmes, mesure mathématique des scansions, portée respiratoire du phrasé).

Il vise à ressembler (ou résumer) ,son énergie non pas en une image descriptive, mais en une sorte de chiffre blasonné (Diderot disait : de hiéroglyphe) des contenus qu’il invoque : tel est le « poème ».

Il ne se contente pas de « dire », mais il fait ce qu’il dit : la forme fait (le) sens (leçon de Ponge de Pour un Malherbe, dans la suite de Mallarmé).

Ce qu’il « représente » (le « réel » qu’il verbalise) n’est pas ce qu’il « figure » (scènes, corps, sites, émotions : « sujets »).

Il va toujours vers la source de la « poésie » en lui (et ce « retour amont » est précisément ce qu’en définitive il « représente »).

Ce faisant il pointe plus généralement la « cause » énigmatique de la poésie. Un poème est une tentative de répondre à la question pourquoi il y a « de la poésie » plutôt que rien.

Soit : ce qu’un poème représente (quel que soit par ailleurs le développement composé de son « sujet ») est la cause de la poésie: l’innommable que la poésie tente envers et contre tout de nommer.

 

Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie, L’Ollave, 2017, p. 58.

13/07/2017

Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie

 

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[à propos de Grand-mère Quéquette]

 

De quoi ça parle (ce livre, mes ivres en général) ? Du réel.

Je le redis, martèle, n’ai sûrement pas fini de le ressasser (il n’est pas sourd… — la pire des surdité étant sans doute ma propre incrédulité).

 

Je pars de ceci, qui concerne empiriquement tous les êtres parlants : qu’aucun des discours positifs (science, morale, idéologie, religion…) ne rend compte de l’expérience que nous faisons intimement, chacun pour notre compte, du monde (de la manière dont le réel nous affecte). Parce que le monde (le monde « extérieur » — société, politique, histoire — et le monde « intérieur » — nos « cieux du dedans » : mémoire, inconscient, imaginaire) ne nous vient pas comme sens, mais comme confusion, affects ambivalents, jouissance et souffrance mêlées, chaque fois polyphonie insensée.

 

Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie, L’Ollave, 2017, p. 21.

22/06/2017

Christian Prigent, Chino aime le sport ; colloque Prigent : Trou(v)er sa langue

 

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              Passion de Tom Simpson   

 

                Première station

 

Aux mines de Durham County (Haswell)

Le fils au Père a trouvé une sale mine

De pea soup bye be il se fait la belle :

À bécane on bronze mieux sa bobine.

 

                   Deuxième station

 

Débarque à Saint-Brieuc très maigre au COB

Le Baptiste est Papa Leroux il l’oint :

« Le pif pointu dur rosbif ira loin »

Jubile le coach le cul sur sa mob

 

                     Troisième station

 

Dans les campagnes d’Armorique Tom

Roule sur les eaux et derrière : aux pommes

Les Barrabas locaux ! au Tour ça biche :

Simpson premier Maillot jaune british !

[…]

 

Christian Prigent, Chino aime le sport, P.O.L,

2017, p. 42-43.

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Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue 


Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue. Avec des inédits de Christian Prigent (Actes du Colloque international de Cerisy), Paris, Hermann, collection "Littérature", mai 2017, 556 pages, 34 €,

                                                     Présentation

Depuis 1969 où il fait paraître son premier livre, La Belle Journée, Christian Prigent s’est fait un nom si bien que, quelques soixante deux livres plus tard et deux cents textes publiés hors volume, il est maintenant reconnu comme l’une des voix majeures de la création littéraire (notamment poétique) contemporaine des quarante dernières années. Aucun colloque ne lui avait été consacré en propre jusqu’à celui organisé en 2014 au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle. Ce volume a réparé ce manque et constitue par ce fait même un ouvrage totalement original et immédiatement charnière pour l’approche de ce créateur.

Ouvrage charnière, en effet, car animé par un double objectif. Il s’agissait d’abord, en 

rassemblant les meilleurs spécialistes de cet écrivain, de dresser une premier bilan sur les recherches déjà engagées, surtout à partir des années 1985-1990, et portant surquarante-cinq ans d’écriture, que la réflexion ait concerné Christian Prigent en tant qu’auteur d’une œuvre personnelle protéiforme expérimentant tous les domaines (poésie, essai, roman, théâtre, entretien, traduction, chronique journalistique, lecture de ses textes) et dont il a su déplacer les frontières, mais aussi en tant que revuiste passionnée, lié à un grand nombre de livraisons poétiques, théoriques, artistiques, et ayant lui-même co-fondé la revue d’avant-garde TXT (1969-1993), avec la volonté de démarquer un espace éditorial différentiel par rapport à Tel Quel. Le fil conducteur de la langue, tant ouvertement réfléchie par l’écrivain dans ses essais ou ses fictions, récits et poèmes, s’imposait. L’autre objectif était d’ouvrir de nouveaux champs de recherche et d’infléchir vers des nouvelles directions une réception qui jusqu’à présent était restée trop soumise à la force de théorisation auctoriale de Prigent et dont il n’est pas si facile de s’émanciper, tant les formulations sont solides – on pense au prisme des lectures maoïsto-lacano-Bakhtiniennes très développées par l’auteur dans ses essais réflexifs, en particulier d’avant 1990, et dont il s’émancipe lui-même progressivement depuis quelques années.

Ouvrage original donc : par la première collection aussi importante d’études consacrées l’auteur.

Mais ouvrage original aussi par sa facture plurivocale délibérée. En effet, les interventions d’écrivains – de l’auteur même et de ses amis de TXT présents au colloque – dialoguent avec les entretiens d’artistes (acteurs, cinéaste, peintre) et avec les interventions de journalistes et d’universitaires français et étrangers du monde entier (États-Unis, Japon, Brésil notamment), tous spécialistes du champ littéraire extrême contemporain, commentateurs de longue date de Christian Prigent ou voix critiques plus récents. Les genres sont mêlés (inédits d’écrivains, entretiens, essais et communications universitaires) comme les supports (textes, dessins, photogrammes) à l’image de la convivialité et de la mixité qui a été celle du colloque et qui transparaît à l’état vif, en particulier dans les « entretiens ».

 

Enfin cet ouvrage se distingue par l’implication forte de Christian Prigent, présent durant tout le colloque et à nouveau ici par les archives, textes et dessins inédits donnés en première publication.

 

                                 Table des matières

 

Avant-propos, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel

Bénédicte GORRILLOT : Pour ouvrir

Chapitre I Chanter en charabias (ou trou-vailler la faiblesse des formes)

Laurent FOURCAUT : Dum pendet filius : Peloter la langue pour se la farcir maternelle

Jean RENAUD : La matière syllabique

Tristan HORDÉ : Christian Prigent et le vers sens dessus dessous

Bénédicte GORRILLOT, Christian PRIGENT : Prigent/ Martial : trou(v)er le traduire

Marcelo JACQUES DE MORAES : Trou(v)er sa langue par la langue de l’autre : en traduisant Christian Prigent en brésilien

Jean-Pierre BOBILLOT : La « voix-de-l’écrit » : une spécificité médiopoétique ou Comment (de) la langu’ se colletant à/avec du réel trou(v)e à se manifester dans un mo(t)ment de réalité

Chapitre II. L'Affrontement au réel "des langues-en-corps"

Fabrice THUMEREL : Réel : point Prigent. (Le réalisme critique dans la « matière de Bretagne »)

Philippe BOUTIBONNES : Et hop ! Une, deux, trois, d’autres et toutes

Philippe MET : Porno-Prigent, ou la langue à la chatte

Jean-Claude PINSON : Éros cosmicomique

Éric CLÉMENS : La danse des morts du conteur

Chapitre III. "Le Bâti des langues" traversées


Dominique BRANCHER : Dégeler Rabelais. Mouches à viande, mouches à langue

Chantal LAPEYRE-DESMAISON : Ratages et merveilles : le geste baroque de Christian Prigent

Hugues MARCHAL : Une sente sinueuse et ardue : les sciences dans Les Enfances Chino

Éric AVOCAT : La démocratie poétique de Christian Prigent. Tumultes et mouvements divers à l’assemblée des mots

Nathalie QUINTANE : Prigent/Bataille et la « génération de 90 »

Olivier PENOT-LACASSAGNE : La fiction de la littérature

David CHRISTOFFEL : Les popottes à Cricri

Chapitre IV. De TXT à l’archive : l’interlocution contemporaine des langues-Prigent

Jean-Pierre VERHEGGEN : Le bien touillé (extraits de lettres de Christian Prigent à Jean-Pierre Verheggen, 1969/1989)    

Jacques DEMARCQ : « Prigentation d’Œuf-glotte »

Alain FRONTIER : Comment j’ai connu Christian Prigent

Christophe KANTCHEFF : Le trou de la critique. Sur la réception de l’œuvre de Christian Prigent dans la presse   

Typhaine GARNIER : L’écrivain aux archives ou le souci des traces

Jean-Marc BOURG, ÉRIC CLÉMENS : Comment parler le Prigent ?

Vanda BENES, Éric CLÉMENS : Pierrot mutin

Ginette LAVIGNE, Élisabeth CARDONNE-ARLYCK : Sur La Belle Journée

Christian Prigent : Journal. Décembre 2013/janvier 2014 (extraits)

Postface : fin des « actions » ?, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel

Bibliographie générale

Les auteurs

Table des illustrations

 

 

 

 

12/06/2017

Christian Prigent, Chino aime le sport

           

christian prigent,chino aime le sport,avant-garde,touriste,europe,saccage

         Zakopane et ses environs

                           (balade)

 

Ex cyclococo ex-maofooteux ex-pop’poète ex-

Épique opaque avant-gardiste ex-occupé par le sexe

 

Ex-(sous peu) tout dans ton âge sage ( ?) à peu de tifs plus d’os

Rhumatismeux vazy roule ce qui te reste de bosse

 

En touriste d’Europe aux anciens parapets politiques

Chu avec chouïa routard de « lutte/réforme/critique !) »

 

Et de Prague à neuf recolorée rococo carapate

En Mitteleuropa jusqu’aux queues de Tatras des Carpates

 

Brno >Slavkov (Austerlitz, sans soleil) > Ostrava (Moravie)

Vers l’éventrée si saccagée par l’industrie Silésie

 

[…]

 

Christian Prigent, Chino aime le sport, P. O. L, 2017, p. 133.

17/10/2016

Reinhard Priessnitz (1946-1985), 44 poèmes

 

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triste pompon

 

nombre de nuages noirs sombrent ici

ils sont si nombreux et si seuls

que même dans la pénombre

ça ne pourrait pas être plus sombre

qu’en moi en mon club solitaire

et mes pieds et mes mains

 

ils m’assombrissent en soufflant en souffrance

sur ma table de maquillage un nuage noir

avec une frange flottanttant au vent

 

nombre de nuages noirs sombrent ici

qu’en souffrance je sombre je suis à l’é3

toi le nuage de mon pompon en berne

 

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, éditions bilingue,

traduction Alain Jadot, préface Christian Prigent,

NOUS, 2015, p. 89.