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08/10/2015

Bernard Noël, Poèmes, I, espace pour ombre

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espace pour ombre

 

espace

de quelle eau lente

fait

un sourire s’épuise

trop devenu sourire

tu

déchires la glace

et

la surface tombe

 

           *

 

qui parle

si le temps est désert

si ta place gelée

on

pose un souvenir

la nuit écume

le corps se fend

 

hier

comme une pierre au fond de l’eau

 

              *

 

regard

de quel regard tombé

cette durée t’exile

l’amour te traverse

et

l’intouchable

 

la vitre refuse l’ongle

le miroir boit le visage

 

le rire même

s’éparpille cassé

 

[...]

 

Bernard Noël, Poèmes I, Textes / Flammarion,

1983, p. 139-141.

07/10/2015

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie

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Dans les yeux de la nuit

 

Une femme s’endort sur un toit c’est la nuit

Abandonnée antique au péril du vertige

Aux traîtrises rêveuses des gestes du sommeil

Songeuse ensevelie en glissades mortelles

Sur le haut toit déserte glace tendue face à l’espace

Sur le zinc oxydé de vieux soleil tueur

Et de lune ancienne empoisonneuse en larmes

La grande somnambule y crie de tous ses ongles

De ses doigts déments naissent des diamants crissants

Et des gouttes de sang qui chantent en dansant

La danse en perles du mercure

Vers la femme qui dort sur le monstre du vide

Une cheminée fume un nuage en haillons

Dans la soie noire de la suie le vent des nuits

Dresse une tente errante

Creuse l’antre céleste nomade

Pour l’adoration des yeux prodigieux

De la femme endormie aux paupières battantes

Ses trop longs cils vibrants émeuvent les rayons

Des étoiles rétractiles

C’est la nuit la dormeuse un œil clos l’autre ouvert

Tout le monde à jour contre ce qu’elle voit .

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie,

édition établie par Jean Bollery, Gallimard, 1977, p. 74.

06/10/2015

André Frénaud, Hæres — et : La fin de La Quinzaine littéraire ?

 

Trouvé dans l’héritage

 

Initiales

entrelacées

devenues anonymes

sur les draps du lit

d’un défunt amour

 

Lieu commun

 

Le champ-les-vaches, la vie-la-mort... À la gaieté !

 

André Frénaud, Hæres, Gallimard,

1982, p. 153, 168.

 

Communiqué

La fin de la Quinzaine littéraire ?

Le jeudi 1er octobre, le numéro à venir de La Nouvelle Quinzaine littéraire, journal fondé par Maurice Nadeau en 1966, a été préparé sans la participation de la direction éditoriale, sans que celle-ci soit informée ni du lieu de sa réalisation, ni des textes censés le composer.

Cela fait suite à une succession d’événements qui ont fait exploser la structure du journal. La gérante de la société de la NQL et directrice de la publication, Patricia De Pas, a en quelques jours :

  • -  annoncé une restructuration globale du journal et de ses orientations éditoriales ;

  • -  évincé la direction éditoriale formée de Jean Lacoste, Pierre Pachet et Tiphaine

    Samoyault qui avaient été cooptés par l’ensemble des collaborateurs du journal à la mort de Maurice Nadeau en 2013 ;

  • -  annoncé un déménagement imminent (qui n’a de fait pas encore eu lieu) pour imposer des réunions dans des locaux dépendant de l’Université Paris II Assas 

  • -  mis fin par mail à sa collaboration avec Hugo Pradelle, qui représentait La Nouvelle Quinzaine littéraire à l’extérieur et qui était l’un des seuls postes rémunérés du journal.

    Les collaborateurs, réunis en assemblée le 30 septembre, ont fait part à Patricia De Pas de leur inquiétude face à la rapidité et à la violence de ces changements, ont posé des questions sur les nouvelles orientations du journal et ont marqué leur scepticisme face à un projet préparé sans concertation et dans la précipitation. Ils ont réaffirmé leur soutien à la direction collégiale qu’ils ont choisie.

    Patricia De Pas, en 2013, avait repris les actifs de la société en faillite de la Quinzaine littéraire. Elle avait pu fonder une nouvelle société dont elle est l’actionnaire majoritaire et dont l’actionnaire minoritaire est la Société représentant les lecteurs ayant répondu à l’appel lancé par Maurice Nadeau juste avant sa mort pour sauver le journal.

    Pendant deux ans, Patricia De Pas s’est occupée de la gestion administrative et commerciale de la NQL, qui continuait à être entièrement réalisée par les collaborateurs et la direction éditoriale (tous bénévoles). Elle a marqué depuis quelques jours son intention d’intervenir personnellement dans la ligne éditoriale et les contenus du journal.

    La grande majorité des collaborateurs s’apprête à réagir collectivement, moins contre ces projets qui pourraient être discutés, que contre des procédés qui rompent avec les pratiques de collaboration amicale qui les ont réunis autour de Maurice Nadeau au long des années, et avec les promesses de gestion transparente et de respect des règles de droit que Patricia De Pas avait elle-même avancées.

    Tiphaine Samoyault, Pierre Pachet, Jean Lacoste

04/10/2015

Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes

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A quiconque sombre, tu diras que cela, debout désormais —

A échoué comme Eux — et conscient qu’il se relevait —

Poussé par le Fait, et non par la Compréhension

Que la Faiblesse s’est dissipée — ou la Force — levée —

 

Dis-leur que le Pire, est facile dans l’Instant —

L’Effroi, n’est que le Sifflement, avant la Balle —

Quand la balle entre, entre le Silence —

Mourir — annule le pouvoir de tuer —

 

 

If any sink, assure that this, now standing —

Failed like Themselves — and conscious that it rose —

Grew by the Fact, and not the Undersatnding

How Weakness passed — or Force — arose —

 

Tell that the Worst, is easy in a Moment —

Dread, but the Whizzing, before the Ball —

When the Ball enters, enters Silence —

Dying — annuls the power to kill —

 

Emily Dickinson,  Nous ne jouons pas sur les tombes, traduction de l’américain par François Heusbourg, éditions Unes, 2015, p. 71 et 70.

03/10/2015

André Frénaud, Hæres,

André Frénaud, Hæres, sur la route, automne, nuages, lumière

 

             Sur la route

 

Douce détresse de l’automne,

des abois très lointains,

une échauffourée de nuages, comme un remuement

de souvenirs qui se cachent.

Et la lisière des peupliers pour donner figure

à la lumière qui va venir.

 

André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 91.

01/10/2015

Sereine Berlottier, Louis sous la terre

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[..] Où tu embarques, comment tu débarques, qui te rejoint, combien de temps cela dure, ce qu’il y a dans tes caisses, tes vêtements, tes livres, ton violon, quelques photographies de famille, des partitions, plusieurs albums d’images, un chapeau, des cahiers, quelques lettres, plusieurs cravates, du linge fin, pas grand-chose donc, quelques uniques brodées que ta mère a voulu offrir à ta future épouse, des bijoux, une montre ancienne, des gouttes contre les maux d’estomac, des crayons, une boite de pastels, un compas, des comprimés contre le mal de gorge, des mouchoirs, un guide Baedeker, un dictionnaire, une série de cartes postales de Morges, quelques dessins, plusieurs gommes, de l’encre de Chine, une malle ou plusieurs, comment savoir, si tu es seul, si tu dors, si tu veilles sur le grand bateau, si tu regardes les vagues, le soleil, les oiseaux, si tu respires le vent, on ne sait pas non plus s’il y a une salle de bains, si l’on s’embrasse parfois, si tu as peur, si tu te promènes sur le pont la nuit, si tu laces des vœux dans le ciel, si tu parles à des inconnus, et pour la mer, de quelle manière, ni que les mots qui te viendraient pour la peindre, et si tu peins, si tu dessines cela nous échappe aussi, ou si tu comptes les heures, les jours, si tu penses au déluge, si tu regrettes, si tu crie en dormant, si tu regardes le corps nu de M, si tu comptes les canots de sauvetage, si tu penses déjà au retour, si tu as soif , si ton corps est trempé de sueur, si tu bois des alcools trop forts, si tu oublies parfois de manger, si tu regardes les ciels, si tu les dessines avec répugnance, avec ennui, avec application, s’il t’arrive de songer à une œuvre entièrement nuageuse, une œuvre dépourvue de visages, dédiée au vent, à l’efficacité, au disparu, qu’un oiseau froisserait d’une aile vivante.

 

Sereine Berlottier, Louis sous la terre, Argol, 2015, p. 22-24.

30/09/2015

Ossip Mandelstam, Lettres

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À Nadejda Ia Mandelstam, Moscou [13 mars 1930]

 

Ma Nadinka ! Je suis complètement perdu. C’est très dur pour moi, Nadik, je devrais être toujours avec toi. Tu es ma courageuse, ma pauvrette, mon oisillon. J’embrasse ton joli front, ma petite vieille, me jeunette, ma merveille. Tu travailles, tu fais quelque chose, tu es prodigieuse. Petite Nadik ! Je veux aller à Kiev, vers toi. Je ne me pardonne pas de t’avoir laissée seule en février. Je ne t’ai pas rattrapée, je ne suis pas accouru dès que j’ai entendu ta voix au téléphone, et je n’ai pas écrit, je n’ai rien écrit presque tout ce temps. Comme tu arpentes notre chambre, mon ami ! Tout ce qui, pour moi, est cher et éternel se trouve avec toi. Tenir, tenir jusqu’à notre dernier souffle, pour cette chose chère, pour cette chose immortelle. Ne la sacrifie à personne et pour rien au monde. Ma toute mienne, c’est dur, toujours dur, et maintenant je ne trouve pas les mots pour l’exprimer. Ils m’ont embrouillé, me tiennent comme en prison, il n’y a pas de lumière. Je veux sans cesse chasser le mensonge et je ne peux pas, je veux sans cesse laver la boue et je n’y arrive pas.

 

Ossip Mandelstam, Lettres, Solin / Actes Sud, traduit du russe par Ghislaine Capogna-Bardet, 2000, p. 243.

29/09/2015

Dodoïtsu : Les montagnes, les rizières et la mer

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      Dodoïtsu

 

Que les grenouilles

Coassent dans l’eau

Et se lèvent dans ma mémoire

Les jours anciens

 

Sans doute viendra-t-il, mon bien-aimé

Et les soirs où il vient

Derrière, sur l’étang aux lotus

Les canards s’envolent

 

Buvons, chantons

Que serons-nous demain ?

Aujourd’hui, à mi-chemin nous sommes

Dans la fleur de l’âge

 

Libérant leurs gosiers

D’un mutuel assaut

Des oiseaux par milliers

Sur la route des îles

 

Le long des berges

Par temps de pluie

Des grenouilles se tiennent

Vigiles de l’autre monde

 

Les montagnes, les rizières et la mer, 64

Dodoïtsu, traduction et préface Alain

Kerven, Calligrammes, 1984, np.

28/09/2015

Takuboku Ishikawa, Ceux que l'on oublie difficilement

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J’ai compté les années d’espérance

et je fixe mes doigts

je suis fatigué du voyage

 

Il se demandait en riant

s’il se marierait

Il n’a toujours pas pris épouse

 

Il m’a donné la nourriture

et je me suis retourné contre lui

que ma vie est lamentable

 

Le soir au moment de se séparer

à la fenêtre du wagon j’ai bâillé

de tout cela je n’ai plus que regrets

 

Mon ami venait m’emprunter quelques sous

il s’en retourne

les épaules couvertes de neige

 

Takuboku Ishikawa, Ceux que l’on oublie difficilement, traduit du japonais par Alain Gouvret, Yasuko Kudawa et Gérard Pfister, Arfuyen, 1989, p. 8, 11, 12, 17, 21.

27/09/2015

Jacques Roubaud, Dix hommages / Octogone

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In memoriam Edoardo Sanguineti

 

           sopra il secondo versodi un sonetto rovesciato

                                   Ed. S., in Renga, 1971.

 

Quelques jours avant la mort nous évoquions

Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments

<Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions

 

De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant-

Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions

Agités plus qu’erratiques insolents

 

Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,

Sonnet, la chose italienne où Shakespeare

A passé ; Góngora, Marino, les pires

Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo

 

« Caro padre » notre, peu profond ruisseau

Calomnié la mort. La forme où l’écrire

Fut notre lien en toutes ces années. Dire

Cela soit ma poussière sur ce tombeau.

 

Jacques Roubaud, Dix hommages, Ink, 2011, np,

repris dans Octogone, Gallimard, 2014, p. 55.

26/09/2015

Édouard Levé (1965-2007), Œuvres

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1. Un livre décrit des œuvres dont l’auteur a eu l’idée, mais qu’il n’a pas réalisées.

 

3. La tête de Proust est dessinée sur une page d’À la recherche du temps perdu. Les mots que raye le contour de son visage forment une phrase grammaticalement correcte.

 

57. Un homme tient dans la main gauche Les Fleurs du Mal et dans la main droite un manuel de savoir-vivre du dix-neuvième siècle. Il lit à voix haute en prélevant aléatoirement des mots dans les deux livres, et s’efforce de formuler des phrases grammaticalement correctes.

 

425. Une voix fait le récit de la réalisation d’une œuvre non réalisée, comme si elle l’avait été : amonceler des pipettes dans el désert du Sahel.

 

Édouard Levé, Œuvres, P.O.L, 2015, p. 7, 7, 57 et 144.

 

 

25/09/2015

Cédric Demangeot, Une inquiétude

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L’ennui est le mètre étalon de l’intelligence à la française. Se donner l’air d’aimer l’ennui en matière d’art, revient à se donner l’air intelligent. Il est de mauvais goût d’être saisi, d’être emporté, ravi & ravagé par l’œuvre. Tout ce qui fait violence ou péripétie, tout ce qui fait rythme ou force vive est méprisé, considéré comme impur ou de basse inspiration. Qu’on ne s’y trompe pas, ce critère n’est jamais que celui d’une petite coterie, aussi étriquée dans ses vues que totalitaire dans l’exercice de son pouvoir. Cette esthétique de la constipation idéale, où beauté rime avec propreté et mesure, est depuis quatre siècles environ, celle simplement d’une classe sociale qui aimerait bien se faire passer pour une aristocratie de l’esprit,  et qui s’érige à ce titre en arbitre intangible de la culture nationale. Ceux qui en sont se reconnaissent. Ils se transmettent de père en fils leurs privilèges, leur chlorose et leur néant.

 

Cr réflexe crypto-classique sectaire, s’il est éminemment français, est aussi, me semble-t-il, une réminiscence de l’idéal chrétien de frustration : ce qu’on s’interdit, ce qu’on réprime et qu’on va jusqu’à condamner, c’est encore ici le plaisir et l’effroi, et c’est encore l’intensité vitale. C’est la vie.

 

Cédric Demangeot, Une inquiétude, Poésie / Flammarion, 2013, p. 89.

24/09/2015

Eugène Savitzkaya, Bufo bufo bufo

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Aperçu, à la morsure, à la langue de cendre,

illuminé, ses draps déchirés dans la puanteur,

oublié près du gouffre, la salive à la bouche,

comme un garçon d’argile foudroyé, peint, dévoré et sali,

à l’agonie sur l’herbe du pré, puni, poussé dans le trou,

dévorant son foie et touchant l’eau, choisissant,

triant les coquilles dans le noir, écrasant les

bouquets qui puent et qui salissent, les morceaux

perdus dans l’obscurité, Innocent pinçant la fleur,

la feuille rouge de l’arbre, les lèvres sur le bois poli,

la bouche fermée, prêt à mourir, toujours châtié,

toujours libre, les pieds nus sur le limon, en odeur

de neige.

 

Eugène Savitzkaya, Bufo bufo bufo, éditions de Minuit,

1986, p. 44.

23/09/2015

Carol Snow (née en 1949), Pour, dans Rehauts

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Postures du corps VI

 

Voulant non seulement l’immobilité des collines

mais une médiation — comme un regain

 

sur les collines — mur

de silence au-dessus des collines. Moore sculpte une figure

 

massive en marbre noir : un corps

de femme, couchée, courbée ; une éloquence

 

d’os, de coquillage,

pierres portées par-delà la contradiction.

 

                                               

 

                                                Tu t’es arrêtée

au bord de la route, étalement

 

de collines à mi-distance, quelques maisons. Seules les vertes

étendues du vignoble dans l’entre-deux

 

semblaient accessibles, c’est-à-dire humaines — question

d’échelle : silence imposant, tel que seules

 

les collines (également

imposantes) pouvaient reposer.

 

Cézanne, penché sur sa toile, aurait maîtrisé

cette vue, penses-tu : les bleus et les verts

et les ocres du proche et du lointain, cette posture

 

précaire de la danse, non le dessin qui unit

le dissemblable, par exemple les corps, mais le maintien

séparé du corps et du terrain, tu étais si

 

figée, tu pensais que tu pourrais devenir ces collines,

ou bien être née de ces collines

ou bien ton corps

aurait été un modèle pour ces collines.

 

Carol Snow, Pour, dans Rehauts, n° 35, printemps 2015,

traduit de l’anglais (États-Unis) par Maïtreyi et Nicolas Pesquès,

p. 3-4.

22/09/2015

Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes

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Tu dors, dors, c’est

une histoire, non pas l’Histoire

interprétable. Alors il vaut mieux te rendormir.

 

Servies secrets

réfugiés

quand les premiers mots

retentissent, alors

tu dors,

tu n’as pour les mots

plus aucun intérêt

 

Tôt le matin

quand les procès

commencent et que les

doux visages

des assassins et

les juges

prononçant la sentence

s’évitent,

quand une aile

d’avion effleure

tes cheveux, quand tu

trouves

ton corridor,

vers la mort, vers

l’isolement

vers l’oubli

alors tu

dors, quand le gong

retentit, et

ils parlent

du sommeil comme

d’un miracle.

 

Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe

 a des ailes, édition, présentation et traduction

de Françoise Rétif, Poésie / Gallimard, 2015,

p. 491 et 493.