29/09/2024
Paul Éluard, Jeux vagues la poupée
Jeux vagues la poupée
IV
Où les oiseaux ne chantent pas, de quoi sommes-nous sevrés ? Où les blés ne poussent pas, que pouvons-nous espérer ? Ce monde sans amour, veuf du soleil, que nous est-il ?
Il avait fait très froid et l’on avait très faim. La peur était en nous, dans la maison, dehors, éteignant tout. La mort, dernier sursaut de l’imagination. Le serpent passa sous la maison qui s’effondra.
Paul Éluard, Jeux vagues la poupée, dans Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard, 1968, p. 1008.
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14/10/2023
Paul Verlaine, L'espoir luit...
L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?
Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.
Midi sonne. De grâce, écartez-vous, madame,
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.
Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah, quand refleuriront les roses de septembre !
Paul Verlaine, Sagesse, dans Œuvres poétiques,
Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 203.
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25/05/2023
Lorand Gaspar, Gisements
Et plus insoutenable encore le bonheur
Et le reproche cinglant du visage qui sait
Indubitablement ce seul indubitable
Celui qui nu
Détaché comme une poutre d’un incendie
Continue ce déplacement insensé et joyeux
Sans ornements d’espoir
Sans la moindre explication cohérente
Ayant mis tout son calme
Sa précision dans la folie.
Lorand Gaspar, Gisements, Poésie/Flammarion,
1968, p. 62.
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25/07/2022
Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé,
Un rêve dans un rêve
Tiens ! ce baiser sur ton front ! et, à l’heure où je te quitte, oui, bien haut, que je te l’avoue : tu n’as pas tort, toi qui juges que mes jours ont été un rêve ; et si l’espoir s’est enfui en une nuit ou en un jour — dans une vision ou aucune, n’en est-il pas pour cela pas moins PASSÉ ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n’est qu’un rêve dans un rêve.
Je reste en la rumeur d’un rivage par le flot tourmenté et tiens dans la main des grains du sable d’or ! bien peu ! encore comme ils glissent à travers mes doigts à l’abîme, pendant que je pleure ! pendant que je pleure ! Ô Dieu ! ne puis-je les serrer d’une étreinte plus sûre ? Ô Dieu ! ne puis-je pas en sauver un de la vague impitoyable ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n’est-il qu’un rêve dans un rêve.
Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1928, p. 55-56.
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26/03/2022
Kafka, À Milena
mardi 17 août 1920
(...) Et c’est juste en ce moment qu’il me semble que j’aurais à te dire de l’indicible, et qui ne peut s’écrire, non pas pour réparer quelque chose que j’ai mal fait à Gmünd, non pas pour sauver quelque chose de totalement submergé, mais pour te faire comprendre en profondeur ce qu’il en est de moi, afin que tu ne te laisses pas effrayer, comme cela pourrait fatalement arriver malgré toute entre les humains. Il me semble parfois être lesté de tels poids de plomb que je devrais en un instant couler à pic au plus profond de la mer et que celui qui voudrait me saisir ou me « sauver » y renoncerait, non par faiblesse, ni même faute d’espoir, mais par simple irritation. Bon, bien sûr, cela n’est pas dit pour Toi, mais pour un faible semblant de Toi, comme une tête fatiguée, vide (ni malheureuse no excitée, c’est presque un état qui ferait éprouver de la reconnaissance) peut encore tout juste le percevoir.
Kafka, À Milena, traduction Robert Kahn, NOUS, 2021, p. 214-215.
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27/11/2021
Emily Dickinson, Je cherche l'obscurité
Un grand Espoir est tombé
Tu n’as rien entendu
La Ruine était intérieure
Oh Naufrage rusé
Qui n’a conté aucune Histoire
Et n’a admis aucun Témoin
L’esprit fut bâti pour de lourdes Charges
Planifié pour de terribles occasions
Si souvent sombrant en Mer
Soi disant, sur Terre
Emily Dickinson, Je cherche l’obscurité, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2021, p. 73.
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15/10/2021
George Oppen, Poésie complète
Du désastre
En fin de compte l’air
Est la lumière nue du soleil dont il faut extraire
Les objets de valeur lyrique. À partir du désastre
Du naufrage, des familles entières campaient
Jusqu’à leurs taudis, et survivaient.
Là grâce à quelle morale
De l’espoir
Qui pour les fils
Achève sa métaphysique
Sur les pelouses étroites des maisons.
George Oppen, Poésie complète, traduction
Yves di Manno, Corti, 2011, p. 65.
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22/02/2021
Cioran, La tentation d'exister
Les théologiens l’ont remarqué depuis longtemps : l’espoir est le fruit de la patience. On devrait ajouter : et de la modestie. L’orgueilleux n’a pas le temps d’espérer. Sans vouloir ni pouvoir attendre, il force les événements comme il force sa nature ; amer, corrompu, quand il épuise ses révoltes, il abdique : pour lui, nulle formule intermédiaire. Qu’il soit lucide, c’est indéniable ; mais la lucidité, ne l’oublions pas, est le propre de ceux qui, par incapacité d’aimer, se désolidarisent aussi bien des autres que d’eux-mêmes.
Cioran, La tentation d’exister, Idées/Gallimard, 1956, p. 228.
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26/06/2019
Jean Clair, Terre natale
L’écriture est un nécrologe. Écrire suppose d’être seul. Seul vraiment, pas même, et surtout pas, avoir autour de soi la présence faussement complice et rassurante des habitués d’un bistrot, comme ce fut autrefois, paraît-il, la mode. Seul comme abandonné, perdu égaré, contraint de chercher ses mots et de les rassembler, le dernier des hommes, face à la mort, pour tenter de répondre. Parler est un discours désarmé avec les disparus, la seule adresse possible à ceux qui ne sont plus là, un mouvement de piété envers ceux qui n’en peuvent mais. La parole ne peut y être que singulière, et ne porter aucun espoir.
Jean Clair, Terre natale, exercices de piété, Gallimard, 2019, p. 59.
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01/07/2017
Cioran, Aveux et anathèmes
Kandinsky soutient que le jaune est la couleur de la vie….On sait maintenant pourquoi cette couleur fait si mal aux yeux.
Sainte-Beuve écrivait en 1849 que la jeunesse se détournait du mal romantique pour rêver, à l’exemple des saint-simoniens, du « triomphe illimité de l’industrie ».
Ce rêve, pleinement réalisé, jette le discrédit sur toutes nos entreprises et sur l’idée même d’espoir.
Si je me suis toujours méfié de Freud, c’est mon père qui en porte la responsabilité : il racontait ses rêves à ma mère, et me gâchait ainsi toutes mes matinées.
On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre.
Cioran, Aveux et anathèmes, Arcades / Gallimard, 1987, p. 15, 17, 18, 21.
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28/05/2017
Boris Pasternak, L'an 1905
L’an 1905
Dans notre prose pleine de laideur
Dès octobre, l’hiver se glisse.
Le rideau du ciel de ses franges
Vient frôler la terre.
Prémices de neige, confuse encore,
Encore subtile, troublante comme un message,
Dans la nouveauté céleste de ce jour
Révolution, tu es là tout entière.
Jeanne d’Arc des bagnes de Sibérie,
Captive et chef, tu es de celles
Qui se jetaient dans le puits de la vie
Trop ardentes pour mesurer leur élan.
Socialiste du crépuscule tu faisais jaillir la lumière
En battant des monceaux de briquets
Tu sanglotais, et ton regard de basilic
Nous illuminait et nous glaçait à la fois.
Absorbée par le grondement des champs de tir
Qui là-bas, au loin, s’éveillaient
Tu faisais vaciller les feux dans la solitude
Comme si la rue tournoyait autour de ta main.
Et dans l’égarement des flocons noceurs
Toujours le même geste fier de refus
Tel un artiste rongé par le doute
Tu t’écartes des triomphes.
Tel un poète, la pensée consumée,
Tu marches pour oublier.
Tu ne fuis pas seulement les gros écus
Mais tout le mesquin te répugne aussi.
Boris Pasternak, L’an 1905, Debresse, traduction
Benjamin Goriely, 1958, p. 27-28.
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30/09/2015
Ossip Mandelstam, Lettres
À Nadejda Ia Mandelstam, Moscou [13 mars 1930]
Ma Nadinka ! Je suis complètement perdu. C’est très dur pour moi, Nadik, je devrais être toujours avec toi. Tu es ma courageuse, ma pauvrette, mon oisillon. J’embrasse ton joli front, ma petite vieille, me jeunette, ma merveille. Tu travailles, tu fais quelque chose, tu es prodigieuse. Petite Nadik ! Je veux aller à Kiev, vers toi. Je ne me pardonne pas de t’avoir laissée seule en février. Je ne t’ai pas rattrapée, je ne suis pas accouru dès que j’ai entendu ta voix au téléphone, et je n’ai pas écrit, je n’ai rien écrit presque tout ce temps. Comme tu arpentes notre chambre, mon ami ! Tout ce qui, pour moi, est cher et éternel se trouve avec toi. Tenir, tenir jusqu’à notre dernier souffle, pour cette chose chère, pour cette chose immortelle. Ne la sacrifie à personne et pour rien au monde. Ma toute mienne, c’est dur, toujours dur, et maintenant je ne trouve pas les mots pour l’exprimer. Ils m’ont embrouillé, me tiennent comme en prison, il n’y a pas de lumière. Je veux sans cesse chasser le mensonge et je ne peux pas, je veux sans cesse laver la boue et je n’y arrive pas.
Ossip Mandelstam, Lettres, Solin / Actes Sud, traduit du russe par Ghislaine Capogna-Bardet, 2000, p. 243.
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07/04/2015
Yasmina Reza, Nulle part
Moïra
Moïra dit, les gens sont dehors, ils sont heureux, il fait beau, tu sens une gaieté dans les rues, il y a des queues devant les musées (elle à qui cela fait horreur en temps normal). Tout le monde profite de cette fin d’automne.
Elle dit, il y a d’un côté les vivants, de l’autre côté moi.
Elle dit, à ce seuil de douleur-là, l’être se défait. Je ne reconnais pas en moi celle qui a perdu tout espoir. Qui est celle qui reste et est encore capable de parler ? Est-ce qu’on est tous cette personne-là en fin de compte ? Qui n’a rien compris au sens de la vie ? Qui n’a plus que faire de tous les attributs, le goût, le sentiment ?
Une journée si mauvaise : je ne peux penser à la vie. Je suis atterrée. Je suis sans avenir. Je fais tous les gestes de la vie sans être vivante. Cette promenade. Cette descente dans l’atelier. Même te voir, ce n’est pas la vie. Même la mort ne me réconforte pas. Même me dire lâche prise, je m’en fous.
Elle dit, Dieu, je n’ai jamais pu y croire et je n’ai jamais pu ne pas y croire.
Je lui lis ces notes au téléphone. Elle me dit, j’aime la dernière phrase. Elle dit, le reste est lamentable. Surtout littérairement.
Yasmina Reza, Nulle part, Albin Michel, 2009, p. 38-39.
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06/09/2014
James Joyce, Poèmes, Chamber Music, traduction Jacques Borel
Viens légère ou légère pars :
Bien que ton cœur te fasse voir
Chagrins, vallons, soleils noyés,
Que ton rire, Oréade, danse
Jusqu’à ce que l’air des sommets
Rebrousse avec irrévérence
Ta chevelure déployée
Sois légère et toujours ailée :
Les nues qui voilent les vallées
Quand monte l’étoile du soir
Sont les plus humbles des suivants :
Rire et amour se fassent chant
Si le cœur renonce à l’espoir.
Lightly come or lightly go :
Though thy heart presage thee woe,
Vales and many a wasted sun,
Oread, let thy laughter run,
Till the irreverent mountain air
Ripple all thy flying hair.
Lightly, lightly — ever so :
Clouds that wrap the vales below
At the hour of evenstar
Lowliest attendants are ;
Love and laughter song-confessed
When the heart is heaviest.
James Joyce, Poèmes, Chamber Music, Pomes
Penyeach, poèmes traduits de l’anglais et préfacés
par Jacques Borel, Poésie du monde entier,
Gallimard, 1967, p. 65 et 64.
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29/07/2014
Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes
Quand tes yeux conquerans estonné je regarde,
J’y veois dedans à clair tout mon espoir escript ;
J’y veois dedans Amour luy mesme qui me rit,
Et m’y mostre, mignard, le bon heur qu’il me garde.
Mais, quand de te parler par fois je me hazarde,
C’ets lors que mon espoir desseiché se tarit ;
Et d’avouer jamais ton œil, qui me nourrit,
D’un seul mot de faveur, cruelle, tu n’as garde.
Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que je dis :
Ce sont ceux là, sans plus, à qui je me rendis.
Mon Dieu, quelle querelle en toi mesme se dresse,
Si ta bouche & tes yeux se veulent desmentir ?
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les despartir,
Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.
Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes,
Introduction, bibliographie et notes par Louis Desgraves,
William Blake and C°, 1991, II, p. 154.
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