05/05/2020
Paul Celan, Grille de parole
Un œil ouvert
Heures, couleur mai, fraîches.
Ce qui n’est plus à nommer, brûlant,
audible dans la bouche.
Voix de personne, à nouveau.
Profondeur douloureuse de la prunelle :
la paupière
ne barre pas la route, le cil
ne compte pas ce qui entre.
Une larme, à demi,
lentille plus aiguë, mobile,
capte pour toi les images.
Paul Celan, Grille de parole, traduction
Martine Broda, 1991, p. 75.
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14/11/2019
Reinhard Priessnitz, 44 poèmes
Large au séant
Et pourquoi qu’tu trompaytes ?
j. van hoddis
moins de fesses, d’yeux, cerveaux,
ça suffirait. moins de mains.
bien. moins de texte. ôter l’image ;
moins de mots. nuls relais,
rejets, nulle vapeur ! sans pin-pon
écrire encore moins de vagues.
plus de papier, moins de trombones
à cul lisse aussi dégonflé. nul présent !
Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, traduction
Alain Jadot, préface Christian Prigent,
NOUS, 2015, p. 147.
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23/11/2018
Jacques Moulin, Sauvagines
Regard de clairière
Paupières feuillues
Œil de lynx
Oreilles sylvestres
Nez en l’air jusqu’à terre
Nez en flair avec
L’humus l’humeur des vents
L’ardeur des fumées
L’honneur du poil ou de la plume
Mains moussues
Corps tendu vers l’attente l’accueil
Il avance sans appareil photo
— l’appareil ne l’appareille jamais
Il avance toutes antennes offertes
Live sauvagement live
Il ne vient pas faire photo
Gonfler l’album thésauriser le cliché
Jouer la montre la démonstration
Il vient comprendre attendre entendre
Goûter à l’espace apprécier les lieux
Se dissoudre en eux
Garantir sa communion avec le vivant
Il est vivant au sein du vivant
Comme la pierre il est posé là
Dans le mitan du monde
Un coup de sécateur — sa dentition sauvage
Et il attend il observe il écoute il respecte
Il est à l’affût il s’affûte corps et esprit
[…]
Jacques Moulin, Sauvagines, éditions la clé à molette, 2018, p. 27-28.
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20/10/2018
Cécile A. Holdban, Toucher terre
Autour d’elle
Des images se retournent dans l’ombre
Si simple la nuit assise au fond du corps
d’être pur langage, vérité d’une origine
inscrite.
Sortilège du son
on achève l’orage dans le creux d’une oreille
des chevaux mortellement blessés se brisent
entraînent dans les tranchées l’infini galop des mots
la lumière creuse plus profond dans ce rêve
en perles sur la peau d’une rosée nocturne
le temps chaviré du poème parmi
les interstices de la foudre.
Mais balbutiant il faudra tout reprendre
de la gorge au souffle, resserrer le jour et sa robe trop courte
comme un vêtement d’amour
sur les restes en pièces de la nuit.
Quelque chose tombait dans le silence. Un son de mon corps. Mon dernier mot fut je mais je parlais de l’aube lumineuse.(Alejandra Pizarnik)
Cécile A. Holdban, Toucher terre, Arfuyen, 2018, p. 44.
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10/07/2017
Georges Perec, La belle absente
La belle absente
1
Daphné fit le visage que j’ombre
Plomb figé devenu torche jusqu’ ;
Au dos fragile, vasque, jubé, champ,
Blanc qu’âge de jade rompt à vif
Jusqu’au flambant pavot d’or, gâchis
Déjà fléchés : manque. Boive ta page
Humble, grave, l’aspect que je fonde,
Qui défit cet aplomb gravé hors jeu
Champ d’or gravi jusqu’au but final.
2
Inquiet, aujourd’hui, ton pur visage flambe.
Je plonge vers toi qui déchiffre l’ombre et
La lampe jusqu’à l’obscure frange de l’hiver :
Quêtes de plomb fragile où j’avance, masqué
Nu, hagard, buvant ta soif jusqu’à accomplir
L’image qui s’efface, alphabet déjà évanoui.
L’étrave de ton regard est champ bref que je
Dois espérer, la flèche tragique, verbe jeté,
Plain-chant qu’amour flambant grava jadis.
Georges Perec, Œuvres, II, édition Christelle Reggiani,
Pléiade / Gallimard, 2017, p. 796.
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17/05/2017
Georges Perros, Papiers collés
Les poètes écrivant mal. C’est leur charme. Si tout le monde écrivait comme Anatole France, lire ne serait plus et définitivement qu’une entreprise maussade. Ils écrivent mal, n’ayant qu’un obstacle mais cet obstacle impossible à franchir. Ils le retrouvent partout. C’est le mot. Ils n’ont pas le loisir d’aller plus avant, c’est-à-dire de penser à quelque chose. À leur sort. À leur misère. À leur condition. Prendre quelqu’un au mot, c’est le sommer dans l’immédiat. Le poète est pris au mot. S’il réfléchit, c’est dans l’angle strict du langage. Une horloge ne pense pas. Elle réduit le mystère, le temps, à sa perpétuelle délibération. Mais aussi bien rend-elle à ce mystère toute son implacabilité, toute sa folle éternité.
Donc un mot ne veut rien dire. C’est grave quand on s’avise que la plupart des hommes utilisent cette monnaie d’échange pour correspondre. Pour aimer. Pour prêter serment. Mais le mot n’aime guère qu’on le presse, qu’on le prenne pour ce qu’il n’est pas. Le poète a compris cela. Il le traite avec discrétion sinon avec indifférence, et le mot donne tout son sens. Et même un peu plus. Il éclate, à maturité, faisant gicler l’image. Non sans donner sa chance à l’idée.
Georges Perros, Papiers collés, Le Chemin/Gallimard, 1960, p. 80-81.
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05/04/2017
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu'un
C’est ainsi
Hasard légèrement fleuri, s’enracinant à peine,
Je contemple le vent, je respire.
Ne plus dire car personne, et même aucune image ensemble, que je donnais on visage à boire dans tes mains.
Tu l’as renversé, et encore renversé.
Même si je glisse
Non je ne suis pas sur le rocher !
Je tire sur la corde,
Pourquoi tiendrait-elle, tu l’as lâchée.
Pas comme l’amour qui n’ôte pas ses mains. Des miennes je m’accroche aux mots appuyés.
Enflure sans danse
- ardent découpage, oubli passionné.
Un jour, puis deux
Avec leurs joues à embrasser, ne pas embrasser.
Ils viennent tous.
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu’un, Tarabuste, 2003, p. 99.
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05/03/2017
Pierre Reverdy, Le Gant de crin
Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.
Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.
Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.
Pierre Reverdy, Le Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.
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19/11/2016
Antoine Emaz, Cambouis
Il ne faut pas briller, mais luire. Les images les plus faibles ont la résonance la plus longue. Celles qui flashent durent leur éclair, pas davantage.
Vieux disque de Dylan, Blonde on blonde, et temps gris dehors. Correspondance entre cette lumière faible, de saison, et la vieillerie intacte de la chanson. Aucune nostalgie, seulement voir-entendre du temps.
Loin de la poésie, au sens où la langue n’interfère pus avec ce qui est. Les arbres et la pluie sont, sans demander leur reste de mots. Comme si les cordes internes étaient détendues, qu’il n’y avait plus qu’un désir de laisser filer le temps pour se refaire.
« Ajoutez quelquefois, et surtout effacez » (Boileau Art poétique). Juste. On n’a jamais fini d’enlever du trop.
Si tu n’écris pas de poèmes, ne te soucie pas. Tu ne devais pas en écrire. Ou tu n’étais pas à la hauteur. Ou tu n’avais pas besoin, intensément, d’en écrire. Et voilà. Laisse aller, attends.
Antoine Emaz, Cambouis, Seuil, 2009, p. 23, 46, 69, 93, 124.
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09/12/2015
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride
La poésie
c'est refuser la vie — partie par partie —
pour l'accepter tout entière —
que l'image se pulvérise et devienne dérisoire.
La banalité poétique se résorbe aussi bien que l'autre, seulement il faut l'avoir éprouvée, jusque dans la trame — ce qui n'est pas facile
*
Le poète est celui qui, dormant et sachant qu'il dort,
ne se réveille pas —
*
le poème sort avec sa lie
hors de sa gangue d'angoisse
et de toute la boue qui le charrie
*
la poésie, c'est cette exaspération des facultés critiques,
de cette faculté critique qui ne mord pas sur la matière
il y a cette révélation de l'insipide
— de cette clarté
qui court en avant d'elle-même
ce qu'il y a de plus éclatant, de plus exotique, est comme la préfiguration de sa banalité
qui n'est suscité que pour être incinéré
l'image n'est que l'indication de sa course, de sa rapidité.
Nous sommes — heureusement — en retard sur cette banalité.
Notre vie, notre poids, notre étonnement, notre lenteur — notre admiration.
on a touché l'essence de la poésie, quand on sent passer ce souffle incolore, ce souffle
le vent dont nous sommes affublés
le feu, c'est cet immense retard sur la banalité —
l'image n'est suscitée que pour être incinérée.
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p. 249, 252, 253, 254-55.
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19/11/2015
Jacques Lèbre, Onze propositions pour un vertige
I
Sur le terrain instable de ta mémoire,
suivait-tu des lignes de faille ?
Vérifiais-tu parfois la solidité
de tel ou tel souvenir
avant qu’il ne s’effondre sous tes pas ?
Tu marchais sur des gravats.
Les pas n’y font pas le même bruit.
Mais de cela, quelle image s’en approcherait ?
Poème.
Comme passe
l’ombre d’un nuage sur le sol.
II
À l’heure du rendez-vous
(c’était pour déjeuner)
il fallait te chercher
dans les restaurants du quartier.
« Attends, je note.
Attends, je prends un crayon.
C’est bien le dix-sept à midi ? »
Tu oubliais que tu avais noté.
Tu n’avais plus rendez-vous, avec personne.
Jacques Lèbre, Onze propositions pour un vertige,
le phare du cousseix, 2013, p. 5-6.
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26/10/2015
Paul Celan, Grille de parole (traduction Martine Broda)
Un œil ouvert
Heures, couleur mai, fraîches.
Ce qui n’est plus à nommer, brûlant,
audible dans la bouche.
Voix de personne, à nouveau.
Profondeur douloureuse de la prunelle :
la paupière
ne barre pas la route, le cil
ne compte pas ce qui entre.
Une larme, à demi,
lentille plus aiguë, mobile,
capte pour toi les images.
Paul Celan, Grille de parole, traduction
Martine Broda, 1991, p. 75.
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07/09/2015
Denis Roche (11/1937-3/09/2015), Les idées centésimales de Miss Élanize
Et au printemps, l’honneur de la porte
Qui s’ouvre à l’expérience réaliste, la
Pomme la plus remplie de jus roule à la rencontre
Des salles de dessins (et c’est l’exacte
Rencontre avec l’image des personnage de
Livres, ceux qui n’ont pas fini de pécher par
Exaltation, et qui n’ont de cesse de me conseil-
Ler la honte, les premiers qui défilent
Devant les fresque de la salle de lecture
Désormais cette autre personne s’attache
À l’entretien de ma demeure). Comme le
Rat enfin, il faut inscrire le nom de
Celles qui ont pour principale distraction
De s’émouvoir à la lumière matinale
Objets de ma réussite et de mon arrivée
À la gare et de ma compagnie
Denis Roche, Les idées centésimales de Miss
Elanize, Seuil, 1964, p. 61.
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19/04/2015
Pascal Quignard, Les mots sur le bout de la langue
La poésie, le mot retrouvé, c’est le langage qui redonne à voir le monde, qui fait réapparaître l’image intransmissible qui se dissimule derrière n’importe quelle image, qui fait réapparaître le mot dans son blanc, qui réanime le regret du foyer toujours trop absent dans le langage qui l’aveugle, qui reproduit le court-circuit en acte au sein de la métaphore. Les images ont besoin de mots retrouvés comme les hommes , chez qui le langage est second, tombant perpétuellement sous la nécessité d’être réagencés par la langage — d’être de nouveau acquis à l’idée de langage ; c’est-à-dire le vrai langage ; c’est-à-dire le langage où le réel est défaillant, où l’enfance remonte en même temps qu’Eurydice, où le sevrage les poursuit dans leur dos, où le désir de nouveau redresse le corps vers l’avant, érige, c’est-à-dire le langage où le ot manque.
Pascal Quignard, Les mots sur le bout de la langue, P.O.L, 1993, p. 77-78.
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21/03/2015
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride
rêvant d’une langue dot les images seraient tellement éblouissantes, profondes et fortes qu’elles tiendraient lieu de toute logique, et du cheminement ordinaire imposé à la pensée.
*
les mots labourent l’air
on pique lourdement de l’avant
L’écume
et le litre tordu du sillage
Cette image qui vient de sortir a mis exactement dix ans à mûrir. Je m’en content pour la fin de la matinée.
*
Poésie : comme dans cette récente découverte physiologique où l’on profite du violent sursaut d’énergie vitale accumulée au moment d’un danger extrême.
*
Je ne peux pas dire ce que je ressens : ce que je ressens ne m’intéresse pas.
Ce que les autres sentent ne m’intéresse pas.
Je m’occupe uniquement des détails de l’accident terrestre.
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Carnets 1949-1955, édition établie par Clément Layet, Le bruit du temps, 2011, p. 123, 124, 125, 127.
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