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05/09/2014

Vitezslav Nezval, Prague aux doigts de pluie, et autres poèmes

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                                           Nezval en 1919

 

Maïakovski à Prague

 

 

Entre les coiffeurs et les popes

Un athlète agile comme une antilope

Ses jeux préférés c'étaient

Les vers et le revolver à tambour

Qui veut de la vodka qui se bouche les intestins

Gauche gauche gauche

 

Quand Maïakovski vint à Prague

J'étais dans un théâtre au vestiaire

Haut-de-forme de maître de poste

Qu'il est impossible d'enlever

 

C'était futuriste

Comme nos vies brèves

Et comme ce passant superbe

Qui boirait de la jambe gauche

 

Il avait l'air trop sérieux pour un poète

Il était trop empâté pour une grenouille

Ah tout ce qui serait arrivé

Si la veste et la fiancée étaient de la même cuvée

 

C'était de la honte

Que naît la haine

Comme les éléphants il dédaignait toute chose

Plus le ciel est lointain plus il est monotone

 

Surtout dans les bars

Où n'importe qui admire le charlatan

Il l'avait vu danser à Harlem

Il aimait les palmiers autant que les pommes de terre

 

Des volets

Et Maïakovski est mort

Lui qui pleurait dès qu'il était seul

Tu connais cela et moi aussi je connais cela

 

Comme nous aimons Prague

Chaque fois qu'il venait quelqu'un de là-bas

Les tavernes et les ménages bouleversés

Et la Voltava tout à coup séduisante

Comme une baigneuse

 

Nous nous éloignons dans la nuit

À l'angle d'une rue Maïakovski agite son chapeau

Tu te jettes tête baissée

Dans des vers indéfinissables comme la nuit

 

Et Prague est de nouveau vivante

Le charme des blondes de la petite charcuterie

Comme les ouvrières sont belles

Et nous ne le savions pas

 

Tu marches et tu parles

Les perspectives défilent

Belles et usées

Comme ton manteau marron

 

Je connais dans les faubourgs un immeuble

Auquel il ressemble

Comme la poésie à la réalité

Et comme la réalité à la poésie sa demi-sœur

 

Vitezslav Nezval,  Prague aux doigts de pluie, et autres poèmes

(1919-1955), traduit du tchèque par François Kérel,

Préface de Philippe Soupault, Les  Éditeurs Français

Réunis, 1960, p. 63-64.

04/09/2014

Georges Bataille, Poèmes, dans Œuvres complètes, IV

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Le loup soupire…

 

Le loup soupire tendrement

dormez la belle châtelaine

le loup pleurait comme un enfant

jamais vous ne saurez ma peine

le loup pleurait comme un enfant

 

La belle a ri de son amant

le vent gémit dans un grand chêne

le loup est mort pleurant le sang

ses os séchèrent dans la plaine

le loup est mort pleurant le sang.

 

 

La Marseillaise de l’amour

 

Deux amants chantent la Marseillaise

deux baisers sanglants leur mordent le cœur

les chevaux ventre à terre

les cavaliers morts

village abandonné

l’enfant pleure

dans la nuit interminable

 

                         Georges Bataille, Poèmes, dans Œuvres complètes, IV,

                         Œuvres littéraires posthumes, Gallimard, 1971, p. 27 et 35.

03/09/2014

Joseph Joubert, Carnets, I (suite)

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On entend dans leurs paroles le tintement de leurs cerveaux.

 

Il faut avouer ses ténèbres.

 

Aux médiocres il faut des livres médiocres.

 

Évitez d'acheter un livre fermé.

 

Mépriser la vie et la mort.

 

Modèles. — Il n'y a plus de modèles.

 

Dans les festins, il suffit d'être joyeux pour être aimable.

 

Chercher la sagesse plutôt que la vérité. Elle est plus à notre portée.

 

Un rêve est la moitié d'une réalité.

 

Sexes. L'un a l'air d'une laie et l'autre d'un écorché.

 

Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994 (1938), p. 149, 172, 172, 183, 192, 192, 195, 197, 218, 228.

02/09/2014

Joseph Joubert, Carnets

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Sur nos chaises européennes, l'homme paraît uniquement propre à remuer la langue comme si sa seule destination était de parler.

 

Le seul moyen d'avoir des amis, c'est de tout jeter par les fenêtres, de n'enfermer rien et de ne jamais savoir où l'on couchera le soir.

Il y a, me direz-vous, peu de gens assez faits pour prendre ce parti. Eh qu'ils ne se plaignent donc pas s'ils n'ont pas d'amis, ils n'en veulent pas.

 

Nous avons reçu le monde comme un héritage qu'il n'est permis à aucun de nous de détériorer, mais que chaque génération au contraire est obligée de laisser meilleur à sa postérité.

 

On n'aime qu'une fois, disent les chansons ; c'est-à-dire qu'il n'y a qu'un seul âge qui soit véritablement propre à l'amour.

 

[...] tout sentiment religieux est un sentiment servile et quiconque s'agenouille devant Dieu se façonne à se prosterner devant un roi.

 

On ne tolèrera aucune intolérance.

 

Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994 (1938), p. 72, 75, 91, 110, 119, 132.

 

01/09/2014

Pascal Commère, Des laines qui éclairent

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Songe du petit cheval déplacé en terre franque

 

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Qu'odeur surie ! Tous pets ardents en la chambre mobile,

l'abominable braiment de qui croyait

se libérer du monde contraint. Frères de peines — et si la joie

mauvais soleil à partager chaque matin, titubant

balai de feuilles en mains, jour mouillé. Comme d'autres portaient

treillis de bronze rangers délacées,

frappant du sabot le gravier lâche, renâclant

à saluer les néfastes couleurs. Sans fierté

de par la quartier abêti, minaudant en salle des gardes. Et

la relève tarde encore,

pour séduire sur l'autel poisseux déesse Kronenbourg.

Dépenaillé, la gorge au vent — mauvais quart d'heure

pour les mâchoires, tous mots de travers, la partition flottante

contre le buisson d'or gris. Où passait, fanfaronne

l'ombre d'un régiment fantôme : bais et alezans, vieux rouans

rougis sur la sciure défaite — boulets atteints, la gourme

au mors en ses canons d'acier. Et ganaches verdies !

 

Pascal Commère, Des laines qui éclairent, Obsidiane & Le temps qu'il fait, 2012, p. 305.

31/08/2014

Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction Auxeméry

 

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                                 Midrush

 

 

               Œuvres parmi

               les morts     pour cerner

 

               le flot vivant des

 

espoirs envolés                             couronnes illuminées,

après avoir rejoint les couples     toasts,

tremblant de peur                       clignotement des lampe

dans une arche goudronnée.       autour des portes et des maisons.

 

               Impossible de

               donner aux détails

               assez de

               foi, assez de force

               pour ce qui est

               affirmation

 

cercles, pustules, charivari          cercle jardin surveillé

varicelle l'Doc i'dit sale               mourant sombrant et même

maladie avec assez de fil pour    plat, vu les derniers com-

faire grincer une lyre acide         promis

« des jours »                                 « de vert »

 

[...]

 

Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction de l'anglais et présentation par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 57.

30/08/2014

Sylvia Plath, Ariel, traduction de Valérie Rouzeau

 

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                      Mort & Cie

 

Deux, bien sûr, ils sont deux.

Ça paraît tout à fait évident maintenant —

Il y a celui qui ne lève jamais la tête,

L’œil comme une œuvre de Blake,

Et affiche

 

Les taches de naissance qui sont sa marque de fabrique —

La cicatrice d’eau bouillante,

Le nu

Vert-de-gris du condor.

Je suis un morceau de viande rouge. Son bec

 

Claque à côté : ce n’est pas cette fois qu’il m’aura.

Il me dit que je ne sais pas photographier.

Il me dit que les bébés sont tellement

Mignons à voir dans leur glacière

D’hôpital : une simple

 

Collerette,

Et leur habit funèbre

Aux cannelures helléniques,

Et leurs deux petits pieds.

Il ne sourit pas, il ne fume pas.

L’autre si,

Avec sa longue chevelure trompeuse.

Salaud

Qui masturbe un rayon lumineux,

Qui veut qu’on l’aime à tout prix.

 

Je ne bronche pas.

Le givre crée une fleur,

La rosée une étoile,

La cloche funèbre,

La cloche funèbre.

 

Quelqu’un quelque part est foutu.

 

                Sylvia Plath, Ariel, présentation et traduction

                de Valérie Rouzeau, Poésie / Gallimard, 2011,

                 p. 45-46.

 

 

        Death & CO.

 

Two, of course they are two.

It seems perfectly natural now —

The one who never looks up, whose eyes are lidded

And balled, like Blake’s,

Who exhibits

 

The birthmarks that are his trademark —

The scald scar of water,

The nude

Verdigris of the condor.

I am red meat. His beak

 

Claps sidewise : I am not his yet.

He tells me how badly I photograph

He tells me how sweet

The babies look in their hospital

Icebox, a simple

 

Frill at the neck,

Then the flutings of their Ionian

Death-gowns,

Then two little feet.

He does not smile or smoke.

 

 

The other does that,

His hair long and plausive.

Bastard

Masturbating a glitter,

He wants to be loved.

 

 

I do not stir,

 

The frost makes a flower,

 

The dew makes a star,

 

The dead bell,

 

The dead bell.

 

 

Somebody’s done for.

 

                  Sylvia Plath, Ariel, Faber and Faber, London,

                  1988 [1965 by Ted Hughes], p. 38-39.

29/08/2014

Franco Loi, Cinq poèmes

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Moi j'embrasse le temps, et lui il m'emmène,

c'est comme ça que fait le vent quand il te respire

et on croit respirer de son souffle à lui.

Maudite conscience de l'histoire,

air des gens morts dans le rêve,

mensonge qui te fait croire que ce serait la vie

et c'est ce rien là qui passe dans la mémoire,

patience ennemie du temps,

buée sans regarder du souffle sur le miroir.

Oh lumière déjà ombre quand nous la voyons,

douleur de l'être pareille à l'air qui se connaît.

Moi je regarde et ne regarde pas, je tâte le silence,

reflet du rien qui depuis le rien fait écouter.

 

Franco Loi, Cinq poèmes, traduit du milanais avec l'aide de l'auteur par Bruna Zanchi et Bernard Vargaftig, dans Europe, janvier-février 2002, n° 873-874, p. 281.

28/08/2014

Walter Benjamin, La lune

                         

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                                    La lune

 

   La lumière qui coule de la lune n'éclaire pas le théâtre de notre existence diurne. Le périmètre baigné par sa lueur égarante semble appartenir à une contre-terre ou à une terre seconde. Ce n'est pas celle que la lune suit comme son satellite, c'est une terre à son tour transformée en satellite de la lune. Son vaste sein, dont la respiration était le temps, ne se soulève plus ; la création est enfin rentrée chez elle, et peut remettre le voile de veuve que le jour lui avait arraché. C'est ce que me donnait à comprendre le rayon blafard qui se glissait vers moi à travers les lames de la jalousie Mon sommeil était agité, découpé par l'arrivée et le départ de la lune. Quand elle était là et que je me réveillais, je me trouvais expulsé de ma chambre, qui ne semblait vouloir héberger personne d'autre qu'elle. La première chose sur laquelle tombaient alors mes yeux, c'étaient les deux cuvettes couleur crème de ma vaisselle de toilette. Pendant la journée, je n'aurais jamais songé à m'y attarder. Mais à la lumière de la lune, la bande bleue qui courait à la partie supérieure des cuvettes était une offense. Elle imitait un ruban de tissu bleu glissé à travers un ourlet. Et de fait, le bord des cuvettes était plissé comme une collerette. Entre les deux cuvettes se trouvaient de lourds brocs de la même porcelaine, portant le même motif floral. Ils s'entrechoquaient quand je quittais mon lit, et leur tintement se propageait sue le plateau de marbre de la table de toilette, se communiquait aux bols et aux godets. Quoique je me réjouisse de surprendre dans mon environnement nocturne un signe de vie — et ne fût-ce que l'écho de la mienne propre —, celui-ci n'avait rien de fiable et en ami déloyal attendait de me duper. [...]

 

Walter Benjamin, La lune, traduit de l'allemand par Pierre Rusch, dans Europe, "Walter Benjamin", avril 2013, n° 1008, p. 9-10.

27/08/2014

Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin

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                           Fraisier

 

On ne joue pas avec la fraise. C'est un mot d'incandescence une cavité plaine.

 

On se dit de la fraise sans s'y afficher. À peine la finale rappelle-t-elle qu'on y est. Qu'on s'y fraie en sujet. Avec bonheur au vu du zézaiement qui pousse à l'écholalie.

 

On se rêve en la fraise akène grave glissé à l'infini des braises.

 

                                *

 

S'adonner de nouveau à la fraise aller

au mot point d'avidité avoir

raison de ses bordures

 

S'en tenir aux fièvres de sa forme

— on frise encore le fruit —sans

déranger la fleur

— on apaise ses craintes abrège sa perte

 

S'ouvrir à ses fragrances

aux graines de ses fuites

quand les stolons répandent

un jardin des errances

 

Composer avec elle prendre ses aises

demeurer enfin en sujet

dans l'éclat de son temps

 

Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin, Tarabuste, 2014, p. 17-18.

26/08/2014

Antonio Rodriguez, Pulsion fission

 

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                       Pulsion fission

 

tout n'est pas perdu, même si les noyaux éclatent, même si les particules se percutent, même si c'est l'âge de la fission, l'époque des amours sensibles, l'époque des amours déçues, avec des déçus qui résistent et des déçus qui s'évadent, et tous se percutent ; nous y sommes, je crois, nous comme les autres, sensibles et déçus dans cette fission, à nous percuter lentement dans l'espace restreint de notre cuisine, dans l'espace restreint de la salle de bains, avec des meubles lourds qui nous regardent, avec des objets ébahis qui nous questionnent, nous et nos meubles qui nous regardent, tandis que nous rêvons de nous assembler autrement, d'échanger encore des fluides, de suinter délicatement, sans ces meubles, sans leur regard lourd ; est-elle restée la même, merveilleuse qui s'oublie parfois, douce et bestiale ? est-elle restée la même, avec sa part de sucre entre les jambes ?

 

Antonio Rodriguez, dans L'étrangère, n° 35-36, 2014, p. 183.

25/08/2014

James Sacré, On cherche. On se demande

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Entre les vergers de Capitol Reef

(Bientôt la couleur des abricots va mûrir)

Et les dessins d'il y a si longs siècles

Sur les parois de roche ocre et rouge, pas loin

Va le bruit courant de la rivière Frémont.

 

C'est beaucoup d'histoire, mêlée au moment présent,

Qui font de ce lieu vert et frémissant d'eau

Un jardin paradis dans un désert de pierre

Lequel bouge si lentement depuis des millénaires.

Et mon poème est minuscule paradis de mots

Qui savent : écrits, les voilà morts.

 

                                   *

 

Petits objets qu'on achète ou qu'on ramasse

Ce pourrait être un caillou, ici à Capitol Reef, un caillou noir                                    [volcanique

Dans un éboulis, et tout le grand théâtre de roches rouges autour,

Le vert lumineux des jeunes feuillages de peupliers, les dessins

Que les anciens ont laissés sur la plaque de grès tendre, parfois

Tout un pan de pierre tombe et c'est

Quelques mille ans de vie qui s'effondrent :

D'autres cailloux qu'on pourra ramasser, je pense

À des poèmes de Jean Follain dans lesquels l'éternité s'ouvre

À partir de rien, le bruit d'une épingle

Sur un comptoir d'épicerie. Le bruit du monde

Ou le bruit d'un mot. Poème effondré va-t-il pas se reprendre

À partir d'un rien juste à peine donné

Dans le clair d'une après-midi à Capitol Reef ?

Ce caillou qui n'était

Qu'un rêve autour d'un mot.

 

James Sacré, On cherche. On se demande, La Porte, 2014, np.

24/08/2014

Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis

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Je me regarde sans cesse dans les reflets des vitrines, je me surveille. Toujours cette peur de me perdre.

 

On court, on s'agite, rien que pour faire croire que l'on connaît la sortie.

 

Sous ces traits, ce visage à jamais tourné vers lui-même que seuls les murs savent refléter.

 

Bouge un tant soit peu,

et c'est un monde qui s'efface.

 

Ce besoin de toujours traîner un corps dans ses rêves.

 

Tu regardes l'espace : tu penses aux oiseaux. Et lorsque tu t'agites ce ne sont que tes membres que tu agites.

 

Chaque matin, une force bestiale me pousse à revenir, à émerger.

 

C'est terrifiant de penser que l'on peut emporter le monde, juste en fermant les yeux.

 

Que veut-on tuer lorsqu'on se tue ?

 

Ce sont nos vêtements qui nous donnent corps — sans ça tout s'effondrerait.

 

Pourquoi faudrait-il qu'on soit sauvé et pas ce chat, ce cendrier... ?

 

Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis, éditons Unes, 2014, p. 14, 15, 16, 19, 20, 21, 23, 24, 27, 31, 35.

23/08/2014

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons

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         « Encore une fois »

 

Derrière la porte il ne respire qu'à moitié

Si elle entre rien ne s'arrête

Ne s'oppose

 

À celle qui s'approche elle est vraie

 

Maintenant on peut s'ouvrir en deux

Les lèvres pas toutes seules

De toute sa figure il y va

Elle recule

 

Contre l'armoire l'accent, figée de désir

Pas froid chérie

Il faut poser sa robe

 

        « Je vais au jardin »

 

Elle ouvre la main même s'il ne comprend pas

Être visible,

Est-ce se montrer ?

 

À un endroit, un cri de couleur

Le forsythia, se montre

 

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser, Le Castor Astral, 2012, p.

22/08/2014

H[ilda] D[oolittle] Trilogie

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              Hommage aux anges

           

                            [1]

 

Hermès Trismégiste

est le patron des alchimistes ;

 

sa province est la pensée,

inventive, rusée et curieuse ;

 

son métal est le vif-argent,

ses clients, orateurs, voleurs et poètes ;

 

vole doc, ô orateur,

pille, ô poète,

 

prends ce que la vieille-église

trouva dans la tombe de Mithra,

 

bougie et écriture et cloche,

prends ce sur quoi la nouvelle-église a craché

 

et qu'elle a détruit et cassé ;

ramasse les fragments de verre brisé

 

et de ton feu et de ton haleine,

fais fondre et intègre ;

 

ré-invoque, re-crée

l'opale, l'onyx, l'obsidienne,

 

à présent éparpillés en tessons

que foulent les humains.

 

                             [II]

 

Tes murs ne tombent pas, dit-il,

parce que tes murs sont de jaspe ;

 

mais pas carrée, ai-je pensé,

une autre forme (octaèdre ?)

 

glissa à la place

réservée par règle et rite

 

pour les douze fondements,

pour le verre tréluisant,

 

car elle n'a que faire du soleil

ni  de la lune pour luire ;

 

car la vision comme nous la voyons

ou l'avons vue ou l'avons imaginée

 

ou autrefois invoquée

ou conjurée ou l'avions conjurée

 

par un autre a été usurpée ;

j'ai vu la forme

 

qui aurait pu être de jaspe,

mais elle n'était pas carrée.

 

H[ilda] D[oolittle] Trilogie, traduit par Bernard

Hoepffner, éditions Corti, 2011, p. 57-58