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07/04/2015

Yasmina Reza, Nulle part

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                                Moïra

 

   Moïra dit, les gens sont dehors, ils sont heureux, il fait beau, tu sens une gaieté dans les rues, il y a des queues devant les musées (elle à qui cela fait horreur en temps normal). Tout le monde profite de cette fin d’automne.

   Elle dit, il y a d’un côté les vivants, de l’autre côté moi.

   Elle dit, à ce seuil de douleur-là, l’être se défait. Je ne reconnais pas en moi celle qui a perdu tout espoir. Qui est celle qui reste et est encore capable de parler ? Est-ce qu’on est tous cette personne-là en fin de compte ? Qui n’a rien compris au sens de la vie ? Qui n’a plus que faire de tous les attributs, le goût, le sentiment ?

   Une journée si mauvaise : je ne peux penser à la vie. Je suis atterrée. Je suis sans avenir. Je fais tous les gestes de la vie sans être vivante. Cette promenade. Cette descente dans l’atelier. Même te voir, ce n’est pas la vie. Même la mort ne me réconforte pas. Même me dire lâche prise, je m’en fous.

   Elle dit, Dieu, je n’ai jamais pu y croire et je n’ai jamais pu ne pas y croire.

   Je lui lis ces notes au téléphone. Elle me dit, j’aime la dernière phrase. Elle dit, le reste est lamentable. Surtout littérairement.

 

Yasmina Reza, Nulle part, Albin Michel, 2009, p. 38-39.

 

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